Jurisprudence : Marques
Tribunal de Grande Instance de Nanterre 2ème chambre Jugement du 2 avril 2001
Sté Prisma Presse / Sté Compagnie financière Géo et Sté Géo
contrefaçon de marque - exception d'incompétence - marques - nom de domaine
Faits et procédure
Vu l’assignation du 7 avril 2000 délivrée par les sociétés Prisma Presse et Gruner & Jahr à la société Compagnie financière Géo et à la société Géo aux termes de laquelle il est demandé :
. qu’il soit jugé qu’en faisant usage du nom « geo.fr » à titre de nom de domaine, les sociétés défenderesses ont contrefait le titre et le marque Géo ;
. qu’il leur soit interdit de faire usage de ce nom, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard ;
. que soit radié le nom de domaine « geo.fr » ;
. que la société Compagnie financière Géo et la société Géo soient condamnées in solidum au paiement de 1 500 000 F à titre de dommages et intérêts ;
. que la décision soit publiée sous la forme d’un communiqué à insérer sur un site web ;
. qu’elle soit assortie de l’exécution provisoire ;
. que les sociétés défenderesses soient condamnées au paiement de 30 000 F en vertu des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu les conclusions des sociétés Compagnie financière Géo et Géo du 12 février 2001 qui soulèvent l’incompétence de cette juridiction au profit du tribunal de grande instance de Versailles et qui demandent paiement de 2000 F en vertu des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elles soutiennent ne pas être établies dans le ressort du tribunal de grande instance de Nanterre ; que le constat dressé dans les Hauts-de-Seine a seulement révélé que, sur des bases de données dont elles de l’Afnic, le nom de domaine est attribué à une société Géo ; qu’une telle contestation n’établit nullement qu’elles auraient fait usage du nom de domaine dans ce département.
Elles ajoutent que si le dépôt d’une marque constitue un acte d’usage justifiant la compétence du tribunal dans le ressort duquel il est effectué, il n’en va pas de même de l’enregistrement d’une marque ; que, dans ces conditions, la présence dans une base de données constituée par un tiers ne peut s’analyser en un usage par le titulaire ; qu’il aurait fallu que le constatant ait pu se connecter sur un site portant le nom de domaine pour que soit révélé un acte d’usage.
Elles en concluent qu’il convient de distinguer, d’une part, entre le titulaire d’un nom de domaine non exploité qui ne peut être poursuivi que devant le tribunal de son domicile ou du lieu où est situé l’organisme d’enregistrement et, d’autre part, le titulaire d’un nom de domaine exploité qui peut être poursuivi devant tout tribunal dans le ressort duquel une connexion au site a été constatée.
Vu les conclusions des sociétés Prisma Presse et Gruner & Jahr qui sollicitent le rejet de l’exception d’incompétence et paiement de 20 000 F en vertu des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les sociétés Prisma Presse et Gruner & Jahr répondent qu’en matière délictuelle, le défendeur peut être attrait devant la juridiction où le fait dommageable s’est produit ; qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction artificielle entre le cas du nom de domaine sous lequel aucun site n’est exploité et celui sous lequel un site est accessible ; que, dans les deux cas, il est procédé à un usage de marque susceptible d’être sanctionné au titre de la contrefaçon.
Sur ce :
La société Prisma Press, société du groupe Gruner & Jahr, édite depuis le mois de mars 1979 un magazine dénommé « Géo » ; les sociétés Prisma Presse et Gruner & Jahr sont titulaires de marques « Géo » déposées notamment en classes 16 et 38.
Les sociétés Compagnie financière Géo et Géo ont pour activité la fabrication et la vente de produits de charcuterie ; la société Géo est titulaire d’une marque « Géo », déposée le 3 septembre 1992 en renouvellement de dépôts remontant à 1916 ; la réservation du nom de domaine était destinée à la réalisation d’un site Internet destiné à la présentation des produits de la société Géo.
Les sociétés Prisma Presse et Gruner & Jahr ont découvert que la société Compagnie financière Géo avait réservé le nom de domaine « geo.fr » auprès de l’Afnic le 3 novembre 1999, pour le compte de sa filiale, la société Géo.
Le 4 avril 2000, à la demande de la société Prisma Presse, un agent de l’Agence pour la Protection des Programmes (ci-après « APP »), constatait à Levallois-Perret (92) l’enregistrement de ce nom de domaine.
Il est constant que les sociétés Compagnie financière Géo et Géo n’ont pas ouvert à ce jour un site correspondant au nom de domaine « geo.fr » que la société Compagnie financière Géo a enregistré auprès de l’Afnic.
Dans ces conditions, l’agent de l’APP a simplement constaté, au vu des bases de données de l’Afnic, que cet organisme avait attribué à la société Compagnie financière Géo le nom de domaine « geo.fr ».
La distinction opérée par les sociétés défenderesses, entre le dépôt d’une marque qui constitue un acte d’usage et l’enregistrement d’une marque qui relève de l’Inpi, est étrangère aux débats.
En effet, la procédure de dépôt et d’enregistrement est en matière de marques réglementée par la loi.
Cette réglementation n’est pas applicable en matière de noms de domaine qui ignore d’ailleurs la distinction existante entre dépôt et enregistrement.
Les droits sur les noms de domaine s’acquièrent en un seul acte accompli en un endroit unique, auprès d’un organisme d’attribution, soit en l’espèce, s’agissant du point « fr » : l’Afnic.
Les parties ne contestent pas qu’est compétent le tribunal du ressort où a été dressé le constat révélant le fait dommageable.
Même en l’absence d’exploitation d’un site, la réservation d’un nom de domaine auprès de l’Afnic a pour effet de le rendre indisponible ; elle constitue donc une appropriation susceptible d’être dommageable à l’égard du tiers qui revendique des droits sur ce signe.
Ainsi, contrairement aux prétentions des sociétés Compagnie financière Géo et Géo, il importe peu que l’agent de l’APP n’ait pu se connecter à l’adresse portant le nom de domaine « geo.fr ».
Il suffit qu’il ait été constaté que le nom de domaine « geo.fr » avait été attribué et était désormais indisponible.
Cette attribution a été constatée dans les Hauts-de-Seine, ce qui justifie la compétence du tribunal, et l’exception doit être rejetée.
Il sera sursis à statuer sur les demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, jusqu’à la décision au fond.
A défaut de contredit, les sociétés Compagnie financière Géo et Géo devront conclure au fond pour la conférence du président de cette chambre du jeudi 10 mai 2001 à 10 heures.
La décision
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort :
. rejette l’exception d’incompétence ;
. sursoit à statuer sur les demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
. dit qu’à défaut de contredit, les sociétés Compagnie financière Géo et Géo devront conclure au fond pour la conférence du présidence de cette chambre du jeudi 10 mai 2001 à 10 heures ;
. réserve les dépens.
Le tribunal : Mme Dominique Rosenthal-Rolland (vice-président du tribunal de grande instance de Nanterre, tenant l’audience publique par délégation du président), Mmes Sophie Braive et Isabelle Orsini (juges).
Avocat : Me Déprez et Boespflug.
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