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Jurisprudence : Contenus illicites

mercredi 12 janvier 2005
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Tribunal de grande instance de Bobigny Jugement contentieux 11 janvier 2005

TNS Secodip / Fédération CGT des sociétés d'études

contenus illicites - diffusion - informations - salariés - site internet - syndicat

FAITS ET PROCEDURE

La société TNS Secodip a pour activité les études, les recherches et les réalisations économiques concernant la publicité, la consommation et la distribution.
Elle a un effectif de 900 salariés répartis sur deux sites, le siège social à Chambourcy (78) et un établissement secondaire à Puteaux (93).

Elle est soumise aux dispositions de la Convention collective nationale du Syntec (bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils et sociétés de conseil).

La Fédération CGT des sociétés d’études a ouvert récemment un site Internet dénommé « http://cgt.secodip.free.fr », sur lequel, sous le titre général « CGT Secodip », figurent neuf rubriques.

Autorisée par ordonnance du 23 novembre 2004, la société TNS Secodip a assigné en référé d’heure à heure la Fédération CGT des sociétés d’études et la Confédération Générale du Travail afin d’obtenir la suppression de diverses rubriques figurant sur le site, dans le délai de 24 heures, à compter de l’ordonnance, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, et d’obtenir la somme de 1500 €, en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

A l’audience du 3 décembre 2004, la Confédération Générale du Travail (CGT) a demandé sa mise hors de cause, et la Fédération CGT des sociétés d’études a soulevé l’irrecevabilité de la demande faute de trouble manifestement illicite et de dommage imminent. Elle a demandé la somme de 2000 €, en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

La société TNS Secodip a renoncé à ses demandes à l’égard de la Confédération Générale du Travail et a demandé à bénéficier des dispositions de l’article 811 du ncpc, demande à laquelle la Fédération CGT ne s’est pas opposée.

Par ordonnance du 3 décembre 2004, le juge des Référés a donné acte à la société TNS Secodip de son désistement à l’égard de la Confédération Générale du Travail, a constaté l’existence d’une difficulté sérieuse et, vu l’urgence, en application de l’article 811 du ncpc, a renvoyé l’affaire à l’audience du 7 décembre 2004 de la 5ème chambre civile de ce tribunal.

Par conclusions du 7 décembre 2004, la société TNS Secodip a demandé :
– la suppression de cinq des neuf rubriques figurant sur le site, dans le délai de 24 heures à compter du jugement, et sous astreinte de 1000 €, par jour de retard,
– la condamnation de la Fédération CGT au paiement de la somme de 10 000 €, à titre de dommages-intérêts,
– l’exécution provisoire,
– le paiement de la somme de 1500 €, en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

Elle expose que, contrairement au site intranet réservé au personnel de l’entreprise, le site internet est accessible non seulement aux salariés mais également au public externe à l’entreprise et en particulier à ses concurrents et à ses clients, ce qui porte une atteinte grave à ses intérêts.

Elle rappelle que :
– la propagande électorale doit s’exercer dans le cadre de l’entreprise,
– les membres du comité d’entreprise et les délégués syndicaux sont tenus à une obligation de confidentialité prévue par l’article L 434-6 du code du travail,
– les informations relatives à la situation économique et financière de l’entreprise sont confidentielles, de même que les négociations salariales
– l’article L 132-10 du code du travail définit de manière limitative la publicité des accords collectifs de travail.

Elle fait valoir qu’ainsi ses concurrents ont un libre accès à des renseignements concernant sa situation financière et sa politique salariale, leur permettant par exemple de réduire leurs propres coûts et de pratiquer des tarifs plus avantageux faussant ainsi la concurrence. Elle demande réparation en application de l’article 1382 du code civil.

Par conclusions du 7 décembre 2004, la Fédération CGT des sociétés d’études a contesté cette demande qui porterait atteinte à la liberté d’expression du syndicat.

Elle conteste que l’obligation de discrétion prévue par l’article L 432-7 du code du travail s’applique aux salariés ou à un syndicat.

Elle rappelle les dispositions de l’article L 120-2 du code du travail relatives aux libertés individuelles et collectives du salarié.

Elle relève qu’une double condition est exigée par cet article : l’information doit être confidentielle et donnée comme telle par le chef d’entreprise.

Elle précise que :
– le tract diffusé n’est que la reprise partielle d’un tract électoral, que son contenu est licite et qu’il est périmé,
– les bilans et rapports de gestion ne sont que des informations non confidentielles, diffusés depuis longtemps aux salariés,
– il n’existe aucune obligation de discrétion s’imposant au syndicat en ce qui concerne les négociations salariales,
– les accords collectifs sont à la disposition de quiconque en fait la demande auprès du greffe du Conseil de Prud’hommes,
– aucun texte n’interdit la diffusion d’un procès verbal du comité d’entreprise.

Elle conclut donc au débouté de la demande et sollicite la condamnation de la société TNS Secodip au paiement de la somme de 2000 €, en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

DISCUSSION

Attendu qu’il convient en préambule de noter que la société TNS Secodip ne conteste pas que l’information des salariés puisse être réalisée en ligne, soit par internet, à condition que les salariés disposent d’un code d’accès soit mieux encore par intranet ; que sa demande a seulement pour objectif de limiter l’information des tiers extérieurs à l’entreprise ;

Attendu que le salarié dispose dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression ;

Attendu que ce principe est consacré par l’article L 120-2 du code du travail qui stipule : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionné au but recherché » ;

Attendu que cependant le salarié est soumis à des obligations qui découlent du contrat de travail qu’il a conclu ; qu’en particulier il est tenu pendant la durée de son contrat, à une obligation de fidélité qui lui impose une règle de discrétion ;

Attendu que les syndicats qui représentent les salariés au sein d’une entreprise ne peuvent s’affranchir de cette règle de discrétion, laquelle, dans le cas contraire, serait réduite à néant ;

Attendu qu’en l’espèce, la Fédération CGT des sociétés d’Etudes ne peut utilement soutenir que les règles de discrétion résultant du contrat de travail ou les règles de confidentialité résultant de textes spécifiques du code du travail ne s’appliquent pas à elle, alors qu’elle tient ses informations des salariés de l’entreprise et qu’elle doit représenter leurs intérêts et non les amener à violer leurs obligations contractuelles ou légales ;

Attendu qu’il convient dès lors, au regard de ces principes, d’examiner les documents diffusés pour déterminer s’ils constituent des documents susceptibles d’être soumis à l’obligation de discrétion ou à des règles de confidentialité ;

La rubrique « Syndicat » :

Attendu que le document critiqué se présente sous forme de tract syndical établi en vue des élections du 23 septembre 2004 ;

Attendu que l’article L 412-8 du code du travail réglemente les conditions de distribution des tracts en ces termes : « Les publications et tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs de l’entreprise dans l’enceinte de celle ci aux heures d’entrée et de sortie du travail » ;

Attendu que la communication du tract par internet à tout moment, partout et à tous, notamment aux personnes étrangères à l’entreprise, est incompatible avec le texte susvisé qui veut en réserver la diffusion aux salariés ;

Attendu de surcroît que le tract contient des informations sur l’évolution des salaires, le chiffre d’affaires des panels et la profitabilité des créations publicitaires, que la société TNS Secodip a intérêt à ne pas révéler au public extérieur à l’entreprise ;

Attendu que ces documents ne peuvent figurer sur le site Internet et doivent être retirés ;

La rubrique « Rentabilité Secodip » :

Attendu que par deux documents intitulés « Bilan de l’entreprise Secafi Alpha présenté à la séance du 4 septembre 2001  » et « Rapport sur la gestion et la situation de l’entreprise 2002 », la Fédération CGT rend public deux avis établis par le cabinet d’expertise Secafi Alpha, auquel le comité d’entreprise avait demandé de l’assister en vue de l’examen annuel des comptes de la société TNS Secodip ;

Attendu que l’article L 432-7 du code du travail stipule que « les membres du Comité d’Entreprise et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et données pour telles par le chef d’entreprise  » ;

Attendu que ces documents contiennent les conclusions des analyses financières des experts ; qu’ils sont par essence même confidentiels et ne sont communiqués par le chef d’entreprise qu’avec l’assurance qu’ils ne seront pas divulgués à des tiers ;

Que dès lors, le syndicat CGT est tenu à une obligation légale de confidentialité, sans pouvoir soutenir qu’il s’agit d’analyses anciennes ;

Que le retrait de ces documents doit être ordonné ;

La rubrique « Les négociations »:

Attendu que la CGT diffuse un ensemble de comptes rendus des négociations salariales de 2001, 2002 et 2003 et les grilles salariales correspondantes ;

Attendu que sont ainsi publiés les salaires de chaque catégorie de personnel, (les salaires d’embauche, les augmentations, les majorations, les primes, l’intéressement, les indemnités, les évolutions des salaires de 1996 à 2003 etc.) ;

Attendu que ces informations sont strictement confidentielles et que les tiers et concurrents ne peuvent être informés de manière complète et précise sur la politique salariale de l’entreprise ;

Attendu que le syndicat viole l’obligation de discrétion qui pèse sur les salariés qu’il représente ;

Qu’il y a lieu d’ordonner le retrait de tous les documents figurant sous cette rubrique ;

Les rubriques « Travail de nuit » et « Accord sur les 35 heures » :

Attendu que le texte intégral de l’accord d’entreprise relatif au travail de nuit et du protocole d’accord sur la réduction du temps de travail est porté à la connaissance des tiers et du protocole d’accord sur la réduction du temps de travail est porté à la connaissance des tiers :

Attendu que l’article L 132-10 prescrit non limitativement, la publicité de ces accords, qui, les négociations achevées, ne sont plus confidentiels :

Attendu que les tiers peuvent en avoir communication, notamment auprès du greffe du Conseil de Prud’hommes ;

Attendu que dès lors, le syndicat CGT qui est partie à ces accords, peut les publier sur son site, sans violer le principe de discrétion ;

Qu’il y a l
ieu sur ce point de rejeter la demande ;

Les Rubriques « Le comité d’entreprise » et « Les délégués du personnel » :

Attendu que sont publiés les documents suivants :
– Egalité professionnelle : résolution soumise au CE,
– Egalité professionnelle : période 2000 à 2002,
– les comptes rendus de 16 réunions tenues du 7 novembre 2002 au 30 juillet 2004,
– le texte des questions posées par les délégués du personnel par les réunions des 20 mai, 1er juillet et 1er août 2003 ;

Attendu que la divulgation des délibérations du comité d’entreprise est limitée à une diffusion interne dans les conditions prévues par les articles L 434-4 du code du travail (affichage dans l’entreprise du procès verbal de réunion du CE) et par l’article L 424-5 (registre spécial des questions des délégués du personnel et des réponses) ;

Attendu que les salariés et a fortiori les membres du comité d’entreprise et les délégués du personnel et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion qui exclut qu’ils puissent librement communiquer au public ces documents relatifs à la vie privée de l’entreprise ;

Que dès lors, la publication de ces documents doit être interdite ;

Sur le préjudice :

Attendu que la société TNS Secodip ne justifie en l’état, d’aucun préjudice financier ;

Attendu qu’en revanche, la divulgation à des tiers et en particulier à des concurrents, de sa politique salariale, des problèmes internes de l’entreprise, de sa situation financière et de son évolution, lui cause un préjudice moral qu’il convient de réparer par l’octroi de la somme de 6000 €, à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que pour prévenir un préjudice plus important, il est nécessaire d’ordonner une astreinte de 600 € par jour, passé le délai de 8 jours après le prononcé de la décision ;

Sur l’exécution provisoire :

Attendu qu’il est urgent de mettre un terme à ces infractions ; que l’exécution provisoire du jugement doit être ordonnée ;

DECISION

Le Tribunal statuant en audience publique, contradictoirement et en premier ressort ;

. Ordonne la suppression du site Internet, ouvert par la Fédération CGT des sociétés d’Études, dénommé « http:llcgt.secodipfree.fr « , des documents figurant dans les rubriques suivantes :
– rubrique « Syndicat »,
– rubrique « Rentabilité de Secodip »,
– rubrique « Les Négociations »,
– rubriques  » Le Comité d’Entreprise » et « Les délégués du personnel »,

dans le délai de huit jours du prononcé du jugement, sous astreinte de 600 €, par jour de retard.

. Rejette la demande en ce qui concerne la suppression des rubriques « Travail de nuit » et « Accord sur les 35 heures ».

. Condamne la Fédération CGT des sociétés d’Études à verser à la société TNS Secodip, la somme de 6000 €, à titre de dommages-intérêts.

. Ordonne l’exécution provisoire.

. Condamne la Fédération CGT des sociétés d’Études à payer la somme de 1500 €, en application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

. Condamne la défenderesse au paiement des dépens qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l’article 699 du ncpc.

Le tribunal : Mme Hecq Cauquil (vice président), Mme Soulie (vice président), M. Pansier (juge)

Avocats : Me Monnot-Callet, Selarl Atlantes

Notre présentation de la décision

Voir décision de Cour d’appel du 15/06/06

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.