Jurisprudence : Marques
Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 2 août 2002
SA Société des Participations du CEA / Association Greenpeace France, SA Internet FR
contrefaçon - marque
Faits et procédure
La société des Participations du Commissariat à l’Energie Atomique (SPCEA) exerçant son activité sous le nom commercial d’Areva est constituée du regroupement des activités des sociétés CEA Industrie, Cogema, FCI, Framatome ANP et Technicatome.
Ce groupe est le leader mondial des produits et services permettant la production d’électricité nucléaire.
La SPCEA est titulaire de deux marques françaises :
– une marque semi-figurative constituée de la lettre A stylisée déposée le 10 août 2001 et enregistrée sous le n° 01 3 116 435 ;
– une marque semi-figurative constituée de cette même lettre soulignée par l’élément dénominatif Areva, marque déposée le 10 août 2001 et enregistrée sous le n° 01 3 116 147 ;
ces deux marques désignant différents produits et services des classes 1, 4, 6, 7, 9, 11, 19, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42, et notamment les « télécommunications ; services de communication par réseaux extranet, internet ou intranet et de communications radiophoniques, télégraphiques ou téléphoniques dans les domaines de l’énergie nucléaire, de la connectique et de l’électronique ; communications par terminaux d’ordinateurs et transmission d’informations dans les domaines de l’énergie nucléaire, de la connectique et de l’électronique ; diffusion et transmission de messages, d’informations et de renseignements par réseaux extranet, internet ou intranet dans les domaines de l’énergie nucléaire et de la connectique ».
Par acte du 22 juillet 2002, la SPCEA assigne l’association Greenpeace France et la société Internet FR pour voir au visa des articles L 716-6 et L 713-2 du code de la propriété intellectuelle :
– ordonner sur les pages web du site www.greenpeace.fr la suppression de toutes reproductions, imitations et usages des marques précitées ainsi que toutes références illicites, implicites ou explicites à ces marques sous astreinte de 10 000 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
– interdire à Greenpeace la reproduction de ces marques sur tout support et notamment sur son site internet sous la même astreinte ;
– déclarer commun à la société Internet FR l’ordonnance à intervenir notamment en ce qu’elle fera injonction à la société Greenpeace de cesser les reproductions, imitations et usages illicites des marques en cause ;
– condamner la société Greenpeace à lui payer la somme de 4500 € en application de l’article 700 du ncpc.
La SCPEA explique qu’elle a fait constater par huissier le 11 juillet 2002 que sur le site internet de Greenpeace ses marques étaient reproduites systématiquement associées à une tête de mort ou au corps d’un poisson en lettres de sang ou à un bateau posant sur une bombe atomique et ce, pour illustrer plusieurs articles informant les internautes sur les actions menées par Greenpeace à l’encontre de l’industrie nucléaire.
L’association Greenpeace conclut au débouté des demandes en soutenant que :
– les conditions d’application de la reproduction à l’identique de marques posées par l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas remplies, des éléments étant adjoints aux signes composant les marques opposées, les produits désignés n’étant pas identiques et l’exploitation n’ayant pas lieu dans la vie des affaires ;
– les conditions d’application de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas non plus remplies car il n’y a pas risque de confusion dans l’esprit du public compte-tenu du profil des internautes se connectant sur le site Greenpeace ;
– l’usage des marques en cause relève de la parodie et leur association avec des têtes de mort, corps de poisson mort ou bombe atomique, de la caricature.
Cette défenderesse dit qu’à titre subsidiaire, il conviendrait de saisir la cour de justice des Communautés européennes sur l’interprétation qu’il convient à donner à l’article 4-1-b de la directive 89/104/CEE au regard des faits de l’espèce et de surseoir en l’attente de cet avis.
En tout état de cause, l’association Greenpeace sollicite l’allocation d’une somme de 10 700 € HT en application de l’article 700 du ncpc.
La société Internet FR dit qu’elle doit être mise hors de cause eu égard aux dispositions de l’article 43-8 de la loi du 1er août 2000 et sollicite la condamnation de la société demanderesse à lui payer la somme de 1500 € en application de l’article 700 du ncpc.
M. le procureur de la République a été entendu en ses observations qui tendaient au débouté des demandes.
La discussion
L’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que lorsque le tribunal est saisi d’une action en contrefaçon, son président, saisi et statuant en la forme des référés, peut interdire à titre provisoire, sous astreinte, la poursuite des actes de contrefaçon ou subordonner cette poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation du propriétaire de la marque ou du bénéficiaire du droit exclusif d’exploitation ; que la demande d’interdiction ou de constitution de garantie n’est admise que si l’action au fond apparaît sérieuse et a été engagée dans un bref délai à compter du jour où le propriétaire a eu connaissance des faits sur lesquels elle est fondée ; que le juge peut subordonner l’interdiction à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée.
La SPCEA justifie avoir assigné au fond les 17 et 18 juillet 2002 l’association Greenpeace et la société Internet FR en contrefaçon pour les mêmes faits et avoir placé ces assignations devant le tribunal le 22 juillet 2002.
Les conditions de recevabilité de la présente action n’étant pas contestées dès lors que ne sont pas opposés des griefs d’atteinte à la marque renommée ou notoire au visa de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle, il y a lieu d’examiner le sérieux de l’action au fond.
Sur les 37 documents contenant Areva sur le site internet Greenpeace constatés par huissier le 9 juillet 2002, la SPCEA fait grief à l’association Greenpeace :
– d’avoir reproduit sa marque « A » stylisée avec une ombre reproduisant une tête de mort associé au slogan « Stop plutonium – L’arrêt va de soi » dont la lettre A est également la reprise du A stylisé ;
– d’avoir utilisé ce même ensemble dans une photographie représentant des militants de Greenpeace qui brandissent une banderole portant le logo incriminé avec le slogan précité ;
– d’avoir reproduit sa marque A stylisée sur le corps d’un poisson en lettres de sang ;
– d’avoir reproduit la dénomination Areva sur la voile d’un bateau lui-même posé sur une bombe nucléaire et également accompagnée de deux têtes de mort dans l’ombre des lettres A qui la constituent.
Il n’est pas contesté par l’association Greenpeace que cette dernière a utilisée le « A » stylisé ou la dénomination Areva pour illustrer les pages internet de son site consacrées à des articles portant sur le caractère dangereux pour l’environnement de l’activité du groupe Areva et de sa filiale Cogema en matière nucléaire.
En l’espèce, l’action en contrefaçon de la SPCEA ne saurait se fonder sur l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque même avec l’adjonction de mots tels que « formule, façon, système, imitation, genre, méthode » ainsi que l’usage d’une marque reproduite pour les produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement, dès lors que les reproductions incriminées ne sont pas à l’identique des marques opposées car elles comportent toutes l’adjonction d’autres éléments (des ombres, ou un dessin de bateau ou de poisson) ce qui exclut l’application du texte précité, compte-tenu des termes de l’article 4, paragraphe 1 de la directive du 21 décembre 1988.
Cette action ne pourrait être fondée que sur les dispositions de l’article L 713-3 b) du même code qui dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
Toutefois, la société Greenpeace en limitant les marques en cause ne désigne pas des produits ou services de la classe 38 comme le soutient la société SPCEA mais les activités nucléaires de ce groupe dont elle critique les incidences sur la qualité de l’environnement. Pour cette illustration, elle parodie ces marques en les associant à des dessins soulignant son propos (tête de mort, poisson mort, bombe nucléaire).
Aussi, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence de l’application de l’article L 713-3 b) précité en l’espèce dès lors, d’une part, que la finalité de ces imitations ne se situe pas sur le terrain commercial mais sur le terrain de la liberté d’expression dans le cadre du droit à la critique et à la caricature et que, d’autre part, le risque de confusion est problématique, l’internaute compte-tenu de la notoriété de l’éditeur du site ne pouvant croire que les informations diffusées proviennent du titulaire des marques ou d’entreprises qui lui sont liées ;
Compte-tenu des difficultés sur le fondement juridique des demandes qui relèvent de l’appréciation des juges du fond, et de l’absence de préjudice non indemnisable par l’allocation de dommages-intérêts, il y a lieu de débouter la société SPCEA.
Aucune considération d’équité ne commande de faire application de l’article 700 du ncpc en l’espèce.
La décision
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ainsi qu’en la forme des référés,
. Déboutons les parties de leurs demandes,
. Condamnons la société des Participations du Commissariat à l’Energie Atomique aux dépens.
Le tribunal : Mme Belfort (vice- président)
Avocat : Me Choukroun, Me Caretto, SCP Thomas & Associés
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Caretto est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Maître Henri Choukroun est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante :
En complément
Maître SCP Thomas et associés est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Belfort est également intervenu(e) dans les 32 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.