Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Versailles Ordonnance de référé du 3 octobre 2000
Association "Fédération française de tennis" (association loi du 1er juillet 1901 agréée le 27 mai 1921, reconnue d'utilité publique par décret du 13 juillet 1923) / l'Association française pour le Nommage Internet en Coopération ("Afnic"), la Sarl Sabri, la SARL NFrance Conseil, la SA Keops Info Centre
demande d'expertise - nom de domaine
Exposé du litige :
Attendu que, par exploits d’huissier en dates des 21 et 31 juillet et 2 août 2000, l’association Fédération française de tennis, association reconnue d’utilité publique, a fait assigner devant nous en référé l’Association française pour le Nommage Internet en Coopération (Afnic), la SARL Sabri, la SARL NFrance Conseil et la SA Keops Info Centre, pour voir, sur le fondement des articles 145, 808 et 809 du nouveau code de procédure civile, en faisant valoir le trouble manifestement illicite subi au titre de l’atteinte à sa mission et de l’attribution irrégulière d’un nom de domaine par l’Afnic à la Sté Sabri, vu l’urgence, ordonner les mesures suivantes :
1°) ordonner une expertise pour vérifier l’ordre chronologique des faits et la matérialité des échanges de demandes et réponses entre l’Afnic et les parties, les décrire et en rechercher la cause ou l’origine, effectuer toute analyse, exploration, prélèvement utile aux fins de déterminer les circonstances de l’attribution du nom de domaine “tennis.fr”, évaluer le préjudice subi par la Fédération française de tennis, donner au tribunal tous éléments lui permettant de déterminer les responsabilités éventuellement encourues par l’une ou l’autre des parties,
2°) interdire à la Sté Sabri toute utilisation du nom de domaine “tennis.fr” sous astreinte de 50 000 F par jour jusqu’à ce que la régularité et la légalité de son attribution aient été établies par le juge du fond,
3°) interdire à la Sté Sabri de s’abstenir de tout comportement ou de toute formalité qui pourrait faire obstacle au transfert du nom de domaine “tennis.fr” au profit de la Fédération française de tennis ;
Attendu qu’à l’appui de ses demandes, la Fédération française de tennis expose que, par sa vocation de présider aux destinées du tennis en France et sa mission de service public en ce domaine, elle a toujours souhaité disposer du nom de domaine internet de type générique “tennis” mais que, jusqu’au début 2000, l’organisme d’attribution des noms de domaine internet en France, le NIC, devenu l’Afnic, a refusé d’attribuer des noms génériques ; qu’elle précise avoir déposé une demande d’attribution du nom de domaine “tennis” dès que l’Afnic a fait savoir que sa position changeait et que cet organisme a indiqué accepter d’attribuer des noms génériques et qu’elle a eu la surprise d’apprendre que ce nom de domaine se trouvait attribué à une société commerciale, la Sté Sabri ;
Attendu que la Fédération française de tennis fait pourtant remarquer avoir effectué sa demande dès le 10 avril 2000 à 0 heure, à partir duquel ces demandes de noms génériques pouvaient être faites et s’étonne que sa demande n’ait pas été acceptée ;
Attendu qu’en tout état de cause, la Fédération française de tennis estime qu’un nom générique comme celui de “tennis” devrait lui revenir en raison de sa mission de service public et non pas à une société commerciale ; qu’elle estime que le nom de domaine de cette société Sabri aurait dû être celui de son enseigne commerciale, soit “tennis.plus” ;
Attendu que l’association “Afnic”, Association française pour le Nommage Internet en Coopération, conclut :
. à ce qu’il n’y ait pas lieu à référé,
. à titre subsidiaire à sa mise hors de cause,
. à titre plus subsidiaire, à ce que la Fédération française de tennis soit déclarée irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes,
. à titre plus subsidiaire, à la désignation d’un expert avec pour mission de se rendre dans les locaux de la Fédération française de tennis et dans les locaux du fournisseur d’accès internet qu’elle prétend avoir missionné, vérifier si la Fédération française de tennis a bien missionné un fournisseur d’accès, vérifier si ce dernier a bien fait toutes les diligences nécessaires, vérifier si ce fournisseur a bien avisé l’Afnic ou la Fédération française de tennis de l’impossibilité d’enregistrer le nom de domaine en cause ou si elle a adressé une réclamation en ce sens,
. condamner la Fédération française de tennis à payer à l’Afnic la somme de 50 000 F de dommages-intérêts, celle de 25 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, outre celle de 10 000 F d’amende civile ;
Attendu que l’Afnic fait remarquer que la Fédération française de tennis dispose déjà de deux sites internet : “FFT.fr” et “tennis.asso.fr” et connaît le fonctionnement internet :
. qu’elle rappelle le système d’attribution des noms de domaine sur le plan international et national et comment s’est instauré le principe du “Premier arrivé, premier servi” ;
. qu’elle explique que, sur le plan français, l’Afnic a établi une charte de nommage ; que celle charte a été modifiée et que, le 24 mars 2000, le conseil d’administration de l’Afnic a décidé de libéraliser l’enregistrement des noms de domaine dits génériques ;
. qu’elle explique que, dès lors, toute société justifiant que le nom générique fait partie de son nom peut prétendre à l’obtenir comme nom de domaine ;
. qu’elle précise avoir décidé que les noms génériques qui avaient fait l’objet le 3 ou le 6 mars 2000 d’un mail de mise en attente seraient enregistrables à compter du 10 avril 2000 à 0 heure ;
Attendu que l’Afnic remarque que la Fédération française de tennis a lancé cette assignation sans la moindre démarche préalable ;
. qu’elle fait valoir que les conditions d’application de l’article 809 du nouveau code de procédure civile ne sont pas réunies alors que les faits allégués sont du 10 avril 2000, 4 mois avant l’assignation ;
. qu’il n’y a pas de risque quant à une éventuelle restriction pour la Fédération française de tennis de développer ses activités et sa promotion sur internet ;
. qu’il n’y a pas de risque de perte de clientèle ou d’adhérent, pas de risque de confusion, pas de risque d’atteinte à un signe distinct protégé ;
. qu’elle fait remarquer que la Fédération française de tennis ne démontre pas avoir utilisé un fournisseur d’accès et qu’aucun » ticket” de transmission ne peut être produit ;
Attendu que l’Afnic estime qu’il s’agit par ailleurs d’un conflit entre la Fédération française de tennis et la société Sabri, dont elle est étrangère ;
Attendu que l’Afnic relève que la société Sabri a pour enseigne “Tennis plus” et que le nom “tennis” fait partie de son enseigne ; qu’elle estime surprenant que le fournisseur de la Fédération française de tennis n’ait pas fait preuve de plus de diligence ;
Attendu que l’Afnic note que le nom “tennis” est un nom générique qu’il n’est pas réservé plus à l’un qu’à l’autre et que si la Fédération française de tennis veut caractériser sa mission de service public, elle doit respecter la circulaire du 7 août 1999 relative aux sites internet des services et établissements publics de l’Etat ;
Attendu que l’Afnic estime que la demande d’attribution à titre exclusif par la Fédération française de tennis du nom de domaine “tennis.fr” n’a pas de fondement juridique ;
qu’elle estime que les “moteurs de recherche” adaptés à la recherche de la Fédération française de tennis font référence à “fédération” et qu’il eut suffi à la Fédération française de tennis de mettre en place un système dit “métatag” pour trouver facilement la Fédération française de tennis avec le vocable “tennis” ;
Que l’Afnic estime que la demande d’expertise n’est fondée ni sur l’article 808 du nouveau code de procédure civile faute d’urgence, ni sur l’article 145 dudit code faute de motif légitime démontré ;
Attendu que la SARL Sabri, à l’enseigne “Tennis plus”, fait valoir qu’il n’y a ni urgence, ni trouble manifestement illicite ;
qu’elle demande qu’il soit constaté :
. que sa demande du nom de domaine est antérieure à celle de la Fédération française de tennis ;
. que l’Afnic n’a fait, à l’évidence, qu’appliquer le principe du “Premier arrivé, premier servi” en vigueur et applicable à de nombreux droits de propriété intellectuelle ;
. rejeter la mission d’expertise sollicitée par la Fédération française de tennis ;
. constater que le nom de domaine “tennis.fr” est attribué à la société Sabri Tennis Plus ;
. constater que cette attribution ouvre droit à l’usage de ce nom de domaine par Tennis Plus sans que cette société n’ait à justifier de conditions supplémentaires ;
. dire que cette situation juridique s’impose à la Fédération française de tennis et qu’il ne peut y être porté atteinte par voie de référé, sauf à renvoyer ce litige devant le juge du fond ;
. qu’il ne peut lui être interdit de construire un site « tennis.fr” ;
. constater que la carte de nommage interdit le transfert d’un nom de domaine d’un titulaire à un autre et que le permettre par voie de référé anéantirait le droit de propriété de la société Sabri Tennis Plus, ce qui excède le cadre du référé ;
qu’elle demande la condamnation de la Fédération française de tennis à lu payer la somme de 5 000 F pour procédure abusive et téméraire et celle de 10 744 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que la société Sabri estime que le véritable enjeu de cette procédure est une volonté de la Fédération française de tennis de développer une activité paracommerciale alors que cette activité lucrative lui est interdite par l’article 37 de l’ordonnance du 31 décembre 1986 alors que la société commerciale Sabri peut légitimement développer la vente d’articles de tennis par internet ;
Attendu que la SARL NFrance Conseil conclut à l’irrecevabilité de la Fédération française de tennis qui n’a aucun intérêt à agir à son encontre ;
qu’elle fait remarquer n’avoir fait que réaliser sa prestation de services au profit de la société Sabri et n’avoir aucun pouvoir de décision dans l’attribution des noms de domaine ;
qu’elle demande sa mise hors de cause et la condamnation de la Fédération française de tennis à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 8 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que la société Keops Info Centre émet toutes protestations et réserves ;
Sur quoi, nous, François Grosjean, premier vice-président, statuant en référé,
Attendu que la présente instance en référé a trait à l’attribution d’un nom de domaine internet sur la zone “.fr” ;
Attendu que cette attribution n’obéit pas à des dispositions légales ou réglementaires mais résulte de l’application d’une charte de nommage établie par l’Association française pour le Nommage Internet en Coopération (Afnic) à laquelle adhèrent tous les fournisseurs d’accès au réseau internet ;
que ce sont ces règles de type contractuel liant les fournisseurs d’accès qui permettent de déterminer les conditions d’attribution des noms de domaine ;
Attendu que, par ailleurs, il convient de respecter les règles de droit commun quant au respect des droits de la personne ou du respect des droits de propriété intellectuelle ;
Attendu qu’en application de l’article 809 alinéa 1er du nouveau code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Attendu qu’en l’occurrence, l’association Fédération française de tennis n’a aucun droit particulier sur le nom “tennis” qui est un nom générique qui ne lui est pas plus réservé qu’à une autre association ou club de joueurs de tennis ou court de tennis ou société d’articles de tennis et qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’a vocation à s’appliquer concernant la demande d’attribution du nom de domaine “tennis” ;
Qu’elle ne peut se prévaloir d’aucun droit particulier sur ce nom ;
Attendu que le litige consiste à apprécier si la demande d’attribution de ce nom par la Fédération française de tennis était manifestement prioritaire à celle de la SARL Sabri “Tennis plus” et si les droits de la Fédération française de tennis ont été ou non manifestement violés au regard des dispositions de la charte de nommage de l’association Afnic ;
Attendu que la demande d’attribution est obligatoirement effectuée par un fournisseur d’accès ;
Attendu que la Fédération française de tennis précise que son fournisseur d’accès était la société Keops Info Centre ;
Attendu que ni la Fédération française de tennis, ni la société Keops Info Centre ne communiquent le document de demande d’attribution dit “ticket” qui serait de nature à justifier leurs droits ;
Attendu que, dès lors, cette demande n’est pas justifiée et qu’il ne peut y être fait droit, la Fédération française de tennis n’établissant pas être victime d’un trouble manifestement illicite ;
Attendu qu’en application de l’article 145 du nouveau code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ;
Attendu que la Fédération française de tennis n’établit pas la légitimité de sa demande d’expertise, faute des justificatifs sus-énoncés ;
Attendu qu’il n’y aura pas lieu de dire la procédure abusive, s’agissant d’une simple instance en référé sous réserve de toute instance au fond ;
Attendu, cependant, que cette instance en référé injustifiée, engagée sans même tenter une négociation préalable, a entraîné des frais irrépétibles aux parties défenderesses et que la requérante devra les en indemniser.
Par ces motifs
Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en référé :
. disons ne pas y avoir lieu à référé,
. condamnons l’association Fédération française de tennis à payer au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile 10 000 F à l’Association française pour le Nommage Internet en Coopération (Afnic), 8 000 F à la SARL Sabri et 5 000 F à la SARL NFrance Conseil ;
. condamnons l’association Fédération Française de tennis aux dépens ;
. rejetons toutes les autres demandes.
Le Tribunal : François Grosjean, (premier vice-président), assisté de Martine Guittar, (greffier)
Avocat : la SCP Reynaud Lafont Gaudriot et la SCP Phillips Giraud Naud Swartz et associés, Me Bensoussan, Me Brun, la SCP Lory Le Guillou et Me Josselin-Alliel, Me Guérin
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.