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Jurisprudence : Vie privée

vendredi 15 octobre 2004
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre Jugement du 06 septembre 2004

Saïd L. / Jean Marie C., Le Monde interactif, Fluxus

diffamation - loi 29 juillet 1881 - presse - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Vu l’assignation des 11 et 15 avril 2003 par laquelle Saïd L. se plaignant de la mise en ligne, depuis le 14 janvier 2003, sur la page « info » du site internet http://www.lemonde.fr, d’un article contenant des propos diffamatoires et attentatoires à sa vie privée, demande au tribunal, au visa des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 43-10 et 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 et 9 du code civil, de condamner in solidum Jean Marie C., en sa qualité de directeur de la publication du site « le monde.fr », la société anonyme Le Monde interactif, éditeur du site, et la société Fluxus, fournisseur d’hébergement, en qualité de civilement responsables, à lui payer 150 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la publication des propos diffamatoires et 150 000 € en réparation du préjudice résultant de l’atteinte portée à sa vie privée, d’ordonner diverses mesures de publication et de condamner in solidum les défendeurs à lui verser 4000 € en application de l’article 700 du ncpc, le tout sous bénéfice de l’exécution provisoire ;

Vu les dernières conclusions du 24 mai 2004 par lesquelles Jean Marie C. et la société Le Monde interactif soulèvent la prescription de l’action et l’irrecevabilité de la demande fondée sur l’article 9 du code civil ;

Vu les dernières conclusions du 24 mai 2004 par lesquelles le demandeur se désiste de l’instance et de l’action dirigées contre la société BT France anciennement Fluxus, et maintient ses prétentions à l’égard des autres défendeurs dont il conteste l’argumentation développé au soutien de l’exception de prescription ;

Vu les conclusions du 24 mai 2004 de la société BT France, qui accepte le désistement ;

DISCUSSION

Attendu que le 14 janvier 2003 a été diffusé sur la page « info » du site internet http://www.lemonde.fr un article relatant la situation d’un électronicien de la tour de contrôle de Roissy prénommé Saïd, soupçonné par les renseignements généraux d’être proche d’une mouvance islamiste et privé du badge d’accès à son poste de travail pour cause de menace à la sûreté du territoire national ;

Attendu que Saïd L. qui se trouve être l’employé en question poursuit comme diffamatoires le titre de l’article « Soupçonné de liens avec des islamistes, un électronicien est privé de son travail dans une tour de contrôle » ainsi que les passages suivants :

« D’après nos informations, ce jeune homme a fréquenté les séminaires salafistes, en France et à l’étranger (…). Cette mouvance islamiste est « le vivier des gens qu’on retrouve dans les réseaux terroristes en France ces dernières années ». Issu d’une scission intervenue au sein des groupes islamistes armés (GIA) algériens, en 1998, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) s’est rapproché par la suite des réseaux d’Oussama Ben Laden.
Aujourd’hui, la frontière entre le salafisme religieux et le salafisme combattant s’amenuise, affirme un policier des RG. L’employé de la tour de contrôle a fréquenté l’une des mosquées d’Argenteuil qui est un des hauts lieux du salafisme. Il a aussi été au Maroc dans des centres de formation religieuse tenus par ce mouvement. Les RG évoquent encore la fréquentation de gens impliqués dans des réseaux structurés et mêlés à des procédures judiciaires » ;

Sur la recevabilité de l’action de diffamation

Attendu qu’en réponse à l’exception de prescription qui lui est opposée au motif que l’assignation n’a été délivrée au directeur de la publication que le 15 avril 2003 soit plus de trois mois après la première diffusion de l’article, le demandeur soutient en premier lieu que le texte litigieux diffusé sur le site internet du Monde le 14 janvier 2003 était d’accès gratuit et qu’il a fait l’objet, à compter du 21 janvier 2003, d’une nouvelle mise à disposition, payante cette fois, qui doit être considérée comme une réédition faisant courir un nouveau délai de prescription ;

Mais attendu que l’accès payant à compter du 21 janvier 2003 ne saurait être assimilé à une réédition alors que l’adresse du site est inchangée et que le passage de la consultation gratuite à la consultation payante n’accroît pas l’accès au site mais, tout au contraire, le réduit ;

Attendu que le demandeur fait valoir en second lieu que l’assignation délivrée à la société Le Monde interactif le 11 avril 2003, soit dans les trois mois suivant la première diffusion, a valablement interrompu la prescription, tant à l’égard du civilement responsable que du directeur de la publication dans le cadre d’une action exercée devant la juridiction civile ;

Mais attendu que, lorsque l’action est exercée séparément de l’action publique devant la juridiction civile, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est applicable en toutes ses dispositions y compris en son article 42 qui comporte une énumération précise, limitative et par ordre des personnes qui peuvent être poursuivies comme auteur principal des infractions commises par voie de presse ; que, par suite, est irrecevable l’action dirigée contre la seule société éditrice, prise en qualité de civilement responsable, sans que le directeur de la publication, désigné par la loi comme l’auteur de l’infraction, soit lui-même poursuivi ; que dès lors, l’assignation délivrée à la société Le Monde interactif n’ayant pas valablement mis en œuvre l’action en diffamation, n’a pas interrompu la prescription ; que celle-ci était donc acquise lorsque l’exploit introductif a été notifié le 15 avril 2003 à Jean Marie C., seul apte à répondre pénalement de l’infraction ;

Qu’il y a lieu en conséquence de déclarer l’action irrecevable comme prescrite l’action fondée sur les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 ;

Sur l’action fondée sur l’article 9 du code civil,

Attendu que le demandeur prétend que l’article litigieux porte gravement atteinte à sa vie privée en ce qu’il dévoile ses pratiques religieuses et laisse entendre qu’il ferait partie ou serait sympathisant de la mouvance islamiste salafiste, présentée comme « le vivier des gens qu’on retrouve dans des réseaux terroristes en France ces dernières années » ; que, selon lui une telle dénonciation qui est de nature à susciter des attitudes discriminatoires, hostiles et agressives à son égard lui cause un préjudice ouvrant droit à réparation en application de l’article 9 du code civil ;

Mais attendu que le préjudice dont se plaint le demandeur résulte, non pas de la révélation de ses croyances religieuses mais de son assimilation aux terroristes faisant partie de la mouvance salafiste induite par l’indication de ce qu’il fréquente la mosquée d’Argenteuil où, d’après les renseignements généraux, se retrouvent les gens impliqués dans des réseaux structurés proches de ceux d’Oussama Ben Laden ; que de tels propos contiennent l’imputation d’un fait précis contraire à son honneur et à sa réputation constituant une diffamation ; que l’action engagée de ce chef étant prescrite, Saïd L. ne peut, pour échapper aux dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, invoquer une atteinte à sa vie privée sans justifier, à ce titre d’éléments distincts de ceux poursuivis sur le fondement d’une infraction à la législation sur la presse ; qu’il sera en conséquence débouté de sa demande ;

Attendu qu’il convient de donner acte au demandeur de son désistement d’instance et d’action à l’égard de la société BT France anciennement Fluxus et, ce désistement étant accepté sans réserve, de le déclarer parfait ;

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,

. Déclare parfait le désistement d’instance et d’action à l’égard de la société BT France anciennement Fluxus ;

. Déclare irrecevable comme prescrite l’action engagée par Saïd L. sur le fondement de la diffamation ;

. Rejette sa demande fondée sur l’article 9 du code civil ainsi que celle formée au titre de l’article 700 du ncpc ;

. Condamne Saïd L. aux dépens.

Le tribunal : Mme Feydeau (premier vice président), M. Bonnal (vice président), Mme Depardon (juge)

Avocats : Me Karim Achoui, Me Yves Baudelot, SCP Deprez Dian Guignot et associés

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.