Jurisprudence : Base de données
Tribunal de commerce de Compiègne, jugement du 2 juin 1989
SOCIETE DES BOURSES FRANCAISES / OPTION SERVICE ET COTE DESFOSSES
absence de protection - diffusion - données - données brutes
Investie par l’article 10 de la loi du 22 janvier 1988 de la mission de diffusion de l’information boursière, la SBF a assigné Option Service, un serveur télématique d’informations boursières, en contrefaçon.
Prétendant détenir un droit de propriété sur les informations diffusées, SBF entend faire cesser cette concurrence qu’elle juge déloyale.
Saisi de ce litige, le tribunal de commerce de Compiègne déboute la demanderesse de sa demande et la condamne à des dommages-intérêts.
Pour ce faire, il décide que les informations litigieuses sont publiques et non susceptibles d’appropriation, qu’elles ne peuvent être considérées comme réunies dans une banque de données, la SBF n’ayant qu’un rôle passif d’enregistrement.
Le jugement est clair : la SBF ne peut prétendre avoir un monopole sur les informations boursières.
La réalité économique est pourtant tout autre, puisque la société Option Service vient de signer un contrat « FIM », avec la SBF, renonçant du même coup au jugement.
Option Service, malgré le jugement lui donnant raison avec force, doit passer par les réseaux payants de la SBF pour rediffuser des informations pourtant publiques.
LA PROCEDURE
Attendu que par actes délivrés le 23 juin 1988, le demandeur a assigné les défendeurs devant le tribunal de commerce de céans pour :
– que Option Service entende dire qu’elle a commis des actes constitutifs de contrefaçon et qu’elle soit de ce fait condamnée à 500 000 F de dommages-intérêts,
– que soit désigné un expert pour déterminer le préjudice subi,
– qu’il lui soit interdit de poursuivre ses agissements sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, d’utiliser des documents contrefaisants,
– qu’il soit ordonné la publication de la décision du présent jugement,
– que d’autre part, il soit pris acte de ce que la Cote Desfossés déclare ne pas avoir autorisé Option Service à diffuser des cours boursiers.
Attendu que Option Service demande à ce tribunal d’enjoindre à la Société des Bourses Françaises (SBF) d’avoir à justifier de l’approbation par le ministre de l’Economie de ses statuts et de son inscription sur la liste des établissements de crédit, en qualité d’institution financière investie d’une mission d’intérêt public et, en cas de non-satisfaction, la déclarer irrecevable en ses demandes, subsidiairement la renvoyer à se mieux pourvoir devant la juridiction administrative compétente vu l’intervention dans ce litige de l’utilisation de services particuliers des télécommunications, condamner le demandeur à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, condamner solidairement la SBF et la Cote Desfossés à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l’article 700 du NCPC, ordonner la publication du présent jugement et ordonner l’exécution provisoire.
LA POSITION DES PARTIES
* Arguments de la demanderesse
La SBF est une société anonyme, nouvelle forme juridique de la Compagnie des agents de change, et une institution financière qui, en application de l’article 10 de la loi du 22 janvier 1988, enregistre les négocations effectuées par les sociétés de bourse.
La Cote Desfossés est une société d’édition qui imprimait, en accord avec la Compagnie des agents de change, un journal donnant la cote officielle et les cours boursiers.
Option Service exploite un service télématique qui pirate l’information boursière du demandeur.
La SBF étant « la suite de la chambre syndicale des agents de change » doit assurer, suivant l’article 10 de la loi du 22 janvier 1988, la publicité de négociation des sociétés de bourse. A partir des négociations enregistrées, SBF procède à un ensemble de travaux qui aboutissent à la détermination du cours boursier. L’ensemble de ces informations agrémentées de commentaires divers sont réunies dans une banque de données qui détermine en particulier la cote officielle qui fait l’objet d’une publication. Le demandeur diffuse sa banque de données par divers moyens agréés par lui et notamment la SDIB, la Cote Bleue, la Cote Desfossés, suivant contrats entre les parties. Le contrat de la Cote Desfossés a pris fin le 1er juillet 1988 et un nouveau contrat est en discussion avec la SDIB, filiale du demandeur.
Le demandeur a fait constater par huisser que Option Service exploite un service télématique d’informations boursières accessible par Minitel 36-15 code Crésus et se livre pour ce faire à des détournements d’informations au détriment de la SBF et aussi d’agences étrangères telle Reuter.
Option Service répond que SBF n’a pas de droit de propriété exclusive sur les cours de la Bourse et le demandeur dit qu’elle méconnaît de ce fait :
– la loi du 22 janvier 1988 relative à l’organisation boursière,
– la loi du 11 mars 1957 relative à la protection des banques de données par la propriété littéraire et artistique,
– la loi du 3 juillet 1985 relative à la propriété des logiciels,
– la jurisprudence concernant la concurrence déloyale et parasitaire,
– la propriété des informations en application des articles 544 et suivants du code civil.
. La loi du 22 janvier 1988 charge SBF de publier la cote officielle et les négociations dont est seulement autorisée la publication partielle ou totale et non les extraits de banque de données, et ce en conformité avec l’article 22 de la loi du 14 février 1942 et des prescriptions de la COB ;
. la loi du 11 mars 1957 : les informations boursières constituant un travail original sont à ce titre protégées par le droit d’auteur ;
. la loi du 3 juillet 1985 consacrée à la protection des logiciels doit s’appliquer, la banque de données formant un ensemble indissociable avec son logiciel ;
. la concurrence déloyale et parasitaire doit s’appliquer car Option Service tente de tirer profit des réalisations du demandeur ;
. l’application de l’article 544 et suivants du code civil n’autorise pas l’utilisation de la chose d’autrui dont la jouissance et la disposition reviennent au seul propriétaire.
* Arguments de la défenderesse la « Cote Desfossés »
Dans le cadre d’un accord contractuel avec SBF, la Cote Desfossés imprime ou diffuse par voie de Minitel les cours boursiers.
Jamais la Cote Desfossés n’a autorisé quelqu’un à diffuser ces cours, ce dont elle demande acte.
Option Service, par une rubrique « J’ai la cote », a tenté de créer une confusion dans la public.
Elle s’associe aux conclusions du demandeur et réclame à ce titre des dommages-intérêts.
* Arguments de la défenderesse, « Option Service »
Option Service dit que l’action du demandeur a pour but essentiel d’obtenir une jurisprudence lui permettant de s’approprier l’exclusivité de la diffusion par Minitel et d’exercer un monopole de fait sur la diffusion des cours de la Bourse.
Option Service s’élève contre l’affirmation de la SBF d’être la nouvelle forme juridique de la Compagnie des agents de change. Les causes de la suppression de la Compagnie des agents de change sont de notoriété publique et la loi du 22 janvier 1988 ne lui a pas donné de successeur.
Elle a par contre procédé à la création d’un institut financier dont le seul rôle est d’enregistrer et de publier les négociations des sociétés de bourse. Elle n’est investie par la loi d’aucun droit de propriété sur les cours, de même qu’aucun monopole de diffussion n’a été institué par ladite loi.
Par ailleurs, le demandeur a constitué la SDIB, Société de diffusion d’informations boursières, et a racheté la Cote Bleue, société dotée du statut d’agence de presse pour tenter de reconstituer par l’usage de ces sociétés une situation monopolistique de propriété et de diffusion des cours de bourse, ceci en contradiction avec la mission d’intérêt public imposée par la loi au demandeur.
Par ailleurs, en vertu d’un accord entre la SBF et la Cote Desfossés, la diffusion informatique et télématique des cours est véhiculée par un service de télécommunications et fait l’objet d’une convention de type kiosque qui montre l’exclusion de tout monopole de cette diffusion.
Concernant le droit de propriété dont se prévaut le demandeur, Option Service fait remarquer que les cours de bourse sont des données primaires ; donc la cote est par essence un document public auquel tous ont accès gratuitement, sauf à payer le support de diffusion (journal ou redevance télématique), les informations appartenant à tous dès lors qu’elles sont publiées.
Par ailleurs, la Cote Desfossés dénie à la SBF tout droit de propriété intellectuelle sur les logiciels qu’elle a mis à sa disposition par contrat ; de plus, la loi du 3 juillet 1985 protège le système de traitement et non les données traitées par ce système ; seul le traitement de ces données et non leur simple enregistrement est susceptible d’une appropriation.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire : Option Service ne rediffuse pas les cours enregistrés par la SBF mais procède à une sélection des informations qu’elle consulte sur le journal informatique de la Cote Desfosses en payant la redevance télématique et offre ensuite un service kiosque où parmi huit rubriques offertes, une seule concerne la cotation et ne comporte qu’une mince part sélectionnée des pages écran que comporte le service cotation.
Sur le piratage informatique : en aucun cas, Option Service ne s’est indûment introduite dans un logiciel de la SBF ou de la Cote Desfossés, mais s’est contentée de sélectionner des informations du domaine public.
Quant à la demande de la Cote Desfossés, elle ne s’associe pas à la demande de la SBF ; elle ne revendique pas autre chose que la propriété industrielle de la dénomination du journal et du kiosque télématique. L’utilisation du jeu de mots « J’ai la cote », passé dans le langage courant, ne peut faire l’objet de protection.
Sur la recevabilité de la demande : l’article 10 de la loi du 22 janvier 1988 précise : « l’institution assure la publicité des négociations », c’est là un rôle passif d’enregistrement ; puis « par délégation générale du conseil des bourses de valeurs, l’institution prononce la suspension d’une ou plusieurs cotations ».
S’agissant d’une délégation, la SBF n’est investie d’aucun des autres pouvoirs dévolus au conseil des bourses de valeurs. Pour le surplus, l’article 12 de la loi du 22 janvier 1988 précise les attributions de la COB, Commission des opérations de bourse, notamment en ce qui concerne la diffusion des informations boursières, et que la COB a fait insérer ses recommandations dans les conventions type kiosque mise en place par les télécommunications.
De plus, la SBF a concédé à la Cote Desfossés la diffusion par voie de Minitel des informations boursières et nul ne pouvant plaider par procureur, il y a lieu de dire la demande irrecevable.
DISCUSSION
Après la mise à néant de la vieille structure de la « Compagnie des agents de change », la loi du 22 janvier 1988 a réorganisé le fonctionnement du marché boursier et, pour une diffusion fiable et à l’abri des influences extérieures des informations boursières, a prévu la création d’une institution financière chargée d’enregistrer et de diffuser les négociations entre les diverses sociétés de bourse. L’institution financière prévue par la loi a été créée sous le nom de SA Société des Bourses Françaises ; elle a un rôle de service public et l’obligation de diffuser les cotations des valeurs et titres négociés sur le marché boursier ; ces informations sont publiques et non susceptibles d’appropriation.
La SBF n’a qu’un rôle passif d’enregistrement des négociations auxquelles elle ne participe pas et ainsi ne peut prétendre participer à la détermination des cours boursiers ; la publication de la cote ne saurait être assimilée à une banque de données ayant utilisé un quelconque travail créatif de ladite société pour être établie. Si les informations boursières sont ainsi publiques et gratuites, il y a lieu de rémunérer leur support de diffusion journal ou support télématique et, dans ce dernier cas, en se conformant aux conventions kiosque des Télécommunications.
La SBF a confié la diffusion des informations boursières à la Cote Desfossés par contrat.
La même loi a confié à la COB la mission de contrôle du fonctionnement du marché boursier et notamment de la diffusion des informations afin que le public soit assuré de leur fiabilité ; cette mission de contrôle ne peut en aucun cas être revendiqué par la SBF.
Elle ne peut revendiquer aucun monopole de diffusion commerciale de l’information boursière car l’enregistrement des négociations et leur diffusion gratuite auprès du public est la raison même de la création par la loi de cette institution financière. Il n’y a pas lieu de considérer les informations diffusées comme réunies dans une banque de données mais comme un bulletin officiel dont le contenu est périodiquement mis à jour.
De plus, il ne peut être question de piratage informatique par Option Service car cette dernière ne s’est pas introduite frauduleusement dans le circuit informatique afin de s’approprier tout ou partie du logiciel et des données mais a tout naturellement accédé au journal télématique de la Cote Desfossés en payant la redevance fixée par la convention kiosque des Télécommunications.
Il ne peut être retenu contre Option Service le délit de concurrence déloyale et parasitaire car Option Service traite sur son logiciel des informations collectées légalement auprès de la Cote Desfossés en payant la redevance réclamée par cette dernière et édite non une reprise de la cotation générale mais une sélection de cotations de titres ou valeurs retenues par elle au bénéfice des clients de son kiosque télématique.
Il ne peut également pas être retenu la demande en contrefaçon de la Cote Desfossés car les recommandations de la COB obligent les utilisateurs de kiosque télématique à indiquer l’origine des informations diffusées. La mention sur une rubrique « J’ai la cote » ne saurait être retenue contre Option Service ; il n’y a là qu’un clin d’œil vers l’utilisateur.
La demande reconventionnelle de dommages-intérêts formulée par Option Service en réparation du préjudice subi par des accusations diffamatoires devra être reçue, et sera également reçue la demande de publication du présent jugement.
DECISION
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, la cour constate :
. que la cote des bourses est un document officiel destiné à l’information du public,
. que les cotations des valeurs ou titres ne sont pas, comme tout prix de produits, susceptibles d’appropriation,
. que les cotations et négociations boursières sont des informations brutes et sont biens communs à tous dès leur publication,
. que la protection des logiciels ne peut pas s’appliquer aux informations traitées mais seulement au système de traitement,
. que la SBF n’a aucun rôle actif dans les négociations et l’établissement de la cotation ; elle n’exerce qu’un rôle passif d’enregistrement,
. que la mission du contrôle de la collecte de la diffusion de l’information boursière relève de la compétence de la seule Commission des opérations de bourse (COB).
* Donne acte à la Cote Desfosses du fait qu’elle a été, par contrat, autorisée par la SBF à publier les cours boursiers constatés par cette dernière, qu’elle n’a jamais autorisé quiconque à diffuser les cours boursiers qui lui sont transmis par la SBF, qu’elle déclare que nul ne peut publier ou diffuser sous quelle que forme que ce soit les cours boursiers que la SBF transmet à la Cote Desfossés en vertu de leurs accords contractuels.
* Dit les demandes de la SBF irrecevables et mal fondées ; en conséquence, l’en déboute,
* Dit la demande reconventionnelle de dommages-intérêts de Option Service bien fondée et à ce titre condamne la SBF à lui payer la somme de 100 000 F,
* Dit les demandes de la Cote Desfossés irrecevables et mal fondées ; en conséquence, l’en déboute,
* Condamne solidairement la SBF et la Cote Desfossés à payer à Option Service la somme de 10 000 F en application de l’article 700.
* Ordonne à titre de complément de dommages-intérêts la publication du présent jugement dans dix journaux ou revues du choix de Option Service ainsi que la diffusion de cette décision dans le cadre des services télématiques de la Cote Desfossés et de la SBF, aux frais exclusifs de la Cote Desfossés et de la SBF, in solidum, sans que la valeur globale puisse être supérieure à 200 000 F HT, augmentée de la TVA.
* Condamne la SBF aux entiers dépens,
* Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant opposition ou appel et sans caution.
La Cour : Pierre Fenaille (président)
Avocats : Me Bensoussan, Me Laredo et Me Genon-Catalot.
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.