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Jurisprudence : Vie privée

jeudi 15 octobre 2009
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Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 12 octobre 2009

Mme X, Société L. & Com / Jean-Hervé C.

consentement - informatique et libertés - liberté d'expression - loi du 6 janvier 1978 - traitement - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Vu l’autorisation d’assigner en référé à heure indiquée devant nous accordée le 21 septembre 2009 à Mme X et à sa société L. & Com ;

Vu l’assignation qu’en suite de cette autorisation et par acte en date du 23 septembre suivant, ces requérants ont fait délivrer à Jean-Hervé C., par laquelle il nous est demandé :
– à la suite de la mise en ligne d’un texte intitulé “Exception vendéenne” sur le site internet accessible à l’adresse http://jhc.monsite.wanadoo.fr,
– au visa des articles 9 du code civil et 7 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés,
– la suppression du passage litigieux du site internet, sous astreinte,
– la condamnation du défendeur au paiement à chacun des demandeurs, à titre de provision à valoir sur dommages et intérêts, de la somme de 5000 €, et d’une somme globale de 2000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Après avoir entendu l’avocat des demandeurs et le défendeur comparant en personne le lundi 5 octobre 2009 en notre cabinet portes ouvertes et leur avoir indiqué que l’ordonnance, mise en délibéré, serait rendue par mise à disposition au greffe le lundi 12 octobre 2009 à 14h00 ;

DISCUSSION

II résulte du constat d’huissier du 4 septembre 2009 versé en demande que, sur le site internet personnel de Jean-Hervé C., accessible à l’adresse ci-dessus rappelée, était à cette date en ligne un texte intitulé “Exception vendéenne”. Le moment de la première mise en ligne de ce texte n’est pas démontré : ni le site, ni les demandeurs n’apportent aucun élément sur ce point, le défendeur indiquant pour sa part que cette mise en ligne aurait été effectuée en 2003.

Ce texte dénonçait le pouvoir « féodal” qu’exercerait sur son département Philippe de V., président du conseil général de Vendée, qualifié de “Le Pen soft” et de “dictateur”, évoquait le suicide d’un des collaborateurs de celui-ci qu’il avait “humilié publiquement”, et déplorait que cet homme politique “craint et protégé” reste pourtant intouchable, malgré ses “dérapages” et ses “abus” ; Jean-Hervé C. affirmait que, comme d’autres, il avait tenté sans succès de porter plainte contre ses agissements et qu’il avait créé son site internet pour “dénoncer le Système vendéen“ l’exception vendéenne qui a détruit [s]a vie”.

Les demandeurs incriminent le paragraphe suivant :
“Philippe de V., ce catho-traditionaliste, défendeur des valeurs de la famille n’a pas eu de scrupule en vivant un amour passionné avec Mme X (…). Liaison interrompue par la rumeur qui gonflait et faisait jaser de plus en plus dans son fief Mme X a évoqué cette liaison dans un roman autobiographique “XXX” paru chez Stock en 1990.
Roman épuisé et introuvable ; la totalité du tirage ayant été achetée lors de sa sortie par un mystérieux amateur.”.

Mme X soutient que la mise en ligne de ce texte concernant sa vie sentimentale porte atteinte au respect dû à sa vie privée et constitue un traitement de données à caractère personnel effectué sans son consentement et sans motif légitime. La société L. & Com qu’elle a fondée et dirige fait valoir, pour sa part, que cette publication a des conséquences directes sur son activité.

Jean-Hervé C. observe, d’une part, que la révélation de cette liaison a été faite par la demanderesse elle-même dans le livre qu’il cite et, d’autre part, que l’objectif qu’il poursuit est politique et consiste en la dénonciation d’un fonctionnement mis en place par un homme public, de sorte que la mention litigieuse se trouve à l’intersection de la vie publique et de la vie privée.

Il résulte des dispositions de l’article 9 du code civil que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée, à ce titre, à obtenir réparation d’une révélation au public de faits relatifs à sa vie personnelle et familiale, ce droit qui découle également de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pouvant toutefois céder devant les nécessités de l’information du public et de la liberté d’expression, garanties à l’article 10 de la même convention, dans le cadre de l’équilibre qu’il revient au juge de dégager, en vertu du second alinéa du dit article, entre ces principes d’égale valeur dans une société démocratique.

Il n’est pas démontré que Mme X a choisi elle-même de révéler une liaison sentimentale qu’elle aurait entretenue avec Philippe de V. L’ouvrage qu’elle produit aux débats, s’il rapporte la relation amoureuse entre une jeune femme et un homme politique, se présente comme un roman et sa lecture ne permet pas de retenir qu’il constituerait une oeuvre romanesque à clé dont le sens caché pourrait être aisément saisi par le lecteur. Aucune pièce n’est produite aux débats -si ce n’est un document intitulé “Qui est vraiment Philippe de V. ?“ et signé d’un “collectif “mémoire républicaine“, document dont le défendeur précise lui-même qu’il n’a jamais été publié- qui conforterait une telle interprétation.

Il ne saurait donc être soutenu que Mme X aurait volontairement, en rendant elle-même publique cette liaison sentimentale, choisi de la faire sortir de la sphère protégée par les dispositions de l’article 9 du code civil susvisé ;

Par ailleurs, si une atteinte à la vie privée d’un homme public peut être rendue légitime, dans certaines circonstances, par les nécessités de l’information du public dans une société démocratique et peut avoir pour conséquence d’affecter par ricochet la vie privée de la personne dont la relation affective avec cet homme public serait ainsi évoquée, tel ne saurait être le cas en l’espèce dès lors que les faits évoqués sont anciens, que Jean-Hervé C. n’expose pas en quoi les griefs de nature personnelle qu’il nourrirait à l’encontre du président du conseil général de la Vendée justifieraient qu’il évoque sa liaison avec son ancienne attachée de presse, et n’expose pas davantage en quoi ces griefs personnels devraient être largement portés à la connaissance du public.

L’atteinte à la vie privée de Mme X est donc caractérisée.

Il n’en est pas de même de la société L. & Com, personne morale distincte de sa fondatrice et dirigeante et qui, n’étant l’objet d’aucune révélation la concernant elle-même, ne saurait se prévaloir que d’un éventuel préjudice indirect.

Le traitement de données personnelles réalisé par Jean-Hervé C. sans l’autorisation de Mme X n’ayant d’autre but que de permettre l’expression publique de l’intéressé, qui fournit le service de communication au public en ligne litigieux, le principe constitutionnellement et conventionnellement garanti de la liberté d’expression interdit de retenir une atteinte distincte liée à une éventuelle violation des règles instituées par la loi du 6 janvier 1978, laquelle n’est pas une des normes spécialement instituées pour limiter cette liberté dans le respect du second alinéa de l’article 10 de la convention européenne susvisée.

Le texte litigieux a été retiré du site internet. Mme X renonce, par voie de conséquence, à sa demande de suppression sous astreinte.

Pour l’appréciation de l’indemnité provisionnelle à valoir sur le préjudice subi par elle du fait de la mise en ligne litigieuse, il y a lieu de tenir compte de la très faible fréquentation du site internet et de l’incertitude sur la date de la mise en ligne du texte incriminé. Il sera alloué à ce titre un euro.

Jean-Hervé C. soutient, sans l’établir formellement, produisant une impression informatique dont la valeur probante est limitée, qu’il a retiré la page litigieuse dès le 10 septembre 2009, à réception d’une mise en demeure datée du 4 septembre précédent. Mme X fait plaider, sans davantage l’établir dès lors qu’elle ne produit aucun élément démontrant jusqu’à quelle date cette page était toujours accessible, que ce retrait n’aurait été effectif que le 5 octobre 2009.

Jean-Hervé C. n’ayant, en tout état de cause, pas informé la demanderesse du retrait immédiat qu’il aurait effectué, à le supposer démontré, ne saurait prétendre que l’assignation qui lui a été délivrée est abusive. II sera donc fait droit à la réclamation formée en demande au titre des frais irrépétibles, pour un montant qui sera limité, pour des raisons tirées de considération d’équité, à la somme de 300 €.

DECISION

Par ces motifs, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

. Condamnons Jean-Hervé C. à payer à Mme X un euro à titre d’indemnité provisionnelle à valoir sur l’indemnisation du préjudice résultant pour elle de l’atteinte à sa vie privée commise sur le site internet accessible à l’adresse http://jhc.monsite.wanadoo.fr ;

. Disons n’y avoir lieu à référé sur la demande de la société L. & Com ;

. Condamnons Jean-Hervé C. aux dépens et à payer à Mme X la somme de 300 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal : M. Nicolas Bonnal

Avocat : Me Anne Cousin

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