Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 08 janvier 2008
Anpaa / Heineken
contenus illicites - interdiction - publicité - sites
FAITS ET PROCEDURE
L’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (Anpaa) expose que la société Heineken Entreprise diffuse de la publicité en faveur de la bière Heineken sur le site internet www.heineken.fr support qui n’est pas autorisé par l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique, publicité excédant les limites fixées par l’article L.3323-4 de ce Code, l’ensemble des griefs ayant été constaté par huissier aux termes d’un procès-verbal du 4 décembre 2007 ; elle demande en raison du trouble manifestement illicite qui en résulte le retrait des publicités litigieuses et en particulier des visuels 1 et 2, des jeux et animations sonores et divers éléments qu’elle incrimine ; elle réclame la somme de 6000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
La société Heineken Entreprise oppose que la demande tendant à faire juger l’illicéité des publicités sur support internet excède les pouvoirs du juge des référés ; elle fait valoir que les débats parlementaires qui ont présidé à l’adoption de la loi Evin montrent que le minitel et le téléphone étaient des supports autorisés ainsi que l’établit un rapport du conseil d’Etat de 1998 ; que son action entre dans les prévisions de l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique qui autorise les fabricants à diffuser des messages, circulaires commerciales sans en préciser le support ;
que la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, place dans le champ du commerce électronique, libre, les services consistants à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche (…) ; que la publicité et la commercialisation des boisons alcoolisées sur le réseau internet sont protégées par les libertés de circulation des marchandises et des prestations de service reconnues par les traités de l’Union européenne et la directive précitée ; que les organismes professionnels, dont le BVP, ont unanimement ouverts les messages en ligne à la promotion et la vente de ces produits ; que de nombreux producteurs, fabricants, commerçants, organismes interprofessionnels de viticulteurs en font usage ;
Que le débat relève manifestement du juge du fond ; qu’au surplus l’Anpaa dirige ses demandes contre un brasseur étranger, qu’elles sont discriminatoires, qu’une décision y faisant droit et prendrait la même qualification ; qu’il y a lieu en toute occurrence de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle ; elle soutient la licéité des publicités qu’elle présente ; elle réclame la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
DISCUSSION
Attendu que l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique définit les supports autorisés exclusivement à diffuser la propagande ou la publicité en faveur des boissons alcooliques licites ; que l’énumération ne comprend pas la communication audiovisuelle, par messages électroniques ; que s’agissant de l’interprétation d’un texte que la technique rédactionnelle l’interdiction sauf les actions autorisées rend parfaitement clair, le recours à l’intention du législateur et à l’interprétation du Conseil d’Etat dans un rapport administratif, qui conclut cependant au mérite d’une consécration législative, n’est pas légitime et contraire au principe de sécurité juridique ; que l’interprétation littérale s’impose ; que cette interprétation est stricte s’agissant d’un texte d’incrimination pénale ;
Que le quatrièmement de l’article L.3323-2 autorise la publicité “sous forme d’envoi par les producteurs (…) de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures dès lors que ces documents ne comprennent que les mentions prévues par l’article L.3323-4 et les conditions de vente des produits qu’ils proposent” ; que l’expression “sous forme d’envoi” définit, comme dans les alinéas précédant un support, que les termes circulaires, catalogues, brochures, documents expriment un support papier, que le terme message dans le contexte de l’énumération ne comprend pas les messages électroniques ; qu’en outre ceux-ci, l’espèce, sont pas envoyés mais mis à disposition sur le site internet de la société Heineken Entreprise ;
Que cette restriction à la libre prestation des services de publicité, indistinctement applicable, a été jugée par la Cour de justice des Communautés européennes, s’agissant de la publicité télévisée, proportionnée aux objectifs de santé publique poursuivis par la législation ;
Qu’en toute occurrence la société Heineken Entreprise n’établit pas d’éléments d’extranéité, permettant de considérer que la situation querellée relève du droit communautaire ; que si sa société mère est établie aux Pays-Bas aucun des faits placés dans le débat ne permet d’apprécier que la demande de mesure affecterait des flux de marchandises ou de prestations de service à l’intérieur de l’Union européenne ; que le débat sur les libertés de circulation qu’elle sanctionne est étranger au présent litige ; qu’il est limité à l’application de l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique en présence de la loi du 21 juin 2004 relative à la sécurité du commerce numérique, postérieure, dont il n’est pas prétendu qu’elle a transposé, irrégulièrement, la directive 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, et qui est seule opposée è la demande ;
Attendu que la loi du 24 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique modifie l’article premier de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication affirmant la liberté de communication au public par voie électronique, dont l’exercice est limité dans la mesure requise, en particulier, par la sauvegarde de l’ordre public ; qu’elle dispose que l’activité de commerce électronique s’exerce librement sur le territoire national ; qu’elle réglemente la publicité par voie électronique au regard des principes d’identification des responsables des messages et de leur nature publicitaire, de particularités propres à la technique de communication ;
Que ces dispositions qui précisent une composante de la liberté du commerce et de l’industrie, de la liberté de communication ne traitent pas des conditions de leur exercice fixées par l’article L3323-2 du Code de la Santé publique ;
Attendu que l’analyse qui précède proportionnée, par l’application du principe du contradictoire, aux moyens de la défenderesse ne préjudicie pas à l’évidence de cette constatation ; qu’elle repose sur une interprétation littérale du texte de l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique, ouverte au juge des référés ; la constatation, confortée par le rapport du Conseil d’Etat de 1998, que ce texte n’autorise pas la publicité des boissons alcooliques par messages électroniques ; la constatation que les faits n’ouvrent pas à un débat sur l’application des libertés de circulation dans l’Union européenne ; la constatation que la loi du 21 juin 2004 relative à la sécurité du commerce numérique ne traite pas des dispositions prises par la législation en débat ; que ces motifs, qui se suffisent, établissent les pouvoirs du juge des référés ;
Attendu que la société Heineken Entreprise poursuit le débat par des éléments de fait dont :
– la possibilité de voir juger, en présence d’éléments de fait “communautaires” que l’exclusion des messages électroniques du champ de l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique n’est pas proportionnée à l’objectif de santé publique poursuivit par la loi ;
– la discrimination qui résulterait du choix de l’Anpaa de la poursuivre alors que de multiples entités exercent l’activité qui lui est reprochée ;
Qu’elle pourrait également opposer la différence de traitement, qui résulte de l’exclusion des messages électroniques de l’autorisation de l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique, entre les annonceurs établis en France et ceux qui, agissant à partir d’un pays étranger, échapperaient, en pratique, à l’application de la loi ;
Que ces éléments sont exclus de l’appréciation d’un juge tenu de statuer sur les prétentions dont il est saisi en fonction des faits qui lui sont soumis et de la législation applicable ;
Attendu que force est de constater que le législateur français soumis à un lobying intense des producteurs et commerçants de boissons alcooliques, n’a pas jugé opportun, à l’occasion de la loi relative à la sécurité du commerce numérique, ou de la loi du 23 février 2005 relative au contenu des messages publicitaires, de modifier l’énumération des supports publicitaires autorisés par l’article L.3323-2 du Code de la Santé Publique ;
Que ni ce texte de loi, ni les dispositions de l’article 809 alinéa 1 du Nouveau Code de Procédure Civile n’autorisent une appréciation en opportunité ; qu’il n’appartient pas au juge de statuer en fonction de la loi à faire sauf à empiéter sur la compétence du Parlement ;
Attendu que l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique est pénalement sanctionné ; que sa violation emporte un trouble manifestement illicite ; qu’en effet l’illicéité d’un comportement ne cesse pas d’être manifeste en raison de sa généralisation par la pratique d’un nombre d’acteurs professionnels délimité et ne peut emporter d’erreur sur le droit, l’ancienneté de cette pratique de la société Heineken ne peut être opposée à l’application de l’article 809 alinéa 1 du Nouveau Code de Procédure Civile qui ne subordonne pas l’exercice des pouvoirs du juge des référés à l’urgente ;
Que la mesure nécessaire à la sanction de ce trouble consiste dans l’interdiction de la publicité en faveur de la bière Heineken par message électronique ;
Qu’il y a lieu à frais irrépétibles ;
DECISION
Statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
. Constatons que la publicité faite par la société Heineken Entreprise par messages électroniques diffusés sur le site www.heineken.fr, emprunte un support qui n’entre pas dans l’autorisation limitative de l’article L.3323-2 du Code de la Santé publique, le trouble manifestement illicite qui en résulte ;
. Ordonnons à cette société d’y mettre fin en retirant de ce site tout message publicitaire dans un délai de trois semaines suivant la signification de l’ordonnance sous astreinte de 3000 € par jour de retard dont nous nous réservons la liquidation ;
. Condamnons la société Heineken Entreprise à payer à l’Anpaa la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens ;
Le tribunal : M. Louis-Marie Raingeard de la Bletière (président)
Avocats : Me Catherine Giafferi, Me Jean Louis Fourgoux
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