Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Marseille Ordonnance de référé 05 juillet 2006
Nuria B. / France Telecom
contrat - résiliation - responsabilité
FAITS ET PROCEDURE
Vu, suite l’assignation du 02.06.2006, le « mémoire en réponse rectificatif et complétif » (conclusions récapitulatives et additionnelles) en date du 23.06.2006 par lequel Nuria B. reproche à la société France Telecom d’avoir, au mois d’avril 2006, unilatéralement modifié, et de surcroît sans l’aviser du délai de résiliation de l’article L 121-84 du code de la consommation, les conditions du contrat d’abonnement téléphonique dit « 100% illimité 24h/24h » auquel elle avait adhéré en juillet 2005, en en limitant les avantages – qui avaient été la condition déterminante de son engagement -, et d’avoir de mauvaise foi, en affirmant faussement que la modification opérée n’avait aucune influence sur l’économie du contrat, maintenu sa position en dépit d’une mise en demeure, et réclame en conséquence sa condamnation sous astreinte à rétablir les conditions initiales de l’offre illimitée ainsi qu’au paiement d’une provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice moral et financier qu’elle soutient avoir subi du fait de ce comportement, ou subsidiairement que la modification décidée lui soit déclarée inopposable ;
Vu les conclusions en date du 14.06.2006 par lesquelles la société France Telecom rappelle les conditions dans lesquelles elle a émis les offres « 100% illimité 24h/24h » et « 100% illimité Soir et Week-end » sous le contrôle de l’Arcep, après étude économique sérieuse, le déséquilibre financier qu’elle a subi du fait de comportements frauduleux de certains abonnés difficiles à débusquer et qui l’a conduit à opérer la modification litigieuse, soutient avoir respecté à la fois les conditions générales d’abonnement et l’article L 121-84 du code de la consommation « dans le plein respect » des droits des clients avisés « de l’évolution des conditions de l’offre » et mis à même de jauger leur consommation, affirme que s’agissant d’un contrat à durée indéterminée sans durée minimale la résiliation peut, en application du principe de la prohibition des conventions perpétuelles, être prononcée à tout moment par chacune des parties, se défend de toute mauvaise foi ou intention de tromper Nuria B. à laquelle elle dit avoir envoyé « par erreur une formule de courrier mentionnant que l’évolution de l’offre serait sans impact pour elle » ce qui n’était à l’évidence pas le cas, estime que le rétablissement contractuel sollicité est illicite dans la mesure où elle n’est pas libre de ses décisions tarifaires et s’oppose en conséquence aux prétentions de Nuria B. réclamant reconventionnellement une somme au titre de ses frais non répétibles ;
(écritures auxquelles il est expressément fait référence, par application de l’article 455 (décret n°98-1231 du 28.12.1998) du ncpc, pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens des parties).
A l’issue des débats les parties ont été avisées de la date du prononcé de la présente décision et informées qu’elle serait rendue par mise à disposition au greffe ;
En cours de délibéré Nuria B. nous a adressé un courrier en date du 28.06.2006 ;
DISCUSSION
Attendu que l’article 445 du ncpc dispose qu’après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 ;
Considérant, en l’espèce, que le ministère public n’est pas intervenu au débat et que le dépôt de notes en délibéré n’a pas été autorisé ;
Que le courrier de Nuria B. en date du 28.06.2005 sera donc écarté sans examen ;
Attendu qu’aux termes de l’article 1134 du code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de Loi à ceux qui les ont faites, ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise et doivent être exécutées de bonne foi ;
Que la règle édictée par ce texte est générale et absolue et régit les contrats dont l’exécution s’étend à des époques successives, de même que ceux de toute autre nature ; que dans aucun cas il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ; lesquels ne peuvent l’un sans l’autre, même en cas de modification de l’environnement économique ou pour tenir compte d’événements non prévus lors de la formation de ces conventions, en modifier les termes ;
Attendu cependant que les rédacteurs du code civil n’ayant probablement pas entendu faire du contrat « une loi implacable qui permettrait à l’une des parties d’imposer à l’autre avec la dernière rigueur le respect littéral du contrat, abstraction faite de toute autre considération » (cf : Terré, Simler et Lequette), la faculté de résiliation unilatérale – que les parties peuvent naturellement stipuler et réglementer dans leur convention – est traditionnellement reconnue en matière de contrat à durée indéterminée par l’affirmation de la prohibition de l’engagement perpétuel ;
Que toutefois cette prohibition n’est pas générale et absolue et ne trouve notamment pas application au détriment du consommateur de bonne foi qui a adhéré à un contrat type à durée indéterminée sans faculté de résiliation au profit du fournisseur, proposé par une entreprise participant à un service public ;
Que tel est le cas de l’espèce, la société France Telecom participant au service public réglementé par le code des postes et des communications électroniques – dont l’article L 32-1 dispose que le service public des communications électroniques (…) comprend notamment le droit de chacun au bénéfice du service universel des communications électroniques – et Nuria B., consommatrice-usager ayant droit à la permanence de la fourniture de ce service aux conditions qu’elle a choisies parmi les offres publiques offertes par cette entreprise ;
Attendu que les « conditions spécifiques 100% illimité » objet de la pollicitation publique émise par France Telecom, auxquelles Nuria B. a adhéré en juillet 2005 et qui sont donc devenues, du fait de cette acceptation, la Loi des parties, sont produites (en original) par cette dernière et stipulent :
– en leur article 3 : la définition
– en leur article 5 : les conditions de fourniture
– en leur article 7 : une liste des cas d’utilisation « inappropriée » (terme emprunté à la terminologie anglo-saxonne très à la mode et qui n’a pas, selon nous une signification juridique précise en droit français), interdisant au client certaines utilisations considérées comme abusive ou frauduleuse au regard de la finalité de l’offre destinée à un usage familiale privé non commercial ;
– en leur article 13 : les prix des services
– en leur article 14 : la durée du contrat ainsi définie : « le présent contrat est souscrit pour une durée indéterminée sans durée minimale d’abonnement »
– en leur article 15 : les conditions de résiliation du contrat.
Attendu, s’agissant de la résiliation, que deux articles de ce contrat réglementent la faculté de rupture à l’initiative de la société France Telecom : les articles 7 dernier alinéa, qui stipule que « En tout état de cause France Telecom se réserve le droit, en cas d’utilisation inappropriée [c’est-à-dire abusive ou frauduleuse] par le client, de procéder de plein droit à la résiliation de l’offre » après mise en demeure infructueuse au bout de deux jours, et 15 dernier alinéa qui prévoit que « France Telecom peut résilier de plein droit le contrat, en cas de déloyauté manifeste, et s’il y a urgence à faire cesser les agissements concernés ou lorsqu’un élément d’information, de quelque nature que ce soit, fait clairement apparaître que l’utilisateur du service émet des SMS prohibés par les lois et règlements en vigueur en application de l’article 7 des présentes » ;
Qu’il résulte très clairement du contrat que si le client (Nuria B.) a, en application de l’article 15 (alinéa 1 et 2), la faculté de résilier unilatéralement cette convention à durée indéterminée, à tout moment, sans motif ni délai particulier ni forme autre qu' »un écrit », en revanche la société France Telecom ne bénéficie pas, en dehors des cas d’utilisation abusive par le client concerné, d’une telle faculté qu’elle n’a pas prévue à son profit dans l’offre contractuelle relative à un service offert dans le cadre du service public des communications électroniques, devenue depuis le mois de juillet 2005 la loi des parties et dont elle ne peut unilatéralement modifier les conditions, même pour des raisons d’imprévision économique ;
Que le fait que les offres tarifaires émises par la société France Telecom soient préalablement soumises à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes n’a aucune incidence sur l’application du principe de force obligatoire des conventions dès lors que l’offre a été soumise au public et acceptée par un cocontractant ;
Considérant, en conséquence qu’en modifiant unilatéralement, par son courrier du 19/04/2006, les conditions de l’offre 100% illimitée 24h/24h sans avoir résilié ce contrat pour l’un des motifs disciplinaires énumérés dans cette convention et imputable personnellement à Nuria B. dans l’utilisation du service, la société France Telecom a gravement manqué à ses obligations contractuelles ;
Attendu qu’aux termes de l’article 809 du ncpc : le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Considérant, en l’espèce, que face au trouble manifestement illicite que constitue la modification unilatérale d’un contrat, de surcroît commis par une entreprise participant au service public des communications électroniques, le juge des référés doit prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre fin et notamment condamner sous astreinte cette entreprise à exécuter le contrat dans les conditions prévues avec le client ;
Attendu qu’ainsi qu’elle le soutient Nuria B. a d’évidence subi un préjudice du fait de la modification intempestive du contrat qu’elle avait choisi et pour l’exécution duquel elle avait doté ses cinq enfants de téléphones portables afin de pouvoir rester en permanence en contact avec eux dans des conditions financières favorables ;
Que de surcroît le motif public annoncé par la société France Telecom pour justifier la modification tarifaire appliquée indistinctement à tous les abonnés – dont Nuria B. – ayant opté pour l’offre 100% illimité 24h/24h (utilisation dévoyée à des fins notamment commerciales ou de jeux d’argent) est vexatoire, puisque aucun de ses abonnés n’est personnellement désigné et que tous – dont Nuria B. – peuvent se sentir concernés par cette accusation déshonorante ;
Que le préjudice financier et moral, certain en son principe, subi par Nuria B., doit commencer à être indemnisé par l’allocation d’une provision de 1500 € ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser Nuria B. supporter l’intégralité de ses frais non compris dans les dépens ;
DECISION
Nous, Jean Yves Martorano, vice-président, juge des référés, statuant en audience publique, par ordonnance contradictoire et en premier ressort, prononcée par sa mise à disposition au greffe de la juridiction,
Vu les articles 1134 du code civil et 445 809 du ncpc,
Au principal renvoyons les parties à se pourvoir au fond, mais dès à présent, vu l’existence d’un trouble manifestement illicite :
. Ecartons des débats sans examen la note en délibéré de Nuria B. en date du 28.06.2006 ;
. Condamnons la société France Telecom sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard, à compter du lendemain de la signification de la présente décision à rétablir l’exécution du contrat d’abonnement téléphonique de Nuria B. aux conditions spécifiques 100% illimité 24h/24h souscrites par cette dernière au mois de juillet 2005 ;
. Constatons que l’astreinte qui vient d’être prononcée au bénéfice de l’exécution provisoire de plein droit des articles 489 du ncpc et 37 de la loi du 09.07.1991 et nous en réservons expressément la liquidation éventuelle ;
. Condamnons la société France Telecom à payer à Nuria B. une provision de 1500 € à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices financier et moral ;
. Condamnons la société France Telecom à payer à Nuria B. une somme de 800 € en application de l’article 700 du ncpc ;
. Condamnons la société France Telecom aux dépens ;
. Rappelons que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de plein droit.
Le tribunal : Jean Yves Martorano (président)
Avocats : Me Marc Ringlé, Me Marguerite Bilalian, Me Bertrand Potot
Notre présentation de la décision
Voir décision Cour d’appel du 07/11/2006
En complément
Maître Bertrand Potot est également intervenu(e) dans les 6 affaires suivante :
En complément
Maître Marc Ringlé est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Marguerite Bilalian est également intervenu(e) dans les 10 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Jean Yves Martorano est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.