Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé du 12 mars 1998
La SNC Alice / La SA Alice
nom de domaine - radiation du nom de domaine - risque de confusion - utilisation antérieure de la dénomination sociale
Nous, Président,
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,
La SNC Alice, constituée en 1957, a déposé en 1975 la marque « ALICE » pour désigner « tous services et activités d’une agence de publicité relevant de la classe 35 ».
Elle a découvert en décembre 1997 qu’une société, constituée le 28 octobre 1996, utilisait également la raison sociale et le nom commercial « Alice », ainsi que le domaine « alice.fr » sur le réseau Internet.
Estimant que ce faisant, cette société porte atteinte aux droits qu’elle détient sur sa dénomination sociale et sur sa marque, crée un risque de confusion d’autant plus important qu’il s’agit d’un terme de fantaisie et lui interdit, malgré sa grande antériorité, de communiquer sur le réseau Internet en utilisant la dénomination sous laquelle elle est connue dans ses activités, l’agence de publicité Alice, dont il n’est pas contesté qu’elle a entrepris une action en contrefaçon devant le tribunal, a fait assigner en référé la SA Alice par acte du 13 février 1998.
Elle nous demande de constater que l’utilisation de la dénomination commerciale « Alice” et son usage commercial par la société défenderesse porte atteinte, en application des dispositions de l’article 1382 du code civil, aux droits qu’elle détient sur cette dénomination sociale et constituent la contrefaçon de la marque dont elle est titulaire et de la condamner en conséquence, sous astreinte, à modifier sa dénomination sociale, faire radier auprès du registre national des marques le nom de domaine « alice.fr » et à cesser toute utilisation de la dénomination « Alice » sous quelque forme que ce soit.
Déclinant notre compétence du chef de la concurrence déloyale, au motif de l’existence d’une contestation sérieuse sur l’étendue de la protection de la dénomination sociale, la SA Alice, défenderesse, dénie également tout caractère sérieux à l’action en contrefaçon de marque en opposant le principe de la spécialité.
Subsidiairement, elle conclut au rejet de l’ensemble des prétentions de la demanderesse dès lors que son activité commerciale portant sur la création de logiciels et le développement informatique, le risque de confusion est inexistant.
Elle ajoute avoir déposé la marque « Alice d’ ISOFT » le 18 janvier 1996 auprès de l’INPI, ainsi que le nom de domaine « alice.fr » le 19 décembre 1996 auprès de NIC France.
Attendu qu’à l’audience le litige s’est trouvé circonscrit à l’utilisation par la SA Alice, seconde en date, du nom de domaine ”alice.fr » sur le réseau Internet, qui constitue la reproduction à l’identique de la dénomination sociale de la SNC Alice, première en date ;
Attendu que le nom de domaine, moyen d’accès au réseau Internet, est constitué d’un préfixe d’ordre technique – http//www – indiquant le site, d’un radical, véritable identifiant du nom du domaine, correspondant généralement à la raison sociale d’une entreprise ou à celui d’une marque déposée, et enfin d’un suffixe caractérisant le site dans son activité ou la zone géographique d’émission ou d’hébergement ;
Attendu que la demande d’attribution de ce nom relève, ainsi qu’il apparaît aux termes de la charte de nommage, du principe général de l’antériorité ;
Que l’enregistrement d’un nom n’est cependant pas limité par le principe de spécialité, ce qui provoque l’indisponibilité de ce nom dans tout autre domaine d’activité, pour toute autre entreprise, dans la zone déterminée.
Attendu qu’en l’espèce la SA Alice, seconde en date, a déposé le 19 décembre 1996 auprès de NIC France (Network Information Center) le nom de domaine suivant « alice.fr » ;
Qu’ il s’ensuit que bien que l’enregistrement de ce nom ne soit pas créateur de droits, il rend indisponible la dénomination « alice », « dans tout domaine d’activité, pour toute autre entreprise » dans la zone française ;
Qu’en conséquence la SNC Alice, première en date, de surcroît propriétaire de la marque déposée « Alice”, ne peut exister sur Internet en utilisant la dénomination sociale sous laquelle ses clients, partenaires et prospects pourraient s’attendre à l’y trouver, ni même sa marque désignant des services et produits distincts de ceux créés par la SA Alice intervenant sur Internet, elle-même propriétaire de la marque « Alice d’ISOFT ».
Attendu qu’en admettant cette « logique informatique de nommage », la SNC Alice, première en date, créée depuis plus de 40 ans, ne peut accéder sous sa dénomination au réseau Internet, dont l’application récente aux entreprises – tout au moins en France – en fait un outil privilégié de communication externe, mais aussi un incontestable outil commercial, ainsi qu’il résulte des documents produits, « le commerce représentant la majorité des utilisations et des acteurs de l’Internet » ;
Qu’elle se voit en effet contrainte de choisir pour s’identifier, un assemblage de lettres (entre 3 et 26), qui n’existe pas déjà à l’identique, dépourvu de lien avec sa dénomination sociale.
Attendu que reconnaître la thèse de l’antériorité, c’est à dire, ainsi que l’énonce la défenderesseur, « premier arrivé premier servi », en s’étonnant de la découverte tardive des potentialités du réseau Internet par la société demanderesse, outre qu’elle est de nature à favoriser un véritable trafic organisé nullement imputé à la défenderesse en l’espèce, est incontestablement préjudiciable à la société plus ancienne qui se trouve ainsi dépossédée, sur ce réseau, de la dénomination sociale qui l’individualise dans l’ensemble de son existence et de ses activités, alors qu’elle jouit d’un véritable droit de propriété sur ce nom ;
Or attendu que cette situation, qui traduit la faveur donnée à la logique informatique au détriment de la logique juridique, est à l’évidence de nature à entraîner des erreurs d’identification et créé par conséquent un risque de confusion dans l’esprit du public, même en l’absence de volonté manifestement déloyale ;
Qu’il y a lieu dès lors de prendre les mesures prescrites au dispositif, dans les limites du litige fixées à l’audience,après avoir invité la SA Alice, seconde en date, dans une volonté de conciliation, à préciser les délais nécessaires à la modification de son adresse et à l’information de sa clientèle.
Attendu qu’il sera enfin partiellement fait droit à la demande au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Vu l’article 1382 du code civil ;
Donnons acte à la SA Alice de ce qu’elle propose d’adopter le nom de domaine « Alice d’ISOFT » et à la SNC Alice de ses réserves ;
Ordonnons la radiation auprès de NIC France du nom domaine « alice.fr », sous astreinte de 1 000 francs par jour de retard, dans les 21 jours de la signification la présente décision ;
Nous réservons la liquidation de l’astreinte ;
Condamnons la SA Alice à payer à la SNC Alice, la somme de 10 000 francs au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Le tribunal : Mme Levon-Guerin (Président) ; Mme Le Stat (Greffier).
Avocats :Maitres Andrieu / Challine.
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