Jurisprudence : Diffamation
Cour de cassation, ch. criminelle, arrêt du 1er septembre 2020
Groupe Bolloré / Messieurs X. et Y.
article de presse - dirigeant - identification - lien hypertexte - presse - sociéte
La société Bolloré, partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 2-7, en date du 20 février 2019, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre MM. X. et Y., des chefs de diffamation publique envers un particulier et complicité, a déclaré irrecevable l’action engagée par elle.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Bolloré, et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier,
conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 30 avril 2013 a été mis en ligne, sur le site Internet www.lesinrocks.com, un article intitulé « L’affaire Z. résumée en cinq points », contenant notamment un passage ainsi rédigé « M. A. a rappelé à MM. B. et C. (le directeur de cabinet), qui me l’ont répété, que M. D. avait joué un rôle important dans le financement de la campagne de M. E. en 2007, a assuré au Monde M. F. Il aurait servi d’intermédiaire via notamment le Liechtenstein, pour le transfert des fonds libyens destinés au financement occulte de M. E. » « Affaire à suivre, de près ».
3. Cet article contenait, en un autre passage, un lien hypertexte renvoyant à un article, intitulé « Nouvelles accusations sur un financement libyen de la campagne de M. E. », publié le 27 avril 2013 sur le site internet du Monde.
4. A la suite de la mise en ligne de l’article du 30 avril 2013, la SA Bolloré (la société Bolloré) a porté plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction du chef de diffamation publique envers un particulier, à la suite de quoi MM. X., directeur de la publication du site Internet, et Y., auteur de l’article, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris, le premier du chef de diffamation publique envers un particulier, le second du chef de complicité du même délit.
5. Les juges du premier degré ayant déclaré l’action en diffamation engagée par la société Bolloré irrecevable, celle-ci a interjeté appel de cette décision, ainsi, ultérieurement, que les prévenus.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles 23, 29, 32 de la loi du 29 juillet 1881, 93-3 de la loi no 82-652 du 29 juillet 1982, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, insuffisance de motifs.
8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action en diffamation engagée par la société Bolloré, alors « que pour déterminer la portée de propos diffamatoires, aux fins de savoir si une personne morale est visée au travers de son dirigeant, les juges doivent prendre en considération l’ensemble de l’article et son contexte ; que les articles auxquels renvoie, au moyen d’un lien hypertexte, l’article comportant les passages incriminés relèvent du contexte de ce dernier ; qu’en minorant
l’importance, dans le cadre de leur analyse, de l’article publié sur le site du journal Le Monde auquel l’article litigieux renvoyait, au motif inopérant que « l’internaute qui lit l’article des Inrocks ne clique pas forcément sur le lien renvoyant à celui du Monde, d’autant que l’article litigieux contient de nombreux liens », les juges du fond ont violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
9. Pour écarter l’argumentation de la société Bolloré, qui se plaint d’être victime de diffamation en raison notamment du renvoi, opéré à l’aide d’un lien hypertexte, à un article intitulé « Nouvelles accusations sur un financement libyen de la campagne de M. E. », publié le 27 avril 2013 sur le site internet du Monde, l’arrêt attaqué énonce notamment que même si un lien hypertexte peut caractériser un élément extrinsèque d’identification, au cas présent l’internaute qui lit l’article des Inrocks ne clique pas forcément sur le lien renvoyant à celui du Monde, d’autant que l’article litigieux contient de
nombreux liens.
10. Les juges ajoutent qu’il y a lieu de constater que les propos poursuivis visent nommément et uniquement, du moins de façon explicite, le seul « M. D. ». Ils observent que la société Bolloré ne démontre pas que « M. D. » ne serait visé que comme son dirigeant ni qu’elle serait elle-même particulièrement visée au sein du « groupe Bolloré ».
11. En l’état de ces énonciations, la cour d’appel, qui, appréciant exactement le sens et la portée des propos incriminés, éclairés par les éléments extrinsèques qu’elle a retenus comme pertinents et qu’elle a souverainement analysés, en a déduit que la société Bolloré n’était pas personnellement visée par une imputation diffamatoire, n’a méconnu aucun des textes invoqués au moyen, lequel doit être écarté.
12. En effet, en premier lieu, la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation.
13. En second lieu, le renvoi par un lien hypertexte inséré dans l’article contenant le texte litigieux à un autre article, s’il peut ressortir à un élément extrinsèque au passage poursuivi et être susceptible de permettre l’identification de la personne visée, peut tout autant, compte tenu du lectorat et de la présence d’autres hyperliens, éléments relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, ne pas être regardé comme permettant effectivement cette identification.
14. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.
DÉCISION
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt.
La Cour : M. Soulard (président), M. Barbier (conseiller rapporteur), Mme Durin-Karsenty (conseiller de la chambre), Mme Guichard (greffier de chambre)
Avocats : SCP Foussard et Froger
Source : Legalis.net
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