Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Marques

lundi 31 janvier 2000
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de Grande Instance de Nanterre Ordonnance de référé du 31 janvier 2000

Les Trois Suisses France, SNC 3.S.H Helline (demandeurs), Redcats, La Redoute, Quelle La Source (demandeurs en intervention volontaire) / Sarl Axinet Communication, Francine G., Eric G. et Jérôme G..

contrefaçon de marque - nom de domaine - publication décision de justice - vente aux enchères

Vu l’assignation en référé d’heure à heure du 21 janvier 2000 délivrée par les sociétés Les Trois Suisses France et 3.S.H. Helline à la société Axinet Communication, Eric G., Jérôme G., Francine G., par laquelle il est demandé sur le fondement des articles L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle et 809 du nouveau code de procédure civile :

– qu’il soit constaté qu’en utilisant les dénominations « 3 Suisses », « Chouchou », « Helline », les défendeurs ont engagé leur responsabilité et ont eu un comportement parasitaire fautif,

– qu’il leur soit fait interdiction d’utiliser ces dénominations sous astreinte de 150 000 F par jour de retard et de 15 000 F par infraction constatée,

– qu’il leur soit fait injonction, sous astreinte de 15 000 F par jour de retard, de procéder aux formalités de transfert des noms de domaine :

« les-3-suisses.com »
« les-3-suisses.net »
« les-3-suisses.org »
« les-3 suisses.com »
« les-3suisses.net »
« les-3suisses.org »
« le-chouchou.com »
« Helline.net »
« Helline.org »

Les sociétés Trois Suisses et Helline demandent également
– la condamnation des défendeurs au paiement d’une provision de 200 000 F,
– la publication judiciaire de l’ordonnance à intervenir dans 3 revues professionnelles,
– la publication d’un extrait de la décision sur la page « funny-picture.com » pendant une durée d’un an.

Elles requièrent enfin le paiement par chacun des défendeurs de la somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions du 24 janvier 2000, la société Redcats et la société La Redoute sont intervenues volontairement à l’instance.

Elles demandent qu’il soit constaté, sur le fondement des articles 809 du Ncpc, L. 713-15 du CPI et 1383 du code civil :

– que l’utilisation par les consorts G. des noms de domaine « la-redoute.net » ; « la-redoute.org » ; « redoute.net » ; « redoute.org » ; « laredoute.org » et leur mise en vente dans le cadre d’une vente aux enchères organisée sur le site web « funny-picture.com » constituent un trouble manifestement illicite portant atteinte à la dénomination sociale La Redoute et à la marque notoire du même nom,

– que la société Axinet Communication a manqué à son obligation de prudence et de vigilance.

Elles sollicitent en conséquence :

– l’interdiction faite aux consorts G., dans les 24 heures suivant la signification de l’ordonnance, de détenir, d’utiliser, d’exploiter tout nom de domaine comportant la dénomination La Redoute, sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée,

– le transfert par les consorts G., dans les 8 jours suivant la signification de l’ordonnance, sous astreinte de 50 000 F par jour de retard, des noms de domaine auprès de l’Internic,

– la condamnation des consorts G. au paiement de 500 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels, – la condamnation de la société Axinet au paiement de 100 000 F à ce titre,

– la publication judiciaire de la décision dans 3 revues professionnelles, – la publication d’un extrait de celle-ci sur la page « funny-picture.com » pendant une durée d’un an,

– la condamnation des défendeurs à rembourser à la société Redcats les frais de constat d’huissier, soit 15 586,22 F,

– leur condamnation au paiement de 50 000 F au titre de l’article 700 du Ncpc.

Par conclusions du 24 janvier 2000, la société Quelle La Source est intervenue volontairement à la procédure.

Invoquant les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, 325, 328 et 809 du Ncpc, L. 713-5 du CPI, elle demande :

– qu’il soit constaté qu’en enregistrant et en proposant à la vente le nom de domaine « lasource.org », les consorts G. et la société Axinet ont porté atteinte à sa dénomination sociale, son nom de domaine, sa marque et ont commis des agissements parasitaires engageant leur responsabilité,

– qu’il leur soit interdit d’utiliser les dénominations « Quelle » et « La Source », sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée,

– que les consorts G. procèdent au transfert du nom de domaine, sous astreinte de 50 000 F par jour de retard à compter du 2ème jour suivant le prononcé de la décision,

– que le juge des référés se réserve la liquidation de l’astreinte,

– que les défendeurs soient condamnés à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels,

– que l’ordonnance soit publiée dans 3 journaux, – qu’un extrait de celle-ci soit publié sur la page d’accueil du site « funny-picture.com » pendant un an,

– que les défendeurs soient condamnés à lui payer 60 000 F en vertu de l’article 700 du Ncpc.

Les consorts G. ont constitué avocat.
Ce dernier a été entendu en sa plaidoirie. Il a sollicité la mise hors de cause de Francine et Jérôme G., faisant valoir que seul Eric G. était le créateur du site litigieux. Il a soutenu que ce dernier n’était pas de mauvaise foi, acceptait de ne plus utiliser les dénominations en cause et d’afficher une publication judiciaire sur le site qu’il a créé. Il a fait valoir que les sociétés demanderesses n’avaient subi aucun préjudice.

Le gérant de la société Axinet Communication, M. Becherrawy, comparant en personne, a été entendu en ses explications.
Il a exposé qu’il ne pouvait vérifier le contenu des sites, qu’il participait à l’enregistrement des noms de domaine portant le suffixe « .fr », qu’il n’adressait pas aux créateurs de sites s’hébergeant « on line » de message d’avertissement relatif au respect des droits privatifs ; qu’il avait fermé le site litigieux le 21 janvier à 18 h 15.

Discussion

La société Les Trois Suisses, une des sociétés leaders de la vente par correspondance, est titulaire des marques « 3 Suisses » et « 3 Suisses le chouchou » ; elle commercialise ses produits sous ces marques ; elle dispose d’un site Web accessible sur Internet à l’adresse « 3suisses.fr » où elle présente ses activités et produits. La société 3.S.H., filiale du groupe 3 Suisses, exploite un catalogue à l’enseigne « Helline ».

La société La Redoute est également renommée pour son activité de vente par correspondance ; elle exerce son activité sous sa dénomination sociale ; elle est titulaire du site Web accessible sur Internet à l’adresse . La société Redcats est propriétaire des marques comportant le signe « La Redoute ».

La société Quelle La Source est aussi l’une des plus importantes sociétés de vente par correspondance. Quelle La Source est sa raison sociale, La Source constituant son nom commercial ; elle est titulaire de la marque « La Source » et du nom de domaine sur Internet « quelle-la-source.fr ».

Le 19 janvier 2000 à 17 heures 46, cette société recevait un courrier électronique dont l’éditeur se trouvait à l’adresse « negociations@hotmail.com ».
Le message était ainsi libellé : « La direction doit se rendre le plus rapidement possible sur le site www.funny-picture.com. Il s’agit de la vente de nom de domaine la plus importante concernant votre activité, soit la vpc : les-3suisses.com, la-camif.com, la-redoute.net (…) et même lasource (…) ».

S’étant connectée au réseau Internet, la société Quelle La Source a constaté que, sur le site « funny-picture.com », étaient proposés à la vente 24 noms de domaine correspondant aux dénominations des leaders de la vente par correspondance.

La société Quelle La Source faisait procéder à un constat d’huissier le 20 janvier.
Ayant appris ces faits, les sociétés La Redoute et Redcats mandataient un huissier les 19 et 20 janvier ; de même, la société Les Trois Suisses France et la société 3.S.H. faisaient pratiquer un constat les 20 et 21 janvier.

Il s’avérait que, sur le site « funny-picture.com », était organisée une vente aux enchères du lot des noms de domaine, jusqu’au 28 janvier 2000 à 18 heures, sur la mise à prix de 1 500 000 euros à négocier à l’adresse « négociations@hotmail.com », le montant de la dernière offre portée étant de 845 560 euros, le mercredi 19 janvier à 17 heures 09.

Parmi les noms de domaine proposés à la vente, se trouvaient 8 fois la marque 3 Suisses, une fois la marque Le Chouchou, 5 fois la marque La Redoute, une fois la marque La Source et 2 fois la dénomination Helline.

Les recherches entreprises permettaient de découvrir que ces noms de domaine comportant divers suffixes : .net, .org, com, avaient été enregistrés par un dénommé G., le contact administratif étant Marc Becherrawy, info@axinet.com.

Il est incontestable que les dénominations 3 Suisses, Le Chouchou, La Redoute, Quelle La Source, Helline ont acquis depuis des années une notoriété certaine auprès d’un large public par leur ancienneté et leur médiatisation, tant en France qu’à l’étranger ; il convient notamment de relever que chacun des catalogues des 3 Suisses et de La Redoute est diffusé à plus de sept millions d’exemplaires.

Aux termes des dispositions de l’article L. 713-5 du CPI, l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

Cet article sanctionne ainsi tout usage parasitaire d’une marque notoire ; il ne figure pas à l’article L. 716-1 du CPI qui définit la contrefaçon de marque comme la violation des interdictions précisées aux articles L. 713-2, L. 713.3 et L. 713-4 du même code.

Il ne relève donc pas du régime spécifique instauré par l’article L. 716-6 du CPI mais du régime général des référés prévu par l’article 809 du Ncpc.

Dès lors, outre les mesures d’interdiction provisoire, il autorise les demandeurs à solliciter du juge des référés le paiement d’une provision.

L’enregistrement des noms de domaine précités constitue une exploitation injustifiée des marques notoires portant atteinte aux titulaires des signes.

Etant observé qu’il a été procédé à une analyse méticuleuse de l’intégralité des combinaisons envisageables des noms de domaine et de leurs suffixes pour s’approprier ceux qui demeuraient disponibles, le caractère répréhensible des actes reprochés est patent.

L’intérêt économique de l’auteur de l’enregistrement ne trouve sa source que dans la notoriété des entreprises concernées ; il en est pour preuve le message adressé à la société Quelle La Source.

La mise en vente aux enchères sur Internet des noms de domaine reproduisant des marques notoires révèle une volonté de parasitisme.

Ces agissements à des fins de pur commerce au détriment des sociétés titulaires de marques renommées occasionnent à ces sociétés un trouble manifestement illicite.

Ils leur causent un préjudice d’image. En effet, d’une part, ils laissent croire que les dénominations 3 Suisses, Chouchou, Helline, La Redoute, La Source sont à vendre ; d’autre part, ils induisent les internautes en erreur, lesquels croyant accéder à un site officiel, aboutissent à un message d’erreur.

Il n’est pas contesté que l’auteur de ces actes de « cybersquatting » est Eric G..
En revanche, il n’est pas établi à l’évidence que Francine et Jérôme G. aient participé aux faits reprochés ; ceux-ci doivent être mis hors de cause.

L’hébergeur du site créé par Eric G. est la société Axinet Communication ; le site aurait été configuré le 12 janvier 2000.

Cocontractant de l’éditeur du site, il effectue une opération de stockage et de mise à disposition d’informations auprès du public.

Il est tenu, de par son activité, à une obligation de prudence et de diligence au sens de l’article 1383 du code civil.

En l’espèce, la société Axinet prétend que la taille réduite de son équipe et le volume de son activité ne lui permettent pas de contrôler tous les sites.

Elle admet toutefois, d’une part, participer aux formalités d’enregistrement des noms de domaine où son gérant, M. Becherrawy, apparaît comme contact administratif, et, d’autre part, ne procéder à aucune vérification sur l’étendue réelle des droits des éditeurs de site, notamment sur la propriété des marques, lorsque l’enregistrement a lieu à l’étranger, en particulier aux Etats-Unis ou en Allemagne.

Elle démontre ainsi son imprudence et sa négligence d’autant plus fautives que s’agissant, en l’occurrence, de dénominations notoires, telles que La Redoute, 3 Suisses, Quelle, elle se devait d’être spécialement vigilante.

La société Axinet convient également ne pas informer les créateurs de site, lors d’ouvertures de comptes en ligne, du nécessaire respect des droits de propriété intellectuelle.

Elle a ainsi manqué à l’obligation qui lui incombe, en ne créant pas sur son site un message signalant aux éditeurs que la liberté d’expression sur Internet a pour limite l’obligation de respecter les droits des tiers. Cette abstention est blâmable.

Cette société déclare avoir fermé le site le 21 janvier à 18 heures 15, le jour de la réception de l’assignation. Sur ce point, aucune faute ne peut lui être reprochée.

Par les manquements fautifs précités, la société Axinet a participé à la réalisation du dommage causé aux sociétés demanderesses.

Il sera fait droit aux mesures d’interdiction d’usage, selon les termes du dispositif de la présente ordonnance.

Eu égard aux éléments du dossier, Eric G. et la société Axinet, en leur qualité respective d’éditeur et d’hébergeur de site, seront condamnés à payer à titre de dommages et intérêts provisionnels, 90 000 F à la société Les Trois Suisses, 20 000 F à la société 3.S.H. , 50 000 F aux sociétés La Redoute et Redcats, 10 000 F à la société Quelle La Source.
Ils seront condamnés à rembourser à la société Redcats la somme de 15 586,22 F correspondant aux frais de constat d’huissier.

Cette indemnisation sera complétée par une mesure de publication sur le réseau Internet, ainsi qu’il est énoncé au dispositif.

Les conditions d’application de l’article 700 du Ncpc sont réunies et il convient d’accorder à chacune des sociétés demanderesses la somme de 10 000 F.

Par ces motifs

le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et en référé.

Vu les articles L. 713-5 du CPI, 1383 du code civil et 809 du Ncpc :

– reçoit les sociétés Redcats, La Redoute, Quelle La Source en leurs interventions volontaires ;

– met hors de cause Francine et Jérôme G.;

– dit qu’en enregistrant, en utilisant à titre de noms de domaines les dénominations : « 3 Suisses », « Chouchou », « Helline », « La Redoute », « La Source », et en procédant à leur mise en vente dans le cadre d’enchères organisées sur le site « funny-picture.com » du réseau Internet, Eric G., éditeur du site, a engagé sa responsabilité civile ;

– dit que la société Axinet Communication, hébergeur du site , a manqué à ses obligations de prudence et de vigilance.

Vu le trouble manifestement illicite :

– interdit à Eric G. de faire usage des dénominations susvisées, sous astreinte de 20 000 F par infraction constatée, chaque affichage à l’écran constituant une nouvelle infraction ;

– ordonne à Eric G. et à la société Axinet de procéder aux opérations de transfert des noms de domaine au profit des sociétés Les 3 Suisses France, 3.S.H., La Redoute, Quelle La Source :

« les-3-suisses.com »
« les-3-suisses.net »
« les-3-suisses.org »
« les3-suisses.com »
« les-3suisses.net »
« les-suisses.org »
« les3suisses.net »
« les3suisses.org »
« le-chouchou.com »
« helline.net »
« helline.org »
« la-source.org »
« la-redoute.net »
« la-redoute.org »
« redoute.net »
« redoute.org »
« laredoute.org »

et ce sous astreinte de 20 000 F par jour de retard, passé le délai de 72 heures suivant la signification de la présente ordonnance ;

– condamne in solidum Eric G. et la société Axinet à payer à titre de dommages et intérêts provisionnels : * 90 000 F à la société Les Trois Suisses France,
* 20 000 F à la société 3.S.H.,
* 50 000 F aux sociétés La Redoute et Redcats,
* 10 000 F à la société Quelle La Source ;

– ordonne à Eric G. de publier sur la page d’accueil du site « funny-picture.com » le texte suivant :
« Par ordonnance de référé du 31 janvier 2000, le Président du Tribunal de Grande Instance de Nanterre a condamné in solidum Eric G., éditeur du site accessible sur le réseau Internet et la société Axinet Communication, hébergeur de ce site, à payer aux sociétés Les Trois Suisses France, 3.S.H. Helline, La Redoute, Quelle La Source, à des dommages et intérêts provisionnels pour avoir porté atteinte aux droits privatifs de ces sociétés sur leurs marques et dénominations sociales » ;

– dit qu’il sera procédé à cette publication en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, autre que celle relative à un appel éventuel, dans un encadré de 468 x 120 pixels, le texte reproduit devant être d’une taille suffisante pour recouvrir intégralement la surface développée à cet effet, sous le titre :

« Publication judiciaire ».

– dit que cet avertissement devra être mis en place pour une durée d’un mois, dans le délai de 15 jours après la signification de la présente décision ;

– dit n’y avoir lieu à plus ample référé ;

– rappelle que l’exécution provisoire est de droit ;

– condamne Eric G. et la société Axinet Communication à payer à chacune des sociétés demanderesses la somme de 10 000 F ;

– condamne in solidum les défendeurs aux dépens, qui comprennent notamment les frais de constat établi par la société Redcats, s’élevant à la somme de 15 586,22 F.

Le tribunal : M. Dominique Rosenthal-Rolland (vice-président du TGI de Nanterre, tenant l’audience des référés par délégation du président du tribunal).

Avocats : SCP Dehors, Mes Bertrand et Casalonga, SCP Rivoire.

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Bertrand est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Casalonga est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître SCP Dehors est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître SCP Rivoire est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Dominique Rosenthal Rolland est également intervenu(e) dans les 39 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.