Jurisprudence : Contenus illicites
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 1ère chambre C, arrêt du 2 avril 2015
SAS JMB "Divorce discount" / Ordre des avocats au barreau de Marseille, CNB et autres
avocats - cessation - consultation - divorce - monopole - professions réglementées - rédaction d'actes - site internet - trouble manifestement illicite
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance
d’Aix-en-Provence en date du 24 décembre 2013 enregistré au répertoire général
sous le N° 13/01542.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 avril 2015,
Signé par Monsieur Serge Kerraudren, président, et Monsieur Serge Lucas, greffier
auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
*-*-*-*-*-*
EXPOSE DE L’AFFAIRE
La SAS JMB, dont le siège social se trouve à Bouc Bel air (Bouches du Rhône),
exerce l’activité de « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion » et
exploite sous le nom commercial « Divorce Discount », un site internet proposant au
public la mise en place, à bas coût, de procédures de divorce par consentement
mutuel.
Par acte d’huissier de justice en date du 29 octobre 2013, le Conseil National des
Barreaux (CNB) et l’ordre des avocats au barreau d’Aix-en-Provence ont fait assigner
la SAS JMB devant le juge des référés du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence
aux fins de la voir condamner, sur le fondement des articles 808 et 809 du
code de procédure civile, à cesser sous astreinte toute activité de démarchage,
consultation juridique et rédaction d’actes, retirer de sa documentation commerciale
toute référence à des offres de services relatives au traitement de procédures de
divorce et plus généralement à l’accomplissement d’actes de représentation et
d’assistance judiciaire, ainsi que toute mention présentant le site comme le numéro 1
du divorce en France.
L’ordre des avocats au barreau de Marseille et l’ordre des avocats au barreau de
Montpellier sont intervenus volontairement à la procédure.
Par ordonnance contradictoire en date du 24 décembre 2013, le juge des référés a
condamné la société JMB à :
-interrompre toute activité de consultation juridique et de rédaction d’actes,
-retirer de sa documentation commerciale accessible à partir de son site internet toute
référence à une offre de services relative au traitement d’une procédure de divorce et
plus généralement à l’accomplissement d’actes de représentation et d ‘assistance
judiciaire,
-faire supprimer de son site internet toute mention présentant le site internet
« Divorce Discount » comme le numéro 1 du divorce en France ou en ligne,
-le tout sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée et dans un délai de trois
jours à compter de la signification de la décision,
-faire procéder à ses frais à la publication de l’ordonnance dans deux quotidiens
nationaux au choix du CNB, dans un délai de huit jours à compter de la signification
des motifs et du dispositif de l’ordonnance, sans que le coût de chaque publication
n’excède 3 000 euros.
La SAS JMB a été condamnée à verser à chacun des demandeurs ou partie
intervenante la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de
procédure civile ainsi qu’aux dépens. Le juge a rejeté toute autre prétention.
La SAS JMB a relevé appel de cette ordonnance.
Par dernières écritures en date du 25 mars 2014, l’appelante sollicite la réformation
de cette décision et demande à la cour de :
-déclarer irrecevable l’intervention des différents ordres d’avocats qui ne justifient
pas d’un intérêt à agir distinct de celui du CNB,
-débouter le CNB de ses demandes,
-condamner les intimés au versement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de
l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle soutient que le CNB a la charge de représenter l’ensemble de la profession
d’avocat ce qui prive les ordres locaux d’intérêt à agir. Elle prétend n’effectuer
aucune rédaction d’actes et n’agir qu’en qualité d’intermédiaire entre le justiciable et
les avocats. Elle ajoute qu’aucune plainte n’a été enregistrée à ce jour.
Le Conseil National des Barreaux et l’ordre des avocats au barreau d’Aix en
Provence ont conclu le 23 mai 2014 à titre liminaire à la radiation de l’affaire du rôle
faute d’exécution de la décision entreprise.
Ils sollicitent, à défaut, la confirmation de l’ordonnance frappée d’appel et réclament
chacun la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l ‘article 700 du
code de procédure civile.
Ils rappellent que l’activité de la société JMB contrevient aux dispositions de l’article
54 alinéa 1 de la loi n° 71-1 130 du 31 décembre 1971 modifiée, ainsi qu’à l’article
16. 1. 2″ de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie
numérique. Ils indiquent que sous couvert d ‘une aide à la réalisation des formalités
administratives, la société exerce en réalité une activité de consultation juridique, de
rédaction d’actes sous seing privé et d’assistance juridique.
L’ ordre des avocats au barreau de Montpellier a signifié le 16 mai 2014 des écritures
au terme desquelles il sollicite la confirmation de l’ordonnance querellée et réclame
la somme de 2 000 euros à titre d’indemnisation de ses frais irrépétibles de procédure.
Se fondant sur les articles 17, 5″ et 66-3 de la loi n° 4071-1130 du 31 décembre 1971,
il conclut à la recevabilité de son intervention volontaire.
Par conclusions en date du 18 septembre 2014, l’ordre des avocats au barreau de
Marseille demande à la cour de déclarer son intervention recevable, de confirmer la
décision entreprise et de condamner la société JMB à lui payer la somme de 3 000
euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il fait sienne l’argumentation développée par le CNB et l’ordre des avocats au barreau
d’Aix en Provence.
Exposant qu’il ne disposait pas des pièces des parties, le ministère public a toutefois
délivré un avis tendant à la confirmation de la décision entreprise, le 03 novembre
2014.
DISCUSSION
Sur la demande de radiation du rôle
Il n’entre pas dans les pouvoirs de la cour de prononcer la radiation pour défaut
d’exécution. Cette demande devait en effet, en l’absence de conseiller de la mise en
état dans la procédure de référé, être présentée au premier président de la cour
d’appel. La demande est donc irrecevable.
Sur la recevabilité des interventions volontaires
L’article 17,5e de la loi n° 4070-1130 du 31 décembre 1971 dispose que « le conseil
de l’ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l’exercice de la
profession et de veiller à l’observation des devoirs des avocats ainsi qu’à la
protection de leurs droits. Sans préjudice des dispositions de l’article 21-1, il a pour
tâches notamment : … 5 e) de traiter toute question intéressant l’exercice de la
profession, la défense des droits des avocats et la stricte observation de leurs
devoirs. »
La loi reconnaît ainsi expressément la compétence ordinale dans la lutte contre l’exercice illégal du droit.
S’il est exact que la compétence du conseil de l’ordre dans l’exercice de la fonction
de représentation des avocats est subsidiaire à celle du Conseil National des Barreaux
lequel, en vertu de l’article 21-1 de la loi précitée, représente la profession notamment
auprès des pouvoirs publics, cette compétence n’est pas exclue du fait de
l’intervention du CNB.
Il convient de rappeler qu’en l’espèce le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau
d’Aix en Provence a alerté le procureur de la république près le tribunal de grande
instance d’Aix en Provence le 13 décembre 2012, puis à plusieurs reprises, sur ce
qu’il considérait comme un démarchage juridique prohibé se développant dans son
ressort de compétence via un site internet.
L’ordre des avocats au barreau de Marseille a pour sa part été saisi des pratiques de la
société JMB par l’un de ses membres.
Enfin, l’ordre des avocats au barreau de Montpellier démontre que Maitre Alice
Lastra de Natias a été contactée par la société JMB qui lui proposait de déposer des
requêtes et conventions de divorce préétablies et signées des parties, devant le
tribunal de grande instance de Montpellier, après avoir seulement apposé sa signature
et son tampon sur les documents.
L’ intérêt à agir de ces ordres, dont la mission est de défendre la profession dans le
ressort du tribunal de grande instance de leur siège, ne fait donc aucun doute.
La décision frappée d’appel sera en conséquence confirmée en ce qu’elle reçoit les
instances ordinales en leur intervention volontaire. Elle sera cependant complétée
dans son dispositif qui comporte une omission sur la recevabilité de ces interventions,
examinée dans les motifs.
Au fond
Les pièces au dossier et notamment le contrat de coopération, la requête et la
convention versés aux débats, ainsi que l’attestation de Madame Caroline Durand,
établissent les éléments suivants :
-le site internet géré par la SAS JMB présentait la société comme le n° 1 du divorce
en France ce qui pouvait créer dans l’esprit du public une confusion avec le titre
d’avocat,
-le site propose une prestation consistant en la gestion et le traitement d’une
procédure de divorce par consentement mutuel et la réalisation des formalités
nécessaires à l’obtention d’un divorce, sans déplacement du client ni rendez vous
avec celui-ci, à un prix très inférieur au tarif pratiqué, ce qui constitue un démarchage
public prohibé par l’article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971,
-la société traite pour le client toutes les étapes de la procédure jusqu’à l’audience,
elle perçoit une rétribution, donnant ainsi des consultations de manière habituelle et
rémunérée sans disposer de la compétence ni du titre lui permettant de le faire,
-la requête en divorce ainsi que les conventions et l’acte d’acquiescement ne sont pas
rédigés par « l’avocat partenaire» mais par la société qui les lui transmet afin qu’il y
appose son tampon et sa signature en échange d’honoraires d’un montant de 135
euros, comprenant l’obtention d’une date de rendez-vous auprès du juge aux affaires
familiales et la présence à l’audience,
-« l’avocat partenaire» ne rencontre pas les clients de la SAS avant l’audience, il ne
leur prodigue aucun conseil, le client ne cannait pas son nom avant la convocation à
l’audience et ne doit pas entrer en contact avec lui « sous peine d’annulation de la
procédure », il reçoit directement de la société l’acte notarié de liquidation du régime
matrimonial des époux.
Au vu de ces éléments, il apparaît à l’évidence que la SAS JMB contrevient aux
dispositions de l’article 54 de la loi du 3 décembre 1971 qui prévoit que « : Nul ne
peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner
des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui :
1° S’il n’est titulaire d’une licence en droit ou s’il ne justifie, à défaut, d’une
compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d’actes en matière
juridique qu’il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. »
Le trouble manifestement illicite étant donc amplement établi, la cour confirmera la
décision entreprise en toutes ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles de procédure et les dépens
Partie succombante, la SAS JMB supportera les dépens d’appel. Il est conforme à
l’équité de la condamner en outre à indemniser les intimés des frais irrépétibles qu’ils
ont exposés devant la cour d’appel. L’indemnité due en application de l’article 700 du
code de procédure civile à l’ordre des avocats au barreau d’Aix en Provence, au CNB
ainsi qu’à l’ordre des avocats au barreau de Marseille s’élèvera à la somme de 3 000
euros chacun, celle qui sera versée à l’ordre des avocats au barreau de Montpellier à
la somme de 2 000 euros.
DECISION
La cour,
Déclare irrecevable la demande de radiation de l’affaire du rôle,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions et la complétant,
Déclare recevables les interventions volontaires de l’ordre des avocats au barreau de
Marseille et de l’ordre des avocats au barreau de Montpellier,
Condamne la SAS JMB à payer à l’ordre des avocats au barreau d’Aix en Provence,
au Conseil National des Barreaux ainsi qu’à l’ordre des avocats au barreau de
Marseille la somme de 3 000 euros chacun et à l’ordre des avocats au barreau de
Montpellier celle de 2 000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure
civile,
Condamne la SAS JMB aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux
dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Cour : Serge Kerraudren (président), Laure Bourrel (conseiller), Dominique Klotz, conseiller, Serge Lucas (greffier)
Avocats : Me Christophe Pinel, Me Philippe Amram, Me Catherine Guillemain, Me Odile Belinga
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.