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Jurisprudence : Jurisprudences

jeudi 05 mars 2020
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Tribunal de commerce de Paris, 8ème ch., jugement du 12 février 2020

Mme X. et AGS / SFR

contenus - contrat - éditeur - numéros spéciaux - rétention de versements - téléphonie - usage contraire au contrat

Madame X. exerce sous le nom commercial AGS Univers Technologie Communication (ci-après AGS). AGS est on opérateur de services dont l’activité est d’héberger des services accessibles par la composition de numéros «Spéciaux» dont elle a demandé l’attribution.

Le 29 avril 2017, AGS souscrit avec la société Française du du Radiotéléphone (Ci·après SFR) un contrat de mise à disposition de numéros « spéciaux ».

AGS utilise ces numéros pour donner accès à ses services à valeur ajoutée (SVA) qu’elle héberge et a concédé l’usage de certains de ces numéros à des clients partenaires qui éditent et hébergent leurs SVA

Une seule des factures de reversement émise par AGS d’un montant de 23.235,73 E HT est réglée par SFR ; quatre autres d’un montant de 27.882,88 €, 6.988,55 €, 3.150,62 € et 229,57 € ne le sont pas, SFR alléguant qu’AGS aurait enfreint la déontologie prévue dans le contrat, ce qu’AGS conteste.

Le 6 septembre 2017, SFR résilie le contrat du 29 avril 2017.

Malgré les relances faites par AGS, le paiement des quatre factures qu’elle estime dues n’est pas effectué par SFR.

C’est ainsi qu’est née la présente instance.

Procédure
Par acte en date du 19 Juillet 2018 notifié à personne dite habilitée, Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS assigne SFR.
Par cet acte et aux audiences du 15 janvier et 5 novembre 2019 AGS demande au tribunal de :
• Déclarer Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS recevable en sa demande,
L’y dire bien fondée,
En conséquence, condamner SFR à payer à Madame X. la somme de 37.351,62 € au titre des reversements non effectués,
• Condamner SFR au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts,
• la condamner aux entiers dépens,
• La condamner à payer la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
• Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Aux audiences des 20 novembre 2018, 12 mars et 4 décembre 2019, SFR demande au tribunal de :
Vu les articles 1101 et suivants, 1193 et suivants du code civil,
Vu l’article L.34-5 du code des postes et des communications électroniques,
Vu tes articles L.121-1/2°, L.121-1 II et L.121-20-5 du code de la consommation, et 313-1 du code pénal
Vu les recommandations déontologiques et l’annexe lutte contre le trafic anormal,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
A titre principal,
• Débouter Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS de toutes ses demandes, fins et prétentions,
• Condamner Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS au paiement de la somme de 10.000 € en application de l’article 13.3 des conditions particulières  » Numéros Spéciaux  »
Subsidiairement,
• Juger que Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS indique avoir reçu la somme de 23.223 €,
• Juger infondée la somme de 3.150,62 € dénuée de tout justificatif,
• Rejeter les demandes de Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS à due concurrence,
• Limiter toute condamnation à ra somme de 10.978 € TTC,
En tout état de cause,
• Condamner Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS au paiement de ra somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
• Condamner Madame X. exerçant sous le nom commercial AGS aux entiers dépens.

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure.
A l’audience de mise en état du 3 décembre 2019, le tribunal a désigné un juge chargé d’instruire l’affaire.
Régulièrement convoqués à l’audience dudit juge du 21 janvier 2020 à laquelle les deux parties se présentent et après avoir entendu leurs observations, le juge clôt les débats et annonce que le jugement, mis en délibéré, sera prononcé par sa mise à disposition des parties le 12 février 2020 conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
Conformément à l’article 871 du code de procédure civile le juge chargé d’instruire l’affaire a rendu compte au tribunal dans son délibéré.

Moyens des parties
Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties tant dans leurs plaidoiries que dans leurs écritures, appliquant les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile le tribunal les résumera succinctement de la façon suivante.

A l’appui de ses demandes, AGS produit les copies de vingt pièces et soutient que :
• SFR n’apporte pas de justificatifs de son refus de procéder aux reversements qu’AGS est en droit d’attendre en vertu du contrat qui les lient,
• SFR produit les courriels échangés depuis le 29 mai2017 avec AGS mais n’apporte pas d’éléments sur les plaintes des clients auxquels elle fait référence,
• Dans sa réponse au courrier de résiliation du 6 septembre 2017, AGS indique qu’elle dispose de 200 numéros surtaxés et que les SPAM signalés ne concernent que quelques numéros et non pas l’ensemble et que leur reversement est de 1.400 € alors que les factures de reversement dépassent 50.000 €,
• En admettant qu’il y ait eu quelques SPAM, ils sont très peu nombreux par rapport à ra quantité de numéros surtaxés objet du contrat,
• Il n’y a pas eu de plaintes de la part des clients auprès de ra police ou du parquet,
• Il est facile pour un concurrent d’utiliser le SPAM ou appel à rebond pour nuire à AGS puisqu’il lui suffit de pratiquer l’appel à rebond en utilisant un ou des numéros surtaxés afin que le fournisseur principal de ces numéros, en l’occurrence SFR, suspende les numéros ou rompe la relation contractuelle et ne procède plus aux reversements, mettant ainsi AGS, en difficultés financières,
• Lors de la signature du contrat, SFR s’est bien gardée de la mettre en garde et d’attirer son attention sur le fait que des SPAM émis par ses propres clients ou par des personnes étrangères au contrat, pourront être pris en compte pour justifier la non-exécution du contrat par SFR qui faisait alors signer un contrat d’adhésion,
• Les clauses relatives aux SPAM, même provoqués par un tiers, doivent être déclarées nulles,
• AGS faisait toute confiance à SFR, importante entreprise reconnue comme telle,
• Il y a eu un manque de bonne foi de la part de SFR car la bonne foi suppose que le cocontractant n’exploite pas la dépendance de son partenaire pour en tirer un avantage excessif.

Pour sa défense, SFR réplique que :
• AGS a pris connaissance des conditions contractuelles et les a approuvées,
• Compte tenu de leur nature, l’usage des numéros d’appels dédiés à l’hébergement de SVA est soumis à des règles strictes destinées â éviter tout abus et toute fraude,
• La réglementation à laquelle le contrat renvoie détermine des typologies d’appels caractéristiques de cas de pratiques déloyales qui peuvent conduire à une interruption de service et à l’application de sanctions contractuelles,
• Ces «appels anormaux» sont définis par le Contrat, le Comité de ra Télématique Anonyme et l’association SVA+, les Recommandations Déontologiques, le Conseil Général des Technologies de l’Information (CGTIL), l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP).
• A compter du mois de mal2017 SFR a été destinataire de plaintes de consommateurs, d’opérateurs et entreprises tierces qui dénonçaient une typologie anormale d’appels émanant des numéros attribués à AGS,
• Cette situation a été dénoncée à AGS au visa exprès des dispositions contractuelles et des Recommandations Déontologiques du contrat, SFR lui rappelant les sanctions contractuelles applicables qu’il s’agisse de la suspension de tout reversement ou de l’application de pénalités contractuelles,
• En contravention avec les dispositions contractuelles applicables qui imposent de justifier de la licéité de l’usage des numéros et des services qu’elle héberge AGS n’a jamais fourni aucune explication à SFR et n’a pas davantage annoncé d*investigations ou de mesures destinées à mettre fin aux pratiques et n’a pas non plus contesté les faits ayant donné lieu à notifications,
• le 5 juillet 2017, SFR a mis AGS en demeure de cesser toute pratique non conforme au contrat et à la réglementation,
• Par courrier du mois de juillet 2017, AGS a confirmé avoir vérifié auprès de la plateforme 33700 l’existence et la nature des signalements et a dit être intervenue auprès de ses clients partenaires et avoir fait le nécessaire pour que les recommandations déontologiques soient respectées mais AGS n’a jamais justifié avoir pris de mesures,
• Les pratiques illicites qui se sont poursuivies ont donné lieu à de nouvelles notifications et comme précédemment, AGS n’a pas contesté les faits portés à sa connaissance, n’a fourni aucune explication à SFR et n’a pris aucun engagement pour l’avenir,
• En l’absence de réponse d’AGS, et à l’évidence de toute amélioration ou correction de la situation, SFR lui a indiqué par courrier du 3 août 2017 qu’elle entendait procéder à la suspension de tous les numéros attribués par contrat,
• le caractère anormal ou frauduleux du trafic a été constaté par d’autres opérateurs que SFR qui a été informée par les opérateurs Free Mobile puis Bouygues Télécom qu’ils avaient également été rendus destinataires de plaintes de la part de leurs propres clients, qui ont annoncé qu’aucun versement ne serait effectué,
• la société Auchan France a menacé SFR de porter plainte pour escroquerie du fait de l’usage des numéros qu’elle avait constaté et la société Intermarché a posté une alerte pour tentatives d’escroquerie sur la page d’accueil de son site internet,
• Dans son courrier daté du 18 septembre 2017, AGS n’a pas contesté la matérialité des faits qu’elle a imputé à des actions de concurrents qui voulaient lui nuire.
• Le 20 septembre 2017, SFR a rappelé l’historique et la succession des manquements constatés et dénoncés depuis le mois de mai 2017, soulignant qu’une société tierce, la société Auchan, venait de déposer plainte ; en conséquence, SFR confirmait la résiliation du contrat et le blocage de tout reversement éventuel,
• la résiliation du contrat par SFR n’a pas été remise en cause par AGS.

Sur ce, le tribunal,

Sur la demande principale

• Attendu que l’article 1101 du code civil stipule que « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » ;
• Attendu que l’article 11.3.2 (périmètre des reversements) du contrat stipule que « le client reconnait et accepte expressément qu’aucun reversement ne sera dû » entre autres « dans les hypothèses suivantes :
• en cas de trafic anormal, inapproprié ou frauduleux tel que constaté conformément à l’annexe Lutte contre le trafic anormal,
• en cas de manquement aux recommandations déontologiques,
• en cas de non-respect de l’information des consommateurs par le MGJT,
• en cas de manquement du client à ses obligations dans le cadre de la réglementation SVA concernant notamment les déclarations d’usage et la mise à jour du référentiel SVA » ;
• Attendu que l’article 13 (Sanctions) du contrat stipule que « sans préjudice des dispositions des conditions générales, les parties sont convenues qu’en cas de constatation de trafic anormal, le client devra immédiatement mettre en œuvre les mesures appropriées pour faire cesser le manquement reproché et disposera d’un délai de deux (2) jours à compter de la notification correspondante adressée par SFR pour apporter tout élément pouvant justifier le caractère normal, approprié et licite du trafic d’appels concerné et qu’en cas de trafic anormal sur des numéros soumis à reversements, le client reconnaît et accepte expressément que SFR procédera à une retenue provisoire sur les reversements correspondants dès la constatation dudit trafic » et « qu’en toutes hypothèses, sauf si le client apporte tout élément pouvant justifier le caractère normal, approprié et licite du trafic d’appels concerné dans le délai précité, SFR procèdera à la suspension des numéros concernés, et le cas échéant, à /a rétention définitive des reversements concernés » ;
• Attendu qu’à compter du mois de mai 2017, SFR a été informée à plusieurs reprises d’une typologie anormale d’appels à destination des numéros attribués à AGS et qu’elle a été destinataire de plaintes ;
• Attendu que la situation a été dénoncée à AGS au visa exprès des dispositions contractuelles, en lui rappelant les sanctions contractuelles applicables et que des notifications ont eu successivement lieu pour des événements distincts les 29 mai,9 juin, 23 juin, 3 juillet et 5 juillet 2017 et qu’à chaque fois elles étaient en relation avec de nouveaux événements constatés par SFR ;
• Attendu que par courrier du 7 juillet 2017, AGS a promis être intervenue auprès de ses partenaires et avoir fait le nécessaire pour que les recommandations déontologiques soient respectées mais qu’elle n’a jamais justifié avoir pris ces mesures et que force a été de constater que les pratiques illicites se sont poursuivies :
• Attendu que ces autres pratiques illicites ont donné lieu à d’autres notifications de SFR les 10,11, 21 et 25 juillet 2017 et le 1er août 2017 ;
• Attendu que contractuellement AGS était tenue et responsable, de toute anomalie en relation avec la proposition et la consommation des services théoriquement hébergés derrière les numéros SVA qu’elle exploitait ;
• Attendu qu’en contravention avec les dispositions contractuelles applicables qui lui imposent d’exercer une surveillance constante de l’usage des numéros qui lui ont été attribués et du contenu du service et de justifier de la licéité de rosage des numéros et des services qu’ils hébergent. AGS n’a fourni aucune explication à SFR et n’a pas annoncé d’investigations ou de mesures destinées à mettre fin aux pratiques que SFR lui avait mise en demeure de cesser ;
• Attendu par ailleurs qu’AGS n’a jamais apporté la preuve de la licéité de son exploitation des numéros spéciaux et qu’au visa de ses obligations elle n’a pas démontré avoir justifié auprès de SFR de l’existence et de la nature des services ou contenus qui doivent nécessairement être hébergés derrière les numéros SVA qu’elle exploite ;
• Attendu enfin que le 3 août 2017 SFR a annoncé à AGS la suspension de tous les numéros contractuels et qu’elle a notifié la résiliation du contrat le 6 septembre 2017 et que celle-ci n’a pas été remise en cause par AGS et qu’elle était légitime à pratiquer la rétention de tout reversement lorsqu’il existe des sommes éligibles et collectées ;
• en conséquence, le tribunal déboutera AGS de sa demande de condamner SFR à lui payer la somme de 37.351,62 € au litre des reversements non effectués ;

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Attendu que pour faire valoir ses droits SFR a engagé des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge, en conséquence le tribunal condamnera AGS à lui payer 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la déboutera du surplus demandé ;

Sur les dépens
Le tribunal condamnera AGS, la partie qui succombe, aux dépens ;

Sur l’exécution provisoire
Attendu qu’il l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, le tribunal ordonnera l’exécution provisoire du présent jugement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner plus avant les autres moyens des parties que le tribunal considère comme inopérants ou mal fondés, il sera statué dans les termes ci-après ;


DÉCISION

Le tribunal statuant en premier ressort par un jugement contradictoire :

• Déboute Mme X. exerçant sous le nom commercial AGS Univers Technologie Communication de sa demande de condamner la SA Société Française du du Radiotéléphone- SFR à lui payer la somme de 37.351,62 € au titre des reversements non effectués ;

• Déboute Mme X. exerçant sous le nom commercial AGS Univers Technologie Communication de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;

• Condamne Mme X. exerçant sous le nom commercial AGS Univers Technologie Communication à payer à la SA Société Française du du Radiotéléphone- SFR la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la déboutant du surplus demandé ;

• Ordonne l’exécution provisoire du présent Jugement ;

• Condamne Mme X. exerçant sous le nom commercial AGS Univers Technologie Communication, la partie qui succombe, aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

 

Le tribunal : Eric Bizalion (juge chargé d’instruire l’affaire), André Dufetel (président), Eric Bizalion, Patrice Saugeron (juges), Sylvie Vandenberghe (greffier)

Avocats : Me Thierry Delarboulas, Me Stéphane Coulaux

Source : Legalis.net

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