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Jurisprudence : Droit d'auteur

mardi 26 décembre 2000
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Tribunal de Commerce de Paris Ordonnance de référé du 26 décembre 2000

SNC Havas Numérique et SA Cadres on Line / SA Keljob

concurrence déloyale - droit d'auteur - hypertexte - lien - moteur de recherche - parasitisme - site internet

A l’audience du 19 décembre 2000, pour les motifs énoncés en son assignation introductive d’instance en date du 12 décembre 2000, à laquelle il conviendra en tant que de besoin de se reporter, les sociétés Havas Numérique et Cadres on Line nous ont demandé :

– d’ordonner à la société Keljob, sous astreinte productive d’intérêts de 50 000 F par jour de retard et par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir,

. de cesser de modifier et d’altérer les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com »,

. de cesser de présenter les pages Web du site « cadresonline.com », ou leur contenu sous une adresse URL autre que celle du site « cadresonline.com »,

. de cesser d’altérer les fonctions de navigation et le logo de ce même site ;

– d’ordonner la publication de la décision à intervenir, aux frais exclusifs de la société Keljob et sous astreinte de 10 000 F par jour de retard à compter du 8e jour suivant le prononcé de la décision à intervenir,

. sur la première page du site Internet de la société Cadres on Line, accessible par l’adresse http://www.cadresonline.com et sur la première page écran du site Internet de la société Keljob, accessible par l’adresse http://www.keljob.com, et ce pendant 15 jours, et dans un journal sectoriel et/ou quotidien national au choix de la société Cadres on Line, dans la limite d’un coût de 50 000 F HT :

– de condamner la société Keljob à verser aux demanderesses la somme de 25 000 F chacune au titre de l’article 700 du NCPC et aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 19 décembre 2000, la société Keljob, qui s’est fait représenter, nous demande :

A titre principal

– de dire sans fondement les demandes de la société Cadres on Line et subsidiairement Havas Numérique et, en conséquence, les en débouter ;

Subsidiairement

– de donner acte à la société Keljob de ce qu’elle a cessé de présenter les pages Web du site « cadresonline.com » ou leur contenu sous une adresse URL autre que celle du site « cadresonline.com » et de modifier et d’altérer les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com » ;

– de lui donner acte de l’absence d’altération des fonctions de navigation et du logo du site « cadresonline.com » ;

– en conséquence, de dire que la demande de cessation des divers agissements sous astreinte formée par la société Cadres on Line et, subsidiairement, par la société Havas Numérique, est dépourvue d’objet, et de l’en (les) débouter ;

En tout état de cause

– de débouter la société Cadres on Line et, subsidiairement, la société Havas Numérique de sa (leur) demande de publication ;

Reconventionnellement

– d’ordonner aux sociétés demanderesses, sous astreinte de 50 000 F par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, de ne pas établir la barrière technologique destinée à empêcher la connexion directe d’un internaute à une offre du site « cadresonline.com », à partir du tableau de résultat de recherche du site « keljob.com », qu’elles avaient insérée dans le système de traitement automatisée de données de la société Keljob et de ne pas mettre en place un autre procédé analogue ;

– de condamner les demanderesses à lui verser une somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du NCPC et aux entiers dépens.

Par conclusions du 19 décembre 2000, en réponse aux écritures de la société Keljob, les sociétés Havas Numérique et Cadres on Line réitèrent à titre principal leurs écritures introductives d’instance et nous demandent de débouter la société Keljob de toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions et, à titre subsidiaire, demandent la désignation d’un expert avec mission d’évaluer les altérations apportées à la mesure d’audience du site « cadresonline.com » et d’identifier la nature des emprunts faits par la société Keljob au contenu du site « cadresonline.com » et d’évaluer l’importance de la réutilisation par Keljob des données issues du site « cadresonline.com ».

Après avoir entendu les conseils des parties en leurs explications et observations, nous avons remis l’affaire au 26 décembre 2000 pour prononcer notre ordonnance.

Ordonnance

Sur la recevabilité de l’action de la société Havas Numérique

Dans ses conclusions, et au cours de l’audience du 19 décembre 2000, la société Keljob a contesté la présence dans l’instance de la société Havas Numérique, dont la seule qualité de  » maison mère  » de la société Keljob, ce dont, par ailleurs, aucune des demanderesses n’apporte la preuve, est insuffisante à justifier de son intérêt à agir dans la cause ; la société Keljob a ainsi demandé que la société Havas Numérique soit déclarée irrecevable en son action.

Sur ce

Attendu que l’intérêt légitime de l’article 31 du NCPC doit être compris comme étant l’intérêt direct dont doit justifier le demandeur à l’instance de se voir reconnaître un droit personnel ou qui lui permette de défendre un intérêt déterminé propre ;

Que, pour s’opposer à la fin de non-recevoir soulevée par Keljob, les sociétés Havas Numérique et Cadres on Line répliquent que l’importance des investissements réalisés par Havas Numérique dans la création du site Internet « cadresonline.com » et l’impact que peut avoir tout événement qui affecterait la société Cadres on Line sur la valorisation des actions de Havas Numérique justifient de l’intérêt de cette société à agir dans la présente instance ;

Mais attendu qu’il est de jurisprudence constante que la société mère est irrecevable à demander le paiement de sommes dues à la filiale ;

Que déclarer recevable l’action intentée par Havas Numérique, fondée essentiellement sur le lien entre la survenance de tout événement pouvant affecter la société Cadres on Line et la valorisation de son actionnaire de référence, reviendrait à donner à la notion d’intérêt direct à agir une interprétation contraire aux dispositions de l’article 31 du NCPC et à la jurisprudence constante en la matière ;

Nous dirons la société Havas Numérique irrecevable en son action.

Sur les demandes en principal de la société Cadres on Line

Attendu que, si la société Keljob soutient que rien n’impose en droit l’obligation de prévenir le propriétaire d’un site Internet ou d’obtenir son autorisation préalable avant d’établir un lien hypertexte vers ledit site Internet (ci-après « le site cible »), les dispositions de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle condamnent le fait de représenter une œuvre sans le consentement de son auteur à ce même article en son alinéa 1er confère un droit moral inaliénable et imprescriptible ;

Que, par ailleurs, le bon usage des possibilités offertes par le réseau Internet commanderait, pour le moins, de prévenir le propriétaire du site cible ;

Que si la pratique des liens hypertextes peut favoriser le développement du réseau Internet, c’est à la condition sine qua non du respect incontournable des lois et règlements qui régissent le droit de la propriété intellectuelle ;

Attendu, au surplus, que s’il est admis que l’établissement de liens hypertextes simples est censé avoir été implicitement autorisé par tout opérateur de site Web, il n’en va pas de même pour ce qui concerne les liens dits « profonds » et qui renvoient directement aux pages secondaires d’un site cible, sans passer par sa page d’accueil ;

Attendu, en conséquence, que toute création d’hyperliens entre les sites du réseau Internet, quelle que soit la méthode utilisée et qui aurait pour conséquence :

– de détourner ou dénaturer le contenu ou l’image du site cible vers lesquels conduit le lien hypertexte,

– faire apparaître ledit site cible comme étant le sien, sans mentionner la source, notamment en ne laissant pas apparaître l’adresse URL du site lié et, de plus, en faisant figurer l’adresse URL du site ayant pris l’initiative d’établir ce lien hypertexte,

– de ne pas signaler à l’internaute, de façon claire et sans équivoque, qu’il est dirigé vers un site ou une page Web extérieur au premier site connecté, la référence du site cible devant obligatoirement, clairement et lisiblement être indiquée, notamment, son adresse URL,

sera considérée comme une action déloyale, parasitaire et une appropriation du travail et des efforts financiers d’autrui même si, dans le cas d’espèce, la société Keljob, simple moteur de recherche sur Internet, déclare ne pas exercer la même activité que la société Cadres on Line, et ainsi ne pas être en concurrence avec elle ;

Attendu, surtout, que si le procès-verbal de constat produit par la société Keljob, daté du 14 décembre 2000, c’est-à-dire postérieur à celui, tout aussi non contradictoire, produit par le demandeur, confirme que les inconvénients de l’accès via le site « keljob.com », au site « cadresonline.com » et à ses pages, et objet de la présente instance, ont à cette date été supprimés ;

Nous donnons acte à la société Keljob de ce qu’elle a déclaré avoir cessé de présenter les pages Web du site « cadresonline.com » ou leur contenu sous une adresse URL autre que celle du site « cadresonline.com » et de modifier et d’altérer les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com » et avoir indiqué l’absence d’altération des fonctions de navigation et du logo du site « cadresonline.com » ;

Mais attendu que, dans ses écritures et au cours de l’audience du 19 décembre 2000, la société Keljob n’a pas contesté avoir présenté les pages Web du site « cadresonline.com » ou leur contenu, sous une adresse URL autre que celle du site « cadresonline.com », ni avoir modifié et altérer les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com » ;

Nous ordonnons à la société Keljob, sous astreinte productive d’intérêts de 50 000 F par jour et par infraction constatée, à compter du prononcé de la décision à intervenir :

– de cesser de modifier ou altérer les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com »,

– de cesser de présenter les pages Web du site « cadresonline.com », ou leur contenu sous une adresse URL autre que celle du site « cadresonline.com »,

– de cesser d’altérer les fonctions de navigation et le logo du site « cadresonline.com ».

Sur la demande de Cadres on Line de voir publiée la décision à intervenir
Attendu que la société Keljob n’a pas contesté avoir présenté les pages Web du site « cadresonline.com », ou leur contenu, sous une adresse URL autre que celle du site « cadresonline.com », en l’occurrence l’adresse URL du site « keljob.com », ni d’avoir modifié et altéré les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com » ;

Nous la condamnerons, à ses frais exclusifs et sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter du 15e jour suivant le prononcé de la décision à intervenir, à publier cette décision sur la première page écran du site Internet de la société Keljob, accessible par l’adresse http://www.keljob.com, et ce pendant 15 jours.

Sur la demande de désignation d’un expert, formulée par la société Cadres on Line :

Attendu que la société Cadres on Line soutient que les altérations faites par la société Keljob sur les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com » ont modifié les mesures d’audience de ce site et que ces altérations lui ont fait subir un préjudice du fait des publications dans la presse de statistiques sous-estimées de fréquentations du site ;

Que la société Keljob n’a pas contesté avoir modifié et altéré les codes sources des pages Web du site « cadresonline.com » et déclare dans ses écritures, d’une part, que l’affirmation de la société Cadres on Line  » ne s’applique en réalité qu’à une seule page du site « cadresonline.com » et, d’autre part, qu' » à supposer que les instructions informatiques que Keljob a dû écrire pour contourner la barrière technologique mise en place par la société Cadres on Line aient directement perturbé la mesure de fréquentation du site (…), ce fait n’aurait en tout état de cause pas affecté de manière significative les données recueillies  » ;

Qu’il ne revient pas à la société Keljob de déterminer le caractère significatif ou non de la perturbation des données statistiques de fréquentation du site « cadresonline.com », perturbation qu’elle n’exclut pas ;

Nous désignerons Monsieur Jean-Marie Huot en qualité d’expert, avec la mission précisée ci-après.

Sur la demande reconventionnelle de la société Keljob

A l’appui de sa demande, la société Keljob soutient :

Que la société Cadres on Line, refusant l’offre de principe de tenter une solution amiable qui lui était faite, préférait mettre en place une  » barrière technologique « , pour entraver l’activité et le fonctionnement du site « keljob.com », en empêchant la connexion directe d’un internaute à une offre du site « cadresonline.com », à partir du tableau d’offres d’emploi du site « keljob.com » ;

Que cette barrière l’a obligée à mettre en place une nouvelle procédure d’accès au site « cadresonline.com » pour rétablir la connexion dans des conditions analogues à celles de tout moteur de recherche.

Pour s’opposer à cette demande, la société Cadres on Line réplique :

Que la « barrière technologique » invoquée par la société Keljob n’est en réalité qu’une simple page Web de présentation du site « cadresonline.com », sans laquelle l’internaute accéderait directement aux pages inférieures du site et qui, de surcroît, n’entrave en rien l’activité de Keljob ;

Sur ce

Attendu que la société Keljob a, dans ses écritures et au cours de l’audience du 19 décembre 2000, constaté que « la société Cadres on Line avait ôté sa barrière technologique » et « a, en effet, remplacé le chemin de contournement mis en place [par Keljob] pour la surmonter par le cheminement initial (…) », admettant ainsi que l’entrave à la liberté d’activité de la société Keljob et, par conséquent, le trouble illicite de nature à causer un dommage imminent, allégués par Keljob, ont disparu ;

Qu’au surplus, en incluant cette constatation dans la liste des troubles allégués par Cadres on Line et auxquels Keljob aurait mis fin, la société Keljob reconnaît implicitement que la mise en place de  » chemin de contournement  » avait le caractère de trouble allégué ;

Nous débouterons la société Keljob de sa demande de ce chef.

Sur l’article 700 du NCPC

Nous condamnerons la société Keljob à verser à la société Cadres on Line une somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du NCPC, déboutant pour le surplus.

Sur les dépens

Nous dirons que les dépens seront à la charge de la défenderesse.

La décision

Le tribunal, statuant en premier ressort par ordonnance contradictoire :

Vu les articles 872 et 873 du NCPC,

. dit n’y avoir lieu à référé ;

. dit la société Havas Numérique irrecevable en son action ;

. donne à la société Keljob l’acte qu’elle requiert ;

. ordonne à la société Keljob, sous astreinte productive d’intérêts de 50 000 F par jour et par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir :

– de cesser de modifier ou altérer les codes sources des pages Web du site  » cadresonline.com « ,

– de cesser de présenter les pages Web du site « cadresonline.com » ou leur contenu sous une adresse URL autre que celle du site « cadresonline.com »,

– de cesser d’altérer les fonctions de navigation et le logo du site « cadresonline.com » ;

. condamne la société Keljob, à ses frais exclusifs et sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter du 15e jour suivant le prononcé de la décision à intervenir, à publier cette décision sur la première page écran du site Internet de la société Keljob, accessible par l’adresse http://www.keljob.com, et ce pendant 15 jours ;

. désigne Monsieur Jean-Marie Huot en qualité d’expert, avec la mission précisée ci-après :

– donner son avis sur la nature des altérations et/ou modifications faites par la société Keljob au contenu du site « cadresonline.com »,

– donner son avis sur les conséquences alléguées de ces altérations et/ou modifications sur la mesure d’audience de ce site,

– se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission,

– exécuter sa mission à l’aide des documents et pièces remis par les parties, et notamment les procès-verbaux produits aux débats par les parties,

– entendre tous sachants, dans la mesure où il l’estimera utile ;

. fixe à 10 000 F le montant de la provision à consigner par la société Cadres on Line, avant le 15 janvier 2001, au greffe du tribunal, par application des dispositions de l’article 269 modifié du NCPC ; à défaut, de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l’expert sera caduque en application de l’article 271 modifié du NCPC et l’instance poursuivie ;

. dit que l’expert, s’il estime la provision insuffisante, présentera dans un délai d’un mois à compter de la consignation, une estimation de ses frais et rémunération, qu’il devra communiquer aux conseils des parties ou aux parties elles-mêmes, s’il y a lieu, étant précisé qu’elles disposeront de 3 semaines pour faire valoir leurs observations ; ladite estimation permettant au tribunal d’ordonner éventuellement le versement d’une provision complémentaire et de proroger le délai ;

. dit que, si les parties ne viennent à composition entre elles, le rapport de l’expert devra être déposé au greffe dans un délai de 3 mois à compter de la consignation de la provision et, dans l’attente de ce dépôt, inscrit la cause au rôle des mesures d’instruction ;

. dit que le magistrat chargé du contrôle des mesures d’instruction suivra l’exécution de la présente expertise ;

. condamne la société Keljob à verser à la société Cadres on Line une somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du NCPC, déboutant pour le surplus ;

. déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires aux présentes dispositions ;

. laisse les dépens à la charge de la société Keljob.

La présente décision est de plein droit exécutoire par provision, en application de l’article 489 du NCPC.

Le tribunal : M. Atlan (président).

Avocats : Me Alain Bensoussan et la SCP Michel Laval.

Notre présentation de la décision

[Voir ordonnance de référé->?page=breves-article&id_article=83]

 
 

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