Jurisprudence : Jurisprudences
TGI de Paris, ordonnance de référé du 15 mai 2019
M. X. et M. Y. / M. Z.
création de faux profils - droit à l'image - photo - photographie - réseaux sociaux - sexualité - vengeance - vie privée
Vu l’assignation en référé délivrée le 15 février 2019 à M. Z. à la requête de M. X. et M. Y. lesquels, estimant qu’il avait été porté atteinte de manière répétée au respect dû à l’intimité de leur vie privée par la révélation publique et à leurs proches de leur homosexualité et la communication de divers éléments de leur vie privée à des tiers sur les réseaux sociaux et notamment « Instagram », nous demande, au visa des articles 9 du code civil, et 809 du code de procédure civile :
– d’ordonner, sous contrôle d’un huissier de justice et à ses frais, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de 5 jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir :
– la suppression de tous les documents (photos, films, emails, conversations téléphoniques, sms, whatsapps, contacts téléphoniques de proches ou parents de M. X. et M. Y.) en lien avec M. X. et M. Y. sur son/ses téléphones portables et ordinateur (s) ;
– la suppression des comptes de l’application Grinder faisant apparaître les photos de M. Y. dont est titulaire M. Z. ;
– la publication d’un communiqué judiciaire durant 30 jours consécutifs, de manière publique et parfaitement lisible, sans se désabonner de ses abonnements (314) et sans bloquer ses abonnés (4424) sous forme de publication sur son compte Instagram « Z. »;
– de condamner M. Z. à verser à M. X. et M. Y. chacun la somme de 40.000 euros à titre provisionnel en réparation de leur préjudice moral ;
– de condamner M. Z. à verser à M. X. et M. Y. chacun la somme de 3500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de rappeler que l’exécution provisoire est de droit.
Vu les conclusions en réponse de M. Z., déposées à l’audience du 3 avril 2019, qui nous demande :
– de constater l’existence de contestations sérieuses et l’absence d’urgence ;
– de dire n’y avoir lieu à référé ;
– de rejeter l’ensemble des demandes des requérants ;
– de condamner solidairement M. X. et M. Y. à verser à M. Z. la somme de 4000 euros au titre de
l’article 700 du code de procédure civile ;
– de les condamner aux entiers dépens.
Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 3 avril 2019.
Il leur a été indiqué que la présente ordonnance serait rendue le 15 mai 2019, par mise à disposition au greffe.
SUR LES FAITS ET LA PROCÉDURE :
Les requérants exposent qu’âgés de 21 ans (M. Y.) et de 25 ans (M. X.), d’origine maghrébine, de confession musulmane, issus de la banlieue, homosexuels, ils ont choisi de vivre leur sexualité dans la discrétion vis-à-vis de leur famille et de leurs proches, eu égard à leur milieu familial traditionnel et
soulignent que le « coming out » (révélation de l’homosexualité aux proches), étape cruciale et fondamentale chez les personnes homosexuelles relevait de leur seul choix.
Ils relatent que M. Z., gérant d’un institut de beauté pour hommes dans le Marais à Paris (…), ayant eu une relation de couple avec chacun d’entre eux, (de mi- avril à début juillet 2018 s’agissant de M. Y. et de début octobre à mi-décembre 2018 s’agissant de M. X.), a dévoilé leur sexualité auprès de leurs familles respectives et publiquement sur les réseaux sociaux, à chacune des deux ruptures, ce dont il serait par ailleurs coutumier.
M. Y. indique avoir d’emblée été soumis à une pression de M. Z. qui l’avait menacé après leur première nuit de révéler son homosexualité à ses proches s’il s’avisait de le quitter et que lorsque la relation avait pris fin M. Z. s’était présenté le 24 juillet 2018 au magasin d’alimentation de son frère où il travaillait durant l’été pour voler son téléphone portable, lui occasionnant une ITT de 21 jours, (dans le cadre d’une altercation ayant conduit le procureur du tribunal de grande instance de Nanterre à les renvoyer tous deux pour violences, l’affaire actuellement pendante devant être jugée après renvoi le 5 novembre 2019) avant de mettre à exécution ses menaces.
Il précise que :
– le 12 août 2018, sur le réseau social Instagram, M. Z. créait un profil public (consultable par tous), du nom de « Z. », y ajoutant tous les amis ou contacts « Instagram » de M. Y. soit 86 personnes (son entourage familial et amical étant explicitement visé), 408 personnes ayant suivi ce compte sur lequel se trouvaient publiées des photos intimes de M. Y., dont l’une sur laquelle il apparaît fesses nues, où se trouve inscrite la mention dans un coeur : « pour rebeu », ainsi qu’une photographie de leur couple avec la mention « mon bb », et que des photos pornographiques, ces photographies ne laissant aucun doute sur la sexualité affichée sur le profil : « beur » signifiant arabe et « pass », passif chez les personnes
homosexuelles masculines ;
– le 13 août 2018, M. Z. appelait, pour révéler l’homosexualité de M. Y., le grand-frère de ce dernier,
I. Y., dont il avait obtenu le numéro de téléphone en fouillant dans le téléphone de M. Y. durant leur relation, lui adressant par message depuis son compte Instagram « Z. » des photos intimes de son petit frère, ainsi que des conversations sur un site de rencontre gay à partir de faux comptes créés avec les
photographies de M. Y.
M. Y. indiquait avoir déposé plainte le 15 août 2018 pour ces faits et avoir constaté que M. Z. avait également créé de faux comptes sur les applications de rencontres gay Hornet ( intitulés « @ » et « @ ») et Grinder (intitulés « … », « …, « … ») avec les photographies de M. Y., son adresse, des photographies à caractère privé et pornographiques laissant croire qu’il s’agissait de lui ayant été divulguées à des inconnus sur ces applications, ces comptes sur l’application Hornet ayant été supprimés après son intervention du 3 septembre 2018 mais aucune certitude ne permettant de s’assurer de la suppression des comptes de l’application Grinder.
S’agissant de M. X., il relate que la fin de sa relation avec M. Z. fut particulièrement tumultueuse puisque la rupture ayant été formulée en Espagne, M. Z. lui volait son passeport afin qu’il y reste bloqué et indiquait lors d’une conversation avec M. W. du 8 décembre 2018 ayant fait l’objet d’un constat d’huissier qu’il allait lui « niquer sa vie jusqu’au bout » (la vie de M. X.), menaçant d’envoyer des photographies et vidéos capturées sur Instagram.
Il précise que :
– le 16 décembre 2018, M. Z. créait un faux profil sur Instagram et menaçait M.X. de révéler son
homosexualité si ce dernier ne se remettait pas avec lui ;
– le 17 décembre 2018, la rupture étant confirmée M. Z. appelait la mère de M. X. (dont il avait obtenu le numéro en fouillant son téléphone durant la relation commune) pour lui révéler l’homosexualité de son fils, ainsi que sa cousine et créait un faux profil public Instagram « Y. » s’abonnant à bon nombre de connaissances de M. X. dont des relations proches, familiales et professionnelles, ayant dénombré 446 abonnés avant sa suppression, (la découverte de ce faux compte ayant conduit M. X. à faire un signalement en ligne le 19 décembre 2018 auprès de la CNIL et à déposer une plainte en ligne le 20 décembre 2018 à la Direction Centrale de la Police Judiciaire) sur lequel étaient accessibles des photographies de leur couple et des photographies intimes de M. X. ainsi que des conversations Whatsapp privées ne laissant aucun doute sur la sexualité de M. X. et sur lequel il publiait une « story » (message instantané visible 24 heures par tous sur Instagram) : « ça
c’est pour ne pas assumer son homosexualité ».
M. X. soulignait que M. Z., lequel n’avait toujours pas admis la rupture continuait de le contacter par emails et avait reconnu son entreprise pernicieuse et malveillante à son égard, notamment à travers des échanges de janvier 2019.
C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation, les demandeurs considérant qu’il avait ainsi été porté une atteinte manifeste et non sérieusement contestable au droit au respect dû à leur vie privée dans la sphère de laquelle entre la sexualité, en violation de l’article 9 du code civil, la seule constatation de cette atteinte caractérisant l’urgence et justifiant une réparation prévisionnelle ainsi que les mesures sollicitées destinées à prévenir tout risque de nouvelle atteinte.
M. Y. souligne que M. Z. n’a pas respecté le contrôle judiciaire qui lui a été imposé avec l’interdiction d’entrer en contact avec lui et qu’au vu des problèmes psychologiques tels que dénoncés par son frère et qu’il reconnait lui-même, il pourrait être tenté de récidiver dès lors qu’il conserve l’ensemble des contacts et photographies de M. Y., d’autant qu’il aurait agi de la sorte avec un tiers, un certain « A. »; qu’il est résulté pour ce qui le concerne un préjudice considérable de la révélation de son homosexualité lui ayant valu des insultes et l’ayant contraint à se réfugier chez une amie.
M. X. fait état de menaces de violences et d’injures consécutives à la divulgation de son homosexualité l’ayant obligé à quitter son domicile familial de Nanterre pour vivre chez sa tante dans le 95 depuis le 17 décembre 2018 et à interrompre son activité de rappeur, ce milieu n’étant pas tolérant avec les homosexuels.
Le défendeur leur oppose au premier chef l’irrecevabilité des captures d’écran en l’absence d’un constat d’huissier permettant de les dater et de savoir si les comptes ont été supprimés, la production d’une simple impression papier étant insuffisante pour établir la réalité d’une publication sur le réseau internet, tant dans son contenu, qu’au regard de sa date et de son caractère public. Il précise que les pièces en demande concernant M. Y. n°7,10,11,12 sont irrecevables ; que les pièces concernant M. X. n°17,18,24,25,28,29, 39 sont irrecevables ; que sa pièce n°40 n’est pas probante.
Il fait en outre valoir :
– que la plupart des contenus sont contestables, qu’il n’est pas établi que les publications alléguées sur Instagram aient fait l’objet d’un accès public. (Instagram étant une application permettant de
partager avec une communauté de « followers » des images et photographies avec la possibilité de diffuser publiquement les photographies ou de leur conserver un accès restreint limité aux abonnés du compte, toute personne possédant un compte pouvant accéder à un compte ouvert au public sous réserve qu’elle s’y rende en entrant dans sa barre de recherche le nom ou pseudonyme du détenteur du compte) ;
– que s’il ne conteste pas l’échange de courriels par lequel il reconnait avoir contacté la famille de M. X., il conteste toute publication malveillante à l’égard de M. Y. et que les éléments produits par ce dernier puissent justifier la présente action en référé ;
– que les demandeurs ont des profils sur les réseaux sociaux et échangent des photographies, étant déjà « aoutés » dans le milieu dont s’agit, que M. Y. y est connu comme « escort », qu’il l’a rencontré via l’application mobile Hornet sur laquelle chacun affiche publiquement sa photographie qui apparaît sur une mosaïque permettant aux autres membres de sélectionner le profil pour pouvoir lui parler, le classement se faisant selon un critère de proximité ; que tous deux sont sous contrôle judiciaire ;
– que Grinder est un réseau social de discussion de la communauté homosexuelle, régie par une géolocalisation permettant de voir un nombre limité de profils alentours, les échanges de photographies (à l’exception d’une photographie de profil) ne pouvant par ailleurs se faire qu’au travers d’une discussion intuitu personae ;
– qu’il ressort des conclusions des demandeurs que les faux comptes Instagram et Hornet ont été supprimés et que les comptes Grinder ne sont plus actifs ;
– qu’il n’est ainsi justifié de l’imminence d’aucun dommage concernant les faux comptes des requérants sur les réseaux sociaux et que la demande de suppression des comptes et documents est infondée, la suppression de données numériques aussi volatiles étant au demeurant irréalisable ;
– que s’agissant des révélations auprès des proches de M. X., aucun contact n’est plus établi depuis janvier 2019 et qu’aucune urgence ne se trouve établie à prévenir un trouble déjà terminé ;
– que la réalité du préjudice subi par M. X. n’est pas établie et qu’il doit être tenu compte à cet égard de ce qu’une publication sur les réseaux sociaux n’équivaut pas à une publication par voie de presse ; que subsidiairement une provision devrait être ramenée à une plus juste proportion que celle sollicitée ;
– que la demande de publication d’un communiqué judiciaire sur le compte personnel du défendeur lequel n’a été la source d’aucun des faits reprochés ne se justifie pas et aurait de lourdes conséquences sur sa vie sociale et son commerce ;
– que les demandes excèdent dans ces conditions les pouvoirs du juge de l’évidence.
SUR LES ATTEINTES A LA VIE PRIVÉE ET AU DROIT A L’IMAGE :
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
L’article 10 de la même Convention garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.
La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.Ainsi, chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
Par ailleurs, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte à la vie privée.
Si la preuve d’un fait juridique n’est, en principe, et ainsi qu’en dispose l’article 1348 ancien du code civil, soumise à aucune condition de forme, il n’en reste pas moins que lorsqu’il s’agit d’établir la réalité d’une publication sur le réseau internet, la production d’une simple impression sur papier est à elle seule insuffisante pour établir sa réalité, tant en ce qui concerne sa date que son contenu et son caractère public, dès lors que ces faits font l’objet d’une contestation, l’impression pouvant avoir été modifiée ou être issue de la mémoire cache de l’ordinateur utilisé dont il n’est pas justifié que cette mémoire ait été préalablement vidée.
En l’espèce, il est question d’une part de la publication sur les réseaux sociaux d’éléments concernant la sexualité des demandeurs, et d’autre part de la révélation auprès de leurs proches de leur homosexualité. En soi ces éléments relèvent incontestablement de la sphère de l’intimité de la vie privée.
S’agissant de M. X., il produit :
– une attestation ( pièce n°15) de sa mère … en date du 28 janvier 2019 certifiant avoir « reçu plusieurs appels de M. Z. en décembre 2018, le jour où ce dernier a créé un faux compte sur instagram (17 décembre 2018) en publiant des photos de lui et mon fils. Il m’a dit : »votre fils est gay, c’est un homosexuel, je suis son petit copain…il m’a envoyé des sms avec des photos de lui et de mon fils entrain de s’embrasser. Sur le coup je les ai supprimées car je ne comprenais pas ce qu’il voulait et en plus j’ai changé de téléphone… »;
– une attestation de sa cousine … en date du 29 janvier 2019 (pièce n°16) certifiant avoir été contactée par M. Z. « le 17 décembre 2018 sur son compte instagram en me disant que mon cousin était une pute et un crasseux. Il avait mis des photos et des vidéos de mon cousin et de lui en train de s’embrasser. J’ai donc découvert l’homosexualité de mon cousin M. X. que j’ai appelé immédiatement…J’ai tenté de convaincre M. Z. de retirer de tout suite ces photos et de supprimer ce compte…il insistait pour me voir et faisant du chantage : si je ne lui ramenais pas M. X. pour qu’ils se voient, il continuerait à publier des photos intimes de mon cousin sur Instagram. »
Pour ce qui concerne le faux profil public Instagram « … » qui aurait été créé le 16 décembre 2018 par M. Z. sur lequel étaient accessibles des photographies de leur couple et des photographies intimes de M. X. ainsi que des conversations Whatsapp privées ne laissant aucun doute sur la sexualité de M. X. et sur lequel il aurait publié une « story »( message instantané visible 24 heures par tous sur Instagram) : « ça c’est pour ne pas assumer son homosexualité », M. X. produit, outre les attestations susvisées y faisant référence :
– des captures d’écran ( pièces n° 17, 18 ,25) comportant dans un macaron une photogaphie de deux hommes s’embrassant sur la bouche et un fil de discussion intitulé :« X. & Z. On (s’aime) & alors » supposée avoir eu lieu entre les deux hommes ;
– une attestation (pièce n°32) de … en date du 18 décembre 2019 indiquant avoir reçu un appel de son ami M. X. lui demandant de signaler un faux compte venant d’être créé sous le pseudo « … », auquel il avait pu avoir accès en rentrant son nom dans la barre de recherche comportant des photographies de son ami embrassant un homme, apprenant ainsi son homosexualité ;
– une attestation de …, cousine de M. X. ( pièce n° 38), certifiant avoir reçu une demande d’amis sur Instagram sous le pseudo « … », partageant des photographies du créateur du compte et de son cousin à l’insu de ce dernier ;
– un signalement effectué le 16 décembre 2018 (pièce n°23) et une plainte adressée à la Cnil le 19 décembre 2018 (pièce n°22) ;
– un échange de courriels entre M. X. et le dénommé M. Z. à partir de l’adresse électronique de « … » des 11 et 12 janvier 2019 ( pièce n°20) d’où il résulte que M. Z. ne conteste pas le comportement que lui reproche M. X. particulièrement d’avoir « volé (son) passeport en Espagne d’avoir diffusé des photos, des vidéo et des enregistrements de (lui), de dire partout qu'(il est) gay… de (le) menacer de le révéler à tout le monde… » et qu’il reconnait: « Je me suis comporté comme le pire des fils de pute et oui tu as raison sur tous les points de ton mail. Je reconnais mon sale comportement…pour un borderline comme moi…j’ai parlé à beaucoup de monde après avoir publié les photos, et pour ça aussi je voudrais m’excuser…on m’a envoyé les enregistrements une semaine après, j’ai moi-même été choqué…j’étais un autre moi, je n’étais pas moi »
– un échange de courriels entre M. X. et le dénommé M. Z. à partir de l’adresse électronique de « … » des 27 et 29 janvier 2019 ( pièce n°21) d’où il résulte que M. X. reproche à M. Z. de lui avoir brisé la vie après une relation de 3 mois, d’avoir « niqu(é) (ses) relations avec (ses amis) et (sa) famille », lui demande de cesser ses messages, et que M. Z. ne conteste pas une certaine responsabilité à l’égard de M. X. en indiquant : « Ok c’est ma faute et j’assume …oui je t’ai fait du mal …je suis conscient de ce que je t’ai fait… j’ai grave merdé avec ce que j’ai fait. C’était de la pur(e) vengeance…Je le reconnais je suis impulsif et jaloux…tu as voulu m’abandonner juste pour quelques disputes et un passeport…Ok je t’ai mis la pression et je t’ai menacé »;
– un procès-verbal de constat établi le 30 janvier 2019 (pièce n°14) à la requête de M. X. à partir du téléphone Iphone de ce dernier répondant au numéro d’appel 06 … retranscrivant :
– des échanges de sms intervenus avec le numéro d’appel 06 … à compter d’un message reçu le 16 décembre dont il était exposé à l’huissier par M. X. qu’il correspondait au numéro de M. Z. dans le cadre duquel M. X. faisait état des menaces selon lesquelles son interlocuteur aurait été « prêt à
tout faire pour me détruire j’ai envie d’arrêter notre relation mais tu me menace (sic) de dévoiler mon homosexualité au grand jour en créant un faux compte de moi sur Instagram avec des photos et vidéos compromettantes pour moi de nous deux et aussi d’appeler ma famille sur le fix et le téléphone portable de ma mère ou bien mon pote de bassecour dans son lieu de travail ce qui est chose faite alors que personne n’est au courant de ma situation …c toi qui me force à avouer que je suis gay … c grave de pas me laisser le choix… »;
– un enregistrement audio présent sur le téléphone de M. X. que ce dernier exposait à l’huissier être l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre M. Z. et M.W. lui ayant été adressée par M.W. évoquant l’épisode du passeport confisqué de M. X., l’interlocuteur de M. W. précisant : « demain j’envoie toutes les photos, j’ai des vidéos où je l’embrasse, à Enghien-les-Bains à l’hôtel, j’ai des snaps. Je vais tout envoyer et j’ai tout sur Instagram. J’ai capturé tout sur Instagram, tous ses amis un par un. Tous. Je vais tout envoyer demain… »
Force est ainsi de constater que les faits reprochés par M. X. à M. Z. utilisant le pseudonyme « M. Z ». ne sont pas contestés tel qu’il ressort non seulement des pièces 20 et 21 susvisées mais des écritures en défense et du courriel adressé le 19 février 2019 à M. X. par M. Z. ( pièce n°44) et le 15 février 2019 ( pièce n°46) et sont corroborés par le faisceau d’indices résultant des attestations, captures d’écran, extraits de sms et conversations téléphoniques sus-mentionnés d’où il résulte que M. Z. avait menacé de révéler l’homosexualité de M. X. et leur relation photos et vidéos à l’appui à sa famille et à ses amis et qu’il a mis sa menace à exécution.
Il est ainsi établi avec une apparence suffisante pour que le juge des référés en tire les conséquences que M. Z. a porté à la connaissance de proches de M. X. qui l’ignoraient, tant par des contacts pris avec des membres de sa famille ou amis que par le biais d’instagram, et sans l’autorisation de l’intéressé, l’homosexualité de ce dernier et leur a donné à voir son image avec un homme qu’il embrassait sur la bouche et avec lequel il entretenait sur internet un échange réel ou supposé reflétant sans ambiguïté une relation homosexuelle entre deux hommes.
Il en résulte incontestablement une atteinte à l’intimité de la vie privée de M. X. laquelle ne se trouve en rien justifiée par la liberté d’expression.
S’agissant de M. Y., il produit notamment :
– une attestation de …, ancien salarié de l’institut géré par M. Z. (pièce n°1) et licencié en avril 2018 faisant état de ce que M. Z. lui avait déclaré avoir distribué ou fait distribué des tracts dans les boites aux lettres du quartier de son ex (un certain A.) pour révéler son homosexualité à tout le quartier et à ses parents ;
– le procès-verbal d’audition de M. Y. en date du 25 juillet 2018 (pièce n°2) consécutif aux violences l’ayant opposé à M. Z. faisant état de leur rencontre par le réseau Snapchat, de ce qu’après la première nuit passée ensemble M. Z. l’avait menacé de tout dévoiler à ses parents s’il ne restait pas avec lui, de sa soumission pendant deux mois à M. Z. ;
– une main-courante en date du 13 août 2018 (pièce n°6) par laquelle M. Y. relatait la violation par M. Z. du contrôle judiciaire auquel il avait été soumis par procès-verbal du 26 juillet 2018 ( pièce n°5) dans le cadre de sa convocation devant le tribunal correctionnel pour y être jugé le 15 janvier 2019, et mentionnait que M. Z. l’avait menacé d’aller voir son frère et de dire à toute sa famille qu’il était gay et qu’il avait appelé son frère au téléphone en lui disant qu’il était gay, qu’il était « escort », lui adressant des photographies de lui nu ;
– une capture d’écran du supposé faux compte Instagram « … » de M. Y. ( pièce n°7) ;
– un procès-verbal en date du 15 août 2018 relatif à la plainte déposée par M. Y. (pièce n°8) relatant la découverte le 13 août 2018 ( jour où il avait reçu une pierre lancée sur sa nuque par une personne qu’il n’avait pas vue mais qu’il craignait être son ex M. Z. déjà venu la veille à proximité de chez lui
et ayant tenté de reprendre contact) sur le site de rencontre « Hornet » d’un profil contenant son prénom et des photographies de lui avec un lien Instagram sur un faux profil « … » présentant 7 photographies de lui prises par M. Z. alors qu’il se trouvait en vacances avec lui dont l’une où l’on voit
ses fesses puis un appel de son frère I. Y. le lendemain vers midi l’informant que M. Z. l’avait
contacté par Instagram pour lui envoyer des imprimés écran le concernant comportant une discussion via le site « Grinder » (alors qu’il ne disposait d’aucun compte « Grinder ») qu’il aurait
eu avec une personne l’informant de ce qu’il était « escort » et une photo de lui prise par M. Z. alors qu’ils étaient en vacances ; M. Y. précisait que les comptes « Grinder », « Hornet » et « Instagram » n’avaient pas été créés par lui et qu’il soupçonnait M. Z. d’être à leur origine, sachant qu’il avait déjà créé de faux profils au nom d’un de ses ex après une rupture ;
– l’attestation d’I. Y. (pièce n°9) certifiant avoir été contacté par téléphone par M. Z. lequel lui révélait
être le « petit ami de son frère » lequel était « gay », ce qu’il ne savait pas, puis s’être vu envoyer « plein de photos de (son) frère et de lui en vacances depuis son compte Instagram » ainsi que « des photos
de (son) frère sur des applications de rencontre gay »;
– l’attestation de … ( pièce n°27) certifiant avoir reçu une demande d’amis en août 2018, d’un certain « … » avec des photos de son ami M. Y. et d’un autre garçon, « pass » signifiant passif, et l’intéressé se faisant passer pour un « escort », et indiquant avoir appris à cette occasion que M. Y. était « gay », ce qu’elle ignorait et ce qui a fait le tour de la fac, lui valant des insultes ( pièces n°28,29) ;
– un procès-verbal de constat ( pièce n°10) établi à la requête de M. Y. à partir du téléphone présenté par I. Y. reproduisant les messages échangés avec le contact « … » depuis le 13 août 2019 ;
– des captures d’écran de comptes « Hornet » (pièce n°11) dont « @ » comportant des photographies de M. Y., et une photographie pornographique de sexe sous ce même intitulé et renvoyant au compte « … »;
– des captures d’écran de comptes « Grinder » (pièce n°12) sous l’intitulé « … »;
– une demande de suppression de faux comptes Hornet (pièce n°13).
Bien que le défendeur n’ait reconnu aucun des faits qui lui sont reprochés au préjudice de M. Y. il résulte suffisamment en apparence des premières déclarations de ce dernier à la police, de l’attestation de son frère I. Y., de l’attestation de Mme S., de la similitude du mode opératoire dénoncé avec celui subi par M. X., qu’il n’a pas contesté, qu’il est établi que M. Z. a pris contact avec le frère de M. Y. et avec certains de ses proches pour porter à leur connaissance l’homosexualité de M. Y. qu’ils ignoraient et pour prolonger l’atteinte à l’intimité de sa vie privée ainsi caractérisée par des images le représentant ou supposées le représenter dans des moments de sa vie affective, sexuelle, ou de loisirs relevant de la sphère de sa vie privée.
Il en résulte incontestablement une atteinte à l’intimité de la vie privée de M. X. laquelle ne se trouve en rien justifiée par la liberté d’expression.
Les atteintes alléguées sont ainsi partiellement constituées.
SUR LES MESURES SOLLICITÉES :
L’article 9 alinéa 2 du code civil dispose que « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures … propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ». La condition de l’urgence prévue par cet article concerne les mesures prises en référé tendant à empêcher ou faire cesser l’atteinte et non celles tendant à l’allocation d’une provision sur dommages –intérêts et la seule constatation de la violation de la vie privée ou du droit à l’image par voie de presse caractérise l’urgence au sens du second alinéa de l’article 9 du code civil.
Aucune disposition légale ou conventionnelle n’interdit à une personne victime d’une atteinte à l’intimité de sa vie privée de saisir le juge des référés sur le fondement du texte général de l’article 809 du code de procédure civile pour obtenir des mesures propres à réparer le préjudice déjà subi, le juge des référés appréciant alors l’existence d’une contestation sérieuse et l’allocation d’une provision sur le fondement de l’article 809 alinéa 2 du même code n’étant pas exclusive de l’appréciation de la proportionnalité entre le respect dû à la vie privée et le principe de la liberté de la presse.
En application de l’article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable ; faute de contestation sérieuse des atteintes alléguées, il appartient au juge des référés de fixer à quelle hauteur l’obligation de réparer n’est pas sérieusement contestable.
La seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ou à la vie privée par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.
Par ailleurs, dans le cas où le demandeur s’est largement exprimé sur sa vie privée, cette attitude, de nature à attiser la curiosité du public, ne le prive pas de toute protection de sa vie privée mais justifie une diminution de l’appréciation du préjudice.
En l’espèce, le préjudice subi par M. X. est réel et sérieux, au regard des éléments suivants :
– la révélation dont relève de la plus stricte intimité et le fait de la révéler à sa famille, notamment à sa mère et à ses amis sans son accord est gravement attentatoire à sa vie privée et source d’un préjudice incontestable;
– il s’agit d’un jeune homme d’un milieu où l’homosexualité est mal acceptée, voire source de menaces et un lien découle de l’attestation de sa tante … ( pièce n°30) entre cette révélation et la circonstance qu’il a dû déménager chez elle à distance de son domicile familial pour préserver sa sécurité, comme de l’attestation de sa cousine … ( pièce n° 38);
– le préjudice moral qui en résulte pour l’intéressé ressort de plusieurs attestations de … (pièce n°32) évoquant son ami « dévasté », comme celle de sa tante indiquant qu’il vit « difficilement cette situation, qu’il a du mal à faire face » ou celle de … ( pièce n°33) évoquant l’acharnement et le lynchage dont il a été l’objet sur les réseaux sociaux et soulignant également qu’il vit très mal la situation et se trouve propulsé dans une grande solitude, de … ( pièce n°34) évoquant la nécessité pour M. X. de modifier ses habitudes de vie et les tensions et menaces résultant de cette situation, de … ( pièce n°36) évoquant les menaces de représailles dont il a été l’objet dans son quartier, ce qui est confirmé par … ( pièce n°37), de … ( pièce n°35) attestant des propos violents et homophobes dont il a été l’objet sur internet à la suite de la diffusion d’une vidéo le montrant embrassant son compagnon et en rappelant certains de manière circonstanciée, le décrédibilisant au regard de son activité de rappeur et d’éléments médicaux ( pièce n°47-1) faisant un lien entre le « cyber-harcèlement » de son ex compagnon et une santé dégradée qu’il ne peut plus faire suivre dans son quartier d’origine ;
En l’espèce, le préjudice subi par M. Y. est réel et sérieux, au regard des éléments suivants :
–la révélation dont s’agit relève de la plus stricte intimité et le fait de la révéler à sa famille, images à l’appui, notamment à son frère et à ses amis sans son accord est gravement attentatoire à sa vie privée et source d’un préjudice incontestable alors qu’il est très jeune ;
Toutefois, l’absence de pièces sur le préjudice personnellement subi, commande une appréciation plus modérée du préjudice subi.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, l’allocation à M. X. à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral de la somme de 10 000 euros pour l’atteinte portée à sa vie privée apparaît suffisante.
L’allocation à M. Y. à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral de la somme de 7 000 euros pour l’atteinte portée à sa vie privée apparaît suffisante.
Toute nouvelle utilisation des éléments en la possession de M. Z. et clichés litigieux se faisant aux risques et périls du défendeur et présentant en l’espèce un caractère éventuel et hypothétique, il ne saurait en l’absence d’éléments de nature à laisser présumer qu’il entendrait porter à nouveau atteinte aux droits des demandeurs au moyen des éléments en sa possession, être fait droit aux autres demandes, apparaissant disproportionnées.
Il ne sera pas davantage fait droit à la demande de publication judiciaire, cette demande apparaissant disproportionnée et inadaptée au regard des faits.
SUR LES AUTRES DEMANDES :
Il paraît équitable d’allouer à M. X. et M. Y. chacun la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, au vu des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer, en ce compris les frais d’huissier.
Le défendeur, qui succombe, sera condamné aux dépens.
DÉCISION
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort.
Condamnons M. Z. à payer à M. X. une provision de dix mille euros (10.000 €) à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à sa vie privée ;
Condamnons M. Z. à payer à M. Y. une provision de sept mille euros (7.000 €) à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à sa vie privée ;
Condamnons M. Z. à payer à M. X. et M. Y. chacun la somme de deux mille cinq cents euros (2.500 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons les parties du surplus de leurs demandes, en ce compris la demande de publication judiciaire, de suppression de comptes et d’éléments en la possession de M. Z. ;
Condamnons M. Z. aux dépens ;
Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit nonobstant appel.
Le Tribunal : Roia Palti (vice-présidente), Marc-Henri Beauval (greffier)
Avocats : Me Nicolas Cellupica, Me Damien Stalder
Source : Legalis.net
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