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Jurisprudence : Responsabilité

jeudi 16 octobre 2008
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Tribunal de grande instance d’Evry 3ème chambre Jugement du 25 avril 2008

V. De A. / Microsoft France

contenus illicites - forum - hébergeur - responsabilité - suppression de données

FAITS ET PROCEDURE

M. De A. a créé en 2001 un forum de discussion “Infosbis” classé dans la rubrique “Actualité, politique” de la plate-forme France de MSN, service gratuit d’hébergement de forums de discussion proposé par le portail internet MSN de Microsoft France, à l’adresse “http://groups.msn.com/lnfosBis“, forum dont il était l’animateur à titre bénévole et non professionnel.

En juin 2003, un utilisateur de ce service signalait par courriel à MSN l’existence de messages offensants postés sur le forum Infosbis, et le 20 juillet 2003, et Microsoft France prenait la décision de désactiver ce forum, pour non respect des clauses de conduite et des conditions d’utilisation du site web MSN, qui prohibent notamment les messages immodérés tels que ceux à caractère raciste ou insultant à l’égard de toutes croyances religieuses ou ethniques.

N’obtenant pas de Microsoft France la remise en ligne du site Infosbis dans l’intégralité de son contenu, et considérant que Microsoft France a commis un abus de droit en supprimant l’ensemble du forum pour quelques messages litigieux, M. De A. a assigné ce groupe par acte d’huissier en date du 27 mars 2006, sur les fondements des articles 1131 et suivants du Code Civil aux fins de voir condamner Microsoft France, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire
– à remettre en ligne le forum expurgé de ses messages immodérés sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement
– à payer à M. De A. la somme de 30 000 € en réparation de l’ensemble de ses préjudices moraux et matériels
– à publier sur la page d’accueil de son site MSN (http://fr.msn.com/) la décision à intervenir ainsi que sur l’ensemble des sites MSN diffusés en français pendant deux semaines à compter de la signification du jugement
– à payer à M. De A. la somme de 5000 € , réévaluée à 12 000 € dans les dernières écritures sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dans son acte introductif d’instance, et par dernières écritures signifiées le 24 octobre 2007 dont il est fait visa conformément aux dispositions de l’article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, M. De A. conclut au rejet de la demande reconventionnelle du défendeur fondée sur l’article 32-1 du Nouveau Code de Procédure Civile et soulève divers moyens à l’appui de ses demandes, résumés ci-dessous

– l’inopposabilité au demandeur des messages produits par Microsoft à titre de preuve

Il fait valoir que les copies des courriers électroniques, rédigés et envoyés à Microsoft par un délateur anonyme, alors qu’aucune copie d’écran n’est faite, qu’aucune adresse URL n’est fournie, et que les messages litigieux ont été volontairement détruits par la défenderesse, sont dénuées de toute force probante, voire de toute crédibilité, pour appuyer la véracité des faits allégués par Microsoft, que les exigences strictes et circonscrites en matière de preuve d’écrit sur internet, exigées tant par la jurisprudence que par la doctrine ne sont pas respectées, et qu’il ne détient plus de copie des messages originaux pouvant lui permettre de vérifier la réalité de ces échanges. Dès lors, le tribunal ne pourra que rejeter les preuves fournies et constatera l’absence de fondement de l’arrêt du service. Il fait également valoir que le fait de ne pas avoir contesté dès l’assignation la véracité des preuves fournies par Microsoft ne signifie pas de sa part un accord implicite concernant la réalité des messages litigieux.

– l’inopposabilité au demandeur des conditions d’utilisation du service et des mentions d’avertissement du site MSN d’avril 2003, et en tout cas le non respect par Microsoft France de ses engagements contractuels

Il indique que pour être opposables aux consommateurs, les conditions générales doivent avoir été présentées et acceptées préalablement, et que Microsoft, sur qui pèse la charge de cette preuve, ne procède que par affirmations en ne fournissant aucune preuve d’acceptation par le demandeur des conditions d’utilisation

Il indique également que la clause (Microsoft se réserve le droit de vous retirer à tout moment l’accès à l’un ou à I‘ensemble de ses services de communication, sans notification et pour quelque motif que ce soit) permettant l’arrêt et la suppression définitive de l’ensemble du forum de discussion est purement potestative, puisque Microsoft fait dépendre l’exécution de la convention (mise à disposition d‘un service de forum de discussion) de sa seule et unique volonté, et de son seul pouvoir discrétionnaire, que cette clause est contraire à l’article 1174 du Code Civil, donc nulle. Il précise que l’argument de la gratuité du service est inopérant et erroné, et que Microsoft est débiteur d’une obligation relative au service proposé et qu’en supprimant l’ensemble du forum de discussion, Microsoft France ne respecte pas ses propres engagements.

Il prétend en outre que la clause qui exclut par avance toute responsabilité de Microsoft en matière de conservation des données, est nulle en application de l’article 1131 du Code Civil, en ce que le débiteur de l’obligation se soustrait à une obligation essentielle du service proposé, la conservation des conversations dans la durée étant un élément essentiel du fonctionnement des forums.

– non respect du principe de proportionnalité nécessaire pour limiter l’exercice de la liberté d’expression des utilisateurs du forum

II fait valoir que les sujets abordés sur le forum étaient politiques et que la liberté d’expression des utilisateurs de ce forum est une liberté fondamentale, ainsi que celle des lecteurs, liberté protégée par l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, et qu’à ce titre Microsoft devait respecter le principe de proportionnalité dans les mesures prises, en ne supprimant que les messages litigieux.

II ajoute que contrairement à ce qui est affirmé, Microsoft France avait la possibilité de faire le tri entre les messages, et justifie ses propos en versant la pièce 16 aux termes de laquelle MSN contacte un plaignant pour lui demander l’URL de chacun des messages dénoncés afin que leur équipe spécialisée identifient ces messages et y donnent une suite.

Il fait encore valoir encore que Microsoft France aurait pu envisager de prendre contact avec lui afin de le mettre en garde sur ces propos immodérés, et qu’en tout cas il n’est pas resté passif en envoyant des courriers électroniques aux auteurs de ces messages.

– l’absence de responsabilité de Microsoft France au regard de la loi du 1er août 2000

Il précise que le droit positif à l’époque des faits (article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 modifié par la loi du 1er août 2000) était clairement fixé dans un sens favorable à I‘hébergeur de forums de discussion, et que les décisions de justice produites en défense ne sont pas pertinentes dès lors qu’elles portent uniquement sur le maintien de la suspension de messages litigieux, et qu’en tout état de cause, ces décisions démontrent qu’il est tenu compte du respect de la proportionnalité dans les mesures ordonnées.

– l’abus de droit de la part de Microsoft lui ayant causé un préjudice matériel et moral

Il indique qu’en tant qu’animateur du forum, il en est un des éléments centraux, et que la suppression du forum lui a fait perdre une activité à laquelle il consacrait depuis nombre d’années du temps et de l’énergie, que les données ont été supprimées, et que la mesure prise par Microsoft a laissé croire que l’ensemble du site et son responsable encourageait et prônait la xénophobie et le racisme.

Microsoft France a constitué avocat, et par dernières écritures signifiées le 3 septembre 2007 dont il est fait visa conformément aux dispositions de l’article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, s’oppose aux demandes et sollicitent reconventionnellement la condamnation de M. De A. à lui payer la somme de 30 000 € pour procédure abusive et celle de 12 000€ sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Cette société fait valoir que le portail internet MSN de Microsoft propose gratuitement un service d’hébergement de forums de discussions portant sur divers thèmes. En 2001, M. De A. a créé un groupe de discussion classé dans la rubrique “actualité, politique” sur lequel il ne publiait aucun écrit mais dont il était animateur à titre bénévole et non professionnel. Le 30 juin 2003, un utilisateur de ce service lui signalait l’existence de messages offensants postés sur le forum Infosbis, et constatant qu’il ne s’agissait pas de messages isolés, et au regard de l’ampleur et de la virulence des contenus dans un contexte national de portant sur les signes religieux (notamment le port du voile à l’école) Microsoft a pris la décision de rendre ce forum inaccessible le 20 juillet 2003, en indiquant que M. De A., modérateur et animateur du forum, n’avait pas réagi en appelant les utilisateurs à plus de modération, ni à fortiori supprimé ces messages, alors qu’il prétend dans ses écritures passer de 3 à 5 heures par jour à animer ce site.

Répondant à la demande de M. De A. de rétablir le forum litigieux, Microsoft répondait qu’en considération des nombreux propos immodérés échangés sur ce forum au cours du mois M. De A. en juin 2003, en violation des conditions d’utilisation des services MSN et du code de conduite, il ne sera pas donné suite à sa requête.

Au soutien de sa demande de rejet des prétentions du demandeur, Microsoft fait valoir les moyens résumés ci-dessous.

– sur la prétendue illégalité des clauses du code de conduite et des conditions générales

La demande d’annulation de ces clauses est sans objet, dans la mesure où elles ont été remplacées par d’autres conditions d’utilisation et ne sont plus en vigueur ce jour.

Subsidiairement, Microsoft fait valoir qu’elle s’est réservé la possibilité de mettre fin au service dès lors que nul ne peut imposer à un prestataire de fournir un service gratuit de manière perpétuelle alors même que les conditions d’utilisation n’ont pas été respectées, ce qui met le prestataire dans une situation à risque élevée, et que cette clause n’est pas potestative. Au sens de l’article 1174 du Code Civil. En tout état de cause, la fermeture du forum a été motivée par la présence de messages au contenu xénophobe et insultant.

Microsoft rappelle que les services de forums constituent un service proposé par MSN à titre gratuit, n’offrant qu’un service de base, sans garantie de sauvegarde des données, ce que rappellent les conditions d’utilisation en invitant l’utilisateur à procéder lui-même à ces sauvegardes, et que l’exclusion de responsabilité telles qu’elle y est figure, vise tous les cas de suppression, qu’elle soit volontaire ou non. Aucune nullité n’est donc encourue.

– la suppression de la totalité du service est une mesure parfaitement justifiée et proportionnée en l’espèce

Microsoft souligne qu’après avoir longtemps reconnu l’existence sur le forum de propos xénophobes et antisémites, M. De A. conteste tardivement, dans ses écritures du 14 février 2007, l’intégrité et la véracité des messages diffusés, prenant sans doute conscience de la gravité de ces propos, alors qu’il a indiqué être intervenu auprès des auteurs de ces messages pour leur demander de modérer leurs propos, admettant ainsi l’existence ce des messages, et qu’il convient donc de rejeter ce moyen sur la preuve alléguée comme non probante.

Dans les conditions d’utilisation et le code de conduite, en vigueur à l’époque des faits, il est notamment stipulé “à titre d’exemple, et sans que cette énumération soit limitative, vous vous engagez, en utilisant un service de communication à ne pas : …Publier, afficher, télécharger vers un serveur, distribuer ou disséminer tout sujet, nom, élément ou information inapproprié, insultant à l’égard des croyances religieuses ou éthiques, diffamatoire, obscène, indécent ou illicite”. Ces conditions d’utilisation prohibent par ailleurs la diffusion d’élément ou d’information incitant à la discrimination, la haine ou la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une race, une religion ou une nation déterminée, ou insultant les victimes de crimes contre l’humanité.

Microsoft fait encore valoir que techniquement, il n’est pas possible de bénéficier des services MSN sans avoir au préalable positivement accepté les conditions d’utilisation, en cliquant sur un lien, et d’utiliser spécifiquement un forum sans avoir préalablement acquiescé au code de bonne conduite.

La suppression de la totalité du forum, et non pas uniquement les messages litigieux, est expressément prévue par les conditions d’utilisation de MSN et le code de bonne conduite, en cas de violation de ces conditions et clause, et ces clauses ne contiennent aucune ambiguïté contrairement à ce qu’affirme le demandeur. Le terme « vous » (personne visée dans les conditions d’utilisation et de bonne conduite) vise bien M. De A., utilisateur des services MSN ayant adhéré aux conditions d’utilisation, et créateur du site litigieux.

Microsoft précise que compte-tenu du nombre extrêmement élevé des messages véhiculés sur le site MSN, et sur infosbis en particulier (100 000 messages selon M. De A.), il lui était matériellement impossible de consulter et vérifier la légalité du contenu de chaque message du forum, et de pallier la carence du demandeur qui se devait de contrôler le contenu de son forum, et ce tri aurait été inefficace, les auteurs de ces messages pouvant réitérer leurs discours.

– les risques encourus par Microsoft en raison de la nature des propos.

Microsoft fait valoir I’actualité du printemps 2003 sur le problème de la laïcité, en indiquant que dans ce contexte particulièrement sensible, les propos tenus sur le forum infosbis et portés à sa connaissance, critiquant violemment les religions musulmanes et juives étaient extrêmement provocateurs, relevant de la diffamation et de l’injure publique, et pouvant conduire à une escalade d’opinions similaires, ce qui était totalement étranger à la philosophie des forums de discussion hébergés par MSN. Il rappelle qu’avant la loi de du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, les tribunaux français exigeaient de la part de l’hébergeur la suppression de l’accès aux contenus illicites qu’ils hébergeaient, et en cas de maintien de tels sites ou forum au contenu illicite, ou de remise en ligne du forum expurgé sans aucune garantie ni engagements de la part du responsable du forum de discussion, la responsabilité de l’hébergeur se trouvait engagée. De plus, la responsabilité de l’hébergeur pouvait également être retenue en tant qu’éditeur de contenu sur le fondement de la responsabilité de droit commun ou du droit de la presse.

– M. De A. est irrecevable et mal fondé à invoquer une prétendue violation de sa liberté d’expression

Dans la mesure où ce dernier n’est pas l’auteur des messages litigieux, ou de ceux véhiculés sur le forum, mais animateur de ce forum, il ne peut se plaindre d’une atteinte à sa liberté d’expression, et n’est pas habilité à agir au nom des auteurs toujours inconnus à ce jour, si tant est qu’il y ait eu violation de la liberté d’expression.

– sur l’absence de préjudice

M. De A. invoque, sans le justifier, l’existence d’un préjudice moral et matériel. Or, il ne justifie pas d’un travail de création, de modération, d’organisation ou d’une quelconque valeur ajoutée dans le cadre de ce forum.

Les messages postés sur ce forum n’ont aucune valeur commerciale et ne peuvent fonder un quelconque préjudice financier.

– sur l’inapplicabilité de la demande de remise en ligne sous astreinte

Microsoft indique qu’elle est dans l’impossibilité matérielle de remettre en ligne ce forum, ne disposant plus des données, eu égard au temps écoulé depuis la mise hors de ligne du forum. Or, à l’impossible, nul n’est tenu, de sorte qu’une exécution forcée ne peut pas être ordonnée.

– sur la procédure abusive intentée par M. De A.

M. De A. a toujours su que le service d’hébergement par MSN du forum en question ne comportait pas de sauvegarde, ni d’archivage du contenu des échanges entre les membres, et c’est donc avec la plus parfaite mauvaise foi que ce dernier se plaint aujourd’hui de I‘absence du contenu du forum, et réclame le rétablissement d’un contenu disparu au demeurant de valeur contestable, qu’il a lui-même contribué à faire disparaître.

Microsoft France sollicite 30 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, et 12 000 € sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire

DISCUSSION

Sur les relations contractuelles entre M. De A. et Microsoft

Il est constant qu’en 2001, M. De A. a créé un forum de discussion intitulé “infosbis” sur le site MSN mis gratuitement à disposition par Microsoft à ses utilisateurs, sous réserves d’accepter sans réserves les conditions générales d’utilisation MSN en vigueur et le code de bonne conduite prohibant notamment les messages et contenus insultant à I’égard des croyances religieuses ou éthiques, diffamatoires, obscènes, indécents ou illicites.

Il n’est pas sérieusement contestable qu’en adhérant au service MSN de Microsoft, M. De A. a obligatoirement et nécessairement approuvé sans réserves les conditions d’utilisation en vigueur à l’époque, ainsi que le code de bonne conduite, fixant les obligations respectives de chaque partie.

S’agissant d’un contrat d’adhésion, les conditions ne pouvaient qu’être dictées par celui qui offrait le service, par ailleurs gratuit pour l’utilisateur, lequel avait librement le choix, soit d’adhérer en souscrivant au contrat, soit de ne pas y adhérer s’il n’entendait pas se soumettre aux conditions.

Parmi ces conditions d’utilisation, M. De A. fait valoir l’existence de deux clauses particulières qui seraient nulles et donc non opposables, l’une permettant à Microsoft de supprimer unilatéralement l’accès au site à son bon vouloir, en raison de son caractère potestatif, et l’autre permettant à Microsoft de s’exonérer de toute responsabilité en cas de perte, suppression ou altération des documents publiés via un service de documentation, en raison de l’absence de cause de l’obligation de
Microsoft.

S’agissant de la clause d’exonération de responsabilité en cas de perte du contenu des documents publiés via le service MSN, il ressort des stipulations contractuelles de Microsoft que “les services de communication MSN ne constituent pas une source principale de stockage de données, et qu’il appartient au créateur du forum de créer des fichiers de sauvegarde des données publiées via le service de communication”, et qu’ainsi M. De A. était averti que les services gratuits proposés ne comprenaient pas un stockage permanent et sécurisé des données.

L’obligation de Microsoft se cantonnait à permettre des échanges sur le forum en définissant les limites quant à l’utilisation d’un service MSN, y compris notamment le nombre maximal de jours pendant lesquels les messages électroniques seront conservés, et l’espace de stockage maximal mis à disposition, éléments dont M. De A. avait connaissance. Dès lors, la clause d’exonération de responsabilité en cas de perte des données stockées, ne vide en aucun cas la cause de l’obligation de Microsoft, et est opposable à M. De A.

S’agissant de la clause permettant à Microsoft de supprimer unilatéralement l’accès au site, l’obligation de Microsoft n’est soumise à aucune condition potestative au sens de l’article 1174 du Code Civil, de sorte que la nullité de cette clause n’est pas encourue.

Elle doit au contraire s’analyser en une clause de résiliation permettant à Microsoft de mettre fin à ses obligations, ce qu’elle a fait le 20 juillet 2003 en décidant de priver l’accès à ce site d’une manière unilatérale.

Sur la résiliation du contrat de fourniture d’accès du site MSN par Microsoft

Clause résolutoire

Microsoft invoque le non respect par M. De A. des conditions d’utilisation du service, en lui reprochant d’avoir laisser sur son forum des propos racistes, discriminatoires, injurieux, et diffamatoires, en violation des clauses contractuelles aux termes desquelles l’utilisateur s’engage notamment à ne pas publier, afficher ou télécharger vers un serveur, distribuer ou disséminer tout sujet, nom, élément ou information inappropriés, insultant à l’égard des croyances religieuses ou éthiques, diffamatoires, obscène, indécent ou illicite.

Pour preuve de ce non respect du code de bonne conduite, Microsoft communique aux débats des copies d’écran que lui a communiqués un informateur anonyme, portant des messages électroniques qui auraient été postés courant juin 2003 sur le forum infosbis, messages dont la teneur est particulièrement raciste et insultante envers les musulmans et les israélites.

Ces documents tels quels ne peuvent suffire à démontrer que les propos qui y sont relatés ont effectivement été postés sur le forum litigieux, s’agissant de simples copies d’écran sans aucune indication ou référence permettant de vérifier la véracité de leurs contenus, alors que M. De A. n’a aucune possibilité matérielle de les contester, tous les messages ayant figurés sur le forum étant détruits.

Pour s’opposer au moyen de l’absence de force probante des documents communiqués, Microsoft fait valoir, outre que ce moyen est tardif, que M. De A. les a toujours considérés comme établis dans ses écritures, en reconnaissant que des messages immodérés ont pu être tenu sur son forum, mais qu’il n’en était pas responsable.

Ainsi, Microsoft invoque l’existence d’un aveu judiciaire au sens de l’article 1356 du Code Civil.

Or, il résulte d’une jurisprudence constante que l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Force est de constater que M. De A. n’a jamais fait mention de la teneur des messages, dont il n’avait d’ailleurs pas souvenir, se contentant de parler de messages immodérés, que ces termes ne suffisent pas à caractériser le caractère non équivoque des faits reconnus par M. De A., de sorte qu’il y a lieu de constater que Microsoft n’apporte aucun élément probant pour établir que les messages litigieux étaient interdits et contraires aux conditions d’utilisation des services MSN.

Dés lors, il n’y a pas, lieu d’analyser la résiliation du contrat par Microsoft comme découlant de l’application de la clause résolutoire prévue en cas de manquement du co-contractant à l’une de ses obligations.

Résiliation unilatérale

Il est constant qu’en matière contractuelle, et notamment en cas de convention à durée indéterminée, chaque partie peut convenir de résilier unilatéralement le contrat. Ce droit, même s’il ne figure pas dans le contrat, a été reconnu par le conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 1999 aux termes de laquelle il a été jugé que “l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants”. Pour autant, cette résiliation sans cause précise, doit naturellement intervenir dans le respect des règles de droit.

Le paragraphe “résiliation/restriction d’accès” page 6 des conditions d’utilisation prévoit par ailleurs cette résiliation unilatérale, “dans foute la mesure permise par le droit applicable”.

En l’espèce, il est constant que si Microsoft pouvait à tout moment résilier la convention passée avec M. De A., il n’en demeure pas moins qu’il se devait d’avertir préalablement ce dernier, en lui laissant un préavis d’une durée raisonnable lui permettant éventuellement de sauvegarder les données qu’il entendait conserver.

Or, force est de constater que Microsoft a cessé du jour au lendemain, et sans avertir M. De A., de supprimer l’accès au forum, commettant ainsi un abus de son droit de résiliation, donnant droit à l’octroi de dommages et intérêts en cas de préjudice subi.

Sur les demandes indemnitaires de M. De A.

Il est constant que le préjudice subi par M. De A. n’est constitué que par la perte d’une chance s’agissant de la conservation des données figurant sur son forum de discussion, et il conviendra de réparer ce préjudice par l’allocation d’une somme forfaitaire de 1000 €.

La demande de M. De A. visant à voir ordonner le rétablissement du site avec les messages y figurant, même expurgés des messages immodérés, s’analysant en exécution forcée du contrat, est irrecevable, le contrat n’existant plus pour avoir été résilié, et nul ne pouvant obliger un tiers à contracter.

S’agissant de la demande de publication, il ne peut y être fait droit, M. De A. ne fondant pas juridiquement cette demande, alors que la publication d’une décision judiciaire n’est prévue que dans des cas spécialement prévus par la loi.

L’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée, eu égard à l’ancienneté du litige.

Il est inéquitable en l’espèce, de laisser à la charge de M. De A. ses frais non compris dans les dépens, et il lui sera alloué à ce titre la somme de 4000 €.

DECISION

Vu les articles 1131 et suivants du Code Civil,

Vu le contrat d’adhésion souscrit, à titre gratuit, en 2001 par M. De A. auprès des services MSN de Microsoft pour la création d’un forum de discussion infosbis,

Vu le code de conduite et les conditions générales d’utilisation des services MSN en vigueur au moment des faits, et notamment la clause aux termes de laquelle Microsoft se réserve le droit de retirer à tout moment l’accès à l’un ou l’ensemble de ses services de communication, sans notification, pour quelque motif que ce soit,

. Dit qu’en adhérant au service MSN de Microsoft, M. De A. a préalablement et nécessairement accepté sans réserves ces clauses, de sorte qu’elles lui sont opposables ;

. Dit que les dispositions de l’article 1174 du Code Civil ne sont pas applicables, la clause n’étant pas soumise à une condition au sens de ce texte ;

. Dit que la clause litigieuse doit s’analyser en un droit de résiliation unilatérale, sans motif, prévu en page 6 des conditions d’utilisation ;

. Dit que s’agissant d’un contrat à durée indéterminée, cette clause de résiliation unilatérale est licite ;

. Vu le paragraphe “résiliation/restriction d’accès” page 6 des conditions d’utilisation aux termes duquel il est indiqué que la faculté de résiliation unilatérale doit s’appliquer dans toute la mesure permise par le droit applicable ;

. Constate que les copies d’écran communiquées par Microsoft n’ont pas de valeur probante ;

. En conséquence, dit que Microsoft n’apporte pas la preuve que M. De A. n’a pas respecté les conditions d’utilisation des services MSN et le code de conduite ;

. Dit qu’en appliquant la clause de résiliation unilatérale sans préavis, ni avertissement, Microsoft a eu un comportement fautif ;

. Constate que la résiliation fautive ne peut donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts et que la demande de M. De A. en rétablissement du site, s’analysant en une demande d’exécution forcée de ses obligations par Microsoft, n’est pas fondée, le contrat étant résilié ;

. Dit que le préjudice subi par M. De A. par le comportement fautif de Microsoft se résume à la perte d’une chance de pouvoir sauvegarder les données figurant sur son site de discussion, Microsoft n’ayant aucune obligation de conservation des données ;

. Condamne Microsoft France à payer à M. De A. la somme de 1000 € en réparation de son préjudice ;

. Rejette la demande de publication de la présente décision comme non fondée en droit ;

. Rejette le surplus des demandes ;

. Ordonne l’exécution provisoire ;

. Condamne Microsoft France à payer à M. De A. la somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

. Condamne Microsoft France aux entiers dépens de la procédure.

Le tribunal : Mme Odile Capodicasa (président), Mme Corinne Lorente et Véronique Pite (assesseurs)

Avocats : Me SCP Horny-Mongin-Servillat, Me Thibault Verbiest, Me Vincent Damoiseau, Me De Gaulle

Notre présentation de la décision

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.