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Jurisprudence : Vie privée

mercredi 22 mai 2002
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Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre A 22 mai 2002

Association Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir / Orange

abonnement - publicité - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Vu l’assignation délivrée le 25 février 2002 par l’Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir (l’UFC Que Choisir) à la société Orange dans les conditions prévues à l’article 788 du ncpc et tendant à voir, au visa des articles L 121-1, L 421-1, L 421-2 et L 421-9 du code de la consommation, 1382 du code civil :

– constater que la publicité diffusée par la société Orange et proposant de souscrire un abonnement pour un temps de communication exprimé en heures ou en minutes présente un caractère trompeur,

– ordonner en conséquence sous astreinte la cessation d’une telle publicité,

– ordonner sous astreinte une mesure de publication judiciaire dans divers journaux,

– condamner la société Orange à lui verser une somme de 50 000 € à titres de dommages-intérêts, ainsi qu’une indemnité de 3050 € au titre de l’article 700 du ncpc,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Vu les conclusions signifiées le 10 avril 2002 par l’UFC Que Choisir, reprenant ses demandes initiales et sollicitant en outre l’irrecevabilité, subsidiairement le rejet, de la demande reconventionnelle formée par la société Orange ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 avril 2002 par la société Orange et tendant à voir :

– déclarer irrecevable et, en toute hypothèse, infondée l’action de l’UFC Que Choisir,

– condamner l’UFC Que Choisir à lui verser un euro symbolique à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d’image et du préjudice commercial subi à la suite des actes de dénigrements commis par celle-ci à son encontre et ordonner une mesure de publication judiciaire,

– condamner l’UFC Que Choisir à lui verser une indemnité de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc.

DISCUSSION

Il résulte de l’article L 121-1 du code de la consommation qu’est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, une présentation de nature à induire en erreur, lorsque celle-ci porte sur les qualités substantielles des services qui font l’objet de la publicité, sur les résultats pouvant être obtenus de leur utilisation ou sur la portée des engagements pris par l’annonceur.

En l’espèce, des publicités diffusées dans les catalogues des sociétés Auchan et Conforama sont ainsi conçues :

– « 1 heure de communication avec report des minutes »,
– « forfait 1 heure : maîtriser son budget ».

La société Orange ne peut sérieusement soutenir qu’elle « ne peut se voir imputer aucune forme de responsabilité au titre de ces publicités dont elle n’a pas ordonné la diffusion », dès lors que l’article L 121-5 du code de la consommation dispose que l’annonceur pour le compte duquel la publicité est diffusée est responsable, à titre principal, de l’infraction commise et qu’elle seule a la qualité de contractant, les distributeurs se bornant à vendre le téléphone mobile qui permet d’accéder au réseau de communication qu’elle propose.

L’UFC Que Choisir soutient que le temps de communication réel est inférieur au temps de communication facturé.

La société Orange prétend, pour sa part, que le temps de communication alloué correspond toujours très exactement au temps de communication annoncé, mais que, si, du fait des modalités de décompte, il peut exister un différentiel entre le temps de communication effectivement consommé et le temps de communication annoncé, celui-ci peut être négatif ou positif, eu égard à la gratuité des appels vers la messagerie vocale, au système du report des minutes non utilisées sur le mois suivant ou encore à la non facturation de la réception des SMS (messages écrits).

Elle expose que les paliers de décompte, loin d’être une création exnihilo, ne constitue que la transposition d’une pratique couramment admise en matière de téléphonie fixe et de communication Audiotel et qu’ils ont été avalisés par l’arrêté du 1er février 2002 relatif aux factures des services téléphoniques.

Elle en déduit que le consommateur « moyen, normalement attentif et diligent » ne peut de ce fait ignorer les modalités de décompte qu’elle applique et ajoute qu’en toute hypothèse les fiches tarifaires qu’elle diffuse indiquent, de manière claire et transparente, ces modalité de décompte.

Dans ses « fiches tarifaires », la société Orange précise, en ce qui concerne le forfait d’une heure avec report des minutes : « première minute indivisible puis facturation par tranche de 30 secondes ».

Il doit être souligné que, si l’UFC Que Choisir souhaite à terme obtenir des opérateurs de téléphonie mobile une facturation à la seconde, son action vise ici seulement à faire constater le caractère trompeur d’une publicité diffusée par la société Orange et non à remettre en cause les paliers de facturation, dont la licéité n’a pas été contestée à l’occasion de la présente instance.

La société Orange admet qu’il peut exister une différence, positive ou négative, entre le temps de communication consommé et le temps de communication annoncé et donc facturé.

Le seul fait qu’elle reconnaisse que cette différence puisse être négative, ce qui n’est d’ailleurs pas contestable, démontre, comme le soutient l’UFC Que Choisir, que l’abonné ne bénéficie pas nécessairement du temps de communication annoncé dans la publicité.

La société Orange ne peut valablement prétendre que ce déficit est compensé par le report des minutes, dès lors que, si les minutes non utilisées pendant le mois sont automatiquement reportées sur le mois suivant, il en est ainsi seulement « dans la limite du forfait mensuel choisi ».

Elle ne peut davantage valablement soutenir qu’il est compensé par la gratuité des appels vers la messagerie vocale, dès lors que ce service est énoncé dans sa « fiche tarifaire » au titre de « communications gratuites », ou encore par la non facturation de la réception des SMS, dès lors que ce service est également gratuit.

Elle ne peut non plus se fonder sur la connaissance nécessaire que le consommateur « moyen, normalement attentif et diligent » aurait de ses modalités de décompte, un tel argument étant pour le moins spécieux puisque ne reposant sur aucune démonstration.

Elle ne peut enfin se prévaloir de ses fiches tarifaires, dès lors que la publicité trompeuse étant un délit instantané, il en résulte que l’existence d’informations extérieures à elle et rétablissant la réalité est sans effet sur sa matérialité.

Compte tenu de la discordance possible entre le temps de communication réel et le temps de communication facturé, la publicité litigieuse a par conséquent été de nature à induire le consommateur en erreur.

L’arrêt du 1er février 2002 relatif aux factures des services téléphoniques prévoit d’ailleurs, en ses articles 11 et 15, qu’à partir du 1er septembre 2003, les factures comporteront le détail de la durée réelle et de la durée facturée lorsque celles-ci sont différentes.

En vertu des articles L 421-1, L 421-2 et L 421-9 du code de la consommation, l’UFC Que Choisir est recevable à solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs, la cessation de l’agissement jugé illicite, ainsi qu’une mesure de publication judiciaire.

Il y a lieu d’ordonner la cessation de l’agissement illicite, suivant les modalités prévues au dispositif.

Sur les autres demandes, il y a lieu de prendre en compte, d’une part, le nombre de consommateurs ayant souscrit un abonnement auprès de la société Orange au cours du quatrième trimestre 2001, de l’ordre de 1 100 000, d’autre part, les frais nécessairement engagés par l’UFC Que Choisir afin d’assurer sa mission d’information et de protection des consommateurs.

Mais il doit être également tenu compte du fait que, sans l’avoir jusqu’à présent contesté, l’UFC Que Choisir a connaissance, depuis plusieurs années, du mode de facturation par paliers pratiqué par la société Orange.

Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la société Orange à verser à l’UFC Que Choisir une somme de 4000 €.

Il y a lieu en outre d’ordonner une mesure de publication, dans les termes figurant au dispositif.

La société Orange se plaint d’avoir fait l’objet d’une campagne de dénigrement de la part de l’UFC Que Choisir.

En particulier, elle s’insurge contre les propos de l’UFC Que Choisir, selon lesquels :

– les opérateurs de téléphonie mobile se livreraient, au travers de leurs modalités de facturation, à « une ponction invisible et incontrôlable » du consommateur qui serait, ni plus ni moins, « grugé »,
– la pratique des paliers de facturation serait une « spécificité française qui agirait comme une surtaxe » permettant aux opérateurs « d’engranger des revenus considérables sur le dos des abonnés »,
– « tous les prix sont faux » et « les opérateurs de téléphonie mobile sont les spécialistes de la dissimulation »,
– celle-ci dénoncerait une véritable « arnaque de masse, une tromperie gigantesque ».

Dès lors que la présente instance s’inscrit dans une campagne de presse particulièrement pugnace orchestrée par l’UFC Que Choisir et illustrée par le propos de sa présidente suivant lequel « 25% à 30% du temps facturé par les opérateurs de téléphonie mobile ne sont en réalité jamais utilisés par les abonnés. C’est une arnaque de masse ! » (interview donnée par Marie-Josée N. au quotidien Le Figaro, édition du 26 mars 2002 ), dans le dessein d’obtenir des opérateurs de téléphonie mobile une facturation à la seconde, la demande reconventionnelle formée par la société Orange présente un lien suffisant avec les prétentions originaires.

Toutefois, il convient de rappeler que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

Or, en l’espèce, sous couvert de dénigrement, la société Orange impute en réalité à l’UFC Que Choisir des faits portant atteinte à sa considération et donc diffamatoires.

Sa demande reconventionnelle, en ce qu’elle est fondée sur l’article 1382 du code civil et non sur les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, doit en conséquence être déclarée irrecevable.

Au titre de l’équité, il y a lieu d’allouer à l’UFC Que Choisir une indemnité de 2300 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

L’exécution provisoire étant nécessaire, l’agissement jugé illicite n’ayant pas cessé, et compatible avec la nature de l’affaire, il y a lieu de l’ordonner.

DECISION

. Dit que la publicité diffusée en matière de téléphonie mobile par la société Orange et invitant le consommateur à souscrire un abonnement à un forfait sans spécifier que la facturation est opérée par tranche de 30 secondes après la première minute indivisible constitue une publicité de nature à induire le consommateur en erreur,

. Ordonne la cessation d’une telle publicité dans les quarante-cinq jours suivant la signification de la présente décision et, passé ce délai, sous astreinte de 7600 € par jour de retard,

. Condamne la société Orange à verser à l’UFC Que Choisir la somme de 4000 € en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs,

. Ordonne la publication du texte suivant, dans deux journaux ou magazines au choix de l’UFC Que Choisir aux frais de la société Orange et dans la limite de 4500 € par insertion :
« La première chambre du tribunal de grande instance de Nanterre a, par jugement du 22 mai 2002, dit que la publicité diffusée en matière de téléphonie mobile par la société Orange et invitant le consommateur à souscrire un abonnement à un forfait sans spécifier que la facturation est opérée par tranche de 30 secondes après la première minute indivisible a constitué une publicité de nature à induire le consommateur en erreur »,

. Déclare irrecevable la demande reconventionnelle formée par la société Orange sur le fondement de l’article 1382 du code civil,

. Condamne la société Orange à verser à l’UFC Que Choisir une indemnité de 2300 € au titre de l’article 700 du ncpc,

. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement,

. Rejette toute autre demande,

. Condamne la société Orange aux dépens.

Le tribunal : M. Chauvin (vice-président), Mmes Brocard-Laffy et Chardonnet (juges)

Avocats : Me Jérôme Franck, Me Potot

 
 

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