Jurisprudence : Jurisprudences
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 1ère ch. C, arrêt du 30 mars 2017
M. X. / SA Kappa Engineering
altération du code source - code source - constat d'huissier - Développement de logiciels - licenciement - preuve - référé - salarié
Par requête déposée le 1er février 2016 la SA Kappa Engineering a sollicité et obtenu du président du tribunal de grande instance de Grasse la désignation d’un expert judiciaire au visa de l’article 145 du code de procédure civile, en soutenant que M. X. a été employé en qualité d’ingénieur développement des logiciels commercialisés par la société et qu’elle l’a licencié le 14 août 2015 après avoir constaté qu’il avait développé à son insu un système de filtres qui relèvent de son activité avec le projet de les vendre à un concurrent.
L’expert a été désigné avec pour mission de :
* se rendre dans les plus brefs délais dans les locaux de la société Kappa à Mougins,
* consulter, se faire remettre, au besoin rechercher et prendre copie de l’ensemble des éléments sur les ordinateurs et le ou les serveurs informatiques de la société Kappa, utiles à sa mission et ce notamment sur la base SVN,
* procéder à l’identification des opérations menées par M. X. pour la période allant de janvier à juin 2015 en traçant les procédures d’identification du compte Windows de M. X. pour l’intervention sur les codes source en question,
* rechercher et le cas échéant identifier les causes de la disparition d’une partie du code source de régression pour les logiciels Topazes NL, Saphir NL et Émeraude,
* le cas échéant, rechercher et identifier les éléments démontrant que M. X. a procédé à l’obfuscation des codes source du code “wavelets” utilisés dans le logiciel Kappa Serveur.
Par exploit en date du 6 juin 2016 M . X. a fait assigner la SA Kappa Engineering
aux fins d’obtenir la rétractation de l’ordonnance rendue le 1er février 2016 par le président du tribunal de grande instance de Grasse et pour voir dire que le rapport d’expertise déposé le 17 février 2016 en exécution de cette ordonnance de référé ne produit aucun effet et qu’il est annulé en ses termes.
Par ordonnance de référé en date du 6 juillet 2016 le président du tribunal de grande instance de Grasse a rejeté la demande en rétractation de l’ordonnance du 1er février 2016 formée par M. X. à l’encontre de la SA Kappa Engineering, dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile et condamné M. Y. aux dépens.
Le 20 juillet 2016 M. X. a relevé appel de cette décision.
Par conclusions du 10 novembre 2016 il demande à la cour :
– de réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;
– de dire que ni la requête déposée le 28 janvier 2016 ni l’ordonnance rendue le 1er février 2016 par la présidente du grande instance de Grasse ne justifiaient de circonstances permettant qu’il soit dérogé à la contradiction ;
– d’ordonner en conséquence la rétractation de l’ordonnance rendue ;
– de dire que le rapport d’expertise en exécution de cette ordonnance ne produit aucun effet et est annulé dans tous ses termes ;
– et de condamner la société Kappa à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par conclusions du 20 janvier 2017 la SA Kappa Engineering demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise, de débouter l’appelant de toutes ses demandes, et de le condamner à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l’exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.
DISCUSSION
Attendu que M. X. reproche à la requête et à l’ordonnance qui a l’a accueillie de ne pas comporter la justification de ce qu’il devait être dérogé au principe du contradictoire ;
Attendu que la SA Kappa Engineering répond qu’elle a mis en évidence dans sa requête les circonstances dans lesquelles le licenciement de M. X. était intervenu et sa perte totale de confiance en son salarié ; que ce n’est que quelques mois plus tard qu’elle s’est aperçue que celui-ci avait sabordé son travail avant de quitter l’entreprise de sorte que les investissements matériels et humains consentis pendant plusieurs années sur ses projets et à des coûts extrêmement importants étaient potentiellement réduits à néant du fait des manipulations de M. X. sur les logiciels ; que l’urgence de la commercialisation des logiciels ainsi endommagés justifiait la nécessité de conserver la preuve des avaries avant tout procès ; que le recours à un expert judiciaire impartial offre des garanties de constatations objectives permettant de verser aux débats un élément de preuve d’une loyauté supérieure aux constats d’huissier ; que l’expert judiciaire désigné ayant une mission circonscrite aux seuls locaux de la société Kappa elle-même et à l’analyse des éléments purement techniques dont la société est le propriétaire unique et exclusif la jurisprudence invoquée sur la prétendue violation du contradictoire ne s’applique donc pas puisqu’il s’agissait dans cette jurisprudence d’effectuer un certain nombre de diligences dans des locaux d’un tiers sans le consentement de ce dernier ; que la présence de M. X., alors même qu’il n’était plus salarié de l’entreprise depuis plus de 6 mois, n’aurait rien apporté de plus à l’impartialité de l’expert, les éléments antérieurs de plus de 6 mois à son licenciement n’étant pas falsifiables ; et que les débats auxquels le rapport d’expertise a été versé auraient pu être parfaitement contradictoires, si M. X. n’avait pas choisi d’être défaillant ;
Mais attendu que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse ; que celui qui dépose une ordonnance sur requête doit faire état des circonstances propres au cas d’espèce justifiant qu’il puisse s’abstenir d’appeler la partie adverse ;
Attendu que l’ordonnance sur requête doit impérativement être motivée afin que la dérogation au principe du contradictoire soit justifiée ; et que le risque de disparition d’éléments de preuve ou la nécessité de créer un effet de surprise ne justifient pas ipso facto une dérogation au principe du contradictoire ;
Attendu qu’au cas d’espèce, il n’existait aucun risque de modification ou de disparition des éléments recherchés, ce que le requérant ne peut qu’admettre dans ses écritures, les opérations se déroulant dans ses propres locaux ; que la discussion sur l’utilité ou non de la présence de la partie adverse aux opérations d’expertise est indifférente à cet égard ; que le fait qu’un débat contradictoire puisse ensuite s’instaurer est inopérant tout autant à cet égard ;
Attendu qu’en tout état de cause l’ordonnance en date du 1er février 2016 rendue sur requête ne comporte aucun motif relatif à la nécessité impérative de recourir à expertise non contradictoire, sauf à devoir considérer que le risque imminent de mise en échec de la commercialisation de ces logiciels autorisait une dérogation au principe de la contradiction afin d’obtenir dans un délai rapide une expertise, alors que l’urgence n’est pas un critère suffisant pour contrevenir au principe fondamental de la contradiction ;
Attendu de surcroît que l’appelant fait valoir exactement que l’expert, dont la mission in fine était très orientée afin explicitement de recueillir des éléments à charge contre lui, aurait pu entendre les propres commentaires techniques de M. X. qui aurait pu répondre aux interrogations de l’expert ;
Attendu qu’il s’ensuit la rétractation de l’ordonnance rendue non contradictoirement et la réformation de l’ordonnance déférée ;
DÉCISION
La cour,
Infirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Rétracte l’ordonnance rendue sur requête en date du 1er février 2016 par le président du tribunal de grande instance de Grasse,
Constate la nullité du rapport d’expertise déposé le 17 février 2016 en exécution de cette ordonnance sur requête,
Condamne la SA Kappa Engineering à payer à M. X. la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
La Cour : Serge Kerraudren (président), Danielle Demont (conseiller), Lise Leroy-Gissinger (conseiller), Serge Lucas (greffier)
Avocats : Me Marie Roussel, Me Olivier Hayat, Me Laurence Levaique, Me Ilène Choukri
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