Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Responsabilité

vendredi 15 mai 2009
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de commerce de Paris 16ème chambre Jugement du 27 avril 2009

Davis Films / Dailymotion

contrefaçon - éditeur - hébergeur - lcen - responsabilité

LES FAITS

Davis Films, Davis Films Productions (DFP) et la société Nouvelles Editions de Films (NEF) sont des sociétés de production françaises qui ont financé et coproduit une adaptation cinématographique du roman éponyme de Patrick Suskind « Le Parfum ».

La NEF a par ailleurs conclu dès l’origine un accord de coproduction avec la société allemande Constantin Film Produktion et la société Castelao ; en contrepartie de son apport, elle a obtenu l’exclusivité de l’exploitation sur les territoires francophones.

La société Metropolitan FilmExport est une société de distribution de films cinématographiques et elle s’est engagée à assurer la distribution de ce film.

Le Film  » Le Parfum « , est sorti en salles en France le 4 octobre 2006, et la société Metropolitan Film Export a débuté sa distribution sous forme de vidéo locative en France le 22 mars 2007.

Alertée par la Fédération Nationale des Distributeurs de Films de la mise à disposition gratuite et illicite du film « Le Parfum », sur le site internet de Dailymotion, la société Iguane Studio gérant, alors, les disques de stockage et enregistrant les flux vidéo, l’Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle (ALFA) a procédé à un constat par un agent assermenté le 9 janvier 2007. Par courrier recommandé en date du 30 mars 2007, la société DFP a alors alerté la société Dailymotion de la présence du film  » Le Parfum  » sur son site et par courrier en date du 12 avril 2007, la société Dailymotion a indiqué que le contenu identifié avait fait l’objet d’un retrait immédiat dès réception du courrier de DFP. Les demanderesses sollicitent du Tribunal la condamnation des défenderesses à la réparation des différents préjudices résultant de ces agissements.

PROCEDURE

Par assignations des 30 juillet et 2 août 2007, par conclusions du 13 mars 2008, par conclusions récapitulatives du 11 septembre 2008 et par conclusions récapitulatives n° 2 du 2 février 2009, dernier état de leurs écritures, les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films demandent au Tribunal de :

Vu les articles L. 122-1, L. 122-2, L. 122-4, L. 212-3, L. 215-1, L. 335-2, L. 335-3, L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles 6.1.2., 6.III.1, 7 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique,

Vu la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du conseil du 8 juin 2000,

Vu l’article 1382 du Code civil,

– Déclarer les sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Metropolitan FilmExport et NEF recevables et bien fondées en leurs demandes,

et y taisant droit,
– Juger qu’en reproduisant et en représentant sans autorisation préalable et expresse le film intitulé « Le Parfum », la société Dailymotion et la société Iguane Studio ont commis des actes de contrefaçon au sens des articles L. 122-4 et L. 335-2 à L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle et ont en conséquence engagé leur responsabilité civile envers les demanderesses,
– Juger, à titre infiniment subsidiaire, qu’en toute hypothèse, les sociétés Dailymotion et Iguane Studio avaient connaissance du caractère illicite du contenu litigieux et n’ont pas agi promptement pour rendre l’accès impossible à ce contenu,

En conséquence
– Condamner in solidum la société Dailymotion et la société Iguane Studio à verser aux sociétés Davis Films, Davis Films Productions, NEF et Metropolitan FilmExport la somme de 100 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice patrimonial subi du fait de l’exploitation contrefaisante du film « Le Parfum », sauf à parfaire lorsque les défenderesses auront communiqué les chiffres certifiés de connexions (streaming et éventuellement téléchargement) audit film, les sociétés Davis Films, Davis Films Productions, NEF et Metropolitan FilmExport faisant leur affaire de la répartition entre elles de ces indemnités,
– Condamner in solidum la société Dailymotion et la société Iguane Studio à verser aux sociétés Davis Films, Davis Films Productions, NEF et Metropolitan FilmExport la somme de 800 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme dont les demanderesses ont été les victimes, ces dernières faisant leur affaire de la répartition entre elles de ces indemnités,
– Condamner in solidum les sociétés défenderesses à verser aux sociétés Davis Films, Davis Films Productions, NEF et Metropolitan FilmExport la somme de 100 000 € chacune à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice professionnel et d’image subi du fait des agissements dénoncés,
– Faire interdiction aux défenderesses de communiquer au public et/ou de reproduire tout ou partie du Film sur le site www.dailymotion.com ou sur tout autre site de même nature et sous leur contrôle, et ce sous astreinte de 1500 €, par infraction constatée à compter de la décision à intervenir,
– Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir pendant 30 jours consécutifs à compter de la signification de la décision, en partie supérieure de la page d’accueil du site Dailymotion, dans un format correspondant à au moins 1/4 de page et dans des conditions de lisibilité optimales,
– Ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme d’un communiqué, dans tous journaux, magasines ou périodiques nationaux et/ou internationaux au choix des demanderesses et aux frais avancés de la société défenderesse, sans que le coût total de ces publications puisse excéder la somme de 35 000 € H.T.,
– Ordonner l’exécution provisoire du Jugement à intervenir nonobstant toute voie de recours,
– Condamner in solidum la société Dailymotion et la société Iguane Studio à payer chacune des sociétés Davis Films, Davis Films Productions, NEF et Metropolitan FilmExport la somme de 7500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner in solidum les défenderesses en tous les dépens y compris les frais de constat engagés par les demanderesses,

Par conclusions d’intervention volontaire du 22 mai 2008 et par conclusions d’intervention volontaire n°2 du 23 mars 2009 dernier état de ses écritures, la société Constantin Film Produktion demande au Tribunal de :

Vu les articles L. 122-1, L. 122-2, L. 122-4, L. 212-3, L. 215-1, L. 335-2, L. 335-3, L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 6.1.2., 6.111.1, 7 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique,
Vu la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du conseil du 8 juin 2000,
Vu l’article 1382 du Code civil,

– Déclarer les sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Metropolitan FilmExport et Constantin Film Produktion recevables et bien fondées en leurs demandes, préjudice professionnel et d’image subi du fait des agissements dénoncés,
– Faire interdiction aux défenderesses de communiquer au public et/ou de reproduire tout ou partie du Film sur le site www.dailymotion.com ou sur tout autre site de même nature et sous leur contrôle, et ce sous astreinte de 1500 €, par infraction constatée à compter de la décision à intervenir,
– Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir pendant 30 jours consécutifs à compter de la signification de la décision, en partie supérieure de la page d’accueil du site Dailymotion, dans un format correspondant à au moins 1/4 de page et dans des conditions de lisibilité optimales,
– Ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme d’un communiqué, dans tous journaux, magazines ou périodiques nationaux et/ou internationaux au choix des demanderesses et aux frais avancés de la société défenderesse, sans que le coût total de ces publications puisse excéder la somme de 35 000 € H.T.,
– Ordonner l’exécution provisoire du Jugement à intervenir nonobstant toute vote de recours,
– Condamner in solidum la société Dailymotion et la société Iguane Studio à payer à chacune des sociétés Davis Films, Davis Films Productions, NEF et Metropolitan FilmExport la somme de 7500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner in solidum les défenderesses en tous les dépens y compris les frais de constat engagés par les demanderesses.

Par conclusions d’intervention volontaire du 22 mai 2008 et par conclusions d’intervention volontaire n°2 du 23 mars 2009, dernier état de ses écritures, la société Constantin Film Produktion demande au Tribunal de :

Vu les articles L. 122-1, L, 122-2, L. 122-4, L. 212-3, L. 215-1, L. 335-2, L. 335-3, L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 6.1.2, 6.111.1, 7 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique,
Vu la directive 2000/31/CE du Parlement Européen et du Conseil du 8 juin 2000,
Vu l’article 1382 du Code civil,
– Déclarer les sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Metropolitan FilmExport et Constantin Film Produktion recevables et bien fondées en leurs demandes,

et y faisant droit,
– Dire et juger qu’en reproduisant et en représentant sans autorisation préalable et expresse le film intitulé Le Parfum, la société Dailymotion et la société Iguane Studio ont commis des actes de contrefaçon au sens des articles L. 122-4 et L. 335-2 à L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle et ont en conséquence engagé leur responsabilité civile envers les demanderesses.
– Dire et juger, à titre infiniment subsidiaire, qu’en toute hypothèse, les sociétés Dailymotion et Iguane Studio avaient connaissance du caractère illicite du contenu litigieux et n’ont pas agi promptement pour rendre l’accès impossible à ce contenu,

En conséquence
– Condamner in solidum la société Dailymotion et la société Iguane Studio à verser aux sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Constantin Film Produktion et Metropolitan FilmExport la somme de 100 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice patrimonial subi du fait de l’exploitation contrefaisante du film  » Le Parfum », sauf à parfaire lorsque les défenderesses auront communiqué les chiffres certifiés de connexions (streaming et éventuellement téléchargement) audit film, les sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Constantin Film Produktion et Metropolitan FilmExport faisant leur affaire de la répartition entre elles de ces indemnités,
– Condamner in solidum la société Dailymotion et la société Iguane Studio à verser aux sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Constantin Film Produktion et Metropolitan FilmExport la somme de 800 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme dont les demanderesses ont été les victimes, ces dernières faisant leur affaire de la répartition entre elles de ces indemnités,
– Condamner in solidum les sociétés défenderesses à verser aux sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Constantin Film Produktion et Metropolitan FilmExport la somme de 100 000 € chacune à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice professionnel et d’image subi du fait des agissements dénoncés,
– Faire interdiction aux défenderesses de communiquer au public et/ou de reproduire tout ou partie du Film sur le site www.dailymotion.com ou sur tout autre site de même nature et sous leur contrôle, et ce sous astreinte de 1500 €, par infraction constatée à compter de la décision à intervenir, se réserver la liquidation de l’astreinte,
– Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir pendant 30 jours consécutifs à compter de la signification de la décision, en partie supérieure de la page d’accueil du site Dailymotion, dans un format correspondant à au moins 1/4 de page et dans des conditions de lisibilité optimales,
– Ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme d’un communiqué, dans tous journaux, magazines ou périodiques nationaux et/ou internationaux au choix des demanderesses et aux frais avancés de la société défenderesse, sans que le coût total de ces publications puisse excéder la somme de 35 000 € H.T.,
– Ordonner l’exécution provisoire du Jugement à intervenir nonobstant toute voie de recours,
– Condamner in solidum la société Dailymotion et la société Iguane Studio à payer à chacune des sociétés Davis Films, Davis Films Productions, Constantin Film Produktion et Metropolitan FilmExport la somme de 7500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner in solidum les défenderesses en tous les dépens y compris les frais de constat engagés par les demanderesses.

Par conclusions en réponse du 6 décembre 2007, conclusions en réponse du 22 mai 2008, et par conclusions récapitulatives du 2 février 2009, dans le dernier état de ses écritures et déclarations, la société Dailymotion demande au Tribunal de :

A titre principal,
– déclarer les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Nouvelles Editions de Films et Constantin Film Produktion irrecevables en leur action fondée sur la diffusion de la bande annonce du film « El Perfume » dans sa version espagnole faute d’avoir mis dans la cause la société Castelao Productions,
– déclarer la société Metropolitan FilmExport irrecevable à agir au titre de la mise en ligne de la bande originale du film « Le Perfume » dans sa version espagnole.

A titre subsidiaire,
– Juger que la société Dailymotion exerce une activité de prestataire technique en hébergeant les informations mises en ligne par les internautes,
– Constater que la société Dailymotion a agi avec promptitude pour retirer du site le contenu protégé dès qu’elle en a été informée,
– Constater que la société Dailymotion a agi avec diligence et en toute bonne foi,
– Juger que la société Dailymotion n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité,

En conséquence,
– Débouter les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films de l’intégralité de leurs demandes,

A titre infiniment subsidiaire
– Constater l’absence de fondement juridique à la demande de parasitisme,
– Constater l’absence de fondement juridique à la demande formée au titre du préjudice professionnel et d’image,
– Constater que les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films ne justifient aucunement leur demande de dommages et intérêts et de publication sous astreinte,

En conséquence,
– Débouter les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films de leurs demandes de dommages et intérêts et de publication du jugement sous astreinte,
– Rejeter l’exécution provisoire,

En tout état de cause,
– Condamner in solidum les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films à régler à la société Dailymotion la somme de 15 000 € en application de l’article 700 du CPC,
– Condamner in solidum les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.

Après avoir entendu les parties lors de son audience du 23 mars 2009, le juge rapporteur a clos les débats et indiqué que le jugement sera prononcé le 27 avril 2009.

LES MOYENS

Les demanderesses expliquent que :
– en tant que co-producteurs français ou mandataire exclusif de la distribution du film, notamment en France, elles sont recevables à agir en contrefaçon devant les Tribunaux français pour des actes commis sur le territoire national.
– en l’absence d’autorisation, la mise à disposition du film « Le Parfum » sur le site Dailymotion constitue une contrefaçon au préjudice tant des droits d’auteur que des droits voisins, dont NEF, Davis Films et Davis Film Production sont titulaires.
– En diffusant ce film sur internet pendant l’exploitation en salle et avant sa sortie en vidéo, les sociétés Dailymotion et Iguane Studio ont remis en cause la chronologie des médias, qui organise dans le temps les différents modes d’exploitation (sortie en salle, puis en vidéo, puis en VOD, puis diffusion sur les chaînes payantes) tout en bénéficiant indûment des investissements des demanderesses qui ont doté le film d’une attractivité particulière. Un tel procédé, qui se distingue et s’ajoute à la contrefaçon ci-dessus dénoncée, constitue un véritable acte de parasitisme fautif.
– Dailymotion ne peut revendiquer à son profit le statut d’hébergeur, où sa responsabilité civile ne pourrait pas « être engagée du fait des activités ou des informations stockées, si elle n’avait pas effectivement connaissance de leur caractère illicite » ; le bénéfice de ce statut est en effet réservé aux seuls prestataires se livrant à une activité purement technique or il est indéniable que les demanderesses exercent tout à la fois une prestation de stockage des données, un service de communication au public en ligne de ces données et qu’il ne s’agit pas d’une simple plateforme « ayant pour objet la mise à disposition d’un service d’hébergement de vidéos personnelles ».
– en réalité Dailymotion a un rôle actif dans le traitement des contenus puisqu’elle les répertorie et les classe selon des critères qui ne répondent nullement à une nécessité technique ou fonctionnelle mais à une démarche purement commerciale pour rendre plus attractive la page d’accueil autour des services qu’elle propose gratuitement ce qui a pour contrepartie la présence de nombreuses bannières publicitaires et de nombreux liens commerciaux sur le site.
– à titre subsidiaire, Dailymotion, même en qualité de simple fournisseur d’hébergement, ne pouvait ignorer le caractère illicite du contenu litigieux car le film ayant été mis à disposition dans son intégralité, a nécessité des fichiers très lourds donc facilement détectables par un contrôle sur les fichiers.
– la connaissance d’un fait illicite peut, en effet, « résulter des faits et circonstances de chaque espèce » et ne découle pas obligatoirement de la procédure de notification prévue l’article 6.I.5 de la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN).
– il résulte d’une jurisprudence bien établie, sur le fondement de l’article 6.1.2 de la loi LCEN , que l’hébergeur informé du caractère illicite d’un contenu doit en rendre son accès impossible, or Le Parfum est resté accessible sur le site de Dailymotion,
postérieurement la date de mise en demeure qui lui a été envoyée le 30 mars 2007, sous la forme d’extraits ou de bandes annonces comme le constate l’Association de Lutte Contre la Piraterie Audiovisuelle (ALPA) dans son constat du 26 février 2008.

La société Dailymotion fait valoir que :
– à titre principal, les sociétés demanderesses sont irrecevables en leur action fondée sur la diffusion de la bande annonce du film « El Perfume » dans sa version espagnole faute d’avoir mis dans la cause la société Castelao Productions, qui, aux termes de l’article 3 du contrat de coproduction, conservera en exclusivité et à perpétuité, 100% des droits d’exploitation [……] pour les territoires de l’Espagne, de l’Andorre (au titre des versions en toutes langues à l’exception de la version en langue française)…
– à titre subsidiaire, elle n’a commis aucune faute en sa qualité d’hébergeur ; elle est en effet un hébergeur et non un éditeur de contenu car elle n’intervient pas sur le contenu des informations mises en ligne l’utilisateur décide seul des choix à réaliser pour la mise en ligne de la vidéo, il décide du contenu de l’information mise en ligne, il décide de l’étendue de cette mise en ligne, de la rubrique dans laquelle l’information sera diffusée, des mots clefs qui permettront le référencement. En bref, c’est le choix des contenus qui permet de qualifier un site d’éditeur, et non le choix de l’organisation ou de la structure du site.
– les sociétés demanderesses soutiennent à tort que les bandeaux publicitaires présents sur le site internet excèdent la prestation d’hébergement. Or, la gratuité du service et, de manière générale, l’absence de toute forme de profit, n’ont jamais été retenues comme conditions de mise en oeuvre de l’article 6.1-2 de la loi du 21 juin 2004, qui définit l’hébergeur ; enfin, la jurisprudence a établi que le critère de l’activité rémunératrice du site n’est pas un critère déterminant puisque « la loi sur la confiance dans l’économie numérique n’a pas interdit aux hébergeurs de gagner de l’argent en vendant des espaces publicitaires ».
– aux termes de la loi précitée, les fournisseurs d’hébergement ne pourront pas voir leur responsabilité engagée du fait des informations stockées s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite et si dès le moment où ils ont eu la connaissance du caractère illicite du contenu, ils ont agi avec promptitude pour retirer ces données ou rendre l’accès à celles-ci impossible, ce que la défenderesse a fait en taisant cesser la diffusion du film « le Parfum » dès réception de la mise en demeure.
– quant à la diffusion des bandes annonces, la défenderesse fait remarquer qu’elles ont été mises en ligne avant l’envoi de la lettre de mise en demeure, que cette diffusion n’était pas évoquée dans la mise en demeure, que l’assignation délivrée le 30 juillet 2007 n’en fait pas état, et enfin que la vocation première de la bande annonce définie dans le dictionnaire Le Petit Robert comme le « montage d’extraits d’un film servant à présenter ce film au public, sert justement à le promouvoir en le faisant connaître.

DISCUSSION

Sur la recevabilité des demanderesses en leur action fondée sur la diffusion de la bande annonce dans sa version espagnole

Attendu que Dailymotion fait valoir que les demanderesses ne sont pas recevables à agir au titre de la diffusion de la bande annonce du film en version espagnole, faute d’avoir appelé dans la cause la société espagnole Castelao Productions, Société qui, aux termes de l’article 3 du contrat de coproduction, conservera en exclusivité et à perpétuité, la totalité des droits d’exploitation portant sur le film, pour les territoires de l’Espagne.

Que les demanderesses soutiennent sans être démenties qu’il s’agit de la version originale en anglais sous titrée en espagnol,

Que les exclusivités définies sont territoriales et ne portent pas sur les langues (à l’exception de l’Andorre),

Que les co-producteurs français sont recevables à agir en contrefaçon devant les Tribunaux français pour des actes commis sur le territoire national,

Le Tribunal dira que les demandes portant sur la mise en ligne de la bande annonce de la version originale anglaise sous-titrée en espagnol du film « Le Parfum » sont recevables.

Sur la responsabilité de Dailymotion

Sur la qualité d’hébergeur

Attendu que Dailymotion, comme les sites de partage de vidéo, a la seule qualité d’hébergeur et non celle d’éditeur de contenu car elle n’est pas à l’origine de la diffusion, les dits contenus étant fournis par les utilisateurs eux-mêmes,

Attendu que les utilisateurs décident seuls des choix à réaliser pour la mise en ligne de la vidéo, décident du contenu de l’information mise en ligne, décident de l’étendue de cette mise en ligne, de la rubrique dans laquelle l’information sera diffusée, des mots clefs qui permettront le référencement,

Attendu que les sociétés demanderesses soutiennent que la présence de bandeaux publicitaires sur le site internet www.dailymotion.com excède la prestation d’hébergement, mais qu’il n’est dit nulle part que la LCEN interdit aux hébergeurs de gagner de l’argent en vendant des espaces publicitaires (…),

Le Tribunal dira que Dailymotion a la qualité d’hébergeur,

Sur la responsabilité

Attendu qu’aux termes de l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004, « les fournisseurs d’hébergement ne pourront pas voir leur responsabilité engagée du fait des informations stockées s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible »,

Attendu que la loi prévoit dans son article 6.I.5 que la connaissance des faits litigieux n’est présumée acquise par l’hébergeur que lorsqu’il lui est notifié divers éléments dont la description des faits litigieux et leur localisation précise, les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits,

Attendu que les demanderesses soutiennent que la procédure de notification de l’article 6.I.5 n’est pas obligatoire et que la responsabilité du fournisseur d’hébergement peut être engagée, avant que cette notification soit envoyée, comme la précise la loi, « s’il (l’hébergeur) avait effectivement connaissance du caractère illicite du contenu ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère »,

Que « le film Le Parfum a été mis à disposition dans son intégralité, en trois parties, ce qui suppose l’existence de trois fichiers lourds informatiquement, dont le simple visionnage du générique aurait dû alerter la société Dailymotion sur l’existence du copyright des coproducteurs et partant, du caractère manifestement illicite de ce contenu »,

Que le Tribunal, toutefois considère que la notification a un caractère obligatoire justifié par le fait qu’aux termes de l’article 6.I.7 de la LCEN, « les prestataires d’hébergement ne sont pas tenus d’une obligation générale de surveiller les informations stockées, ni de rechercher les faits ou circonstances relevant de activités illicite »,

Attendu qu’ayant procédé à un constat le 9 janvier 2007, la société Davis Film Productions a informé la société Dailymotion par courrier recommandé du 30 mars 2007, reçu le 3 avril 2007, de la diffusion sans autorisation du film « le Parfum », que dès réception de ce courrier, la société Dailymotion a réagi pour faire cesser la diffusion du filin, qu’elle a d’ailleurs informé la société Davis Film Productions de ses démarches par courrier du 12 avril 2007,

Attendu que les sociétés demanderesses font ensuite valoir, mais seulement dans les conclusions datées de mars 2008, que la société Dailymotion, aurait engagé sa responsabilité car ledit film serait « réapparu sur son site postérieurement à la lettre de mise en demeure envoyée à la société Dailymotion le 30 mars 2007, sous la tonne d’extraits ou de bande annonce »,

Que les annexes du constat établi par l’ALPA le 26 février 2008, qui reproduisent les impressions du site, établissent que les bandes annonces ont été mises en ligne par divers utilisateurs situés en Espagne, au Royaume Uni, au Japon, au Pérou entre le 16 décembre 2006 et le 3 avril 2007, c’est à dire avant l’envoi de la lettre de mise en demeure adressée par la société Davis Film à la société Dailymotion, avant également la suppression du contenu illicite par Dailymotion tel que mentionné dans le courrier de mise en demeure de la société Davis Film et avant même la délivrance de l’assignation qui n’en fait d’ailleurs aucunement mention,

Attendu que les demanderesses n’ont envoyé aucun courrier de mise en demeure complémentaire informant la société Dailymotion de la mise en ligne illicite de bandes annonces du film « Le parfum »,

Que le seul courrier de mise en demeure adressé par Davis Film notifiant la présence d’un contenu illicite, mentionnait seulement le film dans son intégralité sans faire mention d’autres contenus,

Qu’ainsi, Dailymotion n’a jamais reçu de notification de la diffusion des bandes annonces, avant la communication, par les demanderesses de leurs écritures de mars 2008,

Qu’enfin la société Dailymotion avait d’ailleurs indiqué à la société Davis Films dans son courrier du 12 avril 2007  » si vous deviez constater à nouveau la présence de contenus vous appartenant et ce en dépit des actions déjà entreprises par nos soins, nous vous invitons à nous communiquer les adresses un des vidéos concernées….  »

Le Tribunal dira en conséquence, parce que la société Dailymotion a retiré de son site le contenu protégé dès qu’elle a été informée et qu’elle a invité Davis Film à l’avertir de toute réapparition de contenu illicite, qu’elle n’a donc commis aucune faute en sa qualité d’hébergeur et déboutera les demanderesses de leurs demandes à ce titre.

Sur les autres demandes

Attendu que les demanderesses, succombant à l’instance, seront condamnées à supporter les dépens et qu’il paraît équitable de mettre à leur charger in solidum, par application des dispositions de l’article 700 du CPC, les frais non compris dans les dépens engagés par Dailymotion pour faire valoir ses droits, le Tribunal les fixera à la somme de 10 000 € et déboutera pour le surplus.

DECISION

Le Tribunal statuant publiquement en premier ressort par jugement réputé contradictoire :
– Prend acte de l’intervention volontaire de la société Constantin Film Produktion ;
– Dit les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Nouvelles Editions de Films, Constantin Film Produktion et Metropolitan FilmExport recevables en leur action fondée sur la diffusion de la bande annonce du film « El Perfume » dans sa version espagnole,
– Dit la société Metropolitan FilmExport recevable à agir au titre de sa mise en ligne de la bande originale du film « El Perfume » dans sa version espagnole,
– Dit que la société Dailymotion exerce une activité d’hébergeur,
– Constate que la société Dailymotion a agi conformément à la loi pour retirer du site le contenu protégé dès qu’elle en a été informée,
– Dit que la société Dailymotion n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité tant dans l’hébergement du film que des bandes annonces,
– Déboute les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films, Constantin Film Produktion de l’intégralité de leurs demandes,
– Condamne in solidum les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films à régler à la société Dailymotion la somme de 10 000 € en application de l’article 700 du CPC, et déboute pour le surplus,
– Condamne in solidum les sociétés Davis Films Productions, Davis Films, Metropolitan FilmExport, Nouvelles Editions de Films aux entiers dépens.

Le tribunal : Mme Huertas (président), M. Chatin (président), MM. d’Arjuzon, Ankri, Agid, Dugrenot, Begon-Lours, Gosset, Careil (juges)

Avocats : Me Olivier Chatel, Me Jean-Marie Guilloux

 
 

En complément

Maître Jean-Marie Guilloux est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Olivier Chatel est également intervenu(e) dans les 16 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Chatin est également intervenu(e) dans les 6 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Huertas est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.