Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Dunkerque Jugement du 20 juillet 2012
Meetools / M. H.
accès - blocage - concurrence déloyale - copie - nom de domaine - parasitisme - reproduction - site internet - transfert - URL
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte d’huissier du 21 février 2012, la société Meetools a fait assigner Monsieur H. devant le tribunal de grande instance de Dunkerque afin de faire reconnaître des actes de parasitisme et de concurrence déloyale commises par lui et d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire à :
– sa condamnation lui transférer à ses frais les noms de domaine www.goloa.com et www.repclic.com, sous astreinte de 250 € par jour de retard,
– une interdiction d’exploiter un site identique ou similaire aux sites www.goloa.com et www.repclic.com sous astreinte de 250 € par jour de retard,
– une interdiction de se livrer à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice dé Meetools, sous astreinte de 250 € par jour de retard,
– la condamnation de Monsieur H. à procéder à son inscription en qualité de commerçant au Registre du Commerce et des Sociétés,
– sa condamnation à supprimer l’ensemble des titres des questions repris du site www.experts-univers.com, sous astreinte de 250 € par jour de retard,
– sa condamnation à lui payer la somme de 145 635 € de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation, sous astreinte de 250 € par jour de retard,
– la publication d’un communiqué sur la page d’accueil de www.repclic.com, à titre de dommages et intérêts complémentaire aux frais de Monsieur H., pendant un mois et sous astreinte de 250 € par jour de retard,
– la capitalisation annuelle des intérêts selon l’article 1154 du code civil,
– la fixation du point de départ des astreintes à 48 heures à compter de la signification du jugement,
– la production d’intérêt au taux légal des astreintes,
– la somme de 10 000 € au litre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l’instance dont distraction au profit de son avocat.
A l’appui de ses demandes, elle expose qu’elle exploite un site d’entraide communautaire sous forme de questions / réponse et qu’elle présente le double avantage d’avoir un gros volume de questions traitées et d’apparaître en très bon positionnement sur les moteurs de recherche tels que Google. Elle fait valoir qu’elle a l’un des sites les plus visités en France et qu’elle vit des recettes publicitaires, le service étant gratuit pour les utilisateurs qui posent des questions.
Elle déclare que Monsieur H. a déposé le nom de domaine goloa.com et loué auprès d’OVH un serveur pour héberger son site.
Elle affirme que les 09 et 10 novembre 2010, elle a connu un nombre anormal de connexions et qu’à compter de février 2011 elle a remarqué et fait constater que le site concurrent www.goloa.com reprenait servilement les titres des questions et les URL de son site.
Elle expose que Monsieur H. a aspiré ses données à hauteur de 250 000 pages pour les introduire sur son site ce qui lui a permis d’obtenir un positionnement équivalent sur le moteur de recherche, provoquant un détournement des internautes.
Elle indique avoir mis Monsieur H. en demeure de cesser mais en vain puis obtenu sur requête du président du tribunal de commerce de Paris le 08 mars 2011 une ordonnance lui permettant d’obtenir d’OVH la suppression de l’accès au site www.goloa.com. Elle fait valoir que l’hébergeur a exécuté l’ordonnance mais que Monsieur H. a immédiatement transféré le nom de domaine goloa.com vers des prestataires américains sans toutefois faire mentionner son identité et re-dirigé de manière non apparente l’intégralité du site sur un nouveau site www.repclic.com.
Elle souligne que le site repclic est identique au site goloa et que les deux noms de domaines sont enregistrés auprès du même prestataire américain.
Elle fait valoir que les tribunaux français sont compétents au sens de l’article 46 du code de procédure civile en raison de l’orientation du site vers le public français.
Elle avance qu’au sens de l’article 1382 du code civil Monsieur H. a tiré indûment profit de son positionnement, de ses efforts et de ses investissements en s’appropriant son savoir-faire sans autorisation et sans frais.
Elle ajoute que les deux sites www.goloa.com et www.repclic.com sont des concurrents ; qu’elle a elle-même mis en place une technologie et un savoir faire originaux lui permettant d’avoir un très bon positionnement qui a contribué à son succès ; que la copie servile systématique et répétitive des questions et des URL a créé un risque de confusion dans l’esprit du public.
Elle argue encore des multiples manœuvres commises par Monsieur H. pour se dissimuler et contourner les effets de l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris constitutives d’une faute.
Quant à ses préjudices, elle réclame les sommes de 32 175 € au titre de la perte d’une partie des investissements engagés par elle, 106 525 € au titre du détournement des internautes utilisateurs ou utilisateurs potentiels, 6935 € au titre du préjudice moral lié au trouble commercial.
Monsieur H. n’a pas constitué avocat.
DISCUSSION
Sur la qualification du jugement
L’assignation ayant été délivrée selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile mais, la décision étant susceptible d’appel, il sera statué par jugement réputé contradictoire, conformément à l’article 473 du code de procédure civile.
Conformément à l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond ; le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable, et bien fondée.
Sur le parasitisme et la concurrence déloyale
En application de l’article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Monsieur Jérôme S. puis la société Meetools dont il est le gérant et qui est immatriculée depuis 2009 exploite le site accessible à l’adresse experts.univers.com
Elle produit une impression d’écran de certaines questions ainsi que de requêtes à un célèbre moteur de recherches montrant que ce site arrive dans les toutes premières positions sur certaines questions.
Elle présente le constat dressé par la SCP Saragoussi Chavaudret, huissiers de justice qui montre que le jour du constat, 07 février 2011, plusieurs pages du site goloa étaient strictement identiques à celles d’experts-univers et aboutissaient à fournir à l’utilisateur des informations sous les mêmes intitulés et d’un contenu identique.
En exécution de l’ordonnance sur requête délivrée par le président du tribunal de commerce de Paris le 08 mars 2011, OVH.com indique que le nom de domaine goloa.com a été créé le 12 octobre 2007 et renouvelé par Monsieur H.
Une autre ordonnance sure requête a été délivrée pour ordonner à OVH de supprimer le site goloa.com le 08 mars 2011.
La société Meetools présente un autre constat dressé par le même huissier le 18 mars 2011, soit immédiatement après l’exécution de la seconde ordonnance, qui a constaté la redirection automatique des questions posés à goloa vers le site repclic.
Indom.com indique que le nom de domaine repclic.com a été créé le 16 mars 2008 sans précision effective sur les personnes pouvant être contactées, seule une adresse de boite postale américaine étant mentionnée.
II résulte de l’ensemble de ces circonstances que Monsieur H. a, sans autorisation, copié le fruit du travail de la société Meetools, ce qui est fautif. Au surplus, lorsque le site goloa a été rendu inaccessible il a immédiatement fait rediriger l’intégralité du contenu vers le site repclic et rendu plus difficile son identification en ne communiquant aucune coordonnée réelle. II a donc persisté dans ses agissements fautifs en contournant les effets de l’ordonnance.
Sur le transfert des noms de domaine www.goloa.com et www.repclic.com
Le moyen du parasitisme est l’utilisation des deux noms de domaines. Le seul moyen de mettre fin aux agissements fautifs est de condamner Monsieur H. a transférer à la société Meetools les deux noms de domaine sous astreinte selon les modalités précisées au dispositif étant d’ores et déjà précisé que le montant des astreintes ne produira pas intérêt mais devra être liquidé par le juge de l’Exécution.
Sur l’interdiction d’exploiter un site identique ou similaire aux sites www.goloa.com et www.repclic.com
S’il est légitime que la société Meetools veuille protéger son activité, elle ne peut cependant pas prétendre empêcher ses concurrents de lui faire concurrence.
Monsieur H. pourrait exploiter un site même s’il s’agissait d’un site d’entraide communautaire en vertu de la liberté du commerce et de l’industrie à condition de le faire loyalement et la société Meetools ne justifie pas de motifs suffisants pour qu’il soit porté une atteinte aussi grave à ce principe. La demande sera rejetée.
Sur l’interdiction de se livrer à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de Meetools
La loi fait déjà interdiction à quiconque de se livrer à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au bénéfice de tous ceux qui exercent loyalement leur commerce.
Une condamnation sous astreinte suppose une précision telle qu’un manquement permettrait la liquidation de l’astreinte. Tel n’est pas le cas de la demande qui supposerait une nouvelle appréciation de l’existence et de la consistance de nouveaux agissements fautifs.
La demande sera rejetée.
Sur l’inscription en qualité de commerçant au Registre du Commerce et des Sociétés
La société Meetools ne justifie d’aucun fondement légal pour présenter une telle demande.
Elle ne justifie pas qu’elle aurait qualité pour la présenter.
Sur la suppression de l’ensemble des titres des questions repris du site www.experts-univers.com
La demande est insuffisamment précise pour permettre d’envisager une condamnation sous astreinte à défaut de justificatif émanant d’un tiers de l’intégralité des questions à retirer.
Sur les dommages et intérêts
La société Meetools n’établit pas que le parasitisme constaté lui aurait fait perdre des investissements engagés par elle, ceux-ci ayant nécessairement du être engagés qu’elle subisse ou non a posteriori les agissements fautifs d’un concurrent.
La société Meetools montre que la tendance du nombre de pages vues par mois était à la hausse jusqu’en octobre 2010 et qu’il a ensuite commencé à décliner. Cependant elle ne présente pas les éléments comptables de nature à établir à 106 525 € le détournement des internautes utilisateurs ou des utilisateurs potentiels. Tous ses calculs sont faits sur des projections sans justifier du prix de la page vue.
La perte sera arbitrée à la somme de 20 000 €.
La société Meetools n’apporte aucun élément sur la consistance de son préjudice moral.
Les dommages-intérêts porteront intérêt à la date du prononcé du jugement, soit le 20 juillet 2012, conformément à l’article 1153-1 du code civil. La capitalisation des intérêts s’effectuera dans les termes de l’article 1154 du même code.
L’astreinte n’est justifiée par aucun argument particulier et ne sera pas ordonnée, la société Meetools disposant des voies d’exécution pour obtenir le paiement.
Sur la publication d’un communiqué
Le préjudice étant réparé par l’attribution de dommages-intérêts, la société Meetools ne justifie pas de la nécessité d’un complément de dommages-intérêts sous forme de communiqué.
Sur l’exécution provisoire
En application de l’article 515 du code de procédure civile, l’exécution provisoire nécessaire et compatible avec la nature de cette affaire sera ordonnée.
Sur les dépens et les frais de l’article 700 du code de procédure civile
En application des articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, et à payer à l’autre partie une somme que le juge détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; les avocats peuvent, lorsque leur ministère est obligatoire demander que la condamnation soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.
En conséquence, Monsieur H., qui succombe, sera condamné à supporter les dépens de l’instance avec distraction au profit de l’avocat constitué ; l’équité commande de le condamner également à payer à la société Meetools la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
DÉCISION
Le tribunal, statuant par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe et susceptible d’appel,
. Dit que Monsieur H. a commis des actes de parasitisme à l’égard de la société Meetools ;
. Condamne Monsieur H. à transférer à ses frais à la société Meetools les noms de domaine www.goloa.com et www.repclic.com, dans le délai de quinze jours à compter de la signification du jugement et passé ce délai sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard pendant trois mois ;
. Condamne Monsieur H. à payer à la société Meetools la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts, cette somme produisant intérêt au taux légal à compter de ce jour, 20 juillet 2012 ;
. Autorise la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1154 du code civil ;
. Condamne Monsieur H. à payer à la société Meetools la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Ordonne l’exécution provisoire du jugement ;
. Rejette le surplus des demandes ;
. Condamne Monsieur H. à supporter les dépens.
Le tribunal : Mme Geneviève Créon (vice présidente), Mme Ghislaine Cavailles et M. Olivier Rousseau (juges)
Avocats : Me Jean-Claude Carlier, Me Alain Bensoussan
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.