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Jurisprudence : Responsabilité

vendredi 16 septembre 2011
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre Jugement du 6 septembre 2011

M. F. / M. D.

confidentialité - contenus illicites - diffusion - pénal - secret - videosurveillance

PROCEDURE

M. D. a été cité à la requête du procureur de la République sous la prévention d’avoir à Paris, entre décembre 2008 et avril 2009, et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, étant par état ou profession, ou en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, dépositaire d’une information à caractère secret, révélé celle-ci, en l’espèce, ayant eu connaissance, en sa qualité de fonctionnaire de police, d’un enregistrement vidéo, pièce à conviction d’une procédure judiciaire en cours relative à une agression commise dans un autobus RATP le 7 décembre 2008, mis celle-ci à la disposition du public en la mettant en ligne sur son profil Facebook (site internet), fait prévu et réprimé par les articles 226-13 et 226-31 du code pénal.

Lors de l’audience de fixation du 2 novembre 2010, Me Olivier Laude a déclaré se constituer partie civile au nom de son client, M. F. Le tribunal a fixé le calendrier et a renvoyé l’affaire à l’audience du 14 juin 2011 pour plaider.

A cette date, le président a constaté que les parties étaient présentes et assistées par leurs avocats puis a donné connaissance de l’acte saisissant le tribunal et rappelé les faits et la procédure.

Le tribunal a ensuite procédé à l’audition de la partie civile et à l’interrogatoire du prévenu puis a entendu dans l’ordre prescrit par la loi :
– le conseil de la partie civile qui a développé ses conclusions, sollicitant la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 2000 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, le tout avec le bénéfice de l’exécution provisoire,
– le ministère public en ses réquisitions,
– l’avocat de la défense qui a demandé, à titre principal, la relaxe de M. D. au motif que l’élément intentionnel de l’infraction faisait défaut et a sollicité, à titre subsidiaire, le bénéfice des plus larges circonstances atténuantes en demandant également que l’éventuelle condamnation qui serait prononcée ne soit pas inscrite sur le bulletin n°2 de son casier judiciaire.

A l’issue des débats et conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, les parties ont été informées que le jugement serait prononcé le 6 septembre 2011.

A cette date, la décision suivante a été rendue.

DISCUSSION

Sur les faits

Le 7 décembre 2008 à 3 h 50, M. F. a été agressé par plusieurs personnes alors qu’il était passager d’un autobus RATP-Noctilien circulant dans le 18ème arrondissement de Paris. II a subi une incapacité totale de travail de 3 jours en raison des coups reçus ainsi qu’une seconde incapacité, également de 3 jours en raison du retentissement psychologique dû à cette agression.

L’enquête et l’exploitation de la vidéo surveillance de l’autobus a permis d’établir l’identité des agresseurs, qui ont été interpellés et condamnés le 6 janvier 2011 par le Tribunal pour enfants de Paris et le 11 janvier 2011 par le tribunal correctionnel de Paris.

Le 7 avril 2009 l’inspection générale des services était saisie par le parquet de Paris d’une enquête préliminaire à la suite de la plainte déposée par la RATP après la découverte de la vidéo ayant filmé l’agression sus-mentionnée sur différents sites de partage de vidéos en ligne tels que www.youtube.com ou www.dailymotion.fr ainsi que sur de nombreux blogs, étant précisé que cette vidéo a également été mise en ligne sur des sites de propagande du Front National www.goollnish2009.fcom ou d’autres sites (www.fdesouche.com sous l’intitulé “Chasse au blanc dans un bus RATP »).

Plusieurs médias, dont le post.fr et le quotidien gratuit 20 minutes, affirmaient que la vidéo avait été introduite sur la page personnelle de son profil Facebook par un policier de la police régionale des transports. Celui-ci était identifié comme étant M. D., agent de police judiciaire, en fonction à la police régionale des transports, au sein du service de sécurisation des réseaux de banlieue se trouvant dans l’enceinte de la gare de Lyon à Paris.

M. F. déposait plainte le 13 octobre 2009 contre le gardien de la paix M. D. pour la diffusion des images de son agression sur le net en faisant valoir que la mise en ligne de la vidéo surveillance avait « brusquement ravivé (son) traumatisme” et “mis un coup d’arrêt à ses efforts de reconstruction“.

Sur l’action publique

Le délit prévu et réprimé par les articles 226-13 et 226-31 du code pénal suppose, poux être constitué, qu’une personne tenue au secret, comme concourant à l’enquête et à l’instruction, ou, en dehors de ce cadre, de par sa profession, révèle des informations ou transmette des documents ou des copies de documents, couverts par le secret, à des personnes n’ayant pas qualité pour les recevoir, et ce, en toute connaissance de cause.

Ce délit existe dès que la révélation a été faite avec connaissance, indépendamment de tout désir spécial de nuire, l’intention frauduleuse consistant dans la conscience qu’a le prévenu de révéler le secret dont il a connaissance, quel que soit le mobile qui a pu le déterminer ; l’élément matériel de l’infraction consistant dans le fait, pour la personne dépositaire d’un secret, de révéler ce qu’elle a appris.

En l’espèce, il est établi que M. D. a copié la vidéo litigieuse sur sa clé USB, puis sur son ordinateur personnel avant de la faire visionner par sa compagne puis de la mettre en ligne sur son site, lequel était accessible, selon le rapport d’enquête de l’Inspection générale des services, en l’absence de paramétrage spécifique, non seulement par ses amis mais également par l’ensemble des visiteurs de cette page.

En effet, entendu par les services de police les 7 et 8 avril 2010, M. D. expliquait qu’il avait vu cette vidéo surveillance de la RATP pour la première fois à la mi-décembre 2008 sur un ordinateur de la salle de rédaction au commissariat à la gare de Lyon (à la BRF) et qu’environ une semaine plus tard il avait enregistré la vidéo sur sa clé USB dans l’intention de la montrer à ses amis. Il précisait qu’il l’avait installée sur son ordinateur personnel à son domicile avant de l’insérer sur son site, sur lequel il avait environ 109 “contacts” (amis, anciens camarades de classe, membres de sa famille), à l’adresse ca….@hotmail.fr, en y annexant un commentaire personnel sur l’évolution du métier de policier.

Il ne contestait pas qu’il savait qu’il s’agissait d’une vidéo de surveillance de la RATP mais a dit qu’il ignorait qui avait pu télécharger la vidéo. II reconnaissait l’avoir effacée rapidement de sa clé USB et du disque dur en indiquant qu’il avait demandé à sa compagne de la supprimer sur son profil le 7 avril 2010 lorsqu’il avait pris conscience des graves conséquences de cette mise en ligne, après sa première audition en garde à vue.

M. D., confirmant à l’audience ses déclarations faites lors de l’enquête de l’IGS, n’a pus contesté qu’il savait que le document litigieux, se trouvant sur un des ordinateurs du commissariat de la gare de Lyon, était une vidéo surveillance provenant d’un enregistrement fait par la RATP. Il ne saurait sérieusement soutenir qu’il ignorait son caractère confidentiel alors que lui même était fonctionnaire à la police régionale des transports, au service de sécurisation des réseaux de banlieue, service rattaché au commissariat sus-visé.

Il doit être par ailleurs relevé que plusieurs de ses collègues ont indiqué qu’après avoir visionné la vidéo, il leur avait paru “logique qu’une enquête judiciaire soit en cours” confirmant qu’il arrivait de montrer “à des collègues en tenue » les vidéos prises lors d’agressions pour faciliter les interpellations.

Compte tenu de l’ensemble des éléments du dossier, M. D. sera retenu dans les liens de la prévention.

Eu égard aux bons renseignements et aux “témoignages de satisfaction” donnés par ses supérieurs hiérarchiques, il sera fait une application modérée de la loi pénale et prononcé à son encontre la peine de deux mois d’emprisonnement. Le casier judiciaire de l’intéressé ne portant trace d’aucune condamnation, cette peine sera entièrement assortie du sursis

Il convient, par ailleurs, au vu des éléments de la procédure et des débats, d’ordonner la dispense de la mention de cette décision au casier judiciaire de M. D.

Sur l’action civile

Il convient de recevoir M. F. en sa constitution de partie civile et de lui allouer la somme de 3500 € en réparation de son préjudice, compte tenu des répercussions que la publicité donnée à l’agression dont il a été victime a eues sur sa vie personnelle et sur ses études.

L’exécution provisoire n’étant possible, en matière pénale, que pour les sommes allouées à titre de dommages et intérêts, le versement provisoire de la somme de 3500 € sera seul ordonné.

Il lui sera également alloué la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de M. D., prévenu, à l’égard de M. F. partie civile, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

. Déclare M. D. coupable pour les faits qualifiés de violation du secret professionnel, commis entre les mois de décembre 2008 et avril 2009, à Paris et sur le territoire national, délit prévu et réprimé par les articles 226-13 et 226-31 du code pénal,

. Condamne M. D. à la peine de 2 mois d’emprisonnement,

Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :

. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles,

. Dit qu’en application des dispositions de l’article 775-1 du Code de procédure pénale, il ne sera pas fait mention au bulletin n°2 du casier judiciaire de M. D. de la condamnation qui vient d’être prononcée,

. Déclare recevable, en la forme, la constitution de partie civile de M. F.,

. Condamne M. D. à lui payer les sommes de 3500 € à titre de dommages-intérêts, et de 1500 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

. Ordonne le versement provisoire des dommages et intérêts alloués.

Avocats : Me Bertrand Le Corre, Me Olivier Laude

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