Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 27 avril 2006
Nissan Europe, Jean François G. / Stéphanie G.
accès - blog - diffamation - injure - licenciement - salarié
FAITS ET PRETENTIONS
La société Nissan Europe (société Nissan) et Jean François G., responsable du département des ressources humaines, exposent qu’une instance prud’homale oppose l’employeur à Stéphanie G. qu’il a licencié au retour de congé parental, en raison de son refus d’accepter un emploi similaire à celui qu’elle occupait ;
Que celle-ci a pris l’initiative de mettre en ligne, vers le 20 mars 2006, sur le réseau internet un blog sous le titre « Maman chez Nissan Europe, parité bafouée », où elle expose son point de vue sur la situation litigieuse accompagné de la divulgation de courriers qu’elle a échangés dans ces circonstances ; qu’elle a donné une publicité à cette création, que la presse s’en fait l’écho ;
Qu’après une première procédure de référé portant, en particulier, sur le retrait des éléments d’identification des personnes citées dans le blog, elle poursuit, dans le respect des délais permettant à la défenderesse d’établir la preuve de la vérité des faits, raison de la dissociation des procédures, la suppression du blog ou de passages diffamatoires ou injurieux ;
La société Nissan réclame la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du ncpc, Jean François G. 1000 € au même titre ;
La défenderesse conteste l’existence du trouble manifestement illicite que pourrait constituer les passages querellés, à la date de l’assignation et la réunion des conditions constituant les pouvoirs du juge des référés ; fait valoir les règles régissant la liberté d’expression pour s’opposer à la suppression du blog ; prétend établir la vérité des imputations de harcèlement moral et de discrimination ; oppose que la mise en cause du rôle du comité d’entreprise dans la situation ne peut permettre à la société Nissan d’agir pour la défense d’intérêts qui lui sont étrangers ; fait valoir sa bonne foi ; elle réclame la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
DISCUSSION
Sur l’actualité du trouble allégué par les demandeurs :
Attendu que Stéphanie G. prétend qu’elle a mis en place le blog, le 22 mars 2006, et, dès la décision du 5 avril 2006, suspendu son accès pour contrôler son contenu et l’adapter aux mesures prises par l’ordonnance ; que la présente procédure a été engagée le 6 avril 2006 ; que le trouble prétendu avait alors cessé ; que les demandeurs produisent une saisie du blog en date du 15 avril 2006 qui porte mention des passages litigieux ;
Que le juge des référés apprécie ses pouvoirs au jour de l’audience ; que Stéphanie G. n’établit pas la suspension du blog à ce moment ; que les difficultés techniques qu’elle pourrait rencontrer pour en suspendre l’accès, ce qu’elle prétend avoir fait le 5 avril 2006, la souplesse du média qu’elle emploie, qui lui permet de rétablir la communication à tout moment, ainsi qu’il résulte des faits, sont en tout état de cause constitutifs d’un dommage imminent, dès lors que l’illicéité des passages qu’incriminent les demandeurs serait établie ;
Sur la demande de mesures :
Attendu que la liberté d’expression est en particulier organisée par la loi sur la presse, et la loi du 30 septembre 1986 ; que la procédure qui poursuit les mesures propres à mettre fin à des actes de diffamations et d’injures est régulière ; que les mesures qui pourraient être prises ne sauraient s’étendre à l’ensemble du blog ;
Attendu que les demandeurs incriminent :
* des injures publiques :
– la société Nissan est présentée comme une « association de malfaiteur,
– Jean François G., directeur des ressources humaines de la société Nissan, est qualifié, dans un courrier adressé à l’inspection du travail des Yvelines par Stéphanie G., reproduit in extenso sur le blog comme « manipulateur et menteur »,
* des faits de diffamation publique :
– la société Nissan est présentée comme ayant pratiqué un harcèlement moral sur la personne de Stéphanie G.,
– la société Nissan est présentée comme portant atteinte à la parité dans l’entreprise, et commettant des discriminations à l’égard des femmes en son sein ;
– la société Nissan est présentée comme muselant le comité d’entreprise ;
– le service des ressources humaines de la société Nissan est présenté comme faisant peu de cas de la loi et comme ne la respectant pas ;
Que Stéphanie G. fait valoir :
Quant aux imputations d’injures :
– que la présentation de la société Nissan comme « association de malfaiteurs » a été modifié et l’expression retirée ; que ce fait n’est pas établi ; qu’elle ne conteste pas le caractère injurieux de l’expression ; qu’il sera fait droit à la demande ;
– que le nom de Jean François G. a été retiré du blog ainsi que l’ordonnait la décision du 5 avril 2006 ; qu’il reste cependant immédiatement identifiable, l’indication de ses fonctions étant maintenue ; qu’il sera fait droit à la demande ;
Quant aux imputations de diffamations :
* que l’allégation d’un harcèlement moral est établie alors qu’à son retour de congé parental, le 1er septembre 2004, elle était sans affectation ; qu’elle a due en raison de la carence de l’employeur, rechercher un local, qu’elle était sans fonction ; que des propositions de postes ne lui ont été faites que par lettre du 15 septembre 2004 ; que malgré ses démarches et protestations, elle a été convoquée pour un entretien préalable à son licenciement le 8 octobre 2004 ; qu’elle a alors été placée en arrêt maladie en raison « d’un syndrome anxiodépressif réactionnel à un conflit du travail » ;
Que les conditions de la réintégration de Stéphanie G. sont, au regard des moyens de gestion de la société Nissan et des obligations légales qui pèsent sur elle, manifestement anormales, alors qu’elle ne pouvait ignorer le terme du congé parental de son employée ; que la qualification de ces faits, au regard des dispositions de l’article L 122-49 du code du travail, échappe au pouvoir du juge des référés en raison de l’état du droit de cette incrimination, qu’ils emportent du moins la bonne foi ;
* que l’allégation d’une discrimination des femmes par la société Nissan ne peut être présentée comme vraie en s’appuyant sur la situation générale de l’emploi et des conditions de travail des femmes dans la société française, la politique conduite par la société Renault pour y remédier ; qu’en présentant pour une politique de l’emploi de la société Nissan la situation particulière qu’elle a vécue, Stéphanie G., par une généralisation abusive, a diffamé les demandeurs ; que cette imputation ne figure pas dans le titre du blog qui annonce la présentation d’une situation individuelle que Stéphanie G. est libre de présenter comme portant atteinte à la parité, sauf à la société Nissan à établir la preuve contraire ;
* qu’il sera fait droit à la demande portant sur le passage relatif au comité d’entreprise de la société Nissan, présenté comme muselé et dénué de pouvoir social ; que cette imputation atteint celui-ci directement ; qu’il met en cause, de façon médiate mais certaine, la société Nissan à laquelle il impute de violer les règles qui régissent l’activité de cette institution représentative du personnel ; que, cadre, Stéphanie G. ne pouvait ignorer, que le conflit individuel du travail qui l’opposait à l’employeur ne relevait pas de la compétence de cet organisme ;
* que l’expression « les RH ne font que peu cas de la loi et ne se gênent pas pour ne pas la respecter, je vais avoir des soucis… », ne peut être considérée dans le contexte du blog comme une considération générale ; que l’expression « les RH » constitue une abréviation courante pour désigner une service des ressources humaines ; qu’elle atteint par une généralisation abusive à défaut d’en prouver la véracité, la conduite du service des ressources humaines de la société Nissan et son directeur ;
Qu’il sera fait droit à la demande ;
Attendu qu’il n’y a lieu à frais irrépétibles ;
DECISION
Par ces motifs,
. Disons y avoir lieu à référé ;
. Enjoignons à Stéphanie G. de suspendre l’accès au blog dont l’adresse est « http/www.congeparentalnissan.blog.com » et le titre « Maman chez Nissan Europe, parité bafouée » dans les 12h qui suivront la présentation de l’ordonnance exécutoire sur minute, pour procéder au retrait des passages injurieux ou diffamatoires suivant :
– « association de malfaiteurs »,
– lettre de Stéphanie G. à l’inspecteur du travail – « manipulateur et menteur »,
– « le CE de Nissan est muselé et n’a aucun pouvoir social »,
– « car elle n’existe que très rarement »… à « sans état d’âme »,
– « les RH ne font que peu de cas de la loi et ne se gênent pas pour ne pas la respecter » ;
. Reconnaissons à Stéphanie G. le bénéfice de la bonne foi en ce qui concerne l’allégation de faits de harcèlement moral ;
. Assortissons chacune des injonctions prononcées d’une astreinte de 100 € par infraction constatée ;
. Disons n’y avoir lieu à frais irrépétibles ;
. Laissons à chacune des parties la charge de ses dépens ;
Le tribunal : M. Louis Marie Raingeard de la Bletière (premier vice président)
Avocats : Me Pierre Yves Michel, Me Savine Bernard
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.