Jurisprudence : Marques
Cour d’appel de Paris 14ème chambre, section A Arrêt du 26 février 2003
Association Greenpeace France/Sa Société Esso
contrefaçon - liberté d'expression - reproduction de marque
Les faits et procédure
Vu l’appel interjeté le 16 juillet 2002 par l’association Greenpeace France d’une ordonnance prononcée le 8 juillet 2002 par le Président du tribunal de grande instance de Paris qui a notamment fait interdiction sous astreinte à l’association de faire usage sur son site internet des marques Esso, seules ou associées avec tout autre terme ou expression, et constaté que la société Internet Fr, prestataire de services d’hébergement de sites, entend agir promptement pour le cas échéant empêcher l’accès au site ;
Vu les conclusions du 15 janvier 2003 par lesquelles l’association Greenpeace France demande à la Cour d’infirmer l’ordonnance, de dire qu’elle n’a pas contrefait les marques Esso, subsidiairement de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation d’une directive, de débouter la société Esso de toutes ses demandes, de condamner cette société à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du ncpc ;
Vu les conclusions du 26 décembre 2002 par lesquelles la société Esso demande à la Cour de confirmer l’ordonnance sur les mesures prises, de recevoir la société en son appel incident, d’ordonner à Greenpeace France et Internet Fr de modifier le site de l’association de telle sorte qu’il n’y apparaisse plus l’imitation de la marque Esso, d’ordonner à l’association de modifier à cette fin le code source de son site, de la condamner à payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du ncpc ;
La discussion
Considérant que la société Esso, titulaire de marques dénominative et semi-figurative relatives à cette dénomination, fait grief à l’association Greenpeace France de reproduire ces marques sur son site internet, en remplaçant les lettres S d’Esso par des signes évoquant le dollar américain, la dénomination ainsi modifiée apparaissant seule ou en association avec le mot Stop (« Stop E$$O ») ; qu’elle a engagé devant le Tribunal de grande instance de Paris une action en contrefaçon puis a saisi le Président de cette juridiction sur le fondement de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle en faisant valoir que les conditions d’application de ce texte sont réunies, que l’association Greenpeace imite illicitement les marques appartenant à Esso dans des conditions pouvant créer une confusion dans l’esprit du public, que Greenpeace ne saurait se prévaloir d’une quelconque exception de parodie ;
Considérant cependant que, quelle que soit la valeur de l’argumentation développée par la société Esso et le sort de son action en contrefaçon devant les juges du fond, il appartient au président du tribunal, saisi d’une demande d’interdiction provisoire de la poursuite des actes argués de contrefaçon, non seulement d’apprécier le sérieux de l’action, mais aussi de déterminer si les circonstances du litige imposent les mesures requises ;
Considérant que le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression implique que, conformément à son objet statutaire, l’association Greenpeace puisse, dans ses écrits ou sur son site internet, dénoncer sous la forme qu’elle estime appropriée au but poursuivi les atteintes à l’environnement et les risques causés à la santé humaine par certaines activités industrielles ; que si cette liberté n’est pas absolue, elle ne peut néanmoins subir que les restrictions rendues nécessaires par la défense des droits d’autrui ;
Considérant qu’à cet égard, il n’apparaît pas évident que la société Esso puisse utilement et sérieusement revendiquer l’application de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle, dès lors que, par les modifications apportées aux marques de la société Esso et les textes qui les accompagnent, l’association Greenpeace montre clairement son intention de dénoncer les activités de la société dont elle critique les incidences sur l’environnement, sans induire en erreur le public quant à l’identité de l’auteur de la communication ;
Considérant en outre que, destiné à illustrer les informations fournies et le propos critique développé dans la campagne menée par l’association, le signe « E$$O », même s’il fait référence aux marques appartenant à la société intimée, ne vise manifestement pas à promouvoir la commercialisation de produits ou de services en faveur de Greenpeace mais relève au contraire d’un usage polémique étranger à la vie des affaires ;
Considérant en toute hypothèse, qu’à supposer que l’action de Greenpeace revête un caractère fautif en excédant les limites de ce qui est indispensable au but poursuivi et nuise aux intérêts économiques de la société Esso, les faits incriminés peuvent faire l’objet d’une réparation appropriée à l’issue de la procédure devant les juges du fond et n’imposent pas les mesures provisoires sollicitées ; que l’ordonnance doit dès lors être infirmée, l’équité commandant par ailleurs de faire application de l’article 700 du ncpc en faveur de l’appelante ;
La décision
. Infirme l’ordonnance et statuant à nouveau :
. Rejette les demandes de la société Esso,
. Condamne la société Esso à payer à l’association Greenpeace France la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du ncpc,
. Condamne la société Esso aux dépens.
La cour : M. Lacabarats (président), Mrs Pellegrin et Beaufrere (conseillers)
Avocats : Me Choukroun, Me Armengaud
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