Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Lille Ordonnance de référé du 10 juillet 2001
Association Le Commerce du Bois, venant aux droits de la Fédération française des bois tropicaux et américain " FFBTA " / Michel P. et Codina Inc.
exception d'incompétence - nom de domaine - reproduction marque - risque de confusion - transfert du nom de domaine
Faits et procédure
Par assignation délivrée les 9 et 11 avril 2001, l’association Le Commerce du Bois demande de :
– constater que l’utilisation du nom de domaine « bois-tropicaux.com » par la société Codina Inc. crée un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser,
– interdire à la société Codina Inc. et à Michel P. d’utiliser sous quelque forme que ce soit, y compris sous une autre forme phonétiquement identique, le nom de domaine » bois-tropicaux.com « ,
– ordonner à la société Codina Inc. et à Michel P. de procéder aux formalités de transfert du nom de domaine » bois-tropicaux.com « ,
– ordonner à la société Codina Inc. et à Michel P. de procéder aux formalités de transfert du nom de domaine » bois-tropicaux.com » au profit de l’association Le Commerce du Bois, et ce sous astreinte de 10 000 F par jour de retard,
– ordonner la publication de l’ordonnance dans trois journaux spécialisés au choix de l’association Le Commerce du Bois,
– condamner solidairement Codina Inc. et Michel P. au paiement de la somme de 30 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les défendeurs soulèvent l’incompétence territoriale de la juridiction lilloise saisie et, subsidiairement, concluent à la mise hors de cause de Michel P., à l’absence de qualité à agir de l’association Le Commerce du Bois, au débouté de toutes les demandes et à la condamnation de l’association au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l’article 700.
Sur ce :
Dans le cadre d’une bonne administration de la justice, il y a lieu de procéder à la jonction des procédures inscrites sous les numéros 01/00338 et 01/00360 et de dire qu’elles se poursuivront sous le numéro 01/00360.
* Sur l’exception d’incompétence territoriale :
Aux termes de l’article 46 du nouveau code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.
C’est vainement que les défendeurs prétendent que la juridiction du lieu du fait dommageable ne pourrait être que celle du siège social de la société américaine Codina, soit la juridiction américaine, et que celle du lieu où le dommage a été subi serait celle du siège social de la demanderesse, soit la juridiction parisienne, puisque aucun point de contact avec la juridiction lilloise justifiant sa compétence ne serait rapporté.
En effet, lorsqu’un acte de concurrence déloyale a été commis par une diffusion sur le réseau Internet, le fait dommageable se produit en tous lieux où les informations litigieuses ont été mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site.
En l’espèce, dans la mesure où Me Dhonte, huissier de justice, a constaté, dans son procès-verbal du 9 février 2001, que le site litigieux » bois-tropicaux.com » était accessible à Lille, il en ressort clairement que le dommage allégué a été subi par la demanderesse dans cette ville et que le fait dommageable qui consisterait dans l’exploitation et la diffusion d’un site sous ce nom est également et notamment commis dans ce ressort.
Dès lors, le président du tribunal de grande instance de Lille est territorialement compétent en application de l’article 46 du nouveau code de procédure civile.
* Sur le défaut de qualité à agir de l’association Le Commerce du Bois :
Selon les défendeurs, l’association Le Commerce du Bois serait irrecevable à agir comme n’ayant pas été mandatée par ses membres ni par la Fédération Française des Bois Tropicaux et Américains (FFBTA) puisque le nom de domaine » boistropicaux.com » est toujours enregistré au nom de la FFBTA et non à celui de l’association Le Commerce du Bois.
Ces motifs n’apparaissent pas fondés dans la mesure où toute association, régulièrement déclarée, peut ester en justice sans autorisation spéciale en vertu de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association et où l’association Le Commerce du Bois a fusionné avec la FFBTA le 12 décembre 2000 sans que cette opération n’entraîne de modification des statuts de l’association.
* Sur le trouble manifestement illicite :
Il résulte des pièces versées aux débats, notamment un constat établi par Me Dhonte, huissier de justice, en date du 12 février 2001, les éléments suivants :
– la Fédération Française des Bois Tropicaux et Américains (FFBTA) a réservé le 15 novembre 1999 auprès de NSI (Network Solution Inc.) le nom de domaine » boistropicaux.com » et exploité à partir de cette adresse un site internet dédié aux bois tropicaux ;
– le 12 janvier 2000, la FFBTA a été dissoute par une assemblée générale extraordinaire et l’ensemble de ses actifs, en ce compris le nom de domaine et le site » boistropicaux.com « , a été cédé à l’association Le Commerce du Bois ;
– en janvier 2001, l’association a appris l’existence d’un site concurrent ayant pour adresse » bois-tropicaux.com » se proposant de décliner des activités similaires à celles développées sur le site de l’association Le Commerce du Bois ;
– après consultation de la base de données Andconet, l’association Le Commerce du Bois a relevé que le nom de domaine » bois-tropicaux.com » avait été enregistré le 25 juillet 2000 par la société américaine Codina Inc., laquelle exploite à partir de cette adresse un site décrivant les mêmes activités que celles de l’association et faisant apparaître Michel P., en qualité de contact administratif, technique et comptable, à l’adresse e-mail suivante » info sheabutter.com » ;
– enfin, le nom de domaine » sheabutter.com » a été réservé par la société Teco Finance Export domiciliée 24 rue Violet à Paris, Michel P. apparaissant également comme le responsable technique de ce site.
Ces agissements sont manifestement constitutifs d’actes de concurrence déloyale vis-à-vis de l’association Le Commerce du Bois qui dispose d’un droit sur le nom de domaine » boistropicaux.com » antérieure à celui de la société Codina Inc.
En effet, la reproduction à l’identique du nom de domaine » boistropicaux.com » (hormis le tiret placé entre » bois » et » tropicaux « ) par la société Codina Inc. et l’exploitation du site correspondant dans un secteur d’activité similaire à celui de l’association Le Commerce du Bois créent un risque de confusion dans l’esprit du public ; par ailleurs, le fait de pouvoir accéder au site de la société Codina Inc. par une adresse imitant servilement celle de l’association Le Commerce du Bois pour proposer des services identiques entraîne un détournement de clientèle préjudiciable à cette dernière.
Le comportement des défendeurs peut s’analyser également comme un acte de parasitisme économique puisque le site dédié aux bois tropicaux à l’adresse » bois-tropicaux.com » s’inscrit manifestement dans le sillage de celui créé par l’association Le Commerce du Bois ; même s’il est géré par une société américaine, il présente des liens avec la France par l’intermédiaire de son responsable Michel P. qui connaît bien le marché français et le site de l’association Le Commerce du Bois.
Ainsi, la reproduction du nom de domaine a été faite en pleine conscience dans le but de profiter des efforts de l’association et de capter une partie de son audience.
C’est vainement que les défendeurs font valoir que la réservation d’un nom de domaine ne serait génératrice d’aucun » droit privatif » et permettrait seulement de revendiquer une » antériorité « , alors qu’en réservant le nom de domaine » boistropicaux.com « , l’association s’est vue reconnaître un droit d’occupation sur ce terme, en vertu duquel elle est en droit de s’opposer à toute réservation d’un nom de domaine quasi identique destinée à profiter indûment de sa notoriété et à générer une confusion.
Pas davantage, les défendeurs ne sauraient valablement prétendre qu’aucune faute n’a été commise au motif que l’expression » boistropicaux » est insusceptible d’appropriation car il s’agirait d’une expression générique totalement dépourvue de distinctivité par rapport aux services proposés par l’association.
En effet, à la différence d’un droit de marque qui, pour être valable, suppose que l’expression choisie soit distinctive par rapport aux produits et services visés, le droit sur le nom de domaine est un droit d’occupation, régi par la règle du » Premier arrivé, premier servi « , sauf en cas de faute.
En l’espèce, l’association Le Commerce du Bois est fondée à revendiquer un droit d’occupation sur cette expression, qui identifie parfaitement l’activité très spécialisée qu’elle entend exercer sur internet et qu’elle a réservé depuis le 15 novembre 1999.
La réservation par les défendeurs d’un nom de domaine quasi identique pour exploiter un site au contenu et aux objectifs similaires, a eu pour effet de brouiller volontairement l’adresse virtuelle que confère le nom de domaine pour que les internautes, ainsi trompés, arrivent non sur le site du titulaire légitime mais sur un site pirate.
En agissant de la sorte, les défendeurs ont incontestablement utilisé le travail réalisé pendant plusieurs années par la FFBTA, puis par l’association Le Commerce du Bois, pour créer sur internet un site dédié aux bois tropicaux.
Le risque de confusion que génère la coexistence des deux noms de domaine » boistropicaux.com » et » bois-tropicaux.com » ne peut être sérieusement contesté, étant observé que des confusions se sont bien produites puisque c’est à la suite d’une erreur involontaire que le site des défendeurs a été démasqué.
Il convient de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par ces agissements déloyaux en ordonnant les mesures mentionnées dans le dispositif ci-après.
Il n’y a pas lieu à mettre hors de cause Michel P. dans cette affaire au motif qu’il ne serait que » le contact administratif, technique et comptable » de la société Codina, chargé de la réservation du nom de domaine » bois-tropicaux.com » en tant que responsable des » actions internet » de la société Codina, et non le titulaire de ce nom de domaine, qui a été enregistré au nom de la seule société Codina.
En effet, il résulte des pièces versées aux débats que Michel P. a lui-même procédé aux formalités d’enregistrement du nom de domaine litigieux et s’est déclaré, à cette occasion, comme seul contact tant sur le plan administratif, technique que comptable, de sorte que sa responsabilité in solidum avec la société titulaire des noms de domaine est pleinement engagée.
Enfin, il est inéquitable de laisser à la charge de la demanderesse le montant des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû exposer et qui seront évalués à la somme de 10 000 F ; les défendeurs qui succombent seront déboutés de ce chef de demande.
Par ces motifs
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort, en matière de référé et par décision contradictoire :
. ordonne la jonction des procédures inscrites sous les numéros 01/00338 et 01/00360 et dit qu’elles se poursuivront sous le numéro 01/00338 ;
. rejette l’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir ;
. constate que l’utilisation du nom de domaine » bois-tropicaux.com » par la société Codina Inc. crée un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser ;
et, en conséquence :
. fait défense à la société Codina Inc. d’utiliser sous quelque forme que ce soit, y compris sous une autre forme phonétiquement identique, le nom de domaine » bois-tropicaux.com » ;
. ordonne à la société Codina Inc. de procéder aux formalités de transfert du nom de domaine » bois-tropicaux.com » au profit de l’association Le Commerce du Bois, et ce sous astreinte de 10 000 F par jour de retard dans la quinzaine suivant la signification de la décision ;
. ordonne la publication de l’ordonnance dans trois journaux spécialisés au choix de l’association Le Commerce du Bois, sans que son coût n’excède la somme de 30 000 F ;
. condamne la société Codina Inc. au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
. déboute la société Codina Inc. de ses demandes, fins et conclusions ;
. condamne la société Codina Inc. aux dépens.
Le tribunal : M. François Barrois (premier vice-président, suppléant le président en vertu de l’article R. 311-17 du code de l’organisation judiciaire).
Avocats : Mes Martine Ricouart-Maillet et Blandine Poidevin.
Notre présentation de la décision
[Voir le jugement->?page=jurisprudence-decision&id_article=271]
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