Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 4ème section Jugement du 28 mai 2009
Jérôme S. / Association Lexeek
copie - droit d'auteur - originalité - parasitisme - site internet
FAITS ET PROCEDURE
Depuis fin 2007, Jérôme S. édite et exploite le site internet www.experts-univers.com sur lequel les internautes peuvent obtenir la réponse ou répondre à n’importe quelle question, quel que soit le domaine. La viabilité de ce site dont la consultation est gratuite, est assurée par des recettes tirées de la publicité.
L’association Lexeek édite et exploite depuis le mois de novembre 2008 un site internet www.parole-experts.com qui propose des réponses aux questions juridiques posées par les internautes.
Le 20 mars 2009, Jérôme S. a fait assigner à jour fixe l’association Lexeek devant le tribunal de grande instance de Paris pour avoir commis des actes de contrefaçon de son site en en reproduisant le plan, la structure, l’agencement des rubriques, le contenu. Il lui reproche également de se livrer à des actes de parasitisme. Se fondant sur les constatations effectuées par huissier de justice les 9 janvier et 26 février 2009, il invoque une atteinte à ses droits patrimoniaux par la reproduction et la représentation de son oeuvre ainsi qu’une atteinte à son droit moral en l’absence d’indication de son nom.
Il fait également valoir que si son site internet ne pouvait bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur, il y aurait lieu d’admettre que la société Lexeek a commis à son encontre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en s’appropriant, sans frais, son travail et ses investissements. Il fait valoir que cette appropriation entraîne au surplus un détournement de sa clientèle et une atteinte à son image en raison de la confusion créée entre les deux sites en cause, ce qui a des conséquences directes sur ses recettes publicitaires.
Aussi, Jérôme S. réclame-t-il, outre des mesures d’interdiction, le paiement sous astreinte de la somme totale de 80 000 € en indemnisation de son préjudice économique ainsi que la publication de la décision dans la presse et sur le site internet de la défenderesse. Il sollicite, en outre, la capitalisation des intérêts légaux à courir sur l’ensemble des condamnations pécuniaires, une indemnité de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et l’exécution provisoire du jugement.
A l’audience du 10 avril 2009, l’association Lexeek s’est opposée aux demandes de Jérôme S. en contestant le caractère protégeable du site internet de Jérôme S. par la propriété intellectuelle ainsi que l’existence d’actes de parasitisme.
La défenderesse relève tout d’abord que le site www.experts-univers.com, exploite le concept répandu des questions-réponses et n’apporte aucun contenu éditorial autre que celui-ci résultant des interventions des internautes. Elle ajoute que sa charte graphique, son mode d’authentification, les termes employés, les têtes ou bas de pages revendiqués par Jérôme S. sont dépourvues de tout originalité. Elle conclut donc à l’absence de protection et d’atteinte à des droits patrimoniaux ou moraux d’auteur.
L’association Lexeek fait, par ailleurs, valoir que les parties ne se trouvent pas en situation de concurrence car les sites qu’elles proposent ne sont ni identiques ni similaires, le site de Jérôme S. n’étant pas un site d’informations juridiques même si certaines des questions posées relèvent du domaine du droit. Enfin, la défenderesse conteste la réalité du préjudice allégué alors que son chiffre d’affaires pour le site litigieux s’élève à 120,30 $.
L’association Lexeek ajoute qu’elle dispose d’une expérience importante dans le domaine de l’internet et qu’elle n’exploite pas le travail d’autrui. Elle relève ainsi qu’il n’est pas établi une appropriation du code source qui serait susceptible de réaliser un acte de parasitisme.
Estimant que la procédure dont elle fait l’objet présente un caractère abusif, elle réclame 10 000 € à titre de dommages intérêts, outre la somme de 8000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur l’existence d’une contrefaçon du site internet
Pour se voir reconnaître des droits d’auteur, Jérôme S. doit établir que différents éléments de son site internet sont empreints de sa personnalité et constitutifs d’une oeuvre de l’esprit.
Il invoque la reprise par le site internet de la défenderesse :
– de la balise meta et du header de la page d’accueil de son site :
Pour le site www.experts-univers.com cette balise meta est ainsi rédigée : « l’univers des Experts est un portail communautaire collaboratif d’entraide spécialisée. En d’autres termes grâce à un système de recherche documentaire automatisé et à une communauté d’experts spécialisés, vous obtiendrez des réponses à toutes vos questions, quel que soit le domaine concerné ».
Pour le site www.paroles-experts.com, elle est ainsi rédigée : Experts est un réseau collaboratif d’entraide spécialisée. En d’autres termes grâce à un système de recherche documentaire automatisé et à une communauté d’experts spécialisés, vous obtiendrez des réponses à toutes vos questions, quel que soit le domaine concerné.
Il est constant que la seconde balise-meta est rédigée quasiment de la même façon que la première. Néanmoins, l’emploi de termes nécessaires ou extrêmement banals pour fournir une description succincte du service proposé, ne confère à cette balise meta aucune originalité susceptible d’être révélatrice de la personnalité de son auteur.
Le header de la page d’accueil du site www.experts-univers.com est constitué d’un bandeau avec le logo du site à gauche, le nom au centre et un encadré “poser une question”.
On retrouve la même disposition et le même contenu sur le header de la page d’accueil du site www.parole-experts.com.
Cependant, pour établir la contrefaçon Jérôme S. ne peut pas seulement invoquer la ressemblance entre ces éléments : il doit également démontrer que la présentation qu’il a choisie est originale. Or la représentation du logo, l’indication du nom du site et la présence d’un encadré “posez une question” pour un site de questions/réponses ne peuvent être considérées comme originales ni dans le choix des ces différents éléments ni dans leur présentation (couleur et police de caractères) ni même dans leur combinaison.
– des titres et de la présentation de son site :
Jérôme S. soutient que les titres des deux sites utilisent la même police de caractères, sont de la même taille et de la même couleur avec à gauche un point d’interrogation également de la même taille.
Cependant, la défenderesse relève que les caractéristiques revendiquées (police, couleurs, résolution) ne résultent d’aucun choix mais apparaissent par défaut de telle sorte qu’elles ne peuvent être considérées comme révélatrices de la personnalité de Jérôme S.
Enfin, le demandeur relève que dans la présentation du site, les adjectifs “gratuit” et “communautaire » sont écrits en gras dans les deux textes. Cependant s’agissant des caractéristiques communes et essentielles de ces deux sites, il ne peut se déduire aucune conséquence de cette similitude.
Ainsi l’originalité de ces éléments n’apparaît pas suffisamment démontrée pour que la protection de droits d’auteur puisse être utilement invoquée.
– de la sélection des questions :
Les deux sites en cause mettent en avant certaines questions en utilisant la même présentation : police, couleur, point d’interrogation.
Cependant, Jérôme S. ne démontre pas en quoi le choix de la police de caractères, des couleurs ou d’une présentation en colonnes est empreint de sa personnalité, et il ne peut pas être retenu qu’un point d’interrogation comme icône pour un site de questions/réponses soit également un choix original.
Par ailleurs, l’apparition d’un point noir en début des questions est la conséquence de l’utilisation d’une fonction particulière et son apparition à côté du point d’interrogation n’apparaît pas comme une présentation originale, néanmoins elle révèle une similitude dans les détails qui relève moins du hasard que de la copie.
– des pieds de page :
La présentation en colonnes de rubriques telles qu’accessibilité, plan du site, contact et partenariat, mesure d’audience, est similaire ; néanmoins la présentation en colonnes et le choix de ces rubriques qui se retrouvent sur d’autres sites internet ne sont pas empreints de la personnalité de Jérôme S.
Toutefois, la très grande proximité existant dans les éléments de présentation tels que relevés par Jérôme S. permet de retenir que l’association Lexeek a copié des éléments de son site.
– des formulaires permettant de poser une question à l’expert
L’examen des pages extraites des deux sites fait apparaître quelles sont quasiment identiques ; néanmoins, la contrefaçon ne résulte pas de la simple copie, elle ne peut être retenue que si la présentation de ces pages est le résultat d’un effort créatif révélateur de la personnalité de son auteur. Or, Jérôme S. effectue efficacement une démonstration de la copie mais ne précise pas en quoi les éléments copiés sont éligibles à la protection du droit d’auteur alors que les données figurant sur ces pages sont la description des services offerts et de leur mode de fonctionnement et que leur présentation, par le recours à des colonnes et des encadrés, est la mise en oeuvre de moyens couramment utilisés sur les sites internet et dont même la combinaison ne peut être considérée comme originale.
– du mécanisme des questions/réponses
Jérôme S. expose que sur son site, l’internaute peut obtenir une réponse à sa question par la consultation d’une base de données mais peut également obtenir une réponse plus détaillée par voie de mails. Il ajoute que les internautes peuvent eux-mêmes apporter des réponses. Il fait valoir que ce mécanisme est copié par le site de l’association Lexeek.
Cependant, outre qu’un concept n’est pas protégeable par le droit d’auteur, il ressort des pièces versées aux débats par la défenderesse que ce mécanisme est utilisé par d’autres sites.
Jérôme S. relève en outre la présentation identique de la page permettant de proposer une réponse ainsi que du message de confirmation. Cette identité est effectivement constante néanmoins elle ne suffit pas à caractériser une contrefaçon car ces pages sont constituées d’informations techniques nécessaires exprimées dans un langage courant (« votre question a été enregistrée. Afin de valider votre réponse un e-mail de confirmation vient de vous être envoyé …“) et dont la mise en forme relève de l’application de pratiques courantes sur internet.
Ainsi, faute pour Jérôme S. de démontrer que son site est révélateur de sa personnalité et dépasse la mise en oeuvre d’un savoir-faire d’informaticien, il n’y a pas lieu de faire application des règles de la propriété intellectuelle et de considérer que la reproduction de certains de ses éléments par le site www.parole-experts.com porte atteinte à des droits patrimoniaux et moral d’auteur.
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme économique
Si la démonstration de la copie ne suffit pas à caractériser la contrefaçon, elle établit, en revanche, l’appropriation du travail d’autrui.
Or, ainsi qu’il a été relevé à plusieurs reprises ci-dessus, certaines pages du site www.parole-experts.com sont la copie exacte du site www.experts-univers.com tant dans la forme que dans le contenu. Il en est spécialement ainsi des pages permettant de poser une question à un expert de proposer une réponse et du message de confirmation.
L’appropriation de ce travail et de ce savoir-faire, sans autorisation et sans frais, constitue un acte de parasitisme qui a permis à l’association Lexeek de réaliser des économies en limitant ses investissements humains et matériels en profitant de l’expérience de Jérôme S.
Par ailleurs la copie du site vww.experts-univers.com par le site www.parole-experts.com crée un risque de confusion dans la mesure où l’internaute qui se trouve face à des pages absolument identiques, ne sera plus en mesure de faire de distinction. Un tel risque de confusion entraîne nécessairement une diminution du caractère attractif du site conçu par Jérôme S. Par ailleurs, celui-ci n’est pas uniquement consacré aux questions juridiques, néanmoins, il est possible d’y recourir pour ce domaine de telle sorte que l’internaute peut choisir de s’orienter vers le site de l’association Lexeek qui lui apparaîtra comme identique à celui du demandeur. Toutefois, compte tenu du nombre limité de visites journalières reçues par le site de la défenderesse (715 contre 95 680 pour le site www.experts-univers.com) cette perte de clientèle doit être considérée comme extrêmement faible.
Ainsi compte tenu des éléments versés aux débats le préjudice subi par Jérôme S. sera fixé à la somme de 20 000 € sans qu’une mesure de publication apparaisse, en outre nécessaire.
La somme de 20 000 € portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement mais il n’y a pas lieu d’assortir son paiement d’une astreinte.
Les intérêts échus pourront faire l’objet d’une capitalisation quand les conditions de l’article 1154 du Code civil seront réunies.
Enfin, en l’absence d’éléments protégeables par le droit d’auteur, il n’ y a pas lieu de faire droit à la demande d’interdiction telle que formulée par Jérôme S.
Il sera alloué à Jérôme S. la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Jérôme S. sollicite en outre le remboursement des frais de constats d’huissier au titre des dépens. Il sera fait droit à cette demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire sera ordonnée afin de permettre une indemnisation rapide du préjudice.
L’instance engagée contre l’association Lexeek étant fondée, il n’y a pas lieu de condamner le demandeur au paiement de dommages intérêts pour procédure abusive.
DECISION
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe de la décision, contradictoirement et en premier ressort,
. Rejette les demandes de Jérôme S. fondées sur la contrefaçon de son sire internet www.experts-univers.com par le site de l’association Lexeek www.parole-experts.com.
. Dit qu’en reproduisant de multiples éléments du site internet www.experts-univers.com l’association Lexeek a commis des actes de parasitisme.
. Condamne l’association Lexeek à payer à Jérôme S. la somme de 20 000 € à titre de dommages intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
. Rejette les autres demandes de publication et d’interdiction.
. Condamne l’association Lexeek à payer à Jérôme S. la somme de 1000 € ainsi que le coût des procès-verbaux de constat des 9 janvier et 26 février 2009 sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
. Autorise la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1154 du Code civil.
. Rejette la demande reconventionnelle en dommages intérêts formée par la société Lexeek.
. Condamne l’association Lexeek aux dépens.
. Ordonne l’exécution provisoire.
Le tribunal : Mme Marie-Claude Hervé (vice-présidente), Mme Agnès Marcade et M. Rémy Moncorde (juges)
Avocats : Me Alain Bensoussan, Me Pierre Louis Rouyer
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