Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Nanterre Ordonnance de référé du 13 octobre 1997
Société SG2 / Brokat Informations Systems GmbH
caractère générique et distinctif de la marque - contrefaçon de marque - exception d'incompétence - nom de domaine
Nous, Juge des référés, après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils à l’audience du 09 octobre 1997, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour :
Le 30 septembre 1997, la société SG2 a assigné en référé d’heure à heure la société Brokat afin qu’il lui soit interdit à titre provisoire sous astreinte de 50.000 francs par infraction constatée, d’utiliser la marque « Payline », à quelque titre que ce soit sur quelque support, notamment lors du colloque du 15 octobre 1997, qu’il lui soit enjoint sous astreinte de 20.000 francs par jour de retard de supprimer toute référence à cette marque, sur quelque support que ce soit et notamment dans l’offre et la description de son service de paiement sécurisé par carte sur le réseau Internet.
La société SG2 expose être spécialisée dans les flux bancaires et téléservices, offrir un service de paiement sécurisé par carte sur le réseau Internet dénommé « Payline » depuis le premier trimestre 1996, avoir déposé la marque « Payline » le 29 avril 1996 pour les classes 35, 36, 37, 38 ,41, 42, avoir déposé cette marque par la voie communautaire le 2 juillet 1997, que le nom de domaine « Payline.Com » a été enregistré par son partenaire, la société Intrinsec, auprès de Network Solutions Inc, avoir appris en juin 1997 que la société Brokat offrait un service de paiement sécurisé sur le réseau Internet qu’elle dénomme « Payline », que le site serveur de Brokat, accessible en France, permet d’avoir accès au site Brokat, que les copies d’écran du site de Brokat démontrent que celle-ci dénomme son service « Payline », qu’il s’agit de deux services identiques, que le 15 octobre 1997 doit avoir lieu un colloque au CNIT auquel vont participer les deux sociétés, que mise en demeure le 11 juin 1997 la société Brokat s’est contentée de demander des renseignements sur les produits de la société SG2, que dénommant son service sur Internet « Payline », la société Brokat se rend coupable de contrefaçon de sa marque, que celle-ci a voulu créer une confusion dans l’esprit de la clientèle, que l’action au fond est introduite et est sérieuse.
La société Brokat a répliqué à l’incompétence de ce Tribunal soutenant que selon l’article 5-3° de la Convention de Bruxelles, le choix du Tribunal du lieu de réalisation de l’éventuel préjudice implique que le juge ne peut connaître que du seul préjudice de son ressort, à la différence du Tribunal du fait générateur qui a une compétence globale, que le fait générateur se situe en Allemagne, que la requète de SG2 tend à obtenir l’interdiction sur le site Internet, conduisant à une interdiction mondiale, que seul le Tribunal allemand aurait cette compétence. Elle soulève la nullité de l’assignation qui n’aurait pas été remise par huissier au parquet.
Elle soutient que l’action n’a pas été introduite à bref délai comme l’exige l’article L 716-6 du Code de la Propriété Intellectuelle, que la marque « Payline » est générique et constitue un terme descriptif du produit proposé, qu’elle n’est pas distinctive et présente un lien de nécessité avec le service de paiement sur Internet, qu’en ce qui la concerne le nom de son domaine est « Brokat.de », qu’elle ne commercialise pas Brokat-Payline en France, et ne peut faire concurrence à SG2, que le fait qu’un nom de domaine identique à une marque etrangère, soit présent sur le territoire français, n’est pas une raison suffisante pour en déduire l’existence d’une contrefaçon de marque lorsque les prestations proposées par le titulaire du site ne sont pas disponibles sur le marché français, que la coexistence de deux noms de domaines dans deux zones géographiques différentes, reprenant des marques identiques est licite du fait du principe de territorialité des droits de propriété industrielle, que vouloir lui interdire de présenter son produit au colloque du CNIT du 15 octobre reviendrait à violer la liberté d’entreprise.
Concluant au débouté des demandes, la société Brokat sollicite paiement de 100.000 francs à titre de Dommages et intérèts.
La société SG2 a répliqué qu’une assignation a bien été délivrée au parquet le 30 septembre 1997, qu’une deuxième assignation a été délivrée par un huissier en Allemagne afin que la société Brokat soit à même de préparer sa défense, que l’article 5 alinéa 3 de la Convention de Bruxelles prévoit que le défendeur peut être attrait en matière délictuelle devant le Tribunal où le fait dommageable s’est produit, expression s’entendant comme celui du fait générateur du dommage ou celui du lieu où le dommage est survenu, que ce Tribunal est compétent en raison du fait que le dommage est subi en France et du fait que le fait générateur de ce dommage se situe en France par l’accès au site en France de Brokat sur lnternet, la présence de cette société au colloque du 15 octobre, la publication de l’offre du service de Brokat dans les journaux français, que le Tribunal de Grande Instance de Nanterre est compétent pour faire cesser les actes de contrefaçon subis en France, et pour ordonner toutes mesures, que le fait que ces actes se situent notamment sur Internet, qui est par sa nature, mondial, ne doit pas empêcher le juge français de sanctionner les faits, qu’elle est bien titulaire d’une marque enregistrée, couvrant les services de paiement sécurisés par carte bancaire, notamment sur Internet, que la marque « Payline » n’est pas descriptive du service et n’a aucune signification dans la langue française, ni lien de nécessité avec le service, que la société Brokat n’a pas d’antériorité sur la dénomination « Payline », que l’usage d’une marque n’implique pas sa mise en vente, mais sa seule reproduction pour un usage commercial, que Brokat reconnaît utiliser le terme « Payline » pour décrire son service et qu’il importe peu qu’elle ne puisse le commercialiser en France, faute d’autorisation administrative, que d’ailleurs c’est bien en France que la société Brokat va présenter son produit au colloque du 15 octobre, que ce n’est pas parce que des entreprises étrangères peuvent participer à ce colloque qu’elle ne serait pas fondée à faire valoir son droit de protection sur sa marque, qu’il y a un risque de confusion dès lors que les deux entreprises exercent la même activité, que le bref délai a été respecté puisqu’elle a appris l’existence du service de Brokat en juin, qu’elle s’est mise en rapport avec la société Brokat immédiatement, que celle-ci devait commercialiser son service en septembre et qu’elle a appris la présence de cette dernière au colloque que très récemment.
DISCUSSlON
Sur la compétence :
Attendu que selon l’article 5-3° de la Convention de Bruxelles, en matière délictuelle le demandeur doit saisir le Tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit, que cette expression doit s’entendre en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal, qu’il en résulte que le défendeur peut être attrait devant le Tribunal du lieu où le dommage est survenu
ou du lieu de l’evénement à l’origine du dommage;
qu’ainsi la société Brokat pouvait être attrait devant cette juridiction, que la diffusion d’Internet étant par nature mondiale et accessible en France, le dommage a lieu sur le territoire franµais, que par ailleurs le colloque auquel doit assister la société Brokat se trouve en France;
que compétent territorialement, le juge franµais doit sanctionner les faits argués de contrefaçon et appliquer les sanctions prévues par le Code de la Propriété Intellectuelle et qu’il importe peu que la diffusion sur Internet soit mondiale, que l’inverse aurait pour conséquence de nier la protection d’une marque sur le territoire où elle est protégée;
qu’il convient de rejeter l’exception d’incompétence;
Sur la validité de l’assignation :
Attendu que la société SG2 justifie avoir délivré une assignation au Parquet, qu’elle n’a fait que délivrer par huissier en Allemagne une assignation complémentaire afin de s’assurer du caractère contradictoire de la procédure;
qu’ainsi le moyen est inopérant;
Sur le fond :
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article L 716-6 du Code de la Propriété Intellectuelle lorsque le Tribunal est saisi d’une action en contrefaçon, son président, statuant en la forme des référés peut interdire, à titre provisoire, sous astreinte, la poursuite des actes argués de contrefaçon si l’action au fond apparaît sérieuse et a été engagée à bref délai à compter du jour où le propriétaire de la marque a eu connaissance des faits sur lesquels elle est fondée;
qu’en l’espèce, la société SG2 a eu connaissance des faits reprochés à la société Brokat en juin 1997, qu’un échange de courrier est intervenu ensuite, que l’assignation au fond a été délivrée à la fin du mois de septembre, lorsque la société SG2 a appris que la société Brokat participait au colloque du CNIT le 15 octobre 1997;
qu’il convient d’estimer que l’action a été engagée à bref délai;
Attendu qu’il ne peut être contesté que la société SG2 est titulaire de la marque « Payline » déposée en avril 1996 à l’INPI, que cette marque, contrairement aux dires de la société Brokat n’apparaît pas nécessaire, générique et dépourvue de caractère distinctif;
qu’en effet même en langue anglaise, cette dénomination n’est nullement nécessaire pour désigner un service de paiement sécurisé par carte bancaire, que si celle-ci est évocatrice, elle conserve néanmoins son caractère distinctif;
Attendu que si la société Brokat soutient ne pas commercialiser en France son service, il n’en demeure pas moins que constitue une contrefaçon la seule reproduction d’une marque à l’identique ou quasi-identique, sans qu’une commercialisation soit obligée, étant observé que la reproduction à l’identique de la marque « Payline », par la société Brokat concerne rfes services semblablés à ceux fournis par la sociétè SG2;
qu’il en résulte que l’action au fond présente un caractère sérieux et qu’il convient de faire droit aux mesures d’interdiction, ainsi qu’il est précisé au dispositif de la présente ordonnance;
Attendu que les conditions d’application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile sont réunies et qu’il convient d’allouer à la société SG2 la somme de 8.000 francs;
Attendu qu’il convient de rappeler que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit;
PAR CES MOTIFS
Statuant, en la forme des référés, en premier ressort, contradictoirement et publiquement;
Nous déclarons compétent;
Rejetons l’exception de nullité;
Interdisons à titre provisoire à la société Brokat d’utiliser à quelque titre que ce soit et sous quelque support la dénomination « Payline », notamment lors du colloque du 15 octobre 1997 et ce, sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée, passée la signification de la présente ordonnance;
Lui enjoignons de supprimer toute référence à la dénomination « Payline » sur quelque support que ce soit, notamment sur le réseau Internet, dans les 72 heures de la signification de la présente ordonnance, sous astreinte de 5.000 francs par jour de retard;
Condamnons la société Brokat à payer à la société SG2 la somme de 8.000 francs au titre des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La condamnons aux dépens.
Ainsi jugé et rendu le 13 octobre 1997.
Le tribunal : D. ROSENTHAL-ROLLAND (Vice-Président) ; C.VIVIER (Greffier).
Avocats : Me MERGNY – Me SMEETS
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