Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 25 juillet 2014
Paul-Marie C. / 20 minutes France, Olivier B.
article - assignation - demande d'insertion - droit de réponse - lcen - loi 1881 - nullité - presse - refus - site internet
FAITS ET PROCÉDURE
Vu l’autorisation d’assigner en référé à heure indiquée donnée par le magistrat délégué par le président de ce tribunal en date du 3 juin 2014 ;
Vu les assignations subséquentes délivrées le jour même à Olivier B., ès qualité de directeur de publication, et à la société 20 Minutes France, éditrice du site <20minutes.fr>, par Paul-Marie C., au moyen desquelles il est exposé :
– qu’a été publié le 4 mars 2014, à l’adresse
– que, cité expressément dans l’article, il a entendu utiliser le droit de réponse prévu à son bénéfice par la loi et a demandé, par courrier recommandé envoyé le 28 mai 2014, l’insertion du texte suivant, par lequel il entendait préciser sa pensée et la portée à donner à ses propos :
« Je n’ai jamais préconisé la construction de camps de Roms, d’autant moins qu’ils existent déjà, sous la forme très officielle de Centre de Rétention Administrative (CRA). J’ai au contraire déploré cette solution, seul et regrettable expédient dès lors qu’ont été supprimées les frontières : telle est la véritable source du problème et mon texte avait pour but de rappeler à mes électeurs que, député européen, je me suis opposé à l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’UE. Voulant, par ailleurs, attirer l’attention sur l’exaspération de nos concitoyens, j’ai cité une voisine parlant de “lèpre” mais n’ai nullement repris ce mot à mon compte. Si j’ai formulé un regret, ce n’est pas d’avoir écrit ce que j’ai écrit, mais que mes propos aient été honteusement déformés. Enfin, je précise que je ne suis pas membre FN, étant président d’un parti, le SIEL, allié à ce dernier au sein du RBM. »,
– qu’il n’a pas été fait droit à sa demande par Olivier B., qui « ne prenait même pas le soin de répondre » en dépit de la légalité de sa démarche, ce qui lui cause un trouble manifestement illicite, de sorte qu’il est demandé au juge des référés, au visa des articles 809 du code de procédure civile et 13 de la loi du 29 juillet 1881 :
– de condamner in solidum les défendeurs à l’insertion forcée, sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter du troisième jour suivant le prononcé de l’ordonnance à intervenir, du droit de réponse tel que sollicité dans le courrier du 28 mai 2014,
– de les condamner in solidum à lui payer 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;
Vu les écritures d’Olivier B. et de la société 20 Minutes France, déposées à l’audience du 2 juillet 2014, qui font valoir : qu’au jour de l’assignation, le délai de trois jours prévu pour l’insertion de la réponse n’était pas écoulé, qu’il existait, sous l’article, un espace de contribution ouvert aux internautes qui permettait au demandeur de publier lui-même son droit de réponse, enfin, que la demande d’exercice du droit de réponse était irrégulière faute de la mention des passages contestés, de sorte qu’il est demandé, au visa des articles 809 du code de procédure civile, 13 de la loi du 29 juillet 1881, 6-IV de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 et du décret n° 2007-1527 du 24 octobre 2007 :
– de constater l’absence de trouble manifestement illicite faute pour la demande d’exercice du droit de réponse d’avoir respecté les prescriptions légales,
– de rejeter en conséquence l’ensemble des demandes, fins et prétentions du demandeur,
– de le condamner à leur payer la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;
Vu la dénonciation de cet acte au ministère public en date du 19 juin 2014 ;
Vu les conclusions en réplique de Paul-Marie C., déposées à l’audience du 2 juillet 2014, qui fait valoir : que le délai de trois jours prévu pour l’insertion du droit de réponse était écoulé au jour de l’assignation, la demande ayant été reçue par le défendeur le 30 mai 2014, et que l’argument est en tout état de cause inopérant dans la mesure où, au jour où le juge statue, aucune réponse n’a été insérée, que l’existence d’un espace de contribution ouvert au public sous l’article litigieux ne permet pas l’application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1er du décret du 24 octobre 2007 en raison des incertitudes sur la « nature du service de communication au public en ligne » visée par ce texte et faute d’un parallélisme des formes entre le message litigieux et sa réponse, qu’une interprétation contraire violerait la loi et la hiérarchie des normes, les exceptions étant d’interprétation stricte, qu’enfin la demande d’exercice du droit de réponse était régulière pour avoir répondu à l’ensemble du court article litigieux et en toute corrélation avec son contenu, les demandes initiales étant en conséquence maintenues ;
Entendues, à cette même audience, les observations orales du conseil des défendeurs qui, s’associant à une demande d’un autre défendeur également assigné dans une procédure distincte, sollicite in limine litis la nullité de l’assignation sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, faute pour celle-ci d’avoir cité le texte répressif applicable à la poursuite, en l’espèce l’article 6-IV de la loi du 21 juin 2004 et entendues également les observations du conseil du demandeur, reprenant les développements de ses écritures ;
À l’issue de l’audience, il a été indiqué aux parties que la décision serait rendue le 25 juillet 2014 à quatorze heures, par mise à disposition au greffe ;
DISCUSSION
Il ne peut qu’être constaté que l’assignation est exclusivement fondée, outre sur l’article 809 du code de procédure civile, sur l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881.
Il en ressort également sans ambiguïté que la demande est motivée par le défaut de publication d’une réponse à la suite d’un article paru sur un site internet.
Or, le refus d’insertion d’une réponse dans un service de communication au public en ligne qui formerait le trouble manifestement illicite est prévu par l’article 6 IV de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004.
Outre le renvoi partiel qu’opère cet article à l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 et au décret du 24 octobre 2007, son article 6 V prévoit également que sont applicables aux services de communication en ligne les dispositions des chapitres IV et V de la loi sur le presse, ce dernier chapitre, intitulé “des poursuites et de la répression” comprenant notamment les articles 50 et 53 de celle-ci.
Il résulte de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction civile y compris en référé selon une jurisprudence constante, que l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable, ce dernier s’entendant du texte répressif.
L’acte introductif d’instance a ainsi pour rôle de fixer définitivement l’objet de la demande afin que le prévenu puisse connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont il aura exclusivement à répondre, l’objet exact de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’il peut y opposer.
Ces formalités prescrites par ce texte sont substantielles aux droits de la défense et leur inobservation entraîne la nullité à la fois de la citation et de l’action elle-même.
Force est de constater que la conjonction d’une action en insertion d’une réponse sur un site de communication au public en ligne et de l’absence de mention du texte répressif -figurant exclusivement à l’article 6 IV alinéa 3 de la loi du 21 juin 2004- ne satisfait pas aux prescriptions rappelées ci-dessus, de sorte qu’il y a lieu de faire droit au moyen de nullité soulevé.
L’équité commande de ne pas prononcer de condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile.
DÉCISION
Le juge des référés, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
– Déclare nulle l’assignation et l’action subséquente ;
– Dit n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamne Paul-Marie C. aux dépens.
Le tribunal : M. Marc Bailly (président)
Avocats : Me Vincent De La Morandière, Me Anne Cousin
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Anne Cousin est également intervenu(e) dans les 15 affaires suivante :
En complément
Maître Vincent De La Morandière est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Marc Bailly est également intervenu(e) dans les 15 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.