Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal administratif de Paris, 5ème sec. – 2ème ch., jugement du 15 octobre 2020
Société éditrice du Monde et Mme X. / LNE
certification - communication de documents administratifs - Documents administratifs - droit d'accès - établissement à caractère public et industriel - journaliste - presse - secret des affaires
Par une requête enregistrée le 4 décembre 2018, la société éditrice du Monde et Mme X., représentées par la SCP Spinosi & Sureau, demandent au tribunal :
1°) d’annuler les décisions des 16, 22 et 29 mai prises par le directeur du Laboratoire national de métrologie et d’essais et la décision confirmative prise par la société GMED refusant de leur communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont refusé de leur accorder ;
2°) d’enjoindre au Laboratoire national de métrologie et d’essais et à la société GMED de communiquer sans délai, et sous astreinte, les listes demandées ;
3°) de mettre à la charge du Laboratoire national de métrologie et d’essais et de la société GMED la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
– le refus de communication méconnaît gravement le droit à la liberté d’expression journalistique et le droit du public d’accéder aux informations d’intérêt général – à l’instar des informations ayant trait à la santé publique – détenues par les autorités publiques ; ainsi, ce refus méconnait la liberté d’expression protégée par les stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– les dispositions du l° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, telles que modifiées par la loi du 30 juillet 2018, sont en contradiction avec la directive 2016/943/CE du 8juin 2016 ;
– le secret des affaires protégé par le 1° de l’article L. 3 11 -6 du code des relations entre le public et l’administration ne peut faire obstacle à la communication des informations demandées ;
– la communication des documents demandés ne nécessite aucun travail de collecte de données dans la mesure où le Laboratoire national de métrologie et d’essais et la société GMED disposent déjà des informations demandées.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 février, le 25 mars et le 5 septembre 2019, le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) et la société GMED, représentés par Me Arnoux de Maison Rouge et Me Boukhari, concluent au rejet de la requête et au rejet des interventions volontaires. Ils demandent également de mettre à la charge de la société éditrice du Monde et de Mme X. la somme de 7 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
– les informations demandées e constituent pas des documents administratifs dans la mesure où les échanges de courriels et les demandes ont été informels ;
– la demande ne porte pas sur une période précise et il n’existe pas de base de données pré-constituée rassemblant les informations demandées ;
– le secret des affaires fait obstacle à la communication des informations demandées et le refus de communication ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ;
– les dispositions des articles L. 15 1-8 du code du commerce ne sont pas applicables au présent litige.
Par un mémoire en intervention enregistré le 12 mars 2019, le syndicat national des journalistes, représenté par Me Bourdon demande que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête. Il demande également que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge du LNE et de la société GMED en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que, le cas échéant, les dépens.
Il soutient que le refus de communication méconnaît la liberté d’expression des journalistes et en particulier la liberté d’accéder et de communiquer des informations d ‘intérêt général, garanties par la Cour européenne des droits de l’homme.
Par des mémoires en intervention enregistrés les 26 juin et le 3 septembre 2019, l’association des journalistes économiques et financiers, l’association des journalistes de l’information sociale, l’association des Amis de la terre, Anticor, l’association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne dite « Attac France », l’association Bloom, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) – Terre solidaire, le collectif Ethique sur l’étiquette, l’association Formindep, l’association I-buycott, l’association Informer n’est pas un délit, Ingénieurs sans frontières, l’institut Veblen pour les réformes économiques, Les Jours, la Ligue française de défense des droits de l’Homme (LDH), Lyon capitale, l’association Nothing2hide, l’association Ouvre-boîte, Pollinis France, Reporters sans frontières, l’association Ritimo, l’association Sciences citoyennes, la société des journalistes de l’AFP, la société des journalistes de Challenges, la société des journalistes de M6, la société des journalistes de l’Express, la société des journaliste des Echos , la société des journalistes et du personnel de Libération, la société des rédacteurs d’Europe 1, la société des rédacteurs de Marianne, la société des rédacteurs du Monde, l’association Sherpa, Transparency international France, l’union syndicale SUD Culture & Médias !Solidaires, l ‘association Zero Waste France, l’association des journalistes de la rédaction Que Choisir, la société des journalistes de Mediapart, l’union fédérale des consommateurs Que Choisir, l’association Robin des toits, le syndicat des avocats de France, l’union générale des ingénieurs, cadres, techniciens de la CGT (UGICT-CGT) et le syndicat national des journalistes CGT (SNJ CGT), représentés par Me Karsenti, demandent que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête présentée par la société éditrice du Monde et par Mme X. Ils demandent également de mettre à la charge du LNE et de la société GMED la somme de 240 euros au bénéfice de chaque partie intervenante sur le fondement de l ‘article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
– les organes de presse n’entrent pas dans le champ d’application de l ‘article L. 31 1-6 du code des relations entre le public et l ‘administration ; en outre, le refus de communication méconnaît le droit à l ‘information et la consultation des salariés prévus par le code du travail et constituerait une entrave injustifiée à la liberté syndicale ;
– les dispositions de l ‘article L. 311-6 1 du code des relations entre le public et l’administration sont imprécises et doivent être écartées au profit des stipulations de l’article 10 de l a convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; l’atteinte portée au droit d’accéder et de communiquer des informations d’intérêt général est disproportionnée ;
– la décision méconnaît les dispositions de l »article L. 151-8 du code de commerce.
Par ordonnance du 1er juillet 2019, la clôture d’instruction a été fixée au 13 septembre 2019 à 12 heures.
Par un courrier du 30 juin 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office tiré de l’inapplicabilité au présent litige des dispositions du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018, dès lors que la décision implicite de rejet qui s’est substituée, après l’exercice du recours administratif préalable obligatoire devant la commission d’accès aux documents administratifs, aux décisions initiales de rejet des 16, 22 et 29 mai 2018 est née, en application des articles R. 343-4 et R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, le 30 juillet 2018, soit avant l’entrée en vigueur, le 1er août 2018, des nouvelles dispositions de l’article L. 311-6 qui mentionnent le «secret des affaires».
Une réponse au moyen d’ordre public, présentée pour Mme X. et pour la société éditrice du Monde a été enregistrée le 15 juillet 202.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu:
– la convention européenne le sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la directive 2016/943/CE du 8 juin 2016 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Nguyen,
– les conclusions de Mme Armoët, rapporteur public,
– les observations de Me Spinosi, représentant la société éditrice du Monde et Mme X. ;
– les observations de Me Karsenti, représentant l’association des journalistes économiques et financiers et les autres intervenants ;
– et les observations de Me Demaison Rouge, représentant le LNE et la société GMED.
Considérant ce qui suit :
1. Les 14, 17, 25 et 28 mai 2018, Mme X., en sa qualité de journaliste du Monde , a sollicité auprès du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) la communication d’un ensemble d’informations, dont la list9 des dispositifs médicaux auquel il avait délivré le marquage « conformité européenne » et la liste des dispositifs médicaux auxquels cette certification avait été refusée. Par des courriels envoyés les 16, 22 et 29 11ai 2018, le LNE a refusé de communiquer les documents demandés. Le 30 mai 2018, Mme X. a alors saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a émis un avis défavorable à la communication des documents demandés le 25 octobre 2018. En application des articles R. 343-4 et R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, une décision implicite de rejet est née le 30 juillet 2018 du silence gardé pendant deux mois par le LNE à compter de la date d’enregistrement des demandes de Mme X. par la CADA. Cette décision implicite s’est substituée aux décisions initiales de refus. Par la présente requête, Mme X.et la société éditrice du Monde doivent donc être regardées comme demandant au tribunal d’annuler cette décision implicite de rejet de leur demande de communication.
Sur les interventions volontaire :
2. En premier lieu, il ressort des stan1ts du syndicat national des journalistes qu’il a pour objet la défense des intérêts moraux et matériels de ses membres et, d’une façon générale, la défense des intérêts communs à tous les journalistes. Dans ces conditions, il justifie, eu égard à la nature et à l’objet du litige, d’un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance au soutien de la requête. Son intervention, présentée par un mémoire distinct le 12 mars 2019, est donc recevable.
3. En deuxième lieu, dès lors qu’au moins l’un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable. D’une part, parmi les intervenants ayant introduit le mémoire enregistré le 26 juin 2019 figure notamment l’association Ouvre-boîte, laquelle a, eu égard à son objet défini dans ses statuts, intérêt à annulation de la décision attaquée. En outre, conformément aux statuts de cette association, M. Y. a été autorisé par le conseil d’administration à la représenter en justice. L’intervention collective présentée le 26 juin 2019 est donc recevable. D’autre part, eu égard à son objet, le syndicat national des journalistes-CGT a également intérêt à l’annulation de la décision attaquée. En application des statuts, le secrétaire général, mandaté par délibération du 30 août 2019 a qualité pour représenter le syndicat en justice. Dès lors, l’intervention collective présentée dans le cadre d’un mémoire distinct enregistré le 3 septembre 2019 est également recevable.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
4. En premier lieu, aux termes de l’article L.311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-6 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs ; qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». L’article L. 300-2 du même code dispose que : « Sont considérés comme documents administratif s, au sens des titres 1er, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par L’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres Personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. »
5. A compter du 31 juillet 2018, le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), établissement public à caractère industriel et commercial, a délégué à la société par actions simplifiées GMED, filiale qu’il détient intégralement, son activité de certification des dispositifs médicaux avant leur mise sur le marché. Cette 1ission de certification par 1’attribution du marquage « CE » est encadrée par les articles R. 5211-12 à R. 521 1-17 et R. 5211-54 à R. 521 l-63 du docte de la santé publique et constitue une mission d ‘intérêt général. Par suite, les documents que le LNE ou la société GMED détiennent ou produisent dans le cadre de cette mission de service public constituent des documents administratifs communicables au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration.
6. En deuxième lieu, d’une part, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, la demande de communication dont ils ont été saisis était suffisamment précise, nonobstant la circonstance qu’elle ne portait pas su r une période déterminée. D’autre part, s’ils font valoir que les listes demandées n ‘existent pas« en tant que telles », il n’est pas établi qu’elles ne pourraient pas être élaborées à partir d ‘un traitement automatisé d’usage courant, ce d ‘autant plus qu’en application de l’article R. 521 1 -64 du code de la santé publique, les organismes notifiés, à l ‘instar du LNB et de la société GMED, doivent informer l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé « de tous les certificats délivrés, modifiés, complétés, suspendus, retirés ou refusés ».
7. En troisième lieu, l’article 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dans sa version issue de la loi qu’30 juillet 2018 dispose que : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte (...) au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financière s et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de L’administration mentionnée au premier l’alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence (...) ». L’effet utile de l ‘annulation pour excès de pouvoir de la décision refusant de faire droit à la demande de communication de documents administratifs réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des propositions de l’article L. 911 -1 du code de justice administrative, pour l’autorité administrative de communiquer les documents en cause. Il en résulte que lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du! refus de l’autorité administrative de communiquer des documents administratifs, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d’un tel refus au regard des circonstances prévalant à la date de sa décision. Il suit de là que les dispositions de l ‘article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dans leur version issue de la loi du 30 juillet 2018 sont applicables au présent litige. Au surplus, le remplacent de la notion de «secret en matière industrielle et commerciale» par celle de «secret des affaires» constitue un changement sémantique qui n ‘a pas eu pour effet de modifier en droit interne la portée de cette dérogation au principe de communication des documents administratifs.
8. D’une part, ces dispositions son applicables aux journalistes et organes de presse dès lors que le droit d’accès à des documentions administratifs instauré aux articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l ‘administration ne s’exerce pas au vu ou à raison de l’usage envisagé par celui qui en fait la demande. Ainsi , le moyen tiré de ce que le refus de communication constituerait une entrave – au demeurant non établie – à l’exercice du droit syndical et du droit d’information des salariés prévus par le code du travail doit être écarté.
9. D’autre part, les dispositiotï1s précitées du 1 ° de l ‘article L. 311-6 relatives à la communication des documents administratifs ne sont pas contraires aux objectifs de la directive 2016/943/CE du 8 juin 2016, transposée tardivement en droit interne par la loi du 30 juillet 2018, dès lors que cette directive n’a pas vocation à régir le droit national d’accès aux documents administratifs, ainsi que cela ressort des considérants 11 et 39 et des travaux préparatoires.
10. Enfin, l’activité de certificat on exercée en France par le LNE et désormais par la société GMED s’exerce dans un contexte européen concurrentiel, de même que la commercialisation de dispositifs médicaux. Néanmoins, à compter de la mise sur le marché, la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels le LNE ou la société GMED a délivré la certification «CE» n’est plus de nature à porter atteinte au secret des stratégies commerciales ou industrielles des entreprises qui ont sollicité une telle certification et qui commercialisent le dispositif médical ayant obtenu le marquage « CE ». En outre, dès lors qu’une telle liste ne comporterait que le nom des dispositifs médicaux, sa communication ne serait pas de nature à porter atteinte au secret des procédés ou au secret des informations économiques et financières. En revanche, tant que les dispositifs médicaux n’ont pas été mis sur le marché – en raison soit d’un refus de certification« CE», soit de la stratégie commerciale du fabricant-, La communication d’une liste recensant les dispositifs médicaux en question serait de nature à porter atteinte au secret des stratégies commerciales et industrielles des fabricants concernés en révélant leur intention de commercialiser à l’avenir un tel dispositif. Dans ces circonstances, le secret des affaires fait uniquement obstacle à la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels le marquage « CE » a été refusé et à la communication de la liste des dispositifs médicaux ayant obtenus le marquage« CE» mais qui n ‘ont pas encore été mis sur le marché.
11.En quatrième lieu, l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule que : « « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma, ou de télévision a un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la Loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à La sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher a divulgation d ‘informations confidentielles ou pour gara 1tir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. ». Si ces stipulations n ‘accordent pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’obligent l’Etat à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l ‘exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le réflexe de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévu:e par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.
12. Les requérantes font valoir que leur demande porte sur des informations déterminantes pour l ‘exercice de leur activité journalistique et qu’elle vise à porter à la connaissance du public des informations d’intérêt général relatives à la protection de la santé publique. A ce titre, elles indiquent que ces informations sont recueillies dans le cadre d’une enquête journalistique internationale à laquelle le journal Le Monde participe, et qui a permis de mettre en lumière des dysfonctionnements dans Ile cadre du processus de certification des dispositifs médicaux, lesquels se révèlent parfois défaillants. Dans ces ,conditions, l’ accès, aux informations demandées est déterminant pour l’exercice par les requérantes de la liberté de recevoir et de communiquer des informations. Toutefois, la protection d’informations confidentielles, telles que des informations à caractère commercial, peut justifier une restriction à l’exercice de cette liberté, à condition que cette ingérence soit strictement nécessaire et proportionnée.
13. Ainsi qu’il a été dit au point 10, la protection du secret des affaires ne justifie pas le refus de communiquer la liste des dispositifs médic1aux ayant obtenu le marquage «CE» et qui sont déjà mis sur le marché. En outre, au regard du but poursuivi par l’enquête journalistique en cours, qui consiste à révéler d’éventuelles défaillances du système de certification des dispositifs médicaux en vue d ‘alerter les pouvoirs publics et le public sur les risques pour la santé publique, la communication de ces informations relatives à d s dispositifs médicaux déjà commercialisés contribue de manière significative au débat public sur une question d’intérêt général et permet de surcroît une meilleure traçabilité des dispositifs défectueux, conformément à l’objectif de santé publique visant à garantir la sécurité et la fiabilité des dispositifs médicaux. Dans ces conditions, les requérantes sont fondées à se prévaloir des stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour revendiquer un droit d’accès à la liste des dispositifs médicaux mis sur le marché auxquels l’organisme notifié français délivré la certification « CE».
14. En revanche, tant qu’un dispositif médical n’a pas été mis sur le marché, la divulgation d’un refus d’attribution du marquage «CE» ou de la délivrance de ce marquage reviendrait à révéler des informations fabricants. Bien que les requérantes confidentielles relatives à la stratégie commerciale des fabricants. Bien que les requérants font valoir que les informations relatives au refus de certification seraient cruciales pour identifier des stratégies de contournement de certains fabricants, les risques que représenteraient pour la santé publique des dispositifs médicaux qui s’avéreraient défaillants restent théoriques tant qu’ils n’ont pas été mis sur le marché pour être commercialisés. En outre, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est chargée en France de surveiller l’activité de certification de l’organisme notifié français, lequel n’a pas été directement mis en demeure dans le cadre de l’enquête journalistique «Implant Files». Dans ces conditions, le refus opposé à la demande de communication en tant qu’elle porte sur la liste des dispositifs médica1x n’ayant pas obtenu le marquage <CE» et sur la liste de ceux qui, bien que l’ayant obtenu, ne sont pas encore commercialisés, constitue une ingérence nécessaire et proportionnée à la protection des informations confidentielles en cause.
15. En dernier lieu, dès lors que le droit d’accès à des documents administratifs est, ainsi qu’il a été dit au point 8, régi par les dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration, la méconnaissance des dispositions du code du commerce ne peut être utilement invoquée.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la décision implicite de refus du Laboratoire national de métrologie et d’essais en tant seulement qu’elle concerne la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels le marquage « CE» a été attribué et qui ont déjà été mis sur le marché doit être annulée. En revanche, les conclusions tendant à la i communication des listes des dispositifs médicaux n’ayant pas obtenu ledit marquage et de ceux qui, bien que l ‘ayant obtenu, ne sont pas encore mis sur le marché, sont rejetées.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Eu égard au motif d’annulation retenu, il y a seulement lieu d’enjoindre au Laboratoire national de métrologie et d’essais et à la société GMED de communiquer à Mme X. et à la société éditrice du Monde, la liste des dispositifs médicaux déjà mis sur le marché auxquels ils ont délivré le marquage «CE», et ce dans un délai d ‘un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
18. D’une part, une intervention volontaire, qui présente un caractère accessoire, n’a pas pour effet de donner à son auteur la qualité de partie à l’instance. Les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 d11 code de justice administrative présentées par les intervenants volontaires au soutien de la requête doivent donc être rejetées.
19. D’autre part, dans les circonstances de l ‘espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par les requérantes et par le défendeurs sur l e fondement de 1 article L. 761 -1 du code de justice administrative.
DECISION
Article 1er : L’intervention du syndicat national des journalistes, de l’association des journalistes économiques et financiers, de l’association des journalistes de l’information sociale, de l’association des Amis de la terre, d’Anticor, d’Attac France, de l’association Bloom, du CCFD-Terre solidaire, du collectif Ethique sur l’étiquette, de l’association Formindep, de l’association I-buycott, de l’association Informer n’est pas un délit, d’Ingénieurs sans frontières, de l’institut Veblen pour les réformes économiques, Ide la société Les Jours, de la Ligue française de défense des droits de l’Homme (LDH), de Ly0n capitale, de l’association ion Nothing2hide, de l’association Ouvre-b0ite, de Pollinis France, de Reporters sans frontières, de l’association Ritimo, de l’association Sciences citoyennes, de la société des journalistes de l’AFP, de la société des journalistes de Challenges, de la société des journalistes de M6, de la société des journalistes de l’Express, de la société des journalistes des Echos, de la société des journalistes et du personnel de Libération, de la société des rédacteurs d‘Europe 1, de la société des rédacteurs de Marianne, de la société des rédacteurs du Monde, de l ‘association Sherpa, de Transparency international France, de l’union syndicale SUD Culture & Médias Solidaires, de Zero Waste France, de l’association des journalistes de la rédaction Que Choisir, de la société des journalistes de Mediapart, de l’union fédérale des consommateurs Que Choisir, de l’association Robin des toits, du syndicat des avocats de France de l’union générale des ingénieurs, cadres, techniciens de la CGT (UGI CT-CGT) et du syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT) est admise.
Article 2 : La décision du Laboratoire national de métrologie et d’essais en tant qu’elle refuse implicitement la communication de la liste des dispositifs médicaux, déjà mis sur le marché, auxquels le marquage « CE » a été délivré est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au Laboratoire national de métrologie et d’essais et à la société GMED de com1’lmiquer à Mme X. et à la société éditrice du Monde, la liste des dispositifs médicaux déjà mis sur le marché auxquels ils ont d91ivré le marquage« CE», dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par les intervenants tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Les conclusions présentées par le Laboratoire national de métrologie et d’essais et par la société GMED sur le fondement de l ‘article L. 761-1 du code de justice administrative s0t1rejetées.
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à la société éditrice du Monde, à Mme X. , au Laboratoire national de métrologie et d’essais, à la société GMED, au syndicat national des journalistes, à l’association des journalistes économiques et financiers, à l’association des journalistes de l’inf0rmation sociale, à l’association des Amis de la terre, à Anticor, à l’association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac France), l’association Bloom, au CCF -Terre solidaire, au collectif Ethique sur l’étiquette, à l’association Formin.dep, à l ‘association I-buycott, à l’association Informer n’est pas un délit, à Ingénieurs sans frontières, à l’institut Veblepour les réformes économiques, à la soc1ete Les Jours, à la Ligue française défense des droits de l’Homme (IJDH), à Lyon capitale, à l’association Nothing2hide, à l’association Ouvre-boîte, à Pollinis Frahee, à Reporters sans frontières, à l’association Ritimo, à l’association Sciences citoyennes, à la société des journalistes de l’AFP, à la société des journalistes de Challenges, à la société des journalistes de M6, à la société des journalistes de l’Express, à la société des journalistes des Echos , à la société des journalistes et du personnel de Libération, à la société des rédacteurs d‘Europe 1, à la société des rédacteurs de Marianne, à la société des rédacteurs du Monde, à l’association Sherpa, à Transparency international France, à l’Union syndicale SUD Culture & Médias Solidaires, à Zero Waste France, à l’association des journalistes de la rédaction Que Choisir, à la société des journalistes de Mediapart, à l’union fédérale des consommateurs Que Choisir, à l’association Robin des toits, au syndicat des avocats de France, à l’union générale des ingénieurs, cadres, techniciens de la CGT (UGICT-CGT) et au syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT).
Le tribunal : Mme Amat (président), Mme Privet (premier conseiller), Mme Nguyen (conseiller)
Avocats : Me Boukhari, Me Olivier Arnoux de Maison Rouge, SCP Spinosi Sureau
Source : Legalis.net
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