Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal judiciaire de Lille, Ch. 1, jugement du 28 février 2020
Jeco Distribution / M. X. & Univers Graphique
concurrence déloyale - dépôt frauduleux - e-commerce - parasitisme - plateforme de mise en relation - référencement
Le 12 janvier 2013, la S.A.R.L. Jeco Distribution a déposé la marque verbale “JECO” n°3974217 en classe 9. Puis, le 4 mai 2018 elle a déposé la marque verbale “JECO” n°4451191 en classes 2, 9 et 16 mais le 2 juillet 2018, M. X., titulaire de la marque la marque verbale “Jeco” n°4343637 déposée le 7 mars 2017 dans les classes 16 et 20, a formé opposition à son enregistrement.
Statuant sur cette opposition, par décision en date du 9 janvier 2019, le directeur général de l’Institut national pour la propriété intellectuelle a reconnu l’opposition partiellement justifiée en ce qu’elle portait sur les produits suivants : “articles de papeterie, adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; articles de bureau (à l’exception des meubles) ; papier ; carton ; boîtes en papier ou en carton ; cartes ; prospectus ; sacs (enveloppes, pochettes) en papier ou en matières plastiques pour l’emballage ; sacs à ordures en papier ou en matières plastiques”, et déclaré la demande d’enregistrement partiellement rejetée pour lesdits produits.
Le gérant de la société Jeco Distribution s’est alors rapproché du gérant de la société Univers Graphique aux fins de tenter de parvenir à une solution amiable, en vain.
En conséquence et par acte d’huissier en date du 25 juin 2019 valant dernières conclusions récapitulatives auxquelles il convient de ses référer pour l’exposé de ses motifs, la S.A.R.L. Jeco Distribution a fait assigner M. X. et la S.A.R.L. Univers Graphique devant le tribunal de céans aux fins de voir, au vise du Code de la propriété intellectuelle et notamment son article L 712-6, de l’adage fraus omnia corrumpit, ainsi que des articles 1240 et suivants du Code civil, de :
La déclarer recevable et bien fondée en son action ;
Juger que le dépôt de marque verbale “Jeco” réalisé le 7 mars 2017 sous le numéro 4343637 a été effectué frauduleusement par M. X., à son détriment ;
Juger que M. X. et la société Univers Graphique ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son encontre ;
En conséquence,
Ordonner le transfert de propriété de la marque verbale française “Jeco” numéro 4343637 du 7 mars 2017 à la société Jeco Distribution ;
Dire que le jugement devenu définitif sera transmis à l’INPI par la partie la plus diligente pour inscription au Registre National des Marques ;
Interdire à M. X. et la société Univers Graphique d’exploiter par eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un tiers, le terme “JECO” ou tout signe similaire, pour développer une activité concurrente à la sienne, dans le délai d’une semaine à compter de la signification du jugement, à peine d’une astreinte de 150 Euros par jour et par infraction constatée ; le Tribunal se réservant expressément la compétence pour liquider l’astreinte ;
Condamner in solidum M. X. et la société Univers Graphique à lui payer les sommes suivantes :
– 30 000 Euros à titre de dommages-intérêts, dans le délai d’une semaine à compter de la signification du jugement, à peine d’une astreinte de 150 Euros par jour de retard ; le Tribunal se réservant expressément la compétence pour liquider l’astreinte ;
– 5 000 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Les condamner in solidum aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais d’inscription de transfert de la marque auprès de l’INPI en traitement accéléré ;
Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Assignés à personne, M. X. et la société Univers Graphique n’ont pas constitué avocat et la clôture de l’instruction a été ordonnée en conséquence à la date du 9 octobre 2019.
DISCUSSION
L’article 472 du Code de procédure civile commande au juge, si le défendeur ne comparaît pas, de néanmoins statuer sur le fond, mais de ne faire droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
Sur la recevabilité de l’action
Les défendeurs n’ayant pas constitué avocat, la recevabilité de l’action, qui apparaît au demeurant régulière, ne fait l’objet d’aucune contestation.
Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la demande de la société requérante aux fins de se voir déclarer “recevable” à agir.
Sur la demande aux fins de voir déclarer frauduleux le dépôt de la marque verbale “Jeco” numéro 4343637
Selon les dispositions de l’article L 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.
Un dépôt doit être considéré comme frauduleux lorsque le droit de marque n’est pas constitué et utilisé pour distinguer des produits ou des services en identifiant leur origine, mais est détourné de sa fonction dans la seule intention de nuire aux intérêts d’un tiers en le privant intentionnellement d’un signe qu’il utilise ou s’apprête à utiliser.
L’action fondée sur l’article L. 712-6 impose au revendiquant de justifier de l’intention du déposant de le priver d’un signe nécessaire à la poursuite de son activité et de rapporter la preuve de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par ce dernier.
Enfin, l’enregistrement frauduleux d’une marque peut être annulé sur la base de l’adage “fraus omnia corrumpit” (la fraude corrompt tout).
*
En l’espèce, la société Jeco Distribution expose que la société Univers Graphique commercialise des produits concurrents des siens s’agissant des produits suivants : emballages et conditionnements, étiquettes, porte-documents et enveloppes ; elle fait état plus particulièrement de la vente, par les deux sociétés, de sachets d’emballage en plastique munis d’un zip.
Elle soutient ensuite que M. X. a déposé la marque “Jeco” en 2017 en fraude de ses droits, ne pouvant ignorer, ni l’existence de sa dénomination sociale “Jeco Distribution”, ni celle de la marque “Jeco” exploitée quoique non déposée par elle de manière continue pour des produits d’emballage, de papeterie, de reliure et d’adhésifs depuis 2012.
Elle souligne que la société Univers Graphique commercialisait auparavant ses produits sous une appellation totalement différente et considère ainsi que ce dépôt de marque a pour seul dessein de l’entraver dans l’exploitation de sa marque et de sa dénomination sociale.
Il ressort en effet des pièces qu’elle produit aux débats que la société Jeco Distribution a été immatriculée le 6 avril 2012 et qu’outre sa dénomination sociale, ce signe désignait déjà le nom commercial et l’enseigne de l’entreprise (pièce n°1 de la société requérante).
Elle a par ailleurs déposé concomitamment le nom de domaine “jeco- distribution.com” (sa pièce n°7).
Elle a enfin déposé la marque “JECO” en classe 9 dès le 12 Janvier 2013, publiée le 1er février 2013 (sa pièce n°8).
Son secteur d’activité est depuis sa création celui des “autres commerces de détail spécialisés divers” (sa pièce n°1).
Elle justifie encore de la mise en ligne sur le site de commerce Amazon de ses produits depuis 2012 ( pièce n°12).
Son chiffre d’affaire au titre des années 2014 à 2017 est significatif d’une activité réelle en constante croissance (de l’ordre de 315 000 Euros en 2014 pour aboutir à près de 470 000 Euros à la clôture au 30 novembre 2017), avec un effectif de 3 à 5 salariés (pièces n°1 et 2).
Il apparaît par ailleurs que M. X., pour sa part, a déposé la marque verbale “Jeco” n°4343637 le 7 mars 2017 dans les classes 16, désignant notamment des produits de l’imprimerie, articles pour reliure, articles de papeterie, adhésifs, sacs (enveloppes, pochettes) en papier ou en matières plastiques pour l’emballage, et 20, désignant divers meubles et effets mobiliers (pièce n°18/8).
N’ayant pas constitué avocat bien qu’assigné à sa personne, l’intéressé ne justifie d’aucun usage de cette marque antérieurement à son dépôt.
S’agissant de la société Univers Graphique dont M. X. est le gérant, la société Jeco Distribution établit qu’oeuvrant dans le secteur d’activité de la pré-presse, avec un chiffre d’affaire comparable au sien (près de 470 000 Euros en 2014, pièce n°10), cette dernière a été immatriculée le 23 juillet 2007.
Il est également démontré que la société défenderesse a fait usage de la marque “Jeco”pour vendre, via Amazon, des produits similaires à ceux de la société requérante.
La société Jeco Distribution établit enfin que la société Univers Graphique commercialise via différents sites internet depuis 2010 au moins, des cartes et étiquettes selon une impression classique ou technologique, ainsi que des produits d’emballage et conditionnement (pièces n°13 à 17).
Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’avant le dépôt de la marque litigieuse, en mars 2017, M. X. gérait une société qui revendait ses produits de manière habituelle via Internet – la multiplication des sites révélant une bonne maîtrise de cet outil de vente – et que dès lors l’intéressé ne pouvait pas ignorer l’existence de produits concurrents de ceux de la société qu’il gérait, frappés de la marque “Jeco”, commercialisés par la société Jeco Distribution via un site marchand sur Internet ayant une grande visibilité auprès des internautes.
En outre, il ressort de l’ensemble des éléments produits aux débats relatifs à l’activité de la société Univers Graphique, que le signe “Jeco” n’avait jamais été utilisé par cette dernière avant le dépôt de la marque litigieuse en mars 2017, que ce soit à titre de marque ou même de nom de domaine ou site internet, dans un contexte où elle disposait déjà de nombreux sites de vente de ses produits et avait déposé plusieurs marques depuis 2013 : “Univers Stationnement”, “print4live”, “CBJ”, Univers Graphique” ou encore “L7159” (pièce n°18).
C’est dans ce contexte que le 2 juillet 2018, M. X. a formé opposition à l’enregistrement de la marque “JECO” par la société Jeco Distribution, sur la base de la marque qu’il avait déposée le 7 mars 2017.
Dès lors, preuve que, M. X. a délibérément déposé la marque “Jeco”, non pas pour distinguer ses produits en identifiant leur origine, mais dans le but de confisquer à son profit un signe nécessaire à la poursuite de l’activité de la société Jeco Distribution, caractérisant ainsi un détournement de la fonction de la marque dans une intention nuisible à cette dernière, est suffisamment rapportée.
Il convient donc de faire droit à la demande principale et de dire que le dépôt de la marque verbale “Jeco” par , M. X. le 7 mars 2017 sous le numéro 4343637 a été effectué en fraude des droits de la société Jeco Distribution.
Il s’en suit que conformément à la demande présentée, il y a lieu d’ordonner le transfert de propriété de la marque verbale française “Jeco” numéro 4343637 du 7 mars 2017 à la société Jeco Distribution.
Le jugement sera transmis à l’INPI par la partie la plus diligente, pour inscription au Registre National des Marques, et les frais d’inscription de transfert, en traitement accéléré, de la marque “Jeco” n°4343637, seront à la charge de M. X.
Sur la demande au titre de la concurrence déloyale et parasitaire
Selon les dispositions de l’article 1382 ancien, 1240 actuel du Code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
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En l’espèce, la société requérante reproche aux défendeurs une concurrence déloyale par imitation ainsi que des faits de parasitisme consistant à déposer la marque “Jeco” pour des produits d’emballage, de papeterie, de reliure et d’adhésifs dans le but d’être référencée au moyen de cette marque par la plate-forme de vente en ligne Amazon sur les annoncées créées et publiées par la société Jeco Distribution pour les produits commercialisés sous le signe “Jeco” en tant que “autres vendeurs” voire même en tant que vendeur principal.
Elle justifie par la production de ses pièces n°5, 20 et 21 de la réalité d’un usage par la société Univers Graphique, postérieurement au dépôt de la marque revendiquée (2017), de ses propres annonces mises en lignes sur le site Internet Amazon dès 2012, aux fins de vendre des sachets plastique à zip de différents formats et des enveloppes à bulles.
Le fait de déposer une marque utilisée par un concurrent et non protégée (pour les produits concernés par le présent litige) dans le but d’obtenir la visibilité créée par ce concurrent sur un site de vente en ligne, de façon à tirer profit de ses investissements financiers et intellectuels pour parvenir sans bourse délier à vendre des produits similaires voire identiques, caractérise la concurrence déloyale et parasitaire que la société Jeco Distribution reproche à la société Univers Graphique.
Ayant déposé la marque ayant permis ce référencement sur le site marchant sous son nom personnel, il est suffisamment établi que , M. X. s’est associé aux manoeuvres fautives de sa société.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il convient de dire, conformément à la demande présentée, que M. X. et la société Univers Graphique ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre de la société Jeco Distribution.
Sur les mesures de réparation et d’indemnisation
Les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale constatés justifient qu’il soit fait interdiction à M.X. et la société Univers Graphique d’exploiter le signe “Jeco” pour l’un des produits ou services visés par les marques “JECO” n°3974217 et “JECO” n°4451191, outre la marque “Jeco” déposée le 7 mars 2017 sous le n°4343637 par , M. X. dont le transfert de propriété est ordonné par le présent jugement.
Il y a lieu de dire que passé le délai d’1 mois à compter de la signification du présent jugement, chaque infraction constatée emportera le paiement d’une astreinte provisoire d’un montant de 150 Euros.
Aucune circonstance particulière du présent litige ne justifie que le tribunal se réserve la liquidation de ladite astreinte.
*
Puis il apparaît qu’au soutien de sa demande de dommages-intérêts, la société requérante ne produit aucune pièce permettant d’établir précisément l’étendue de son préjudice, qu’elle caractérise uniquement par la meilleure visibilité de son concurrent au moyen du signe et de la marque “JECO” (page 16/19 de l’assignation).
Compte tenu des seuls éléments dont dispose le tribunal pour statuer sur son préjudice, il y a lieu de condamner in solidum, M. X. et la société Univers Graphique à lui payer la somme de 9 000 Euros à titre de dommages-intérêts.
Il n’y a pas lieu d’assortir cette condamnation d’une astreinte.
La société Jeco Distribution sera déboutée du surplus de ses demandes.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de condamner in solidum, M. X. et la société Univers Graphique, qui succombent, aux entiers dépens de l’instance.
Les frais d’inscription de transfert de la marque “Jeco” n°4343637 auprès de l’INPI ont d’ores et déjà été mise à la charge de, M. X., seul déposant de la marque litigieuse.
L’équité commande encore de condamner in solidum les défendeurs à payer à la société Jeco Distribution la somme de 2 000 Euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens par elle exposés.
Enfin, le prononcé de l’exécution provisoire apparaît absolument nécessaire compte tenu de la nature des faits constatés et de l’absence de représentation des défendeurs, pourtant assignés à leurs personnes, dans le cadre de la présente instance ; il convient donc de l’ordonner.
DECISION
DIT que le dépôt de la marque verbale “Jeco” par , M. X., le 7 mars 2017 sous le n°4343637 a été effectué en fraude des droits de la société Jeco Distribution ;
En conséquence,
ORDONNE le transfert de propriété de la marque verbale française “Jeco” numéro
4343637 déposée le 7 mars 2017, à la société Jeco Distribution ;
DIT que le jugement sera transmis à l’INPI par la partie la plus diligente, pour inscription au Registre National des Marques ;
MET les frais d’inscription de transfert, en traitement accéléré, de la marque “Jeco”
n°4343637 déposée le 7 mars 2017, à la charge de , M. X. ;
DIT que, M. X. et la société Univers Graphique ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre de la société Jeco Distribution ;
FAIT interdiction à, M. X. et la société Univers Graphique d’exploiter le signe “Jeco” pour l’un des produits ou services visés par les marques “JECO” n°3974217 et “JECO” n°4451191, outre la marque “Jeco” déposée le 7 mars 2017 sous le n° 4343637 ;
DIT que passé le délai d’1 mois à compter de la signification du présent jugement, chaque violation constatée de cette interdiction emportera le paiement d’une astreinte provisoire d’un montant de 150 Euros ;
DIT n’y avoir lieu de se réserver la liquidation de ladite astreinte ;
CONDAMNE in solidum, M. X. et la société Univers Graphique à payer à la société
Jeco Distribution la somme de 9 000 Euros à titre de dommages-intérêts ;
DIT n’y avoir lieu d’assortir cette condamnation d’une astreinte ;
CONDAMNE in solidum, M. X. et la société Univers Graphique aux entiers dépens de l’instance ;
CONDAMNE in solidum, M. X. et la société Univers Graphique à payer à la société Jeco Distribution la somme de 2 000 Euros au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens par elle exposés ;
DEBOUTE la société Jeco Distribution du surplus de ses demandes ;
ORDONNE l’exécution provisoire.
Le Tribunal : Déborah Bohée (vice-présidente), Anne Beauvais (vice-présidente), Ghislaine Cavailles (vice-présidente), Sophie Pouillart (greffier)
Avocat : Me Coraline Favrel
Source : Legalis.net
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