Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 17 novembre 1997
Yves C., Christiane G., Hewlett Packard France / Havas Edition Electronique, Snic
diffamation - liberté d'expression - responsabilité de l'hébergeur - responsabilité du fournisseur d'accès
Les faits
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,
Vu l’assignation en référé d’heure à heure du 7 novembre 1997 par laquelle Yves C., Christiane G. et la société Hewlett Packard France demandent qu’il soit ordonné à la société Havas Edition Electronique exerçant sous l’enseigne Havas on Line (HOL) de fermer le site web, dénommé « le site des employés Hewlett Packard Rennes », sous astreinte de 50 000 F par jour de retard, et de faire interdiction à cette société d’ouvrir tout nouveau site web mentionnant le nom de la société Hewlett Packard ou ses initiales « HP », sans s’assurer de l’identité de la ou des personnes responsables, au sens de la loi, et ce, sous même astreinte ;
Vu les conclusions par lesquelles la société Havas Edition Electronique demande sa mise hors de cause, sa branche d’activité consistant en la fourniture d’accès à internet au grand public ayant fait l’objet d’un rapport à la Société nouvelle d’investissement communication (Snic) le 15 octobre 1997 publié le 3 novembre 1997 ;
Vu les conclusions d’intervention volontaire de la Snic tendant à voir déclarer nulle l’assignation du 7 novembre 1997, renvoyer les débats à une date postérieure au 17 novembre 1997, et subsidiairement rejeter l’intégralité des demandes. La Snic sollicite l’allocation d’une somme de 50 000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
Les demandeurs exposent que la société Havas on Line diffuse mondialement sur le réseau internet un site web intitulé « Le site des employés Hewlett Packard Rennes » dont les pages contiennent des expressions diffamatoires et fautives qui mettent en cause au moins deux personnes (salariée et mandataire) de la société Hewlett Packard et la société Hewlett Packard France ; que le site en question est strictement anonyme, la ou les personnes qui ont souscrit un contrat avec la société Havas on Line l’ayant fait sous une fausse identité pour échapper à leur responsabilité d’exercer un droit de réponse et sont privées du droit d’agir en diffamation ou en responsabilité ; que la société Hewlett Packard est pour sa part dans l’incapacité d’engager une procédure disciplinaire à l’égard de ceux de ses salariés qui auraient abusé de leur liberté d’expression ; qu’en outre, la dénomination de la société connue sous le sigle « HP » est abusivement utilisée par le site, créant dans l’esprit du lecteur une confusion préjudiciable à la société ; qu’enfin la diffusion d’un tract (qu’il soit ou non syndical) par message électronique est illicite ;
C’est donc pour mettre fin au trouble manifestement illicite qui leur est causé par cette diffusion et pour prévenir le renouvellement du dommage qu’ils demandent au juge des référés de prononcer les mesures sollicitées ;
En défense, la Snic, qui a repris l’activité de la société Havas on Line relative à la diffusion et la consultation d’informations sur le réseau internet, soulève en premier lieu la nullité de l’assignation pour non respect des dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, aucune des mentions exigées par ce texte ne figurant dans l’acte introductif du 7 novembre 1997 ;
Elle demande en second lieu le renvoi de l’affaire pour que soit respecté le délai de 10 jours prévu à l’article 55 de la loi précitée ;
Sur le fond du litige, elle soutient que les demandeurs n’établissent pas le caractère diffamatoire des propos et encore moins l’abus commis par les salariés de HP France dans l’exercice de leur droit et liberté d’expression ;
Elle fait valoir que les animateurs du web, qui constituent un collectif de salariés en lutte avec la direction de HP France en raison de la fermeture envisagée de l’agence de Rennes et des licenciements qu’elle doit entraîner, appellent les salariés à se mobiliser et diffusent dans le cadre de l’expression directe et collective qui leur est reconnue par le code du travail, des informations relatives aux modalités pratiques d’exécution du plan social adopté et expriment leur opinion en des termes qui doivent être appréciés en considération de ce contexte ;
Elle prétend que la liberté d’expression reconnue aux salariés ne sauraient être remise en cause du seul fait qu’elle s’exerce au moyen du réseau internet et considère que les propos litigieux s’inscrivent dans le cadre de la polémique sociale, sans jamais dépasser les limites de la critique légitime ni dégénérer en abus ;
La discussion
Attendu qu’il convient de recevoir la Snic en son intervention volontaire et de mettre la société Havas Edition Electronique hors de cause ;
Sur les exceptions de procédure :
Attendu que si l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 met à la charge du demandeur de préciser et qualifier le fait incriminé, d’indiquer la loi applicable à la demande et de notifier la citation au Ministère publique, ses prescriptions ne s’appliquent qu’à la poursuite des délits prévus par la loi sur la liberté de la presse ou à l’action en réparation du dommage causé par ces infractions ; qu’elles ne s’appliquent pas en revanche à la procédure de référé dont l’objet est différent puisqu’elle tend seulement au prononcé des mesures provisoires immédiatement nécessaires pour prévenir la réalisation d’un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu’ainsi l’exception de nullité de l’assignation doit être rejetée ;
Attendu que la procédure d’offre de preuve n’a pas à être engagée devant le juge des référés qui n’est pas le juge du fond de la diffamation ; qu’il appartient seulement à cette juridiction, lorsqu’est évoqué devant elle le droit pour le défendeur d’apporter la preuve de la vérité des faits, de rechercher si les éléments de preuves qu’il se propose de fournir sont suffisamment sérieux pour permettre une discussion utile à ce sujet devant le juge naturel de la diffamation ; qu’il peut, si le défendeur n’a pas disposé d’un délai suffisant pour organiser sa défense sur ce point, reporter l’examen de l’affaire à une date ultérieure, en application de l’article 486 du ncpc ;
Attendu que la Snic, se contente d’invoquer les dispositions de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 sans prétendre être en mesure de produire des éléments propres à établir la vérité des faits diffamatoires ; que le moyen purement formel invoqué à l’appui de sa demande de renvoi n’est donc pas fondé ;
Sur le bien fondé de la demande :
Attendu que les demandeurs se plaignent en premier lieu de l’anonymat observé par les animateurs du site dénommé « HP Rennes web site » et prétendent qu’ignorant leur identité, ils sont privés de la possibilité de répondre aux imputations diffamatoires contenues dans les messages diffusés sur ce site et, en ce qui concerne la société HP France, des moyens d’engager des poursuites disciplinaires contre les salariés qui auraient fait un usage abusif de leur liberté d’expression ;
Mais attendu qu’il résulte des constatations de l’huissier désigné par ordonnance sur requête, que le site est ouvert au nom des employés de Hewlett Packard Rennes et comporte dans ses pages la reproduction d’un tract faisant état du conflit social en cours au sein de l’établissement de Rennes ainsi que des correspondances échangées par la direction et des employés à propos d’une dispense de présence concernant certains d’entre eux ; que se trouve en outre reproduite la banderole sur laquelle est inscrite « Non à la fermeture de l’agence HP de Rennes, non aux licenciements » ;
Attendu qu’au vu de ces éléments, il ne paraît pas impossible pour la société HP France, son président et son directeur des ressources humaines, d’identifier les animateurs du site en cause, l’hypothèse selon laquelle ils ignoreraient l’identité des salariés appelant à résister à la politique de licenciements, ne pouvant être sérieusement envisagée ;
Attendu que les demandeurs prétendent encore qu’il est fait un usage abusif par les salariés de leur liberté d’expression par la diffusion d’un tract par message électronique et de propos excessifs portant atteinte à la réputation et au crédit de l’employeur ;
Mais attendu que dès lors qu’il est possible de connaître les animateurs du web et de situer sans ambiguïté leurs messages dans le cadre d’un conflit existant, la diffusion des propos critiqués s’inscrit dans l’exercice du droit à l’expression directe et collective des salariés reconnu par l’article L 461-1 du code du travail ; qu’il n’existe aucune raison évidente d’interdire aux salariés d’utiliser les techniques nouvelles pour l’exercice de ce droit, l’usage d’internet pour la communication des pensées et des opinions étant soumis aux mêmes règles que l’emploi de supports traditionnels, tels que tracts ou affiches, et la liberté d’expression trouvant d’une manière ou d’une autre ses limites, dans les dispositions de la loi sur la presse ou dans l’application de la théorie de l’abus du droit ;
Attendu que l’article L 412-7 alinéa 4 du code du travail qui réglemente l’affichage et les publications de tracts à l’intérieur de l’entreprise, ne limite pas expressément la diffusion des communications syndicales à l’enceinte de l’entreprise ; que le point de savoir si la diffusion au-delà de ces limites, de messages contenant l’expression de revendications syndicales, est ou non licite, alors qu’il n’est pas allégué que cette extension cause un trouble à l’exécution normale du travail ou à la marche de l’entreprise, est une question de fond qui ne peut être tranchée par le juge des référés ;
Attendu par ailleurs, qu’il ne ressort pas, avec toute l’évidence requise devant cette juridiction que les propos diffusés sur le site excèdent les limites de la polémique habituellement admise dans le cadre d’un conflit social, les messages mettant en cause la société HP, son dirigeant et son directeur des ressources humaines, ne révèlent aucune volonté de nuire et pouvant trouver leur place dans l’exercice normal du droit de critique du plan social qu’ils ont décidé de mettre en oeuvre ou sont chargés d’appliquer ;
Attendu enfin, qu’il n’est pas non plus évident que l’emploi de la dénomination HP Rennes, pour le collectif de défense des salariés de cette entreprise, porte atteinte aux droits de la société Hewlett Packard, le contenu des messages et les indications fournies excluant que les animateurs du site puissent être confondus avec les responsables de la société ;
Attendu que dans ces conditions, l’ouverture du site internet en cause ne revêt pas un caractère illicite manifeste autorisant le juge des référés à prendre les mesures sollicitées ;
La décision
. Recevons la Société nouvelle d’investissements communication (Snic) en son intervention volontaire ;
. Mettons hors de cause la société Havas Edition Electronique ;
. Rejetons l’exception de nullité et la demande de renvoi ;
. Disons n’y avoir lieu à référé ;
. Condamnons les demandeurs in solidum à payer à la Snic la somme de 5000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc et à supporter les dépens.
Le tribunal : Mme Feydeau (vice présidente)
Avocats : Me Grégoire Sainte Marie, Me de la Cotardière
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