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Jurisprudence : Marques

lundi 04 mai 2015
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Tribunal de grande instance de Lille, 1ère chambre, jugement du 28 juin 2012

SAS Tour de France, Amaury Sport Organisation / Groupe Auchan, Auchan France

classe de produits - contrefaçon - déchéance - exploitation - marque notoire - parasitisme - site internet

DEBATS

Vu l’ordonnance de clôture en date du 12 Mars 2012.

A l’audience publique du 10 Mai 2012, date à laquelle l’affaire a été mis en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait mis à disposition au greffe le 28 Juin 2012.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 28 Juin 2012 signé par Elisabeth POLLE-SENANEUCH, Président et Anne-Marie DELTOUR, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Tour de France, ci-après dénommée la société STF, a été l’organisatrice du Tour de France et de la course cycliste Paris-Roubaix.

Elle est notamment titulaire des marques françaises semi-figuratives « Paris Roubaix » n°93462059 (classes 12, 25, 26, 28, 32, 36, 38 et 41) et 95602040 (classes 9, 16 et 42), régulièrement déposées et renouvelées.

Ces deux marques semi-figuratives sont composées, outre l’élément verbal encadré,
d’un dessin stylisé reproduisant des rectangles, ayant vocation à faire penser aux pavés, sur
lesquels se déroule la compétition sportive.

Par contrat en date du 31 décembre 2001, elle a concédé en location-gérance son
fonds de commerce d’épreuves sportives, à la SA Amaury Sport Organisation (ci-après
dénommée la société ASO).

Du fait de ce contrat, la société ASO est devenue à compter de l’année 2002, l’organisatrice des épreuves précitées.

Estimant que le magasin Auchan de Leers exploitait la notoriété de l’épreuve
sportive Paris-Roubaix, les sociétés STF et ASO ont saisi Mme Virginie M., agent
assermenté de l’Agence pour la Protection des Programmes (APP), qui a établi le 10 avril
2008 un constat sur le site http://www.auchan.fr.

Selon ce constat, la page de présentation du site consacrée au magasin Auchan de
Leers comporte en gros caractères une rubrique ainsi libellée :
« Savourez Je Paris-Roubaix
Du 710412008 au 1210412008
L’équipe de votre hyperpermarché Auchan Leers vous invite à savourer le mythique
Paris-Roubaix ! Découvrez les offres exclusives qui vous attendent (Pages 1 à 6) ».

En marge de ce texte figure un cartouche dans laquelle est reproduit en gros caractères, le signe Paris-Roubaix.

En cliquant sur le cartouche, apparaît une nouvelle fenêtre dans laquelle apparaît la
page de couverture d’un catalogue offrant en vente de nombreux produits, dont le titre
reproduit en gros caractères les signes figurant dans le cartouche décrit ci-dessus.

Ce constat établit également :
– qu’en première page de ce catalogue figure en outre un texte intégré dans une pastille ainsi
libellé « 10 PLACES VIP A GAGNER voir dernière page »,
-que l’ensemble des produits figurant dans ledit catalogue, lequel est reproduit en Annexe 1 de ce constat, peuvent être commandés sur le site auchan.fr,
– que le titulaire du nom de domaine www.auchan.fr. est le Groupe Auchan, 200 rue de
la Recherche, 59650 Villeneuve d’Ascq.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 avril 2008, les
sociétés STF et ASO ont mis en demeure la société Groupe Auchan d’avoir à cesser
de faire usage du terme Paris-Roubaix, seul ou en ‘association avec tout autre mot,
graphisme, chiffre ou logo quelconque.

Cette lettre est restée sans réponse.

Dans ce contexte et par actes d’huissier en dates du 16 mars 2009 et du 11 janvier
2010, les sociétés STF et ASO ont fait assigner les sociétés Groupe Auchan et
Auchan France devant le Tribunal de Grande Instance de Lille afin de faire cesser
les agissements de contrefaçon des marques « Paris Roubaix » et en réparation de leur
préjudice.

Sur cette assignation, les défenderesses ont constitué avocat et les parties ont échangé
leurs conclusions.

Par dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2011, les sociétés STF et ASO
ont conclu au rejet de la demande de mise hors de cause formulée par la société Groupe
Auchan, celle-ci ayant la qualité de propriétaire du nom de domaine www.auchan.fr, et
ayant ainsi l’obligation de s’assurer du contenu de ce site.

Elles ont soulevé l’irrecevabilité de l’action en déchéance des marques « Paris
Roubaix », concluant par ailleurs au rejet ladite action eu égard à son caractère infondé.

Elles ont en outre demandé au Tribunal de Grande Instance de Lille de :
– faire interdiction aux sociétés Groupe Auchan et Auchan France d’exploiter à
l’avenir de quelque façon que ce soit et sur tout support, le signe Paris-Roubaix, seul
ou en association avec tout autre mot, marque, dénomination, millésime ou logo
quelconques, et ce sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard et par infraction constatée,
passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à venir, le Tribunal se
réservant la liquidation de l’astreinte,
– condamner les .défenderesses in solidum à verser à la société STF la somme de 50.000
euros à titre de dommages et intérêts du chef d’atteinte aux marques Paris-Roubaix dont
elle est titulaire,
-les condamner in solidum à verse à la société ASO en sa qualité de licenciée exclusive des
marques précitées et d’organisatrice Paris-Roubaix, la somme de 150.000 euros à titre
de dommages et intérêts des chefs d’atteinte aux marques litigieuses et exploitation
commerciale de l’événement sportif du même nom, par application de l’article L333-1 du
Code du Sport,
-les condamner in solidum payer à la soiciété ASO la somme de 50.000 euros à titre de
déminages et intérêts du chef de parasitisme, par application de l’article 1382 du Code civil,
– publier par extraits le jugement à intervenir dans trois journaux ou magazines au choix des
demanderesses, dans limite d’un coût global de 10.000 euros HT aux frais in solidum des
demanderesses,
– condamner les défenderesses in solidum à payer à chacune d’entre elles la somme de
20.000 euros au titre des frais irrépétibles,
le tout assorti de l’exécution provisoire.

Pour justifier leurs positions, elles expliquent que les marques Paris-Roubaix
sont notoirement connues pour désigner une compétition sportive, et sont de ce fait dignes
de bénéficier de la protection renforcée dont bénéficient de telles marques.

Elles soutiennent que l’emploi dans un tract publicitaire de 6 double-pages des signes
Paris-Roubaix et Paris-Roubaix 08, dans le cadre d’une campagne promotionnelle
de Auchan entièrement centrée sur le Paris-Roubaix 2008 et amplement diffusée sur
le site www.auchan.fr. est constitutif d’actes de contrefaçon de marques, par application des
dispositions des articles L713-3 et 1716-1 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Elles ajoutent que l’emploi des signes Paris-Roubaix et Paris-Roubaix 08,
associés aux marques Auchan dans le cadre d’une campagne promotionnelle, consacre
en outre une exploitation injustifiée des marques litigieuses, engageant la responsabilité des
défenderesses, par application de l’article L713-5 du Code de la Propriété intellectuelle.

Elles soulignent que l’organisation d’un jeu concours, entièrement dédié au Paris-Roubaix et doté en premier prix de 10 places VIP sur le Paris-Roubaix, ainsi que l’organisation par les sociétés Auchan desdits voyages VIP sur le Paris-Roubaix 2008, consacrent une exploitation commerciale du Paris-Roubaix et la violation des droits exclusifs de la société ASO sur cette épreuve par application de l’article L333-1 du Code du Sport.

A tout le moins, elles estiment que ces comportements constituent des actes de
parasitisme au préjudice de la société ASO, lesquels engagent la responsabilité civile des
sociétés défenderesses, par application de l’article 1382 du Code civil.

Par dernières conclusions signifiées le 27 janvier 2012, les défenderesses ont
demandé la mise hors de cause de la société Groupe Auchan en expliquant que si celle-ci est titulaire du nom de domaine auchah.fr, elle n’a ni la qualité de Directeur de
publication, ni celle d’hébergeur sur les éléments figurant sur le site internet.

Elles ont sollicité la déchéance des marques détenues par la société STF, sur le fondement de l’article 1714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle :
– sur la marque semi-figurative n° 93462059, la déchéance pour jeux et jouets de la classe
28, loteries de la classe 36, télécommunications de la classe 38, divertissement, édition de
livres, de revues, organisation de concours en matière d’éducation ou divertissement en
classe 41,
– sur la marque semi-figurative n° 95602040, la déchéance pour affiches, produits de
l’imprimerie de la classe 16, outre les éléments de la classe 28 dont relèvent les jeux et
jouets.

Les sociétés Groupe Auchan et Auchan France ont par ailleurs conclu au
débouté des demandes formulées à leur encontre et ont sollicité la condamnation in solidum
des sociétés STF et ASO à payer à chacune d’entre elles la somme de 20.000 euros sur le
fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Pour justifier leurs positions, elles expliquent que les sociétés demanderesses ne
démontrent pas que les marques n° 93462059 et 95602040 seraient notoires, se contentant
d’évoquer la notoriété de l’événement sportif.

Elles contestent les agissements de contrefaçon allégués et soutiennent qu’en toute
hypothèse, elles ont la possibilité d’utiliser les marques litigieuses dans leur sens courant,
puisque la propriété d’une marque, même notoire, constituée d’un nom commun, n’interdit
pas l’usage de ce nom dans son sens usuel.

Elles précisent que les mentions et expression Paris-Roubaix. (avec ou sans
millésime) figurant dans le tract litigieux ne sont pas constitutives de faits de contrefaçon, ni
d’atteinte à la renommée des marques.

Elles reprochent à la société ASO de ne pas justifier de 1’ autorisation de la fédération
française de cyclisme pour l’organisation du Paris-Roubaix.

Elles indiquent enfin qu’aucun acte de parasitisme ne peut être relevé à leur encontre.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2012.

En application de l’article 467 du Code de procédure civile, le présent jugement est
contradictoire.

Vu les dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2011 par les sociétés STF et ASO ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 janvier 2012 par les sociétés Groupe
Auchan et Auchan France ;

DISCUSSION

Sur la mise hors de cause de la société Groupe Auchan

Aux termes de l’article 6.I.2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans
l’économie numérique, les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre
gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en
ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature
fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile
engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de
ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de
faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu
cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès
impossible.

La société Groupe Auchan, qui admet être titulaire du nom de domaine auchan.fr, demande malgré tout sa mise hors de cause au motif qu’en sa qualité de société holding du groupe, elle n’assure pas la gestion des hypermarchés Auchan, laquelle est dévolue à la société Auchan France.

Elle ajoute qu’elle n’intervient à aucun titre dans le contenu et la gestion du site
internet auchan.fr et n’est pas concernée par le choix des campagnes publicitaires des
hypermarchés.

Elle invoque les dispositions de 1 ‘article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 et souligne
par ailleurs qu’elle n’a pas été destinataire de réclamation amiable de la part des
demanderesses, de sorte que sa responsabilité· ne peut être recherchée.

Cette argumentation ne saurait cependant prospérer, puisqu’en sa qualité de
propriétaire du nom de domaine auchan.fr, la société Groupe Auchan avait l’obligation
de s’assurer que le contenu de son site ne porte pas atteinte aux droits des tiers.

De plus, et contrairement à ses dires, la société Groupe Auchan a bien été
destinataire d’une réclamation préalable (pièce n°5 des demanderesses), à laquelle elle n’a
pas répondu, pas plus qu’elle n’a modifié le contenu de son site après avoir eu connaissance
de la réclamation de la société STF.

En outre, la société Groupe Auchan ne peut pas être mise hors de cause,
puisqu’en.sa qualité de titulaire des marques Auchan, tel qu’il ressort de l’extrait de la
base INPE produit (pièce n° 51 des demanderesses), sa responsabilité peut être recherchée
aux côtés de la société Auchan France, pour les atteintes qui seraient portées aux droits
exclusifs des sociétés STF et ASO.

Compte tenu de ce qui précède, il convient de rejeter la demande de la société Groupe Auchan tendant à sa mise hors de cause.

Sur la déchéance des marques « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040

TI résulte des dispositions de l’article L714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle,
qu’encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs,
n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement,
pendant une période ininterrompue de cinq ans.

En l’espèce, les sociétés Groupe Auchan et Auchan France sollicitent la
déchéance des marques semi-figuratives « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040,
pour défaut d’usage sérieux pendant une période continue de cinq ans.

Contrairement aux allégations des sociétés STF et ASO, les sociétés défenderesses
disposent d’un motif légitime pour solliciter la déchéance des marques litigieuses,
puisqu’elles sont assignées devant le Tribunal de céans en contrefaçon des dites marques.

Les demanderesses ne peuvent prétendre que ce moyen de défense est inopérant pour
faire échapper les sociétés Groupe Auchan et Auchan France aux poursuites en
contrefaçon, sous prétexte que la déchéance ne peut être prononcée qu’à la date du jugement,
alors qu’il est acquis que celle-ci produit ses effets à compter de l’expiration du délai de 5
ans prévu à l’article L714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par les
sociétés STF et ASO et de déclarer les sociétés Groupe Auchan et Auchan France
recevables en leur demande en déchéance, mais seulement en ce qui concerne les classes 16
et 36, classes sur lesquelles les demanderesses fondent leur action ; la demande sera déclarée
irrecevable pour le surplus.

Sur le fond et contrairement aux allégations des sociétés défenderesses, il ressort des
pièces produites que les sociétés STF et ASO justifient d’une exploitation sérieuse des
marques litigieuses, en classes 16, et 36.

En effet, la marque « Paris-Roubaix » 95602040 a été utilisée de manière sérieuse
en classe 16 pour désigner notamment les produits d’imprimerie, les affiches et les photos,
et de ce façon ininterrompue pendant les cinq années précédant la présente action, tel qu’il
ressort des brochures, livres officiels et dossiers de presse édités par la société ASO dans le
cadre du Paris-Roubaix (pièces 21 à 28 des demanderesses); il en est de même de la
marque « Paris-Roubaix » 93462059 pour les services d’édition de livres et de revues
en classe 41.

Ces marques, sont non seulement exploitées par la société ASO, mais elles le sont
également par les partenaires de cet événement sportif, qui se voient concéder ces marques
pour des secteurs d’activité spécifiques (pièce 49 des demanderesses) :
LCL, pour les produits bancaires,
ALDEN, pour les produits multimédia,
SKODA pour les véhicules,
AG2R LA MONDIALE, pour les assurances,
FESTINA pour les produits horlogers,
ALCATEL pour les téléphones.

Enfin, la marque « Paris Roubaix » n° 93462059 est exploitée en classe 36 pour
des loteries, dès lors que les sociétés de paris en ligne sont habilitées à organiser des paris
sur l’événement Paris-Roubaix, conformément à une décision de l’Autorité de
Régulation des Jeux en Ligne (décision du 10 juin 2011, pièce n° 52 des demanderesses).

Il suit de ce qui précède que les marques « Paris Roubaix » no 93462059 et
95602040 sont exploitées, non seulement pour désigner l’événement sportif du même nom,
mais aussi pour les produits ou services revendiqués dans leur dépôt.

Dans ces conditions, les sociétés Groupe Auchan et Auchan France seront
déboutées de leur demande en déchéance.

Sur la contrefaçon des marques « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040

* sur la notoriété des marques litigieuses

Il résulte des dispositions de l’article L713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle
que la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits
ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, engage la responsabilité
civile de son auteur, si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou
si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

En l’espèce, il ressort du bilan de la 106ème édition de la course Paris-Roubaix
(pièce n° 13 des demanderesses), que cette épreuve est diffusée en France et par de
nombreuses chaînes à l’étranger, enregistrant une audience cumulée d’environ 36 millions
de spectateurs en France et de 11 millions de spectateurs en Europe de l’Ouest.

Cette notoriété est confirmée par la pièce intitulée « Rapport d’étude Interet du
sport en Europe (pièce n°15 des demanderesses), synthétisant le résultat de 9.000
enquêtes commanditées par la société ASO concernant 13 événements sportifs majeurs,
lequel établit que le Paris-Roubaix recueillait selon des sondages effectués dans 9 pays
de l’Union Européenne entre le 5 décembre et le 31 décembre 2007, un taux de notoriété
globale de 36% et se classait, en terme de notoriété, immédiatement après la Coupe du
Monde de Rugby.

Au vu de ces éléments concernant la notoriété de l’épreuve sportive le Paris-Roubaix,
il convient de constater que les marques semi-figuratives portant le même nom
et qui ont été déposées pour l’exploitation de cet événement sportif, jouissent d’une
notoriété les rendant dignes de bénéficier de la protection prévue par l’article L713-5 du
Code de la Propriété Intellectuelle.

* sur la contrefaçon de marques

Il résulte des dispositions de l’article L713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle
que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de
confusion dans l’esprit du public :

a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque
reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;

b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services
identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

Aux termes de l’article L716-1 du même code, l’atteinte portée au droit du
propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son
auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues
aux articles L. 713-2, LY713-3 et L. 713-4.

En l’espèce, les sociétés demanderesses reprochent aux sociétés Groupe Auchan
et Auchan France d’avoir contrefait leurs marques, en apposant sur le tract Auchan,
les termes Paris-Roubaix et Paris-Roubaix 08 et en reproduisant ce tract sur le site
internet www.auchan.fr.

Certes, les marques « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040 sont semi-figuratives
et les défenderesses se sont contentées de reproduire le seul élément verbal.

Les sociétés Groupe Auchan et Auchan France ne peuvent cependant
prétendre qu’il n’y a pas de contrefaçon eu égard aux différences visuelles entre les marques
litigieuses et les vocables Paris-Roubaix figurant sur le tract (police de caractère,
couleur), alors que l’élément verbal de ces marques doit être considéré comme dominant,
puisqu’il est notoirement connu.

L’examen du tract diffusé par les défenderesses révèle que les signes « Paris-Roubaix »
et « Paris-Roubaix 08 » sont utilisés de façon particulièrement privilégiée
sur le plan graphique ; pour désigner des produits de l’imprimerie en classe 16 et des services
de loterie en classe 36, soit des produits et services identiques à ceux revendiqués par les
marques « Paris-Roubaix » n° 93462059 et 95602040.

De plus, il est manifeste que le public concerné, c’est-à-dire la clientèle du magasin
Auchan de Leers, qui connaît parfaitement le Paris-Roubaix, a fait le lien entre les
signes « Paris-Roubaix » exploités dans la compagne promotionnelle et l’événement
sportif du même nom et a pu à être amené à penser à tort que les sociétés Auchan sont
partenaires de cette épreuve.

Ce risque de confusion dans l’esprit du public est conforté par les efforts effectués
par les défenderesses pour accréditer un tel partenariat :
– en proposant dans le tract litigieux un jeu-concours doté en premier prix de 10 voyages
offerts en VIP sur le Paris-Roubaix,
– en organisant dans les locaux du magasin Auchan de Leers, à l’occasion de cette
compagne promotionnelle, une séance de dédicaces par l’ancien patron du Tour de
France et du Paris-Roubaix, du livre publié par ce dernier, et en faisant une publicité
en dernière page dudit tract.

Les sociétés Auchan ne peuvent prétendre avoir utilisé lesdites marques à des fins
purement descriptives, alors que l’usage est tel qu’il donne l’impression d’un lien
commercial ou de partenariat entre elles et le titulaire ou les exploitants des marques
litigieuses.

Il suit de ce qui précède que les sociétés Auchan ont, sans l’autorisation des
sociétés STF et ASO, imité les marques semi-figuratives « Paris Roubaix » n° 93462059
et 95602040 en reproduisant l’intégralité de l’élément verbal, créant par ailleurs un risque
de confusion dans l’esprit du public.

En agissant de la sorte, elles engagent leur responsabilité sur le fondement de l’article
1716-1 du Code de la Propriété Intellectuelle.

*sur la responsabilité des sociétés Groupe Auchan et Auchan France
sur le fondement de l’article· L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle

Il résulte de l’application d~ l’article 1713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle
que la responsabilité est engagée sur le fondement de ce texte, lorsqu’un acteur économique
tente par l’usage d’une marque de renommée de se placer dans son sillage, afin de bénéficier
de son pouvoir d’attraction, de sa réputation ou de son prestige, et d’exploiter sans
compensation financière l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer
et entretenir l’image de celle-ci.

En l’espèce, l’usage par les défenderesses des signes « Paris-Roubaix » et
« Paris-Roubaix 08 » dans le tract publicitaire de 6 double-pages, repris sur le site
www.auchan.fr. démontre la volonté manifeste des sociétés Groupe Auchan et
Auchan France de profiter de la notoriété des marques litigieuses, sans bourse délier
et en profitant des investissements effectués par les sociétés demanderesses.

Les sociétés défenderesses ne peuvent se prévaloir de l’exception de descriptivité,
alors qu’elles associent leurs marques et enseigne à des marques notoires et à un événement
sportif qu’elles ne contribuent pas à financer, afin de tirer profit de leur renommée et en
banalisant leur utilisation.

Compte tenu de ce qui précède, il convient d’interdire aux sociétés Groupe
Auchan et Auchan France d’exploiter de quelque façon que ce soit et sur tout
support du signe Paris-Roubaix, seul ou en association avec tout autre mot, marque,
dénomination, millésime ou logo quelconque.

Cette interdiction sera assortie d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par
infraction constatée, passé un délai de deux mois à compter de la signification du présent
jugement.

Il convient cependant de rejeter la demande des sociétés STF et ASO tendant à
réserver au Tribunal la compétence pour liquider l’astreinte.

Il y a lieu par ailleurs d’ordonner la publication par extraits du présent jugement dans
trois journaux ou magazines au choix des sociétés STF et ASO, dans la limite d’un coût
global HT de 10.000 euros, qui sera supporté in solidum par les sociétés Groupe
Auchan et Auchan France.

Sur l’atteinte au droit de l’organisateur et le parasitisme

Aux termes de l’article 13 3 3-1 du Code du Sport, les fédérations sportives, ainsi que
les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l’article 1331-5, sont
propriétaires du droit d’exploitation des· manifestations ou compétitions sportives qu’ils
organisent.

Selon l’article 1333-1-1 du même code, le droit d’exploitation défini au premier
alinéa de l’article L. 333-1 inclut le droit de consentir à l’organisation de paris sur les
manifestations ou compétitions sportives.

Il résulte des dispositions de l’article 1382 du Code civil que les agissements
parasitaires consistant à détourner les investissements d’un acteur économique en entretenant
une confusion dans l’esprit du public, sont constitutifs de concurrence déloyale engageant
la responsabilité civile de leur auteur.

En l’espèce, la société ASO est l’organisatrice de la manifestation sportive Paris-Roubaix
tel qu’il ressort du contrat de location-gérance daté du 31 décembre 2001, lequel
prévoit en son article 1er que la société STF donne en location-gérance à la société ASO qui l’accepte, le fonds de commerce d’organisateur d’épreuves cyclistes lui appartenant, et dont
la liste en annexe 1 dudit accord, vise le Paris-Roubaix.

Ce rôle est confirmé par l’Union Cycliste Internationale qui a facturé à la société
ASO en septembre 2008, l’inscription du Paris-Roubaix sur son calendrier (pièce n° 35
des demanderesses).

En sa qualité d’organisatrice, la société ASO demande au Tribunal de céans de dire
que la campagne promotionnelle des défenderesses et leur jeu-concours doté de places VIP
à gagner sur le Paris-Roubaix, consacrent une exploitation commerciale de cette
épreuve, en violation de ses droits exclusifs sur cette dernière, lesquels engagent la
responsabilité des sociétés défenderesses par application de l’article 1333-1 du Code du
Sport et de l’article 1382 du Code civil en tant que pratique parasitaire.

Malgré les développements des sociétés défenderesses sur l’étendue du monopole
des organisateurs, les sociétés Groupe Auchan et Auchan France ont
manifestement porté atteinte aux droits exclusifs de la société ASO sur le 106eme Paris-Roubaix
en :
– organisant dans la semaine du 7 au 12 avril, soit durant toute la semaine précédant le
Paris-Roubaix 2008, une campagne promotionnelle entièrement centrée sur cet
événement sportif, aux seules fins de promouvoir la vente de ses produits et des marques
Auchan, .
– proposant dans le cadre de cette campagne un jeu-concours, se rattachant au Paris-Roubaix, et proposant en premier prix des places VIP sur le Paris-Roubaix,
– organisant en partenariat avec des tiers, ces journées VIP sur le parcours.

Il suit de ce qui précède que la responsabilité civile des sociétés Groupe Auchan
et Auchan France est engagée sur le fondement de l’article 1331-1 du code du Sport.

En revanche, la société ASO sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions
de l’article 1382 du Code civil, celle-ci ne caractérisant pas la commission par les
défenderesses de faits distincts de ceux permettant de caractériser la contrefaçon et l’atteinte
aux droits de l’organisateur.

Sur les dommages et intérêts

Aux termes de l’article L 716-14 alinéa 1er du Code de la Propriété Intellectuelle, pour
fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques
négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices
réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de
l’atteinte.

Selon l’alinéa 2 du même texte, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande
de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut
être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur
avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

En sa qualité de titulaire des· marques renommées contrefaites, la société STF est fondée à demander une indemnité en réparation de l’atteinte portée à celles-ci.

Le préjudice de la société STF résulte de l’atteinte à la renommée et au caractère
distinctif de ses marques, et du profit indûment tiré par les contrefacteurs.

Ce préjudice est cependant limité dans son montant puisque les agissements de
contrefaçon-étaient limités dans le temps (du 7/04/2008 au 12/04/2008) et dans l’espace
(Auchan Leers) et ce malgré la diffusion sur le site www.auchan.fr.

En tenant compte de tous les éléments de la cause, il convient de condamner in
solidum les sociétés Groupe Auchan et Auchan France à payer à la société STF
la somme de 10.000 euros à titre de réparation de l’atteinte à ses marques « Paris
Roubaix » no 93462059 et 95602040.

De son côté, la société ASO invoque les dispositions de l’article L716-14 alinéa 2
du Code de la Propriété Intellectuelle, pour demander une indemnité forfaitaire globale, qui
ne peut être inférieure au montant des· redevances ou droits qui auraient été dus si le
contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

Pour justifier le montant réclamé qu’elle évalue à 150.000 euros, elle verse aux
débats une attestation de son directeur financier, selon lequel la société Champion lui a
versé pour l’année 2008 une redevance de 2.500000 euros pour le partenariat relatif à l’année
2008 et au Tour de France.

Elle produit par ailleurs l’accord de partenariat la liant à la Région Nord Pas-de-Calais,
et selon lequel la redevance annuelle payée par cette dernière s’élève à 400.000 euros.

Compte tenu de ce qui précède et eu égard à la limitation dans le temps (du 7 au 12
avril) et dans l’espace (Auchan Leers) des agissements des sociétés défenderesses,
celles-ci seront condamnées à payer à la société ASO la somme globale de 30 000 euros, des
chefs d’atteinte aux marques « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040 et à ses droits
d’organisateur de l’événement sportif Paris-Roubaix, en application de l’article L333-1
du Code du Sport.

Sur les autres demandes

Il y a lieu de rejeter la demande des sociétés Groupe Auchan et Auchan
France tendant à dire que la société ASO ne justifie pas de l’autorisation de la fédération
française de cyclisme pour organiser le Paris-Roubaix.

En effet, la qualité d’organisateur de l’épreuve de la société ASO est établie par le
contrat de location-gérance produit ainsi que par la facturation de l’Union Cycliste
Internationale.

Il ne serait pas équitable de laisser à la charge des sociétés demanderesses la totalité
des frais irrépétibles non compris dans les dépens ; il convient dès lors de condamner in
solidum les sociétés Groupe Auchan et Auchan France à leur payer la somme
globale de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Succombant en leurs prétentions, les sociétés Groupe Auchan et Auchan
France seront déboutées de leur demande au titre des frais irrépétibles et condamnées aux
dépens, en ce y compris les frais afférents au constat dressé par l’Agence pour la Protection
des Programmes (APP) sur le site http://www.auchan.fr.

Il convient de dire que les dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Compte tenu de la nature de l’affaire et eu égard à l’ancienneté du litige, il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.

DECISION

Rejette la demande de la SA Groupe Auchan tendant à sa mise hors de cause ;

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SAS Tour de France et la SA Amaury Sport Organisation, concernant la déchéance des marques « Paris-Roubaix » n° 93462059 et 95602040 pour les classes 16 et 36 ;

Déclare la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France recevables en leur
demande en déchéance mais seulement en ce qui concerne les classes 16 et 36 ;

Déclare la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France irrecevables en
leur demande en déchéance pour les classes 28, 38 et 41 ;

Déboute la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France de leur demande
en déchéance des marques « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040 ;

Constate que les marques semi-figuratives « Paris Roubaix » n° 93462059 et
95602040 jouissent d’une notoriété leur permettant de bénéficier de la protection prévue par
l ‘article L713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Constate que la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France ont
contrefait les marques semi-figuratives « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040 ;

Fait interdiction à la SA Groupe Auchan et à la SA Auchan France
d’exploiter de quelque façon que ce soit et sur tout support le signe Paris-Roubaix, seul
où en association avec tout autre mot, marque, dénomination, millésime ou logo quelconque ;

Dit que cette interdiction sera assortie d’une astreinte de 1.000 euros par jour de
retard et par infraction constatée, passé un délai de deux mois à compter de la signification
du présent jugement ;

Rejette la demande de la SAS Tour de France et de la SA Amaury Sport
Organisation tendant à réserver au Tribunal de Grande Instance de Lille la
compétence pour liquider l’astreinte ;

Ordonne la publication par extraits du présent jugement dans trois journaux ou
magazines au choix de la SAS Tour de France et de la SA Amaury Sport
Organisation, dans la limite d’un coût global HT de 10.000 euros, qui sera supporté
in solidum par la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France ;

Rejette la demande de la SA Groupe Auchan et de la SA Auchan France
tendant à dire que la SA Amaury Sport Organisation ne justifie pas de
l’autorisation de la fédération française de cyclisme pour organiser le Paris-Roubaix ;

Condamne in solidum la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France
à payer à la SAS Tour de France la somme de 10.000 euros -dix mille euros- en
réparation de l’atteinte portée à ses marques « Paris Roubaix » n° 93462059 et 95602040 ;

Condamne in solidum la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France
à payer à la SA Amaury Sport Organisation la somme de 30.000 euros -trente
mille euros- des chefs d’atteinte aux marques « Paris Roubaix » n° 93462059 et
95602040 et à ses droits d’organisateur de l’événement sportif Paris-Roubaix, en
application de l’article L333-1 du Code du Sport ;

Déboute la SA Amaury Sport Organisation de sa demande fondée sur
les agissements de parasitisme ;

Condamne in solidum la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France
à payer à la SAS Tour de France et la SA Amaury Sport Organisation la
somme globale de 10.000 euros -dix mille euros- sur le fondement de l’article 700 du Code
de procédure civile ;

Déboute la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France de leur demande
fondée sur les dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SA Groupe Auchan et la SA Auchan France
aux dépens, en ce y compris les frais afférents au constat dressé par l’Agence pour la
Protection des Programmes (APP) sur le site http://www.auchan.fr ;

Dit que les dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article
699 du Code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision ;

Rejette toutes demandes, fins ou prétentions, plus amples ou contraires.

Le Tribunal : Elisabeth Polle-Senaneuch, Anne Beauvais (vices-présidentes), Hicham Melhem (juge), Anne-Marie Deltour (greffier)

Avocats : Me Denis Lequai, Me Marianne Laborde, Me Thomas Deschryver

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.