Jurisprudence : Contenus illicites
TGI de Marseille, ordonnance de référé du 20 juillet 2018
Mme X. / M. Y. et Sarl Z
atteinte à la vie privée - avocat - liberté d'expression - site internet - vidéo en ligne
Par assignation du 25 juin 2018, Mme X. (avocate au barreau de Marseille) a fait citer M. Y. et la Sarl Z, en demandant au juge des référés :
leur condamnation solidaire sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir à cesser la diffusion du titre et du texte sur tout support ou site que ce soit, de la lettre ouverte à Maître X. intitulé “Où puis-je vous la mettre, Maître ?”, du titre, de la vidéo et du texte de la vidéo intitulée “Les groupies du pyromane” et de deux photographies de Maître X.;
leur condamnation solidaire au paiement de la somme 20 000 € à titre de provision sur le préjudice subi ;
leur condamnation solidaire au paiement de la somme 3500 € en vertu de l’article 700 du CPC ;
A l’audience du 13 juillet 2018, Mme X., par l’intermédiaire de son conseil, réitère ses demandes, en faisant valoir ses moyens tels qu’exprimés dans son assignation et dans ses conclusions auxquelles il convient de se reporter.
M. Y. et la Sarl Z exposent par l’intermédiaire de leur conseil, en faisant valoir leurs moyens tels qu’exprimés dans leurs conclusions auxquelles il convient de se reporter, qu’il convient de prononcer la nullité de l’assignation. Ils sollicitent le renvoi devant la formation collégiale des référés en application de l’article 487 du CPC. Ils sollicitent le rejet des demandes précitées. 1€ est demandé en vertu de l’article 700 du CPC.
DISCUSSION
Attendu qu’il n’y a pas lieu de renvoyer le litige devant la formation collégiale ;
Attendu que dans tous les cas d’urgence, le juge des référés peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ;
Attendu que le juge des référés peut toujours même en présence d’une contestation sérieuse prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite; que dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ;
Attendu que l’action diligentée en référé pour faire cesser la diffusion publique d’écrits, de vidéos ou de photographies revêtant un caractère diffamatoire ou injurieux est effectivement soumise au formalisme de la loi du 29 juillet 1881 ; qu’en l’espèce l’assignation comporte les mentions et distinctions formelles requises en la matière puisqu’elle énumère les passages constitutifs, selon le demandeur, d’injures (II Dicussion B1) en les distinguant de ceux constitutifs de diffamations (II Discussion B2) ; qu’enfin, le demandeur se prévaut de l’atteinte au droit à l’image et à la vie privée (Discussion B3) ; que la validité de l’assignation au regard des dispositions formelles de la loi du 29 juillet 1881 ne dépend en aucun cas de la pertinence des choix et des appréciations opérées par le demandeur; que cette question relève du débat de fond ; que du reste les défendeurs ont ainsi pleinement pu contester les qualifications opérées par le demandeur; qu’il convient de rejeter l’exception de nullité de l’assignation ;
Attendu qu’il est établi et non contesté que M. Y. diffuse via son site internet nabesnews.com un texte intitulé “Où puis-je vous la mettre Maître ? Lettre ouverte à Maître X.”, une vidéo intitulée “Les groupies du pyromane” comportant sa représentation à son insu et deux photographies la représentant; que ces diffusions font suite au procès ayant opposé M. Y. à M. Z. dont Maître X. était le conseil ;
Attendu qu’en ce qui concerne la diffusion publique d’une vidéo représentant Maître X. manifestement délibérément filmée à son insu, il convient de constater que cette vidéo a été prise dans la salle des pas perdus du palais de justice de Paris lors du procès en cause et qu’elle comporte d’autres individus présents ; que l’existence d’une atteinte à la vie privée est sérieusement contestable ; que de même l’atteinte à la dignité est également sérieusement contestable dans la mesure où il existe d’autres protagonistes et que le bruitage (hurlements et crépitements) a été grossièrement rajouté tandis qu’il revêt un caractère tout aussi énigmatique que sybillin excluant une atteinte explicite à quiconque en particulier ;
Attendu que M. Y. et la Sarl Z ne sont pas en droit de pouvoir diffuser la photographie professionnelle de Maître X. issu de son site professionnel officiel ; qu’il convient d’interdire solidairement à M. Y. et la Sarl Z de diffuser publiquement par tout moyen la photographie professionnelle de Maître X. issu de son site professionnel officiel sous astreinte de 500 € par jour de retard passé le délai de 2 jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;
Attendu que la teneur de la diatribe formulée à l’encontre de Maître X. dans le texte “Où puis-je vous la mettre Maître ? Lettre ouverte à Maître X.” porte à l’évidence atteinte à la dignité de la personne et au respect dû à sa qualité d’avocate ; qu’il revêt un caractère vindicatif, véhément et virulent insusceptible de se rattacher à l’inconvenance triviale ou grivoise pratiquée à titre satirique ou humoristique, effectivement parfaitement tolérable quelle qu’en soit la navrante médiocrité intellectuelle ou artistique; que la diffusion publique de cet écrit impliquant Maître X. caractérise un trouble manifestement illicite qui lui porte un préjudice moral évident; que dès lors et afin de concilier le droit à la liberté d’expression dont bénéficie M. Y. avec les droits au respect de la dignité de Maître X., il convient non pas d’interdire la poursuite de la diffusion publique du texte en cause, mais d’interdire solidairement à M. Y. et la Sarl Z sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé le délai de 2 jours à compter de la signification de la présente ordonnance de mentionner le nom de Maître X. et ou de sa qualité d’avocat de quiconque ou d’y faire référence ou d’utiliser tout moyen permettant de l’identifier (via des images notamment) dans le titre et le contenu du texte intitulé “Où puis-je vous la mettre Maître ? Lettre ouverte à Maître X.” ;
Attendu que le montant de la provision devant être allouée au Mme X. ne peut excéder le montant d’indemnisation au delà duquel celui-ci devient aléatoire ou incertain compte tenu de l’appréciation du juge du fond; que ce montant doit dès lors en fonction des considérations précitées combinées être justement fixé à la somme de 5000 € ;
Attendu que M. Y. et la Sarl Z seront solidairement condamnés à payer à Mme X. la somme de 2500€ en application de l’article 700 du CPC ;
Attendu que M. Y. et la Sarl Z supporteront solidairement les dépens ;
DÉCISION
Rejetons l’exception de nullité de l’assignation ;
Interdisons solidairement à M. Y. et la Sarl Z de diffuser publiquement par tout moyen la photographie professionnelle de Maître X. issu de son site professionnel officiel sous astreinte de 500 € par jour de retard passé le délai de 2 jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;
Interdisons solidairement à M. Y. et la Sarl Z sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé le délai de 2 jours à compter de la signification de la présente ordonnance de mentionner le nom de Maître X. et ou de sa qualité d’avocat de quiconque ou d’y faire référence ou d’utiliser tout moyen permettant de l’identifier (via des images notamment) dans le titre et le contenu du texte intitulé “Où puis-je vous la mettre Maître ? Lettre ouverte à Maître X.” quel que soit le mode de diffusion de celui-ci ;
Condamnons solidairement M. Y. et la Sarl Z à payer, à titre provisionnel, à Mme X. la somme de 5000 € à titre de provision sur les préjudices subis ;
Disons n’y avoir lieu à référé sur le surplus ;
Condamnons solidairement M. Y. et la Sarl Z à payer à Mme X. la somme de 2500 € en application de l’article 700 du CPC ;
Condamnons solidairement M. Y. et la Sarl Z aux dépens.
Le Tribunal : M. Vignon (vice-président), Mme Dufourgniaud (greffier)
Avocats : Me Caroline Fima, Me Mathieu Croizet
Lire notre présentation de la décision
En complément
Maître Caroline Fima est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Maître Mathieu Croizet est également intervenu(e) dans les 10 affaires suivante :
En complément
Le magistrat M. Vignon est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Mme Dufourgniaud est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.