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Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 14 juin 2019
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Cour d’appel de Paris, pôle 2 – ch. 7, arrêt du 20 mars 2019

M. Y. et Ministère Public / M. X.

condition de publicité - confidentialité - courrier électronique - email - email personnel - Injure non publique - professionnel

M. Y. a été poursuivi devant le tribunal par citation directe à la requête de la partie civile M. X., pour les faits de

INJURE NON PUBLIQUE EN RAISON DE L’ORIGINE, L’ETHNIE, LA NATION, LA RACE OU LA RELIGION
en l’espèce pour avoir envoyé à Madame Z. un message le 15 mars 2017, précisant : « Voila je tai donne mes horaires pour que tu puisses truander avec le bougnoul»
infraction prévue par l’article R625-8-1 al.1 du Code pénal, l’article 29 al.2 de la loi du 29/07/1881 et réprimée par les articles R.625-8-1 al.1, R.625-8-2 du Code pénal

Le jugement

Le TRIBUNAL DE POLICE DE PARIS – par jugement contradictoire, en date du 19 novembre 2018, a

Sur l’action publique :

• Relaxé M. Y. des fins de la poursuite ;

Sur l’action civile :

• Débouté M. X., partie civile, fie l’ensemble de ses demandes ;

• Ordonné la restitution à M. X., partie civile, de la somme de 300 euros consignée le 02/08/2018 auprès de la Régie du Tribunal de grande instance.

L’appel

Appel a été interjeté par :

M. X. par l’intermédiaire de son conseil, le 28 novembre 2018

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

À l’audience publique du 13 février 2019, le président a constaté l’identité de la personne poursuivie M. Y.

Maître Croizet Mathieu a déposé des conclusions, lesquelles ont été visées par le président et le greffier et jointes au dossier.

Le président a informé la personne poursuivie de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

Sophie-Hélène Chateau a été entendue en son rapport.

M. Y. a été interrogé et entendu en ses moyens de défense.

Ont été entendus :

Maître Croizet Mathieu, avocat de la partie civile, en ses plaidoirie et conclusions,

Le ministère public, qui n’a pas formulé d’observations,

Maître Tauzin Stéphanie, avocat du prévenu M. Y., en sa plaidoirie,

La personne poursuivie M. Y. qui a eu la parole en dernier.

Puis la cour a mis l’affaire en délibéré et le président a déclaré que l’arrêt serait rendu à l’audience publique du 20 mars 2019.

Et ce jour, le 20 mars 2019, en application des articles 485, 486 et 512 du code de procédure pénale, et en présence du ministère public et du greffier, Sophie-Hélène Chateau, conseiller faisant fonction de président ayant assisté aux débats et au délibéré, a donné lecture de l’arrêt.

DÉCISION :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

EN LA FORME

Sur la qualification de l’arrêt

M. Y., intimé, étant présent et assisté et la partie civile, étant représentée, l’arrêt sera contradictoire à leur égard.

Sur la recevabilité et la portée de l’appel

L’appel de la partie civile a été interjeté dans les formes et délai de la loi ; il sera donc déclaré recevable.

AU FOND

Rappel des faits et de la procédure

Il résulte des éléments du dossier exactement exposés par les premiers juges que M. Y. a signé un contrat de travail avec la société Fortia le 15 janvier 2018 avec une période d’essai de trois mois ; que cette société a notamment été créée par M. X., que la compagne de ce dernier, Mme Z., travaille comme Directrice Administratif et Financier au sein de cette même société ; que le 13 mars 2018, M. Y. a quitté. à 15h00, sans prévenir son employeur, le client chez qui il avait été détaché, que suite à un échange de mail avec sa directrice administrative M. Y. a envoyé un message électronique le 15 mars 2018 de sa messagerie privée sur la boîte mail professionnelle de Mme Z. contenant les propos suivants : « Voila je tai donné mes horaires pour que tu puisses truander avec le bougnoul ».

M. X. a donc fait citer le 19juin 2018 M. Y. devant le Tribunal de Police de Paris du chef d’injure non publique à caractère raciale.

Pour relaxer le prévenu, le tribunal de Police a relevé d’office le caractère confidentiel du mail poursuivi.

Devant la cour

La partie civile, représentée, a déposé des conclusions soutenues oralement sollicitant l’infirmation du jugement entrepris, a soulevé la violation du caractère contradictoire du jugement, puis a demandé que M. Y. soit déclaré coupable d’injure non publique à son égard, de déclarer recevable et bien fond sa constitution de partie civile et de condamner l’intimé à lui verser 6 000 euros de dommages et intérêts, de dire que les intérêts échus et à échoir seront capitalisés par application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil (ancien article 1154 dudit code), ainsi qu’une somme de 3000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Madame l’avocate générale n’a pas présenté d’observation, n’étant pas appelante.
Le prévenu présent et assisté a présenté ses excuses à la partie civile, a expliqué le contexte de l’entreprise dans laquelle il était lui-même injurié depuis le début, son ignorance du lien marital entre la destinataire du courrier et son patron, et surtout son souhait que ce propos reste confidentiel. Il a précisé qu’il était en détresse psychologique et sous médicaments au moment des faits qui correspondait à son départ de l’entreprise.

Sur ce, la cour

Sur la violation du principe du contradictoire

Considérant que c’est à juste titre que le conseil de la partie soulève la violation du principe du contradictoire par le jugement querellé, qu’en effet le nouveau code de procédure civile énonce au chapitre des principes directeurs du procès, dans son article 16, que le juge a une obligation absolue de faire respecter et de respecter lui-même le principe du contradictoire et qu’il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations; qu’en l’espèce le premier juge qui a soulevé d’office le moyen fondé sur le principe du respect du secret des correspondances aurait dû, avant de juger, permettre aux parties de pouvoir en débattre contradictoirement ;
que le jugement devra donc être annulé, et la cour devra évoquer l’affaire en application de l’article 520 du code de procédure pénale ;

Sur l’action publique

Sur la confidentialité

Considérant que la partie civile soutient que le principe de la confidentialité des correspondances électroniques n’est pas absolu, que dans le cadre professionnel, les courriers reçus sur la messagerie professionnel d’un salarié, ou envoyés au moyen de la messagerie professionnelle d’un salarié, ayant un lien manifeste avec la vie de l’entreprise (commandes, ordres, instructions, organisation de l’entreprise, organisation du temps de travail et éventuellement récrimination etc.) ne sont pas, par principe,
présumés privés, que l’injure non publique est donc constituée ;

Considérant cependant que le courrier électronique obéit au droit commun de la correspondance privée, que les injures ou menaces contenues dans une lettre et concernant une personne autre que le destinataire ne sont susceptibles de recevoir une qualification pénale que s’il est établi que cette lettre a été adressée au tiers dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel, que cette exigence de nature à limiter la liberté d’expression et d’opinion et celle des correspondances doit être strictement interprétée, le destinataire étant lui-même soumis à une obligation de discrétion ; tel n’est pas le cas lorsqu’il n’est pas démontré qu’une lettre adressée à un tiers devait être divulguée, cette divulgation ne résultant que de l’initiative du seul destinataire de la lettre ;

Considérant qu’en l’espèce s’il est exact que le courrier poursuivi a été envoyé par un employé à sa supérieure hiérarchique pour l’informer de l’envoi de ses horaires de travail, il a cependant été envoyé d’une adresse privée, extérieur à l’entreprise, en employant le tutoiement, en outre l’objet du mail n’a pas été mentionné, contrairement aux échanges précédents qui mentionnaient clairement en objet « rupture période d’essai, » qu’il ne comporte aucun élément permettant de déceler la volonté de son auteur de lui enlever son caractère de confidentialité, que M. Y. a toujours affirmé avoir ignoré le lien marital existant entre la destinataire du courrier et le patron visé par le propos injurieux, qu’il a maintenu à l’audience qu’il n’avait jamais souhaité que son propos incriminé soit transmis à celui-ci; qu’ainsi, quand bien même un lien professionnel existait entre les correspondants, faute de pouvoir démontrer que cet envoi a été effectué dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel, le propos injurieux visant un tiers ne constitue pas à l’égard de celui-ci la contravention d’injure non publique ;

que le cour renverra donc M. Y. des fins de la poursuite.

Sur l’action civile

Considérant qu’il convient de recevoir la constitution de partie civile de M. X., mais de le débouter de ses demandes compte tenu de la relaxe prononcée.


DÉCISION

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

Reçoit l’appel interjeté par la partie civile,

Annule le jugement déféré rendu en violation du principe du contradictoire,

En application de l’article 520 du code de procédure pénale,

Evoque,

Renvoie des fins de la poursuite M. Y.,

Déboute M. X. de ses demandes compte tenu de la relaxe prononcée.

 

La Cour : Sophie-Hélène  Chateau (président),  Margaux Mora (greffier)

Avocat général : Anne-Françoise Tissier

Avocats : Me Stéphanie Tauzin, Me Mathieu Croizet

Source :  Legalis.net

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