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Jurisprudence : Responsabilité

mercredi 10 décembre 2003
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Cour d’appel de Paris 4ème chambre, section A Arret du 10 décembre 2003

Star Avenue / SCPP

droit d'auteur - phonogramme - responsabilité

La procédure

Vu l’appel interjeté par la société Star Avenue du jugement rendu le 15 mai 2002 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

– rejeté l’exception de nullité de l’assignation,

– déclaré la SCPP irrecevable à agir dans l’intérêt individuel de ses membres,

– déclaré la SCPP recevable à agir pour défendre de l’intérêt collectif de la profession des producteurs phonographiques qu’elle représente,

– dit qu’en reproduisant et en communiquant au public des extraits de phonogrammes sur le site internet « staravenue.com », sans l’autorisation des producteurs de phonogrammes concernés, la société Star Avenue a violé les dispositions de l’article L 213-1 du CPI,

– condamné la société Star Avenue à payer à la SCPP la somme de 8000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice collectif subi par la profession des producteurs de phonogrammes,

– autorisé la SCPP à faire publier le dispositif du jugement par extraits ou en entier, dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société Star Avenue, le coût des insertions ne pouvant excéder à sa charge, la somme de 9146,94 € HT,

– condamne la société Star Avenue à payer à la SCPP la somme de 2700 € au titre de l’article 700 du ncpc ;

Vu les dernières écritures signifiées le 15 septembre 2003 par lesquelles la société Star Avenue, poursuivant l’infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu’il a déclaré la SCPP irrecevable à agir au nom et pour le compte de l’ensemble de ses membres aux fins d’interdiction, demande à la cour de déclarer la SCPP irrecevable et en tous cas mal fondée en son action, de la débouter de l’ensemble de ses prétentions et de la condamner à lui verser la somme de 8000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 13 octobre 2003 aux termes desquelles la SCPP sollicite la confirmation du jugement déféré, demandant en outre à la cour de :

– dire recevable sa mesure d’interdiction au nom de la défense de l’intérêt collectif dont elle a statutairement la charge et ce, dès lors qu’est démontrée la violation par la société Star Avenue de l’article L 213-1 du CPI du fait de la reproduction et de la communication au public des extraits de phonogrammes par voie interactive sur le site web dont l’adresse URL est http://www.staravenue.fr,

– faire interdiction à l’avenir à la société Star Avenue tant qu’elle n’a pas obtenu l’autorisation des producteurs phonographiques, de reproduire et communiquer au public, des extraits d’enregistrements appartenant au répertoire de la SCPP, sauf à justifier que les conditions de l’article L 211-3 du CPI sont remplies,

– assortir cette interdiction d’une astreinte de 150 € par extrait litigieux et par jour, à compter du premier jour auquel l’utilisation illicite aura de nouveau été constatée,

– condamner la société Star Avenue à lui verser la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

La discussion

Considérant que devant la cour, la SCPP limite le fondement de sa demande à la défense de l’intérêt collectif de l’ensemble de la profession de producteurs de phonogrammes ;

Sur la recevabilité de la SCPP à agir pour la défense de l’intérêt collectif de la profession des producteurs phonographiques

Considérant que la SCPP reproche à la société Star Avenue de reproduire et d’exploiter sur le site web à l’adresse internet http://www.staravenue.com des extraits de phonogrammes de son répertoire social, sans autorisation de sa part ou des producteurs phonographiques eux-mêmes, faisant valoir qu’un tel comportement porte gravement atteinte à l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente ;

Considérant que pour contester la recevabilité à agir de la SCPP, la société Star Avenue soutient que dès lors que celle-ci reconnaît que l’exception de courte citation s’applique en matière musicale, le litige ne concerne pas une question de principe mais exclusivement une question de fait ne pouvant ni recevoir de solution générale ni donner lieu à l’énoncé d’un principe général susceptible de s’appliquer à l’ensemble de la profession de producteur de phonogrammes ;

Considérant qu’aux termes de l’article L 321-1 du CPI, les sociétés de perception et de répartition des droits… de producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sont constituées sous forme de sociétés civiles… Ces sociétés civiles régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge ;

Considérant que la SCPP est une société civile de perception et de répartition des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéomusiques régulièrement constituée qui regroupe parmi ses membres les plus importantes sociétés de production phonographique françaises et étrangères ;

Que selon l’article 4 de ses statuts, elle a pour objet notamment :

– l’exercice collectif des droits des producteurs de phonogrammes du commerce et de vidéomusiques :
*d’autoriser ou interdire la reproduction directe ou indirecte des phonogrammes du commerce et vidéomusiques,
*d’autoriser ou interdire la communication au public des phonogrammes du commerce et vidéomusiques,

– la défense de l’intérêt collectif de la profession exercée par ses membres et la détermination des règles professionnelles en rapport avec leur activité,

– d’une façon générale, la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres ou de leurs ayants cause à titre particulier dans la limite de l’objet social et notamment, traiter, contracter, plaider, transiger, compromettre ;

Considérant que les premiers juges ont à juste titre déduit du jeu combiné des articles L 321-1 du CPI et de l’article 4 de ses statuts que la SCPP est habilitée et a qualité pour agir seule pour la défense de l’intérêt collectif de la profession des producteurs phonographiques ;

Considérant que l’objet du litige est de déterminer si l’utilisation d’extraits de phonogrammes du commerce par la société Star Avenue sur son site internet est soumise à l’autorisation du producteur de phonogrammes telle que prévue à l’article L 213-1 alinéa 2 du CPI ou si la société Star Avenue peut se prévaloir du régime dérogatoire au droit d’autoriser, en invoquant l’exception de courte citation instaurée par l’article L 211-3 du même code ;

Considérant que l’action de la SCPP, fondée sur l’application de l’article L 213-1 alinéa 2 du CPI , tend à déterminer son champ d’application au regard du régime dérogatoire de l’exception de courte citation dès lors que la société Star Avenue fait valoir d’une façon générale que l’utilisation qu’elle fait des phonogrammes relève de cette exception ; que le litige soulève donc, comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, une question de principe dont la solution, susceptible d’avoir des conséquences pour l’ensemble des membres de la SCPP, présente un caractère essentiel pour la profession des producteurs de phonogrammes ;

Qu’il s’ensuit que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a déclaré la SCPP recevable à agir pour la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente ;

Sur les atteintes aux droits des producteurs phonographiques

Considérant qu’aux termes de l’article L 213-1 alinea 2 du CPI, l’autorisation du producteur de phonogramme est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l’article L 214-1 du CPI ;

Que selon l’article L 211-3 du même code, les bénéficiaires des droits voisins du droit d’auteur ne peuvent interdire :
Sous réserve d’éléments suffisants d’identification de la source :

– les analyses et courtes citations justifiées par les caractères critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ;

Considérant que, par une motivation précise fondée sur l’analyse des procès-verbaux de constat dressés par les agents assermentés de la SCPP, que la cour adopte, les premiers juges ont estimé à juste titre que la matérialité de la reproduction et de la communication au public par la société Star Avenue sur son site internet des phonogrammes relevant du répertoire social de la SCPP sont établies ;

Considérant qu’ils ont relevé à bon droit que l’exception aux droits voisins du droit d’auteur instaurée par l’article L 211-3 sus-visé est d’interprétation stricte ;

Considérant que pour être licite, la citation doit :

– mentionner le nom de l’auteur et la source,
– être justifiée par une finalité critique, polémique,
pédagogique, scientifique ou d’information,

– être incorporée dans une œuvre seconde,

– être brève ;

Considérant que la société Star Avenue exploitait sur le site internet en cause, aujourd’hui fermé, un service de vente par correspondance de phonogrammes du commerce ; que ce site a pour objet unique la vente de disques et ne comporte aucune rubrique générale d’information ou d’actualité, le seul fait de présenter aux internautes les phonogrammes proposés à la vente ne répondant pas à la finalité d’information exigée par la loi ;

Qu’en outre, il ressort des constats dressés que les pages du site sont dépourvues de lien entre elles et consistent, comme le relève à juste titre la SCPP, en une juxtaposition d’extraits de phonogrammes qui ne sont pas intégrés à une œuvre seconde mais en constituent le matériau essentiel ;

Qu’au surplus, les premiers ont exactement estimé que la durée des extraits diffusés par la société Star Avenue, entre 30 et 40 secondes, au regard de celle des œuvres citées, d’environ 3 minutes chacune, ne répondait pas à la condition de brièveté requise ;

Qu’il s’ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu’il a écarté l’application de l’article L 211-3-3° du CPI et dit que la société Star Avenue avait contrevenu aux dispositions de l’article L 213-1 du CPI en ne sollicitant pas l’autorisation de la SCPP ou des producteurs de phonogrammes ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que la société Star Avenue soutient en vain que la SCPP poursuit des fins abusives en imposant le contrat général d’intérêt commun qui aurait pour effet de contraindre l’utilisateur à renoncer à un droit, l’exception de courte citation, alors que ce dernier à la faculté de négocier directement avec les producteurs de phonogrammes et qu’elle ne justifie pas avoir sollicité directement leur autorisation avant de reproduire et communiquer au public les phonogrammes incriminés ;

Considérant que les premiers juges ont exactement évalué le préjudice né de l’atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession des producteurs de phonogrammes, qui est caractérisée du seul fait de la contestation et de la violation de leur droit d’autoriser la reproduction et la communication des phonogrammes, en allouant la somme de 8000 € à titre de dommages-intérêts ;

Que la mesure de publication prononcée par les premiers juges, qui apparaît justifiée par l’ampleur de l’atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession des producteurs de phonogrammes, doit être confirmée, sauf à préciser qu’elle fera mention du présent arrêt ;

Qu’il convient, en tant que de besoin, de faire droit à la mesure d’interdiction sous astreinte sollicitée selon les modalités précisées au dispositif, dès lors que les extraits diffusés sur le site internet de la société Star Avenue n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L 211-3-3° du CPI ;

Considérant que les dispositions de l’article 700 du ncpc doivent bénéficier à la SCPP, la somme complémentaire de 8 000 € devant lui être allouée à ce titre ;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société Star Avenue ;

La décision

. Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il n’a pas fait droit à la mesure d’interdiction ;

Le réformant sur ce point et statuant à nouveau ;

. Interdit, en tant que de besoin, à la société Star Avenue, tant qu’elle n’a pas obtenu l’autorisation des producteurs de phonogrammes, de reproduire et communiquer au public, des extraits d’enregistrements relevant du répertoire social de la SCPP, sauf à justifier que les conditions de l’article L 211-3-3° du CPI sont remplies et ce, sous astreinte de 150 € par extrait diffusé, à compter de la signification du présent arrêt ;

Y ajoutant ;

. Dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt ;

. Condamne la société Star Avenue à payer à la SCPP la somme complémentaire de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

. Rejette le surplus des demandes ;

. Condamne la société Star Avenue aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du ncpc.

La cour : M. Carre-Pierrat (président), Mmes Magueur et Rosenthal-Rolland (conseillers)

Avocats : Me F. Pouget, Me E. Lauvaux (Selarl Nomos)

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.