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Jurisprudence : Vie privée

mercredi 06 novembre 2002
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Cour d’appel de Paris, Arrêt du 6 novembre 2002

Jean Marie Le Pen, Association Le Front National / Wilfried W.

atteinte à la vie privée - droit à l'image

Vu l’appel interjeté le 17 mai 2002 par M. Jean Marie Le Pen et l’association Le Front National d’une ordonnance de référé prononcée le 3 mai 2002 par le président du tribunal de grande instance de Paris qui, par décision réputée contradictoire, a notamment :

– ordonné sous astreinte la suppression de la photographie apparaissant sur la rubrique « Le fascisme rouge descend dans la rue, la haine contre les patriotes » des sites internet « frontnational.com » et « lepen.tu » et de tout autre site animé par le Front National, ou par M. Jean Marie Le Pen, représentant M. Wilfried W. et un enfant, avec pour légende « un enfant otage de la haine »,

– ordonné la publication de l’ordonnance par extraits dans le quotidien local l’Union de Reims et dans un quotidien national au choix de M. Wilfried W., dans la limite de 10 000 € par insertion ;
Vu les conclusions du 27 septembre 2002 par lesquelles M. Jean Marie Le Pen et l’association Le Front National demandent à la cour :

– de dire que le tribunal de grande instance de Paris est incompétent au profit du tribunal de Nanterre,

– de dire nulle l’assignation et les actes subséquents,

– très subsidiairement d’infirmer l’ordonnance,

– de débouter M. Wilfried W. de ses prétentions et de le condamner à payer à chacun des appelants la somme de 1000 € en application de l’article 700 du ncpc ;
Vu les conclusions du 16 juillet 2002 par lesquelles M. Wilfried W. demande à la cour de rejeter les moyens invoqués par les appelants, de confirmer l’ordonnance, de condamner les appelants à lui payer la somme de 3000 € par application de l’article 700 du ncpc ;

Sur la compétence
Considérant que les appelants invoquent le principe de la compétence du tribunal établi au lieu du domicile du défendeur pour soutenir qu’aucune circonstance ne justifiait la saisine du tribunal de grande instance de Paris ;

Considérant cependant que l’article 46 du ncpc donne le droit au demandeur de saisir à son choix en matière délictuelle, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou encore celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;

Considérant que lorsqu’une infraction aux droits de la personnalité ou de la propriété intellectuelle a été commise par une diffusion sur le réseau internet, le fait dommageable se produit en tous lieux où les informations ou images litigieuses ont été mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site ; qu’en l’espèce la diffusion critiquée ayant été constatée à Paris, c’est à juste titre que le litige a été porté devant le tribunal de grande instance de cette ville ; que l’exception d’incompétence doit être en conséquence rejetée ;

Sur la validité de la procédure
Considérant que pour conclure à la nullité de l’acte introductif d’instance et de l’ordonnance, les appelants qui n’ont pas comparu en première instance font valoir que M. Wilfried W. n’a pas été autorisé à assigner « d’heure à heure » que les assignations n’ont pas été régulièrement délivrées et que le président du tribunal a méconnu les dispositions de l’article 486 du ncpc et de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme ;

Considérant qu’il résulte de l’article 485 alinéa 2 du ncpc qu’une assignation en référé peut être délivrée « à heure indiquée » si le cas requiert célérité, à condition que le demandeur ait obtenu l’autorisation préalable du juge ;

Considérant que si l’absence d’autorisation peut être une cause de nullité de l’assignation délivrée en violation de ces dispositions, le moyen soulevé en l’espèce par les appelants manque en fait, M. Wilfried W. ayant requis et obtenu lui-même l’autorisation exigée ;

Considérant quant aux conditions de délivrance de l’assignation et d’évocation de l’affaire à l’audience du juge des référés, que l’assignation visant M. Jean Marie Le Pen et l’association Le Front National a été signifiée le 2 mai 2002 à 18h50 pour une audience fixée au lendemain à 9h45 ;

Considérant que l’urgence des mesures à prendre pour faire cesser une atteinte aux droits de la personnalité pouvait, dans le contexte d’une campagne électorale et compte tenu du mode de diffusion utilisé susceptible d’intéresser un grand nombre de personnes, justifier la brièveté du délai de comparution ; qu’il importe néanmoins, pour satisfaire à l’article 486 du ncpc, de vérifier que les personnes visées ont pu faire valoir leurs droits dans des conditions respectant les intérêts de la défense ;

Considérant que l’huissier, après avoir constaté l’impossibilité d’une remise à personne pour les deux parties défenderesses, a signifié l’assignation en un lieu où se trouve le siège de l’association Le Front National et qui constitue son domicile, au sens de l’article 655 du ncpc ; qu’une personne ayant accepté de recevoir l’acte à cette adresse, l’association a été mise en mesure de connaître la nature de la procédure engagée contre elle, de prendre les dispositions nécessaires pour organiser sa défense et comparaître à l’audience ; que les dispositions de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme n’interdisant nullement qu’une partie soit citée à comparaître à bref délai lorsque, comme en l’espèce, les circonstances le justifient, l’exception de nullité de la procédure n’est pas fondée à l’égard de l’association ;

Considérant en revanche que, même si M. Jean Marie Le Pen est le président de l’association Le Front National et qu’un employé de celle-ci a accepté l’acte le concernant, l’appelant avait dû, à défaut de signification à personne, faire l’objet d’une tentative de signification à son domicile personnel, dès lors que l’assignation présentait des demandes qui le visaient directement ; qu’aucun indice sérieux ne permettant de faire présumer l’identité de domicile entre le groupement et son dirigeant, la signification de l’assignation dirigée contre M. Jean Marie Le Pen n’est pas régulière et a causé au destinataire un grief puisqu’il n’a pas pu prendre les dispositions utiles pour comparaître à l’audience du 3 mai 2002 ; que l’exception de nullité de la procédure doit, à son égard, être accueillie ;

Sur le bien fondé des demandes
Considérant que la procédure de référé a été engagée par M. Wilfried W. en raison de la diffusion sur le site internet du Front National d’une photographie le représentant derrière un enfant lors d’une manifestation publique, la publication étant accompagnée du commentaire suivant : « un enfant otage de la haine » ;

Considérant que pour contester les demandes de M. Wilfried W. et la décision attaqué qui les a accueillies, les appelants font valoir que la photographie ne se rapporte pas à la vie privée du demandeur et que sa diffusion est justifiée par les nécessités du débat démocratique ;

Considérant cependant que le président du tribunal de grande instance a retenu à juste titre que toute personne dispose sur son image et l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à ce que cette image soit reproduite sans son autorisation, la circonstance que la photographie a été prise sur la voie publique ne faisant nullement disparaître la protection résultant de ce droit ;

Considérant que le droit public à l’information et les enjeux d’une campagne électorale n’autorisent pas non plus l’exploitation non consentie, à des fins de propagande politique, de la photographie d’un individu aisément identifiable, notamment lorsqu’elle est associée à une légende dévalorisante ;

Considérant qu’en l’état d’une atteinte manifeste aux droits de la personne, le président du tribunal a pris les mesures adaptées aux circonstances pour faire cesser le trouble causé aux demandeurs ; qu’elles sont ainsi légalement justifiées au regard de l’article 809 alinéa 1er du ncpc ; que la décision doit être confirmée, en ce qui concerne les mesures dirigées contre l’association l’équité commandant de faire application de l’article 700 du ncpc en faveur de M. Wilfried W. seulement ;

La décision
. Rejette l’exception d’incompétence invoquée par les appelants,

. Rejette l’exception de nullité de la procédure, sauf en ce qui concerne M. Jean Marie Le Pen,

Statuant à nouveau sur ce point :

. Annule l’assignation et les actes subséquents à l’égard de M. Jean Marie Le Pen,

. Confirme pour le surplus l’ordonnance,

. Condamne l’association Le Front National à payer à M. Wilfried W. la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du ncpc;

. Rejette les autres demandes,

. Condamne l’association Le Front National aux dépens à l’exception de ceux concernant M. Jean Marie Le Pen qui resteront à la charge de M. Wilfried W.

La cour : M. Lacabarats (président), Mes Pellegrin et Beaufrere

Avocats : Me La Violette, Me Ludot

 
 

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