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Jurisprudence : Jurisprudences

mercredi 28 octobre 2020
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Tribunal administratif de Paris, 5ème sec. – 2ème ch., jugement du 15 octobre 2020

Société éditrice du Monde et Mme X. / LNE

certification - communication de documents administratifs - Documents administratifs - droit d'accès - établissement à caractère public et industriel - journaliste - presse - secret des affaires

Par une requête enregistrée le 4 décembre 2018, la société éditrice du Monde et Mme X., représentées par la SCP Spinosi & Sureau, demandent au tribunal :

1°) d’annuler les décisions des 16, 22 et 29 mai prises par le directeur du Laboratoire national de métrologie et d’essais et la décision confirmative prise par la société GMED refusant de leur communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont refusé de leur accorder ;

2°) d’enjoindre au Laboratoire national de métrologie et d’essais et à la société GMED de communiquer sans délai, et sous astreinte, les listes demandées ;

3°) de mettre à la charge du Laboratoire national de métrologie et d’essais et de la société GMED la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :
– le refus de communication méconnaît gravement  le droit à la liberté d’expression journalistique et le droit du public d’accéder aux informations d’intérêt général – à l’instar des informations ayant trait à la santé publique – détenues par les autorités publiques ; ainsi, ce refus méconnait la liberté d’expression protégée par les stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– les  dispositions du  l° de l’article L. 311-6  du  code  des  relations  entre  le public  et l’administration, telles que modifiées par la loi du 30 juillet  2018,  sont  en contradiction avec la directive 2016/943/CE du 8juin 2016 ;
– le secret des affaires protégé par le 1° de l’article  L. 3 11 -6 du code des relations  entre le public et l’administration ne peut  faire obstacle  à  la communication  des   informations demandées ;

– la communication des documents demandés  ne nécessite  aucun  travail de collecte  de données dans  la mesure  où le Laboratoire national  de métrologie et d’essais et la société GMED disposent  déjà des informations demandées.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 février, le 25 mars et le 5 septembre 2019,  le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE)  et  la société  GMED, représentés   par  Me Arnoux de Maison Rouge et Me Boukhari, concluent  au  rejet  de  la requête  et au  rejet  des interventions volontaires. Ils demandent également de mettre à la charge  de la société éditrice du Monde et de Mme X. la somme  de 7 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

– les informations demandées   e constituent   pas des  documents administratifs dans  la mesure où les échanges de courriels  et les demandes  ont été informels ;
– la demande ne porte  pas sur une période  précise  et il n’existe pas de base de données pré-constituée  rassemblant les informations demandées ;
– le secret  des affaires  fait obstacle à la communication des  informations demandées  et le refus de communication ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ;
– les dispositions des articles  L. 15 1-8 du code du commerce ne sont pas applicables au présent  litige.

Par  un  mémoire  en  intervention  enregistré le 12  mars  2019,  le syndicat  national  des journalistes, représenté par Me Bourdon  demande que le tribunal  fasse droit  aux conclusions de la requête.  Il demande également  que la somme de 1 500 euros  soit mise à la charge  du LNE et de la société GMED  en application de l’article L. 761-1  du code  de justice  administrative, ainsi que, le cas échéant, les dépens.

Il  soutient  que le refus de   communication   méconnaît  la liberté d’expression  des journalistes et en particulier la  liberté  d’accéder et de communiquer des  informations d ‘intérêt général, garanties  par la Cour européenne des droits de l’homme.

Par  des  mémoires en intervention enregistrés les  26  juin et le 3 septembre 2019, l’association  des journalistes  économiques  et  financiers,  l’association des journalistes  de l’information sociale, l’association des  Amis de la terre, Anticor, l’association pour  la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne dite « Attac France », l’association Bloom, le Comité catholique contre la  faim  et  pour  le  développement  (CCFD) –  Terre  solidaire,  le collectif  Ethique sur l’étiquette, l’association  Formindep, l’association  I-buycott, l’association Informer  n’est pas un délit,  Ingénieurs sans  frontières, l’institut   Veblen  pour  les réformes économiques, Les Jours, la Ligue française de défense  des  droits  de  l’Homme (LDH),  Lyon capitale,  l’association Nothing2hide, l’association  Ouvre-boîte, Pollinis  France,  Reporters  sans frontières, l’association Ritimo,  l’association Sciences citoyennes, la société  des journalistes  de l’AFP, la société  des journalistes de Challenges, la société des journalistes de M6, la société  des journalistes de l’Express, la société des journaliste des  Echos , la société des  journalistes et du personnel de Libération,  la  société des  rédacteurs  d’Europe  1,  la  société   des  rédacteurs de Marianne, la société  des rédacteurs du Monde, l’association Sherpa, Transparency  international France,  l’union syndicale SUD  Culture & Médias !Solidaires, l ‘association  Zero  Waste  France, l’association  des journalistes   de   la  rédaction   Que Choisir, la société  des  journalistes  de Mediapart, l’union  fédérale des consommateurs Que Choisir, l’association Robin des toits, le syndicat  des avocats  de France, l’union  générale  des ingénieurs, cadres,  techniciens de la CGT (UGICT-CGT)  et   le  syndicat  national   des  journalistes  CGT (SNJ  CGT),  représentés  par Me Karsenti,  demandent que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête  présentée par la société éditrice du  Monde et par Mme X.  Ils demandent  également de mettre  à la charge  du LNE et de la société GMED la  somme de 240 euros  au bénéfice  de chaque  partie  intervenante sur le fondement  de l ‘article L. 761-1  du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

–  les organes  de  presse  n’entrent  pas   dans  le  champ  d’application de l ‘article L. 31 1-6 du  code  des   relations  entre  le  public  et  l ‘administration ; en  outre,   le  refus  de communication méconnaît le droit  à l ‘information et  la consultation des  salariés  prévus  par le code du travail et constituerait une entrave injustifiée à la liberté syndicale ;

–  les  dispositions  de  l ‘article  L.  311-6 1    du  code   des   relations  entre   le  public  et l’administration  sont   imprécises  et  doivent  être  écartées  au   profit   des   stipulations  de l’article 10 de  l a convention européenne de  sauvegarde des  droits  de  l’homme et  des  libertés fondamentales ; l’atteinte portée au droit d’accéder  et de communiquer des informations d’intérêt général est disproportionnée ;
– la décision  méconnaît les dispositions de l »article L. 151-8 du code de commerce.

Par  ordonnance du 1er juillet 2019, la  clôture  d’instruction  a été  fixée  au 13 septembre 2019 à 12 heures.

Par  un courrier du  30  juin  2020,  les  parties  ont  été  informées, en  application des dispositions de l’article R. 611-7  du code de justice administrative, de ce que le jugement  était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office tiré de l’inapplicabilité au présent litige des dispositions du  1° de l’article L. 311-6 du code des relations  entre  le public  et l’administration dans  leur rédaction issue de la loi n° 2018-670 du 30 juillet  2018,  dès  lors  que  la décision implicite de rejet qui s’est substituée,  après l’exercice  du recours   administratif  préalable obligatoire devant  la commission d’accès aux documents administratifs, aux  décisions  initiales de rejet des 16, 22 et 29 mai  2018  est née, en application  des  articles  R. 343-4  et R. 343-5  du code  des relations entre  le public  et l’administration, le 30 juillet  2018,  soit  avant  l’entrée en vigueur,  le  1er août  2018,  des nouvelles  dispositions de  l’article L. 311-6  qui  mentionnent  le «secret des affaires».

Une  réponse  au  moyen  d’ordre public,  présentée pour  Mme X. et  pour  la société éditrice du Monde a été enregistrée le 15 juillet 202.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu:

– la convention européenne le sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la directive 2016/943/CE du 8 juin 2016 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative.

Les parties  ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus  au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Nguyen,
– les conclusions de Mme Armoët, rapporteur  public,
– les  observations  de  Me Spinosi,  représentant  la  société  éditrice  du  Monde et Mme X. ;
– les  observations  de  Me  Karsenti,  représentant l’association   des   journalistes économiques et financiers et les autres intervenants  ;
– et les observations de Me Demaison  Rouge, représentant le LNE et la société  GMED.

Considérant ce qui suit :

1. Les 14, 17, 25 et 28 mai 2018, Mme X., en sa qualité de journaliste du Monde , a sollicité  auprès  du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) la communication d’un ensemble d’informations,  dont   la  list9  des  dispositifs   médicaux  auquel   il  avait   délivré   le marquage  « conformité européenne » et  la  liste  des  dispositifs médicaux auxquels cette certification avait  été refusée. Par  des courriels  envoyés les  16,  22 et  29 11ai 2018,  le LNE  a refusé de communiquer les documents demandés. Le 30  mai 2018,  Mme X.  a alors saisi  la commission d’accès aux  documents administratifs (CADA) qui a émis  un avis défavorable à la communication  des   documents  demandés  le  25  octobre   2018.   En  application  des  articles R. 343-4  et  R.  343-5  du  code  des  relations   entre  le  public  et  l’administration,  une  décision implicite  de rejet  est  née le 30  juillet  2018 du silence  gardé  pendant  deux  mois  par le LNE à compter  de la date d’enregistrement des demandes  de Mme X. par la CADA.  Cette décision implicite  s’est substituée aux décisions initiales de refus.  Par  la présente  requête,  Mme X.et la  société   éditrice   du  Monde doivent   donc   être   regardées   comme   demandant  au  tribunal d’annuler cette décision  implicite  de rejet de leur demande de communication.

Sur les interventions volontaire  :

2. En premier lieu, il ressort des stan1ts du syndicat  national des journalistes qu’il  a pour objet  la défense des  intérêts  moraux  et matériels  de ses  membres  et,  d’une façon  générale,  la défense des intérêts  communs à tous les journalistes. Dans ces conditions, il justifie, eu égard à la nature  et à  l’objet du  litige,  d’un intérêt suffisant  pour  intervenir dans  la présente  instance  au soutien  de la requête.  Son  intervention, présentée  par un mémoire distinct  le 12 mars 2019, est donc recevable.

3. En deuxième  lieu,  dès  lors  qu’au  moins  l’un  des  intervenants est  recevable, une intervention  collective est  recevable. D’une  part,  parmi les intervenants ayant introduit le mémoire  enregistré le 26 juin  2019  figure  notamment l’association  Ouvre-boîte, laquelle  a, eu égard à son objet défini dans ses statuts,  intérêt à annulation de la décision  attaquée. En outre, conformément aux  statuts de cette association, M. Y. a  été  autorisé  par le  conseil d’administration  à la représenter en justice. L’intervention collective présentée le 26 juin 2019 est donc recevable. D’autre part, eu égard à son objet, le syndicat  national des journalistes-CGT a également  intérêt à l’annulation de la décision  attaquée. En application des statuts, le secrétaire général, mandaté  par  délibération  du  30  août 2019 a  qualité  pour  représenter le syndicat  en justice.    Dès   lors, l’intervention   collective  présentée  dans   le  cadre   d’un  mémoire   distinct enregistré  le 3 septembre 2019 est également  recevable.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

4. En premier  lieu, aux termes de l’article L.311-1 du code des relations  entre le public et  l’administration : « Sous  réserve des  dispositions  des  articles  L.  311-5  et  L. 311-6,  les administrations  mentionnées   à  l’article  L.  300-6   sont  tenues   de  publier   en  ligne  ou  de communiquer  les  documents administratifs ; qu’elles détiennent  aux  personnes  qui en font  la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». L’article L. 300-2  du même  code dispose  que : « Sont considérés comme documents administratif s, au sens des titres 1er, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par L’Etat, les collectivités territoriales  ainsi que par les autres Personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents  notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions,  circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. »

5. A compter  du 31 juillet 2018,  le Laboratoire national  de métrologie  et d’essais (LNE), établissement  public  à  caractère industriel  et  commercial,  a  délégué   à la  société  par  actions simplifiées  GMED, filiale  qu’il détient  intégralement, son activité  de certification des dispositifs médicaux  avant   leur  mise  sur  le  marché.  Cette 1ission  de  certification  par  1’attribution  du marquage   « CE » est  encadrée   par  les  articles   R.  5211-12   à  R.  521 1-17   et  R.  5211-54  à R. 521 l-63  du docte de la santé  publique  et constitue une mission  d ‘intérêt général. Par suite, les documents que  le LNE  ou  la société  GMED  détiennent ou  produisent dans le cadre  de  cette mission de service public  constituent des  documents  administratifs communicables  au sens  de l’article L. 300-2  du code des relations entre le public et l’administration.

6. En deuxième lieu,  d’une part, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, la demande  de communication dont  ils  ont  été  saisis  était  suffisamment précise, nonobstant la circonstance qu’elle ne portait pas su r une période  déterminée. D’autre part, s’ils font valoir que les listes demandées n ‘existent pas« en tant que telles », il n’est pas établi qu’elles ne pourraient pas être élaborées à partir  d ‘un  traitement  automatisé  d’usage courant,  ce d ‘autant plus  qu’en application   de  l’article R.  521 1 -64  du  code  de  la  santé  publique,  les  organismes  notifiés,  à l ‘instar du  LNB  et  de  la société  GMED, doivent informer  l’Agence nationale  de  sécurité du médicament  et des  produits de  santé  « de  tous  les  certificats  délivrés,  modifiés,  complétés, suspendus, retirés ou refusés ».

7. En  troisième   lieu,   l’article    311-6   du   code   des   relations  entre   le  public  et l’administration  dans  sa  version  issue  de  la  loi  qu’30  juillet  2018  dispose   que : « Ne  sont communicables  qu’à  l’intéressé   les  documents   administratifs :  1°  Dont  la  communication porterait  atteinte  (...) au  secret  des  affaires,  lequel  comprend  le  secret  des  procédés,  des informations économiques  et financière s et des stratégies  commerciales  ou  industrielles  et est apprécié  en  tenant  compte,  le  cas  échéant,  du  fait  que  la  mission  de  service  public  de L’administration mentionnée au premier l’alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence (...) ».  L’effet utile de l ‘annulation pour excès de pouvoir  de la décision  refusant de faire  droit à la demande  de communication de documents administratifs réside  dans l’obligation, que  le juge peut   prescrire  d’office  en   vertu   des   propositions  de  l’article   L.  911 -1  du  code  de  justice administrative, pour  l’autorité administrative de  communiquer  les  documents en  cause.  Il en résulte   que   lorsqu’il   est  saisi   de  conclusions  aux   fins   d’annulation  du!  refus  de  l’autorité administrative de communiquer des documents  administratifs,  le juge  de l’excès de pouvoir  est conduit  à apprécier la légalité d’un tel refus  au regard des circonstances prévalant  à la date de sa décision. Il suit  de  là que  les dispositions de l ‘article L. 311-6  du  code  des  relations entre  le public et l’administration dans leur version issue de la loi du 30 juillet  2018 sont applicables au présent  litige.  Au  surplus, le remplacent  de la notion  de  «secret en  matière industrielle  et commerciale» par celle  de «secret des  affaires» constitue  un changement  sémantique  qui  n ‘a pas  eu  pour  effet  de  modifier  en  droit interne  la  portée  de  cette dérogation au  principe  de communication des documents administratifs.

8. D’une part, ces dispositions son applicables  aux journalistes et organes  de presse dès lors que le droit d’accès à des documentions administratifs instauré aux articles L. 311-1  et suivants du  code  des  relations entre  le  public  et  l ‘administration  ne s’exerce pas  au  vu ou à raison  de l’usage envisagé  par  celui  qui  en fait la demande.   Ainsi ,  le  moyen  tiré  de  ce que  le  refus  de communication constituerait une  entrave – au  demeurant  non  établie  – à  l’exercice du  droit syndical et du droit d’information des salariés prévus par le code du travail doit être écarté.

9. D’autre  part,  les  dispositiotï1s  précitées   du  1 °  de  l ‘article L.  311-6   relatives  à  la communication des documents administratifs ne sont pas contraires aux  objectifs de la directive 2016/943/CE du 8 juin 2016, transposée  tardivement en droit interne  par la loi du 30 juillet 2018, dès  lors  que  cette  directive   n’a  pas  vocation  à régir  le  droit  national d’accès aux  documents administratifs, ainsi que cela ressort  des considérants 11 et 39 et des travaux préparatoires.

10. Enfin, l’activité de certificat on  exercée  en  France  par  le LNE et désormais par  la société  GMED s’exerce  dans   un   contexte   européen   concurrentiel,  de  même  que  la commercialisation de dispositifs médicaux. Néanmoins, à compter  de la mise  sur le marché,  la communication de  la  liste  des  dispositifs médicaux   auxquels  le  LNE  ou  la société  GMED  a délivré   la  certification «CE»  n’est plus  de  nature  à  porter  atteinte  au  secret  des  stratégies commerciales  ou  industrielles  des  entreprises qui  ont  sollicité  une  telle  certification  et  qui commercialisent  le  dispositif   médical   ayant  obtenu   le  marquage « CE ». En  outre,  dès  lors qu’une  telle  liste  ne comporterait que  le nom  des  dispositifs médicaux, sa  communication  ne serait  pas  de  nature  à porter  atteinte au  secret  des  procédés ou  au  secret   des  informations économiques et financières. En revanche,  tant que les dispositifs médicaux n’ont  pas été mis sur le marché – en raison soit d’un  refus de certification« CE», soit de la stratégie commerciale du fabricant-, La communication d’une liste recensant les dispositifs médicaux en question  serait de nature  à porter  atteinte  au  secret  des  stratégies  commerciales et  industrielles   des  fabricants concernés  en révélant  leur intention de commercialiser à l’avenir un tel dispositif. Dans ces circonstances, le secret  des affaires  fait    uniquement obstacle  à la communication de la liste des dispositifs médicaux  auxquels le marquage  « CE » a été refusé et à la communication  de la liste des dispositifs médicaux ayant obtenus le marquage« CE» mais qui n ‘ont  pas encore été mis sur le marché.

11.En quatrième lieu, l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des  libertés  fondamentales stipule  que : « « 1. Toute  personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit   comprend  la  liberté  d’opinion et  la  liberté   de   recevoir  ou   de communiquer des  informations ou  des  idées  sans  qu’il  puisse  y  avoir  ingérence d’autorités publiques et sans  considération de frontière. Le présent article   n’empêche pas les  Etats de soumettre   les   entreprises  de   radiodiffusion,  de cinéma,  ou   de   télévision   a   un   régime d’autorisations. 2. L’exercice  de  ces   libertés  comportant des  devoirs   et  des  responsabilités peut être soumis  à certaines formalités, conditions, restrictions  ou   sanctions  prévues   par   la Loi, qui constituent des  mesures   nécessaires, dans  une  société   démocratique, à  La  sécurité nationale,  à  l’intégrité territoriale ou à la sûreté  publique, à la défense  de l’ordre  et  à  la prévention du crime,  à  la  protection de  la  santé ou  de  la  morale, à la  protection de  la réputation ou des  droits  d’autrui, pour  empêcher  a divulgation d informations confidentielles ou   pour   gara 1tir         l’autorité  et   l’impartialité du  pouvoir  judiciaire. ». Si ces  stipulations n ‘accordent pas un droit  d’accès à toutes  les informations détenues par une autorité  publique  ni n’obligent l’Etat  à  les  communiquer,  il peut  en  résulter  un  droit d’accès à des  informations détenues   par  une  autorité  publique lorsque  l’accès à ces  informations est  déterminant  pour l ‘exercice du  droit  à  la  liberté   d’expression  et,  en particulier, à la  liberté de  recevoir   et  de communiquer   des   informations,  selon    la   nature   des   informations   demandées,   de   leur disponibilité,  du  but  poursuivi  par   le  demandeur  et   de  son   rôle   dans  la  réception   et  la communication   au   public   d’informations.   Dans   cette   hypothèse,  le   réflexe de   fournir  les informations  demandées  constitue une ingérence   dans    l’exercice  du   droit   à   la   liberté d’expression qui, pour  être justifiée, doit être prévu:e par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.

12. Les  requérantes   font    valoir    que    leur   demande    porte    sur   des    informations déterminantes  pour   l ‘exercice  de  leur  activité  journalistique  et  qu’elle  vise   à  porter   à  la connaissance du  public des  informations d’intérêt général  relatives à la  protection   de  la santé publique. A  ce  titre,  elles  indiquent que  ces  informations sont  recueillies dans  le cadre  d’une enquête journalistique internationale à laquelle  le journal Le Monde participe, et qui a permis de mettre  en  lumière   des  dysfonctionnements  dans  Ile  cadre   du  processus de  certification  des dispositifs médicaux,  lesquels se  révèlent  parfois  défaillants.  Dans ces ,conditions, l’ accès, aux informations demandées  est  déterminant pour l’exercice  par  les requérantes de  la  liberté  de recevoir  et  de communiquer  des informations.   Toutefois,   la   protection   d’informations confidentielles, telles que des informations à  caractère commercial, peut justifier  une restriction à l’exercice  de  cette   liberté,   à  condition  que   cette   ingérence   soit   strictement  nécessaire   et proportionnée.

13. Ainsi qu’il a été dit au point  10, la protection  du secret  des affaires ne justifie  pas le refus de communiquer la  liste des dispositifs médic1aux ayant  obtenu  le marquage «CE» et qui sont déjà mis sur  le marché. En outre, au regard  du but poursuivi par l’enquête journalistique en cours, qui consiste à révéler d’éventuelles défaillances du système de certification des dispositifs médicaux en vue d ‘alerter les pouvoirs publics  et le public sur les risques pour la santé  publique, la communication  de ces  informations relatives  à d  s dispositifs médicaux déjà commercialisés contribue de manière significative au débat public sur une question  d’intérêt général et permet de surcroît  une meilleure  traçabilité des dispositifs défectueux, conformément à l’objectif de santé publique  visant à garantir la sécurité  et la fiabilité  des dispositifs médicaux. Dans ces conditions, les  requérantes sont  fondées   à se  prévaloir des  stipulations de  l’article 10  de  la  convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés  fondamentales pour revendiquer un  droit  d’accès à  la  liste  des  dispositifs  médicaux  mis sur le  marché  auxquels l’organisme notifié français délivré la certification « CE».

14. En revanche,  tant  qu’un  dispositif   médical  n’a   pas  été  mis  sur  le  marché,  la divulgation d’un  refus d’attribution du marquage  «CE» ou de  la délivrance  de ce marquage reviendrait à révéler des informations fabricants.  Bien  que  les  requérantes confidentielles  relatives  à la stratégie commerciale  des fabricants. Bien que les requérants font valoir  que  les  informations relatives  au refus de certification  seraient   cruciales  pour  identifier  des  stratégies  de  contournement   de certains fabricants,  les risques que représenteraient  pour la santé publique  des dispositifs  médicaux qui s’avéreraient défaillants restent théoriques tant qu’ils  n’ont  pas été mis sur le marché pour être commercialisés. En outre, l’Agence  nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est chargée  en France  de surveiller  l’activité  de certification  de l’organisme  notifié français, lequel n’a pas été directement  mis en demeure  dans le cadre de l’enquête  journalistique  «Implant Files». Dans ces conditions,  le refus opposé  à la demande de communication  en tant qu’elle porte sur la liste des dispositifs médica1x  n’ayant  pas obtenu le marquage  <CE» et sur la liste de ceux qui, bien que l’ayant obtenu, ne sont pas encore commercialisés, constitue une ingérence nécessaire et proportionnée à la protection des informations confidentielles  en cause.

15. En dernier lieu, dès lors que le droit d’accès à des documents administratifs est, ainsi qu’il a été dit au point 8, régi par les dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre  le public  et  l’administration, la méconnaissance des dispositions du code  du commerce ne peut être utilement invoquée.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la décision implicite  de refus du Laboratoire national  de métrologie  et d’essais  en tant seulement qu’elle concerne  la communication  de la liste des dispositifs  médicaux auxquels le marquage « CE» a été attribué et qui ont déjà été mis sur le marché doit être annulée.  En revanche, les conclusions  tendant à la i  communication  des listes des dispositifs médicaux n’ayant  pas obtenu ledit marquage et de ceux qui, bien que l ‘ayant obtenu, ne sont pas encore mis sur le marché, sont rejetées.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Eu égard au motif d’annulation retenu, il y a seulement  lieu d’enjoindre au Laboratoire  national  de métrologie  et d’essais  et  à  la  société  GMED de  communiquer  à Mme X. et à la société  éditrice du Monde, la liste des dispositifs  médicaux déjà mis sur  le marché auxquels ils ont délivré le marquage «CE», et ce dans un délai d ‘un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu d’assortir  cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

18. D’une part, une intervention  volontaire, qui présente un caractère accessoire, n’a pas pour effet  de donner  à son auteur  la qualité de partie  à l’instance.  Les conclusions  tendant à l’application   de l’article   L.  761-1  d11    code  de  justice   administrative   présentées   par  les intervenants volontaires au soutien de la requête doivent donc être rejetées.

19. D’autre part, dans les circonstances de l ‘espèce,  il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par les requérantes et par le   défendeurs sur  l e fondement  de 1 article L. 761 -1 du code de justice administrative.

 

DECISION

Article 1er : L’intervention du syndicat  national  des  journalistes, de  l’association des journalistes économiques et financiers, de l’association des journalistes  de l’information sociale, de l’association des Amis  de la terre,  d’Anticor, d’Attac  France, de  l’association Bloom,  du CCFD-Terre  solidaire,  du  collectif Ethique  sur  l’étiquette,  de  l’association  Formindep,   de l’association  I-buycott, de l’association  Informer n’est pas un délit, d’Ingénieurs sans frontières, de l’institut Veblen pour les réformes économiques, Ide la société Les Jours, de la Ligue française de défense des droits de  l’Homme (LDH), de Ly0n capitale, de l’association ion Nothing2hide, de l’association  Ouvre-b0ite, de Pollinis  France,  de  Reporters sans  frontières,  de  l’association Ritimo,  de l’association  Sciences  citoyennes, de la  société  des journalistes  de  l’AFP, de  la société des journalistes  de Challenges,  de la société  des journalistes  de M6, de  la société  des journalistes de l’Express, de la société des journalistes des Echos, de la société des journalistes et du personnel de Libération, de la société des rédacteurs d‘Europe  1, de la société des rédacteurs de Marianne,  de la société  des rédacteurs du Monde, de l ‘association  Sherpa,  de Transparency international  France,  de l’union  syndicale  SUD  Culture  & Médias Solidaires,  de Zero Waste France,   de  l’association  des  journalistes   de  la rédaction Que Choisir,  de  la  société  des journalistes de Mediapart, de l’union fédérale des consommateurs Que Choisir, de l’association Robin des toits, du syndicat  des avocats  de France  de l’union générale  des ingénieurs, cadres, techniciens de la CGT (UGI CT-CGT)  et du syndicat national des journalistes  CGT (SNJ-CGT) est admise.

Article 2 : La décision du Laboratoire national de métrologie et d’essais en tant qu’elle refuse  implicitement  la  communication  de la  liste des  dispositifs  médicaux,  déjà  mis  sur  le marché, auxquels le marquage « CE » a été délivré est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au Laboratoire national de métrologie et d’essais  et à la société GMED de com1’lmiquer à Mme X. et à la société éditrice du Monde,  la liste des dispositifs médicaux déjà mis sur le marché auxquels ils ont d91ivré le marquage« CE», dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions  présentées  par  les intervenants  tendant  à l’application  de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article  6 :  Les  conclusions  présentées  par  le Laboratoire  national  de métrologie  et d’essais  et  par  la  société  GMED  sur  le fondement  de  l ‘article L.  761-1  du  code  de justice administrative s0t1rejetées.

Article 7 : Le  présent  jugement  sera  notifié  à  la  société   éditrice   du  Monde,  à Mme X. , au Laboratoire  national de métrologie et d’essais, à la société GMED, au syndicat  national  des journalistes, à l’association  des journalistes  économiques et financiers, à l’association  des  journalistes  de l’inf0rmation sociale, à l’association   des  Amis  de la  terre, à Anticor, à l’association  pour la taxation  des transactions  financières et pour  l’action citoyenne (Attac France), l’association  Bloom,  au  CCF -Terre  solidaire,  au  collectif  Ethique  sur l’étiquette, à l’association Formin.dep, à l ‘association   I-buycott, à l’association  Informer  n’est pas un délit, à Ingénieurs  sans  frontières, à l’institut Veblepour  les réformes  économiques, à la soc1ete Les Jours, à la Ligue française défense des droits de l’Homme (IJDH), à Lyon capitale, à  l’association  Nothing2hide, à l’association Ouvre-boîte,  à Pollinis  Frahee,  à Reporters  sans frontières,  à  l’association  Ritimo,  à  l’association   Sciences   citoyennes, à la société  des journalistes de l’AFP, à la société des journalistes de Challenges, à la société des journalistes de M6, à la société des journalistes de l’Express, à la société des journalistes des Echos , à la société des journalistes  et du personnel de Libération, à la société des rédacteurs d‘Europe 1, à la société des rédacteurs  de Marianne,  à la société  des  rédacteurs  du Monde,  à  l’association  Sherpa,  à Transparency  international  France,  à l’Union  syndicale  SUD  Culture  & Médias Solidaires,  à Zero Waste France, à l’association  des journalistes de la rédaction Que Choisir, à la société des journalistes  de  Mediapart, à  l’union fédérale des   consommateurs  Que Choisir, à l’association Robin  des  toits,  au  syndicat  des  avocats   de  France,  à  l’union  générale  des ingénieurs, cadres, techniciens de la CGT (UGICT-CGT) et au syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT).

 

Le tribunal : Mme Amat (président),  Mme Privet (premier conseiller), Mme Nguyen (conseiller)

Avocats : Me Boukhari, Me Olivier Arnoux de Maison Rouge, SCP Spinosi Sureau

Source : Legalis.net

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.