Jurisprudence : Contenus illicites
Conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt Jugement de départage 19 novembre 2010
Mme S. / Alten Sir
contenus illicites - dénigrement - entreprise - liberté d'expression - licenciement - limites - salarié - site - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
La société Alten Sir a engagé Madame S. par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 27 novembre 2006 en qualité de chargée de recrutement, statut cadre.
Les relations de travail étaient régies par la convention collective de bureaux d’Etudes Techniques dite “Syntec”.
Par lettre du 5 décembre 2008, la société Alten Sir a notifié à Madame S. une mise à pied conservatoire dans l’attente d’une mesure disciplinaire.
Par courrier recommandé du 9 décembre 2008, Madame S. a été convoquée à un entretien préalable fixé au 19 décembre 2008 avec mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre du 31 décembre 2008, Madame S. a été licenciée pour faute grave, aux motifs “d‘incitation à la rébellion contre la hiérarchie et dénigrement envers la société“ sur le site Facebook de Monsieur François C., salarié de la société Alten Sir, la lettre de licenciement étant ainsi libellée :
Le 1er décembre 2008, des salariés choqués par des propos tenus sur le site Facebook de Mr C. François, nous ont édité puis communiqué les conversations échangées.
Le contenu de ce site est une incitation à la rébellion envers votre hiérarchie, le fait d’avoir pris part à cet échange, démontre que vous cautionnez la teneur de ces conversations. En effet, après le commentaire fait par Mr Français C. :
« François a intégré le cercle très fermé des néfastes”
Cette dernière phrase a appelé les commentaires suivants de personnes ayant accès à votre site :
“Sans déconner… et puis je savoir qui vous a intronisé dans ce club très fermé monsieur (C.), parce que normalement il y a tout un rite, tout d’abord vous devez vous foutre de la gueule de votre supérieure hiérarchique, toute la journée et sans qu’elle s‘en rende compte.
Ensuite il vous faudra lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois et seulement là nous pourrons considérer votre candidature” ;
“Et oui François, va falloir respecter ce rite dicté par notre grand gourou Stéphanie. Dès lundi S. et moi allons voir si tu respectes bien tout ça “.
Vous n‘avez pas hésité à répondre :
“Bienvenu dans le club mon cher François »
Nous vous rappelons qu’au regard de votre poste, vous vous devez à un droit de réserve. Que vous devez à fout moment agir conformément aux intérêts de la société et que vous ne pouvez impunément dénigrer votre hiérarchie et de ce fait votre société. »
Madame S. a saisi le Conseil de Prud’hommes de Boulogne Billancourt le 18 février 2009 et a demandé devant le bureau de jugement, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de la société Alten Sir :
– au paiement des sommes suivantes :
– 8626,83 € à titre d’indemnité de préavis et 862,68 € à titre d’indemnité de congés payés y afférents,
– 34 507 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 3000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– aux dépens.
Par décision du 20 mai 2010, le Conseil de Prud’hommes s’est mis en partage de voix et a renvoyé l’affaire à l’audience de départage du 12 octobre 2010.
Par conclusions écrites et reprises oralement à l’audience, Madame S. a maintenu ses demandes et a soutenu que :
– le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car, d’une part, la société Alten Sir lui a infligé deux sanctions pour les mêmes faits en lui notifiant deux mises à pied à titre conservatoire, les 5 décembre et 12 décembre 2008 et, d’autre part, une mise à pied à titre conservatoire est par nature indéterminée alors que celle du 5 décembre 2008 était fixée jusqu’au 9 décembre inclus,
– la faute grave invoquée dans la lettre de licenciement n’est pas établie car les faits reprochés concernent des propos échangés un samedi soir sur un forum de discussion privé du site internet Facebook et sur la page personnelle de Monsieur François C., salarié de la société Alten Sir, cette page n’étant pas accessible à l’ensemble des internautes ; si ces propos pouvaient être un motif de licenciement, ils ne constituaient pas un dénigrement de l’entreprise et n’avaient qu’un but humoristique démontré par l’usage du « smiley” et d’onomatopées dans le cadre d’échanges entre salariés et anciens salariés de la société Alten Sir. Elle estime que le trouble causé à l’entreprise n’est pas démontré.
Par conclusions écrites et reprises oralement à l’audience, la société Alten Sir a demandé que Madame S. soit déboutée de ses prétentions et condamnée à lui verser la somme de 2500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société Alten Sir expose que :
– même si la première mise à pied conservatoire a été fixée pour une durée déterminée, elle ne perd pas sa nature conservatoire dans la mesure où elle a immédiatement suivie de la convocation à l’entretien préalable en vue du licenciement pour faute grave.
– le licenciement pour faute grave est justifié et elle n’a pas violé le droit au respect de la vie privée de Madame S., l’usage de Facebook permettant d’avoir accès à des informations sur la vie privée lues par des personnes auxquelles elles ne sont pas destinées ; elle a eu en effet connaissance de la discussion sur le site Facebook par l’intermédiaire d’un de ses salariés qui a fait une copie d’écran sur le profil de Monsieur François C. En outre, les propos tenus concernaient Madame D. qui dirigeait le service dans lequel travaillaient ou avaient travaillé les participants à la discussion. Ces propos visant à inciter à une rébellion contre la hiérarchie et dénigrer l’entreprise ne peuvent pas être qualifiés de plaisanterie.
DISCUSSION
Sur la mise à pied à titre conservatoire
Après avoir eu connaissance des faits, la société Alten Sir a, par courrier remis en main propre à Madame S. le 5 décembre 2008, notifié une mise à pied conservatoire jusqu’au 9 décembre dans l’attente d’une décision.
Dans la mesure où la société Alten Sir a engagé la procédure de licenciement immédiatement en convoquant Madame S. à un entretien préalable par un courrier daté du 9 décembre 2008, présenté le 13 décembre 2008, la mise à pied du 5 décembre 2008 prononcée dans l’attente de sa décision a un caractère conservatoire,
En conséquence, Madame S. n’a pas été sanctionnée deux fois pour les mêmes faits.
Sur le licenciement
La faute grave résulte d’un fait fautif ou d’un ensemble de faits fautifs imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du code du travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis.
En premier lieu, il est fait observer que Monsieur François C. a choisi dans le paramètre de son compte, de partager sa page Facebook avec “ses amis et leurs amis”, permettant ainsi un accès ouvert, notamment par les salariés ni, anciens salariés de la société Alten Sir ; il en résulte que ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée et qu’ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère bien fondé du licenciement.
Dès lors, l’employeur n’a pas violé le droit au respect de la vie privée de la salariée.
En outre, s’agissant des propos échangés sur Facebook le 22 novembre 2008, il est précisé que Monsieur François C. intègre “le club des néfastes”, club virtuel destiné à rassembler les salariés du service des ressources humaines de la société Alten Sir respectant le rite consistant à se “foutre de la gueule“ de Madame D., leur supérieure hiérarchique “toute la journée et sans qu’elle s’en rende compte” et “ensuite …lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois “ ; Madame Morgan B. précise ensuite “Et oui François, va falloir respecter ce rite dicté par notre grand gourou Stéphanie. Dès lundi S. et moi allons voir si tu respectes bien tout ça”.
Madame S. ne conteste pas ces propos mais considère qu’il s’agit d’une plaisanterie, alors qu’elle a écrit, après le rite précédemment décrit “Bienvenu dans le club mon cher François”, cautionnant ainsi les propos dénigrants et incitant à la rébellion contre la hiérarchie. Dans ce contexte, l’usage des “smiley” et d’onomatopées dans les propos échangés ne peut en rien permettre de les qualifier d’humoristiques.
En participant à cet échange, Madame S. a abusé de son droit d’expression visé à l’article L1121-1 du code du travail et a nui à l’image de la société Alten Sir en raison des fonctions qu’elle exerçait en sa qualité de chargée de recrutement la conduisant à être en contact avec des candidats et des futurs salariés.
Il convient en outre de préciser que sur la liste des “amis” Facebook que comprend le profil de Monsieur François C., 11 personnes étaient salariés de la société Alten Sir et ont eu accès la page Facebook du 22 novembre 2008, ce qui a porté atteinte à son image ; de même, par le mode d’accès choisi, cette page était susceptible d’être lue par des personnes extérieures à l’entreprise, nuisant à son image.
Enfin, il est établi que Madame S. a porté atteinte à l’autorité et à la réputation de sa supérieure hiérarchique, Madame D. ; en effet, celle-ci a écrit un courrier le 4 décembre 2008 en précisant avoir été profondément choquée et perturbée après avoir pris connaissance des propos tenus à son encontre le 22 novembre 2008.
En conséquence, le licenciement de Madame S. pour incitation à la rébellion contre la hiérarchie et dénigrement envers la société Alten Sir repose sur une cause réelle et sérieuse le comportement de la salariée étant constitutif d’une faute grave ne permettait pas son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
Sur les demandes d’indemnité de préavis et les congés payés afférent et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Madame S. sera déboutée de ces demandes, le licenciement pour faute grave étant justifié.
Sur la demande d’article 700 du code de procédure civile
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Alten Sir les frais qu’elle a engagés en application de l’article 700 du code de procédure civile.
DECISION
Le Conseil de Prud’hommes après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant en premier ressort, par jugement contradictoire, mis à disposition publiquement,
. Dit que le licenciement pour faute grave est fondé ;
En conséquence, déboule Madame S. de ses demandes ;
. Déboute la société Alten Sir de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Condamne Madame S. aux dépens.
Le conseil : Mme Delphine Avel (président), Mmes Guerin et Gueye, MM. Sehier et Delattre (assesseurs conseillers)
Avocats : Me Grégory Saint Michel, Me Anne Christine Barateig
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