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Jurisprudence : Base de données

mardi 05 mars 2024
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Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 1, arrêt du 19 avril 2023

DirectAnnonces / LBC France

cantonnement de la saisie-contrefaçon - contrefaçon - demande de mainlevée - droit sui generis - protection - saisie-contrefaçon

La société LBC France, immatriculée le 14 avril 2010, exploite le site internet « leboncoin.fr » depuis 2011, ainsi que le site « avendrealouer.fr », et leurs applications respectives.

Le site « avendrealouer.fr » est spécialisé dans la publication de petites annonces de ventes et de locations de biens immobiliers anciens, tandis que « leboncoin.fr » est un site français de petites annonces en ligne, qui permet aux internautes de publier des petites annonces dans de nombreux domaines, lesquelles sont classées, en premier lieu, par régions, mais également par catégories, dont la catégorie « Immobilier ».

La société DirectAnnonces exploite quant à elle, depuis 1999, le site internet éponyme «DirectAnnonces.com», sur lequel elle propose un service payant de pige immobilière qui permet à ses abonnés de consulter directement l’ensemble des annonces immobilières de particuliers, extraites et collectées par elle, au moyen d’un logiciel dédié, dénommé « DirectMandat », et ce, à partir de différentes parutions accessibles sur internet.

Revendiquant la qualité de producteur de base de données pour l’administration de son site
« leboncoin.fr », la société LBC France a sollicité et obtenu, par un jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 1er septembre 2017, qu’il soit fait défense à la société Entreparticuliers.com de procéder à l’extraction ou réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de cette base de données.

Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 2 février 2021 qui a par ailleurs reconnu que la société LBC France est également producteur de la sous-base de données «immobilier» du site le boncoin.fr, le pourvoi formé par société Entreparticuliers.com ayant été rejeté par la Cour de cassation le 5 octobre 2022 ( Cass 1ère Civ 21-16.307).

Soupçonnant que la société DirectAnnonces procédait également à des extractions illicites de sa base de données au moyen de son logiciel « DirectMandat », la société LBC France a sollicité le 31 mai 2021 et obtenu, par une ordonnance rendue sur requête le 2 juin 2021, l’autorisation de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de cette société.

Les opérations ont été réalisées les 15, 16 et 17 juin 2021 et l’huissier a placé sous séquestre provisoire l’ensemble des éléments saisis.

Par acte d’huissier du 2 juillet 2021, la société LBC France a fait assigner la société DirectAnnonces devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de ses droits sur la base de données dont elle soutient être l’auteur et le producteur.

De son côté, et par acte d’huissier délivré le 8 juillet 2021, la société DirectAnnonces a fait assigner en référé la société LBC devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir, à titre principal, la mainlevée totale de la mesure et la restitution de l’ensemble des pièces, et subsidiairement, le cantonnement de la mesure.

Dans une ordonnance rendue le 18 janvier 2022 dont appel, le magistrat délégué du Président du tribunal judiciaire de Paris a :
– dit n’y avoir lieu à mainlevée, qu’elle soit totale ou partielle, de la saisie autorisée par ordonnance rendue à la requête de la société LBC le 2 juin 2021 ;
– dit que la société DirectAnnonces devra remettre au juge des référés, au plus tard pour le 18 mars 2022 :
1° La version confidentielle des pièces saisies les 15,16 et 17 juin 2021 dont elle sollicite la protection par les règles applicables au secret des affaires ;
2° Une version expurgée de ces mêmes pièces ;
3° Un mémoire précisant pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires ;
– dit que les modalités du cercle de confidentialité déterminant les conditions de la communication de ces pièces, ainsi que les personnes autorisées à en prendre connaissance, seront fixées après leur transmission et maintenu dans cette attente le séquestre provisoire ;
– réservé les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 18 février 2022, la société S.A. DirectAnnonces a interjeté appel de cette ordonnance.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 et signifiées le 2 janvier 2023, la société DirectAnnonces, appelante et intimée incidente, demande à la cour de :

Vu les articles L. 332-2, 332-4, 342-1 et 343-1 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles L.151-1 et suivants du code de commerce,

– juger DirectAnnonces recevable et bien fondée en son appel, et ses demandes ;
– réformer l’ordonnance de référé mainlevée du 18 janvier 2022 en ce qu’elle a :
– dit n’y avoir lieu à mainlevée, qu’elle soit totale ou partielle, de la saisie autorisée par ordonnance rendue à la requête de la société LBC le 2 juin 2021 ;
– dit que la société DirectAnnonces devra remettre au juge des référés, au plus tard pour le 18 mars 2022 :
1° la version confidentielle des pièces saisies les 15, 16 et 17 juin 2021 dont elle sollicite la protection par les règles applicables au secret des affaires ;
2° une version expurgée de ces mêmes pièces ;
3° un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires;
– dit que les modalités du cercle de confidentialité déterminant les conditions de communication de ces pièces, ainsi que les personnes autorisées à en prendre connaissance, seront fixées après leur transmission et maintient dans cette attente le séquestre provisoire
– réserve les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure
civile

Et statuant à nouveau,
À titre principal,
– juger que LBC France a fait preuve de déloyauté dans la présentation de sa requête aux fins de saisie-contrefaçon ;
– juger LBC France irrecevable pour requérir des mesures de saisie-contrefaçon sur le fondement de ses prétendus droits d’auteur et droits sui generis de producteur des bases de données alléguées leboncoin, sous-base immobilier du site leboncoin, et avendrealouer :
– pour défaut de qualité à agir ;
– pour être prescrite depuis le 1er janvier 2017 ou à tout le moins pour les faits reprochés antérieurement au 2 juillet 2016.
– juger LBC France infondée pour requérir des mesures de saisie-contrefaçon en l’absence d’indices probants, objectifs et vérifiables de la prétendue contrefaçon des droits allégués d’auteur et droits sui generis de producteur des prétendues bases de données leboncoin, sous-base immobilier du site leboncoin, et avendrealouer, et de préjudice immédiat ;
– juger LBC France infondée pour requérir des mesures de saisie-contrefaçon en raison de l’atteinte disproportionnée portée aux droits de DirectAnnonces ; les mesures de saisies ordonnées sont imprécises, illimitées dans leur objet et dans le temps et ne sont pas nécessaires à la résolution du litige ;
En conséquence,
– ordonner la mainlevée totale de la saisie-contrefaçon pratiquée les 15, 16 et 17 juin 2021 au siège social de DirectAnnonces, et de toutes mesures subséquentes pratiquées sur ce fondement ;
– ordonner la restitution à DirectAnnonces par la SCP Parker, Perrot et Taupin, huissiers de justice associés, dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir, des deux clés USB contenant l’ensemble des éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon des 15, 16 et 17 juin 2021 et conservées sous séquestre par la SCP Parker, Perrot et Taupin, huissiers de justice associés ;
– faire interdiction à LBC France de se prévaloir, de produire ou communiquer de quelque manière que ce soit, le procès-verbal de saisie-contrefaçon des 15, 16 et 17 juin 2021 en ce compris les déclarations de DirectAnnonces, de son représentant légal et/ou ses salariés, figurant dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon, et les éléments obtenus à l’occasion de la saisie-contrefaçon, et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée ;
– se réserver la liquidation de l’astreinte ;

A titre subsidiaire,
– juger que les effets de la saisie-contrefaçon pratiquées les 15, 16 et 17 juin 2021 portent une atteinte disproportionnée et irrémédiable au secret des affaires de DirectAnnonces, à sa liberté d’entreprendre, ainsi qu’à son droit à un procès équitable ; et qu’en toute hypothèse les éléments saisis ne sont pas nécessaires à la résolution du litige ;
En conséquence,
– cantonner les effets de la saisie-contrefaçon pratiquée les 15, 16 et 17 juin 2021 au siège social de DirectAnnonces uniquement aux exports correspondants aux résultats des requêtes SQL effectuées dans plusieurs tables de différentes bases de données gérées par DirectAnnonces concernant les seules annonces publiées, les 15, 16, et 17 juin 2021, sur les sites leboncoin, et avendrealouer ;
– ordonner en conséquence la mainlevée pour le surplus des éléments saisis, à savoir:
– le programme binaire « Crawler immo » et les codes sources dudit programme ;
– les scripts (en ce compris les codes sources) utilisés pour redimensionner les photographies et les codes sources dudit programme ;
– les exports des résultats des requêtes SQL effectuées dans plusieurs tables de différentes bases de données gérées par DirectAnnonces portant sur toutes les annonces publiées sur les site leboncoin et avendrealouer antérieurement au 15 juin 2021 ;
– les exports des résultats des requêtes SQL effectuées qui contiendraient le cas échéant des informations relatives au logiciel « Crawler Immo » ou au script de redimensionnement des images ;
– le document au format Microsoft Word rédigé par Me Raynald Parker, huissier de justice, dénommé « Liste des requêtes et résultats » ;
– ordonner la restitution à DirectAnnonces par la SCP Parker, Perrot et Taupin, huissiers de justice associés, dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir, des deux clés USB contenant l’ensemble des éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon des 15, 16 et 17 juin 2021 et conservées sous séquestre par la SCP Parker, Perrot et Taupin, huissiers de justice associés, à l’exception des exports correspondants aux seuls résultats des requêtes SQL effectuées dans plusieurs tables de différentes bases de données gérées par DirectAnnonces portant sur les seules annonces publiées, les 15, 16, et 17 juin 2021, sur les sites leboncoin, et avendrealouer (hors exports des résultats des requêtes SQL effectuées qui contiendraient le cas échéant des informations relatives au logiciel « Crawler Immo » ou au script de re- dimensionnement des images) ;

– faire interdiction à LBC France de se prévaloir, de produire ou communiquer de quelque manière que ce soit, le procès-verbal de saisie-contrefaçon des 15, 16 et 17 juin 2021 en ce compris les déclarations de DirectAnnonces, de son représentant légal et/ou ses salariés, figurant dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon, ainsi que les éléments obtenus à l’occasion de la saisie-contrefaçon pour lesquels la mainlevée est ordonnée, et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée ;
– se réserver la liquidation de l’astreinte ;

A titre très subsidiaire,
– juger que la communication des éléments saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon pratiquées les 15, 16 et 17 juin 2021, en l’absence de toute décision contradictoire irrévocable, porterait une atteinte irrémédiable au secret des affaires de DirectAnnonces, à sa liberté d’entreprendre, ainsi qu’à son droit à un procès équitable, et qu’en toute hypothèse ils ne sont pas nécessaires à la résolution du litige ; En conséquence,
– ordonner le maintien du séquestre, entre les mains de la SCP Parker, Perrot et Taupin, huissiers de justice associés, de tous les éléments saisis dans l’attente d’une décision contradictoire irrévocable sur les mesures de saisie-contrefaçon autorisées par ordonnance du 2 juin 2021 sur requête du 28 mai 2021, à savoir :
– le programme informatique dénommé « Crawler Immo » et ses codes sources ;
– les exports correspondant au résultat des requêtes SQL effectuées ;
– les scripts (en ce compris les codes sources) utilisés pour redimensionnés les photos et les codes sources dudit programme ;
– le document au format Microsoft Word rédigé par Me Raynald Parker, huissier de justice, dénommé « Liste des requêtes et résultats » ;

En tout état de cause,
– débouter LBC France de toutes ses demandes, fins et conclusions qu’elles soient faites à titre principal, à titre subsidiaire, et en tout état de cause ainsi que de son appel incident ;
– condamner LBC France au paiement de la somme de 20.000 € (vingt mille euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 et signifiées par RPVA le 23 novembre 2022, la société LBC France, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

Vu les articles L. 332-2, 332-4, 342-1, 343-1 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article L.151-1 du code de commerce,

Sur la confirmation de l’ordonnance et le rejet de la demande de mainlevée partielle ou totale et de la demande de cantonnement de l’ordonnance du 2 juin 2021 :
– confirmer l’ordonnance de référés en date du 18 janvier 2022 en ses dispositions sur le rejet de la demande de mainlevée partielle ou totale de la saisie autorisée par ordonnance du 2 juin 2021 et par substitution partielle de motif ;
– confirmer l’ordonnance de référés en date du 18 janvier 2022 en toutes ses dispositions sur le rejet de la demande de cantonnement de la saisie autorisée par ordonnance du 2 juin 2021 ;
– juger recevable et bien fondée la requête déposée par société LBC France en date du 31 mai 2021 ;
– constater que les conditions d’autorisation de la saisie-contrefaçon étaient remplies et en conséquence confirmer l’ordonnance rendue le 2 juin 2021 ;
– dire n’y avoir lieu à mainlevée qu’elle soit totale ou partielle, de la saisie autorisée par ordonnance rendue le 2 juin 2021 ;
– rejeter l’ensemble des demandes et prétentions, qu’elles soient faites à titre principale, subsidiaire et très subsidiaire de la société DirectAnnonces ;

Sur l’appel incident et la demande de levée du séquestre :
A titre principal :
– infirmer l’ordonnance de référés en date du 18 janvier 2022 en ses dispositions sur le maintien du séquestre à titre provisoire et sur les opérations de tri ;
– constater que la société DirectAnnonces a admis procéder à l’extraction des annonces immobilières du site leboncoin par le biais d’un programme informatique spécialement conçu pour extraire les annonces du site leboncoin ;
– dire dès lors, en présence d’actes de contrefaçon manifestes et reconnus, n’y avoir lieu à la procédure de tri en l’absence d’informations confidentielles ni protégées par le secret des affaires;
– ordonner la levée du séquestre.

A titre subsidiaire :
– confirmer l’ordonnance de référés en date du 18 janvier 2022 en ses dispositions sur la demande de remise au Juge des éléments confidentiels, leur version expurgée et un mémoire ;
– constater que la juge des référés ne s’est pas dessaisie de l’intégralité du litige, et notamment qu’elle n’a pas encore fixé les modalités du cercle de confidentialité, ni répondu à la demande de désignation d’un expert faite en première instance par la société LBC France ;
– prendre acte que LBC France se réserve le droit de contester éventuellement la décision ultérieure qui sera rendue sur les modalités du cercle de confidentialité, et sur la demande de désignation d’un expert ;
– ordonner, à l’issue des opérations de tri, la levée du séquestre.

En tout état de cause :
– condamner la société DirectAnnonces au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de la procédure abusive et dilatoire ;
– condamner la société DirectAnnonces au paiement de la somme de 14 000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2023.

DISCUSSION

Sur la demande de mainlevée totale de la saisie-contrefaçon

La société DirectAnnonces soutient que la société LBC France a fait preuve d’une extrême déloyauté dans la présentation de sa requête aux fins de saisie-contrefaçon notamment quant à l’étendue des droits revendiqués et aux actes allégués de contrefaçon, cette requête étant fondée sur des allégations erronées de titularité prétendue de droits sui generis de producteur sur la base de données «avendrealouer», et d’auteur sur la sous-base immobilier du site leboncoin, ainsi que sur de fausses allégations de contrefaçon. Elle retient que la société LBC France n’a pas fait part, dans l’exposé de sa requête, de tous les éléments factuels et juridiques susceptibles d’avoir une incidence sur l’appréciation par le président du tribunal judiciaire des mesures de saisie-contrefaçon sollicitées.
L’appelante plaide également que la société LBC France est irrecevable, faute de qualité à agir, pour requérir une autorisation aux fins de saisie-contrefaçon sur le fondement des droits d’auteur et droits sui generis de producteur de base de données à son encontre, qui ne peut résulter d’une décision judiciaire rendue dans un autre litige, outre que cette décision n’a pas jugé que le site «avendrealouer» constituait une base de données ni n’a statué sur sa qualité d’auteur des sites revendiqués. Elle estime ainsi que la société LBC France devait démontrer et justifier, dans sa requête, la réalité de ses prétendus droits sui generis de producteur des bases de données «leboncoin», sous-base immobilier du site internet «leboncoin» et «avendrealouer», et ce à la date de sa requête du 28 mai 2021, les bases de données revendiquées étant en constant renouvellement, l’appelante ne justifiant pas des investissements relatifs à ces nouvelles bases de données ou du maintien des investissements initialement consentis.
La société DirectAnnonces soutient encore que la société LBC France n’a justifié, à la date de la requête aux fins de saisie-contrefaçon, d’aucun indice de la contrefaçon alléguée de ses droits d’auteur et droits sui generis de producteur de base de données, ni d’ailleurs de son préjudice, et conteste avoir jamais reconnu porter atteinte à ses droits. Elle ajoute que le constat d’huissier de justice du 21 décembre 2017 est ancien pour justifier de faits prétendument commis en 2021 et que les capture d’écran ont été obtenues déloyalement, le conseil de l’intimée ayant fait des demandes d’essais sans mentionner qu’il représentait ses intérêts.
La société DirectAnnonces soutient enfin que les mesures sollicitées par la société LBC France et ordonnées portent une atteinte disproportionnée à ses droits, en ce qu’elles sont imprécises, illimitées dans leur objet et dans le temps au regard des prétendus droits invoqués, et ne sont pas nécessaires à la résolution du litige, outre qu’elles imposent à l’huissier de justice d’émettre une appréciation juridique en procédant à la sélection des éléments pertinents. Elle en déduit qu’il est porté une atteinte disproportionnée au droit au secret d’affaire.

La société LBC France expose avoir présenté les éléments de la contrefaçon alléguée de 2017 à 2021 de manière claire et loyale, rendant vraisemblables les atteintes alléguées et que cette vraisemblance des atteintes a ensuite été confirmée par les déclarations tenues par le représentant légal de la société DirectAnnonces au cours des mesures de saisie-contrefaçon. Elle ajoute que les captures d’écran, obtenues sans déloyauté, attestent de la réutilisation d’un grand volume de petites annonces immobilières venant du site leboncoin.fr sur la plate-forme de DirectAnnonces et rappelle qu’il n’est pas nécessaire de démontrer un préjudice au stade de la saisie contrefaçon.
La société LBC France soutient qu’elle était recevable et avait qualité à présenter une telle requête dans le cadre d’une atteinte aux droits de producteur de base de données, ayant produit toutes les pièces de nature à faire présumer qu’elle dispose d’un droit sui generis, outre que ce droit a été judiciairement reconnu, ayant soumis à deux degrés de juridiction, les preuves de ses investissements qui ont été qualifiés à deux reprises de substantiels.
S’agissant de ses droits d’auteur, elle rappelle que la problématique de l’originalité est une question de fond et non une question de recevabilité et retient avoir apporté la preuve d’une présomption de titularité de ses droits d’auteur sur le site «leboncoin.fr» et sur la sous-base de données «immobilier» ainsi que sur le site «avendrealouer.fr», qu’elle exploite régulièrement.
La société LBC France estime que les mesures de saisies n’étaient ni imprécises ni trop étendues, l’absence de limite temporelle n’ayant pas abouti à un recueil disproportionné d’éléments et qu’elle est pertinente, en tout état de cause, puisqu’elle permet de déterminer depuis combien de temps la société DirectAnnonces pratique cette extraction et cette réutilisation des petites annonces immobilières publiées sur le site leboncoin.fr, de recueillir tous les éléments de preuve, même antérieurs à 2016, utiles au litige afin notamment de démontrer la matérialité et l’étendue de la contrefaçon, et d’avoir accès à toutes les données afin de démontrer l’origine et l’ampleur des atteintes alléguées, la question de la prescription étant un débat de fond. Elle ajoute que les missions confiées à l’huissier sont extrêmement précises et doivent se lire au regard des pièces versées et jointes à la requête dans lesquelles il apparaît que la société DirectAnnonces reprend intégralement les petites annonces immobilières parues sur le site «leboncoin.fr», annonces qu’elle met ensuite à la disposition de sa clientèle via un abonnement sur son application DIRECTMANDAT. Enfin, selon elle, les missions données à l’huissier ne sont pas attentatoires au secret des affaires car l’huissier a, dès le départ, proposé au saisi de placer l’ensemble des éléments saisis sous séquestre afin qu’il soit statué postérieurement et contradictoirement sur leur caractère confidentiel et sur le secret des affaires.

La cour rappelle que l’article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment que tout auteur d’une oeuvre protégée pouvant agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des oeuvres prétendument contrefaisantes ainsi que de tout document s’y rapportant, l’ordonnance pouvant autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux oeuvres prétendument contrefaisantes en l’absence de ces dernières.
En outre, en vertu de l’article L.343-1 du code de la propriété intellectuelle, « L’atteinte aux droits du producteur de bases de données peut être prouvée par tous moyens.
A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en vertu du présent titre est en droit de faire procéder par tous huissiers, assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, des supports ou produits portant prétendument atteinte aux droits du producteur de bases de données, soit à la saisie réelle de ces supports ou produits ainsi que de tout document s’y rapportant.
La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les supports ou produits portant prétendument atteinte aux droits du producteur de bases de données, ainsi que de tout document s’y rapportant.1
L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux supports, produits, matériels et instruments mentionnés aux deuxième et troisième alinéas en l’absence de ces derniers. (…)
La mainlevée de la saisie peut être prononcée selon les modalités prévues par les articles L. 332-2 et L. 332-3.»

Enfin, l’article L.332-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que «Dans un délai fixé par voie réglementaire, le saisi ou le tiers saisi peuvent demander au président du tribunal judiciaire de prononcer la mainlevée de la saisie ou d’en cantonner les effets, ou encore d’autoriser la reprise de la fabrication ou celle des représentations ou exécutions publiques, sous l’autorité d’un administrateur constitué séquestre, pour le compte de qui il appartiendra, des produits de cette fabrication ou de cette exploitation.
Le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut, s’il fait droit à la demande du saisi ou du tiers saisi, ordonner à la charge du demandeur la consignation d’une somme affectée à la garantie des dommages et intérêts auxquels l’auteur pourrait prétendre.»

La cour constate d’abord que la société LBC France agit sur le fondement de l’article L.332-2 du code de la propriété intellectuelle, qui permet au tiers saisi de demander au président du tribunal judiciaire de prononcer la mainlevée d’une saisie-contrefaçon obtenue sur le fondement du droit sui generis de producteur de base de données ou du droit d’auteur.

La demande de mainlevée ne tendant ni à la rétractation ni à l’annulation de l’autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon, mais à la cessation pour l’avenir des effets de la saisie, la mainlevée n’entraîne pas l’annulation de la requête aux fins de saisie-contrefaçon, de l’ordonnance accueillant cette requête ou des actes accomplis en vertu de cette ordonnance, le juge saisi d’une telle demande devant en apprécier les mérites en tenant compte de tous les éléments produits devant lui par les parties, y compris ceux qui ont été recueillis au cours des opérations de saisie contrefaçon. (Com 7 juillet 2021 n°20-22.048).

Il convient d’examiner successivement les griefs invoqués par la société DirectAnnonces au soutien de sa demande de mainlevée de la saisie-contrefaçon.

Sur la déloyauté dans la présentation de la requête

Comme l’a justement rappelé le premier juge, l’absence de contradictoire et le caractère intrusif de la mesure de saisie-contrefaçon requièrent que le requérant fasse une présentation loyale des faits et doit donc porter à la connaissance du juge, l’ensemble des éléments de droit et de faits utiles, afin de lui permettre de porter une appréciation éclairée sur la demande qui lui est soumise et d’ordonner une mesure proportionnée, au regard des intérêts nécessairement divergents en présence.

En premier lieu, la cour considère que la société LBC France n’a pas fait preuve de déloyauté en invoquant une atteinte à ses droits de producteur de base de données et d’auteur indistinctement sur la base de données du site le boncoin.fr, sur la sous-base de données immobilier du site le boncoin.fr et/ou sur le site internet «avendrealouer.fr» puisqu’elle détaille dans sa requête les droits revendiqués en fonction des sites en cause et n’a pas ainsi créé «artificiellement» des actes de contrefaçon.
Par ailleurs, le fait que la société LBC France n’a pas mentionné dans la requête que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 2 février 2021 faisait l’objet d’un pourvoi ne peut constituer une présentation déloyale et, ce, d’autant que dans un courrier émanant de la société DirectAnnonces versé en pièce 12, il est mentionné ce pourvoi. De même, il ne peut être exigé d’un requérant d’une mesure de saisie-contrefaçon qu’il fasse état de l’ensemble de la jurisprudence existante en ce compris celle, plus ancienne, et éventuellement moins favorable à ses droits.
En outre, si dans le texte de sa requête, la société LBC France fait état d’un contrat de pige signé le 11 janvier 2017 entre la société DirectAnnonces et la société ENTREPARTICULIERS.COM attestant selon elle du transfert de ces données, sans mentionner qu’il a été résilié ensuite en octobre 2017, cette information ressort cependant à nouveau des pièces versées en annexe et notamment de la pièce 10.

La société DirectAnnonces dénonce également la déloyauté dans la présentation de deux captures d’écran de son site internet obtenues par son conseil via deux demandes d’essai gratuit sans faire état de sa qualité de conseil de la société LBC France. Cependant, outre qu’aucune demande n’est formée spécifiquement concernant la production de ces documents dans le dispositif de ses demandes, qui seul saisit la cour, il convient de retenir que cet élément ne saurait remettre en cause la validité même de la requête dans le cadre d’une demande fondée sur l’article L.332-2 du code de la propriété intellectuelle, le législateur ayant en outre retenu que l’atteinte aux droits du producteur de bases de données peut être prouvée par tous moyens et qu’elle peut en conséquence être démontrée le cas échéant par des captures d’écran de sites internet, lesquelles ne sont pas dépourvues, par nature, de force probante. (Com 7 juillet 2021 20-22048).

La cour retient en conséquence qu’il n’est pas démontré par la société DirectAnnonces que la société LBC France se soit montrée déloyale dans la présentation de sa requête.

Sur la qualité pour requérir une autorisation aux fins de saisie contrefaçon

La cour rappelle, en vertu des textes précités, que la saisie-contrefaçon, en matière de droit d’auteur ou de droits sui generis de producteur de base de données, est ouverte à toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon.

S’agissant tout d’abord des demandes formulées au titre du droit sui generis de producteur de base de données, la société LBC France, pour justifier de sa qualité à agir, a fait état de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 2 février 2021 qui est venu lui reconnaître cette qualité à la fois pour son site «le boncoin.fr» mais également pour la sous base de données «immobilier». Si, comme le note justement la société DirectAnnonces, cette décision n’a autorité de la chose jugée qu’à l’égard des parties à ce procès et ne crée de droits et d’obligation qu’à l’égard de celles-ci, en dépit de la relativité de sa force obligatoire, elle est néanmoins opposable aux tiers au regard de la situation de fait ou de droit reconnue par cette décision (Com 11 septembre 2019 n° 18-11.401).
La cour retient, en conséquence, comme le premier juge, que la société LBC France était fondée à faire état et à se prévaloir de l’arrêt rendu par le 2 février 2021 par la cour d’appel de Paris ayant reconnu sa qualité de producteur de base de données pour son site «le boncoin.fr» ainsi qu’à sa sous-base de données «immobilier», cette juridiction ayant précisément analysé et détaillé les preuves apportées par la société LBC France de ses investissements financiers, humains et matériels, même si cet examen a nécessairement porté sur une période antérieure comprise entre 2011 et 2017, pour justifier de sa qualité à requérir une mesure de saisie- contrefaçon. La cour considère enfin que le «maintien» de cette qualité par la justification d’investissements postérieurs ressortit à la compétence du juge du fond qui pourra, le cas échéant, être ultérieurement contestée par la société DirectAnnonces et que les éléments ainsi invoqués étaient de nature à faire présumer que la société LBC France disposait d’un droit sui generis sur ses bases de données.

S’agissant des droits d’auteur invoqués par la société LBC France, c’est effectivement à tort que le premier juge a mentionné qu’ils avaient été reconnus dans les décisions précitées. Cependant, en matière de droit d’auteur, comme l’invoque à juste titre l’intimée, l’exploitation non équivoque d’une oeuvre par une personne morale sous son nom, en l’absence de revendication de l’auteur, fait présumer à l’égard du tiers recherché pour contrefaçon que cette personne est titulaire sur l’oeuvre du droit de propriété incorporelle de l’auteur, l’originalité éventuelle de l’oeuvre étant une question de fond et non une question de recevabilité.
En conséquence, dans la mesure où, dans sa requête, la société LBC France justifiait de ce qu’elle exploitait à la fois le site «le boncoin.fr» ainsi que la sous-base de données
«immobilier» mais également le site «avendrealouer.fr», et justifiant en conséquence d’une présomption de titularité de ses droits d’auteur, elle était fondée à requérir, avant tout procès, une mesure de saisie-contrefaçon, sous réserve de l’examen du bien fondé de ses demandes, comme suit.

Sur le bien fondé de la requête

La cour rappelle que le requérant à une saisie-contrefaçon ne doit pas démontrer la contrefaçon, puisque c’est précisément l’objectif poursuivi par la saisie-contrefaçon, objet de la requête, mais seulement fournir des éléments raisonnablement accessibles laissant présumer la possibilité d’une contrefaçon des droits revendiqués.

À cet égard, la cour relève que, pour justifier du bien fondé de ses demandes, la société LBC France a fait état de la description des services proposés par la société DirectAnnonces sur son site internet, faisant de la consultation notamment de l’ensemble des sites internet en matière immobilière pour en extraire les annonces et les distribuer à ses clients, d’un contrat d’abonnement de pige immobilière conclu en 2017 avec la société Entreparticuliers.com, démontrant le transfert par l’appelante d’annonces immobilières de particuliers publiées en France, dont celles publiées sur le site «le boncoin.fr», outre la consultation de la vidéo de présentation de son outil «DirectMandat» décrivant la manière dont les annonces, notamment publiées sur le site de la requérante, sont ensuite exploitées. Si ces éléments ressortent notamment d’un procès-verbal de constat réalisé le 21 décembre 2017, il n’en demeure pas moins que l’activité de pige immobilière ainsi décrite n’est pas contestée par la société DirectAnnonces notamment dans les réponses apportées aux mises en demeure postérieures et notamment en 2021, seuls étant contestés les droits revendiqués par la société LBC France.

En outre, comme il a été rappelé plus haut, s’agissant d’une demande en mainlevée d’une saisie- contrefaçon, le juge saisi d’une telle demande devant en apprécier les mérites en tenant compte de tous les éléments produits devant lui par les parties, y compris ceux qui ont été recueillis au cours des opérations de saisie-contrefaçon, la cour constate qu’il ressort des déclarations même du Président du conseil d’administration de la société DirectAnnonces qui était présent lors des opérations, qu’il a précisément mentionné à l’huissier de justice que sa société consulte les annonces immobilières des sites spécialisés parmi lesquels figure le site «le boncoin.fr», inclut dans sa base de données les nouvelles annonces récupérées et envoie ces nouvelles annonces aux agences immobilières.

Enfin, l’ensemble de l’argumentation opposée par la société DirectAnnonces pour contester, d’une part, la matérialité des actes de contrefaçon qui lui sont imputés, s’agissant notamment du caractère substantiel, répété, systématique de l’extraction et/ou de la réutilisation des données et, d’autre part, de l’absence de préjudice de la requérante est une question qui a vocation à être tranchée par le juge du fond et, non, au stade de l’examen d’une demande de mainlevée de la saisie ainsi opérée.

C’est en conséquence, à juste titre, que le premier juge a retenu que les extractions litigieuses étaient susceptibles de se poursuivre en mars 2021 et a retenu que la demande était ainsi bien fondée.

Sur la disproportion des mesures autorisées par la mesure de saisie

La cour rappelle qu’il appartient au juge saisi d’une telle requête de vérifier si la mesure demandée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, mise en balance des droits et intérêts qui doit être opérée notamment quand le secret des affaires est opposé au droit à la preuve du requérant.

La lecture de l’ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon permet à la cour de constater que les mesure autorisées ne sont ni imprécises ni illimitées dans leur objet: le juge en a circonscrit la portée géographique au seul siège social de la société, puis la portée matérielle en ciblant les recherches à partir de mots clefs restreints exclusivement en rapport avec les sites exploités par la requérante, ou aux matériels rendant possibles les extractions en cause, biffant au passage de nombreuses autres demandes d’investigation présentées par la société LBC France. L’ordonnance ne s’apparente donc pas à une mission générale d’investigation et n’impose pas davantage à l’huissier de justice d’émettre une appréciation juridique sur le litige en procédant à la sélection des éléments à rechercher, le juge des référés ayant uniquement rappelé les droits invoqués en cause.

Il ne peut davantage être reproché par la société DirectAnnonces une atteinte disproportionnée au secret des affaires puisque, comme déjà mentionné, l’ensemble des éléments saisis a été placé sous séquestre et doit fait l’objet d’un tri spécifique conformément aux dispositions du code du commerce.
Cependant, il n’est pas contesté que les mesures autorisées ne sont pas circonscrites dans le temps.
Or, la cour considère, au cas d’espèce, que l’absence de toute limite temporelle dans les recherches que peut mener l’huissier de justice constitue une atteinte disproportionnée aux intérêts du tiers saisi, dont le début d’activité est bien antérieure (avril 1999) à la date d’immatriculation de la requérante (avril 2010) et au début d’exploitation du site le boncoin.fr (en 2011), alors qu’il n’est pas contesté que la requérante a connaissance des activités de la société DirectAnnonces à tout le moins depuis 2012 et qu’en tout état de cause, une action en contrefaçon est soumise à des règles en matière de prescription.

Il doit cependant nécessairement être tenu compte de ce que l’ensemble des éléments saisis par l’huissier de justice a été placé sous séquestre et n’a pas, en l’état, été communiqué à la partie requérante, de sorte que la mainlevée totale de la saisie ne peut être ordonnée pour ce motif, ce qui porterait une atteinte disproportionnée au droit à la preuve de la requérante. En conséquence, il conviendra d’examiner la nécessaire limitation dans le temps des recherches à effectuer lors de la saisie dans le cadre de l’examen de la demande de mainlevée partielle des effets de la saisie, comme suit.

Sur la demande en cantonnement de la saisie-contrefaçon

La société DirectAnnonces soutient que certains éléments saisis sont étrangers à la contrefaçon alléguée et que leur communication porterait une atteinte disproportionnée et irrémédiable au secret de ses affaires, à sa liberté d’entreprendre, ainsi qu’à son droit à un procès équitable.
Elle retient ainsi que la saisie des codes sources du programme « Crawler Immo » n’a en aucun cas été autorisée aux termes de l’ordonnance de saisie-contrefaçon rendue sur requête le 2 juin 2021, ces codes source relevant de son savoir-faire spécifique et du secret d’affaire et étant protégeables par le droit d’auteur. Elle craint qu’avec le programme binaire et/ou les codes sources du « Crawler Immo », la société LBC France ne puisse mettre en place des contre-mesures techniques afin d’empêcher la collecte éventuelle des annonces et des données à caractère personnel sur les sites internet «avendrealouer» et «leboncoin» et ce, alors même qu’aucune décision contradictoire n’a tranché de manière irrévocable, ses qualités alléguées d’auteur et producteur des bases de données et sous-base de données revendiquées, ainsi que les prétendus actes de contrefaçon qui auraient été commis à son préjudice, détournant ainsi les règles en matière de saisie-contrefaçon.
Elle précise que la saisie des scripts utilisés pour redimensionner les photographies des annonces, également couverts par le secret des affaires, ne contribue pas à la résolution du litige et que la société LBC France pourrait ainsi avoir accès de manière illégitime à un avantage concurrentiel. Enfin, elle ajoute que la saisie des exports des résultats des requêtes SQL effectuées par l’huissier depuis le 19 avril 1999 dans plusieurs tables de différentes bases de données qu’elle gère n’est pas justifiée au regard du renouvellement continu des bases de données «avendrealouer», «leboncoin» et sous-base de données «immobilier» du site leboncoin et de la disparition des données en résultant.

La société LBC France soutient qu’il est de principe que le saisissant doit avoir accès à tous documents susceptibles de contribuer à la preuve de la contrefaçon quand bien même ils seraient confidentiels. Elle en déduit que le programme « Crawler Immo » ne saurait, en aucun cas, être protégé par le secret des affaires dans la mesure où il concerne directement et exclusivement le site «leboncoin.fr» et qu’il constitue l’instrument même permettant l’extraction et la réutilisation illicites des annonces sur ce site, la saisie de son code source étant nécessaire pour en comprendre le fonctionnement.

La cour retient, comme le premier juge, que tant les dispositions régissant la saisie- contrefaçon que celles prévues par le juge des requêtes dans son ordonnance autorisaient la saisie des logiciels utilisés pour procéder aux extractions des annonces réalisées sur les sites de la société LBC France ainsi que pour modifier les photographies extraites de la base, en faisant disparaître le logo du «boncoin» qui sont directement en lien avec les actes argués de contrefaçon.

En outre, dans la mesure où le premier juge n’a pas ordonné la levée du séquestre des éléments saisis dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon mais a ordonné, conformément aux dispositions spécifiques en matière de secret des affaires, à la société DirectAnnonces d’en justifier, il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande de mainlevée partielle pour ce motif.

Par contre, pour les motifs précités relatifs à l’absence de toute limite temporelle à la mesure de saisie qui est disproportionnée au regard des intérêts en présence, il convient de faire droit à la demande de mainlevée partielle présentée par la société DirectAnnonces et de cantonner la saisie contrefaçon, à l’exception des programmes, logiciels et codes sources saisis, aux documents postérieurs au 2 juillet 2016.

Il convient en conséquence d’infirmer la décision querellée de ce chef.

Sur la demande en maintien du séquestre

La société LBC France soutient qu’il est évident que les documents saisis font la preuve de la contrefaçon, en ce qu’ils recèlent des informations sur les moyens mis en œuvre et sur l’étendue de la contrefaçon et ne peuvent être protégés par la confidentialité au détriment du saisissant, victime de la contrefaçon. Elle ajoute que la balance des intérêts impose la remise des documents prouvant les actes de contrefaçon, quand bien même ces documents relèveraient du secret des affaires et que la cour doit en conséquence ordonner la levée immédiate du séquestre.
À titre subsidiaire, elle demande la confirmation de la mesure de tri ordonnée par le juge des référés, qui n’est, selon elle, pas dessaisi du litige notamment s’agissant des modalités des opérations de tri.

La société DirectAnnonces sollicite, à titre très subsidiaire, le maintien du séquestre de tous les éléments saisis, entre les mains de la SCP Parker, Perrot et Taupin, huissiers de justice associés, jusqu’à ce qu’une décision judiciaire contradictoire irrévocable soit rendue sur les mesures de saisie-contrefaçon autorisées. Elle soutient que la communication des éléments saisis, en l’absence de toute décision contradictoire irrévocable, porterait une atteinte irrémédiable à ses secrets des affaires, à sa liberté d’entreprendre, ainsi qu’à son droit à un procès équitable, et en toute hypothèse ne sont pas nécessaires à la résolution du litige.
La société DirectAnnonces s’oppose à la demande de levée du séquestre de l’intégralité des éléments saisis, au regard de l’ensemble des moyens soulevés pour contester le bien fondé même de la requête en saisie-contrefaçon.
Elle constate par ailleurs que la société LBC France a nécessairement été déboutée de sa demande de désignation d’un expert et qu’elle ne peut reformuler une telle demande.

Au vu des dispositions déjà rappelées, il convient de rejeter la demande de la société LBC France tendant à voir ordonner la levée totale du séquestre, la balance des intérêts en présence et l’invocation du secret des affaires ayant justement conduit le premier juge, dans le respect des dispositions propres du code du commerce et notamment ses articles R153-1 et suivants, à inviter la société DirectAnnonces à en justifier pour les pièces ainsi saisies.

La cour constate, par ailleurs, que le premier juge a uniquement invité la société DirectAnnonces, en application de l’article R.153-3 du code du commerce, à lui remettre notamment un mémoire précisant pour chaque information ou pièce les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret d’affaires et expressément mentionné que les modalités du cercle de confidentialité déterminant les communications de pièces ainsi que les personnes autorisées à en prendre connaissance seront fixées après la transmission de ces informations, de sorte qu’il n’est pas dessaisi de cet aspect de l’affaire quant aux modalités d’organisation de la communication de ces pièces. Il n’appartient donc pas à la cour de statuer sur ce point.

Sur les demandes reconventionnelles de la société LBC France

La société LBC soutient, en substance, que les contestations opposées par la société DirectAnnonces sont abusives et dilatoires et formule en conséquence une demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

La société DirectAnnonces conteste cette demande soulignant qu’elle ne fait que valoir ses droits légitimes dans un contexte où son adversaire commercialise, depuis septembre 2020, une offre à destination des agents immobiliers intitulée «Pack immo intégral», directement concurrent de son offre. Elle ajoute qu’elle a pleinement collaboré en remettant au juge des référés les éléments sollicités.

La cour rappelle que l’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que le fait d’agir en justice ou d’exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus. Or, la société LBC France ne démontre pas la faute commise par la société DirectAnnonces qui aurait fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, l’intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue des droits invoqués à son encontre.

Elle ne justifie pas en outre de l’existence d’un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur les autres demandes

Les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile sont réservés.


DECISION

LA COUR,

Confirme l’ordonnance sauf en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à mainlevée partielle de la saisie autorisée par ordonnance rendue à la requête de la société LBC France le 2 juin 2021,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne la mainlevée partielle de la saisie autorisée par ordonnance rendue à la requête de la société LBC France le 2 juin 2021, s’agissant des documents saisis datés antérieurement au 2 juillet 2016, à l’exception des programmes, logiciels et codes sources saisis,

Ordonne, en conséquence, la restitution par la SCP Parker, Perrot et Taupin, huissiers de justice associés à la société DirectAnnonces de ces éléments, dans un délai de trente jours à compter de la signification de la présente décision,

Déboute la société LBC France de sa demande de mainlevée du séquestre,

Déboute la société LBC France de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive,

Rejette les autres demandes des parties,

Réserve les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

La Cour : Isabelle Douillet (présidente de chambre), Françoise Barutel, Déborah Bohée (conseillères), Karine Abelkalon (greffier)

Avocats : Me Frédéric Ingold, Me Corinne Le Floch, Me Arnaud Guyonnet, Me Carolle Sanchez

Source : Legalis.net

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