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Jurisprudence : Jurisprudences

vendredi 16 juin 2017
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Cour de cassation, civile, ch. cciale, arrêt du 24 mai 2017

M. X. / IBM

commercialisation - description - marque - usage de la marque

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 2 octobre 2015), que M. X., propriétaire de la marque verbale « Translations », enregistrée le 27 février 1987 et renouvelée depuis, pour désigner des « matériel d’instruction et d’enseignement, cabinet de traduction, d’analyse et de synthèse », ainsi que la société Translations, dont il est le fondateur et qui exerce des activités de traduction et d’analyse, ont, en 1999, conclu avec la société IBM France une transaction par laquelle cette dernière s’interdisait de faire usage, en relation avec un logiciel de traduction, d’éducation ou en rapport avec l’information périodique, d’une dénomination comportant les mots Translation ou Translations et renonçait à ses deux marques communautaires « Translation » et « Translation Manager » sur le territoire français ; que, soutenant que la société IBM France avait manqué au respect de cette convention en utilisant l’expression « WebSphere Translation Server » pour désigner un logiciel de traduction, M. X. et la société Translations l’ont assignée en cessation de cet usage et en indemnisation de leur préjudice ;

Attendu que la société IBM France fait grief à l’arrêt de dire qu’elle a violé les dispositions de la transaction, de lui ordonner, ainsi qu’à ses sociétés apparentées, de ne plus faire usage sur le territoire de la France d’une dénomination comportant les mots Translation ou Translations en relation avec un logiciel de traduction d’éducation ou en rapport avec l’information périodique, et de prononcer diverses condamnations à son encontre alors, selon le moyen :

1°/ que le caractère générique ou usuel d’un terme utilisé à titre de marque s’apprécie en prenant en compte son sens dans le langage courant ou professionnel, selon le public visé par la marque ; que lorsqu’un mot anglais est devenu d’usage courant dans la langue française, il y est nécessairement devenu générique dans la signification qu’il revêt en langue anglaise ; qu’en l’espèce, elle faisait valoir que le terme translation était usuellement compris et usité par les professionnels de la traduction et les consommateurs français comme signifiant traduction ; que le mot translation, dans son sens en langue anglaise, constitue un terme descriptif qu’est contraint d’utiliser quiconque commercialise en Europe et dans le monde entier, comme la société IBM, des logiciels de traduction ; que la cour d’appel, pour écarter le moyen tiré de la nullité de la marque et de la transaction, comme faisant interdiction à IBM d’utiliser un terme purement générique, énonce que « le mot translation est un mot anglais qui signifie en français traduction mais qui a une autre signification lorsqu’on l’utilise en français ; il n’est donc pas descriptif en France de l’activité de traduction et n’est pas un terme utilisé dans le langage usuel » ; qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel, qui a apprécié le caractère descriptif ou non du terme litigieux, en prenant en considération la signification française du mot translation, lequel signifie « action de transférer », quand il lui appartenait de prendre en considération le sens qui est attribué à ce terme dans le langage courant ou professionnel par le public visé par la marque, pour lequel le vocable « translation », lorsqu’il est appliqué à un logiciel de traduction, a pour sens « traduction », a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, 1129 et 1134 du code civil, ensemble les articles 711-2 et 714-3 du code de la propriété Intellectuelle ;

2°/ qu’à peine de nullité de la transaction les parties à celle-ci doivent se consentir des concessions qui soient interdépendantes entre elles, ce qui implique que les concessions consenties par l’une des parties soient proportionnées à celles consenties par l’autre ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui s’abstient de rechercher si remplissaient ces conditions les concessions consenties par la société IBM, lesquelles conduisaient celle-ci à renoncer à toute utilisation, pour la commercialisation de ses logiciels de traduction, du vocable « translation », quelle que soit la dénomination susceptible de comporter ces mots, quand bien même ceux-ci auraient été utilisés dans un ensemble complexe, dans des conditions de nature à exclure tout risque de confusion avec la marque déposée par la société Translations, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2044 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant relevé que M. X. et la société Translations s’étaient, en contrepartie des engagements pris par la société IBM France, désistés de l’instance en contrefaçon de marques qu’ils avaient intentée contre elle et avaient renoncé à toute action fondée sur l’atteinte à leurs droits, tels que définis dans le cadre de la transaction, que la transaction ne porte pas sur la commercialisation de logiciels, mais tend seulement à interdire d’y procéder sous les termes indiqués, qu’il n’est pas interdit à la société IBM France de décrire les fonctions du logiciel et que le fait qu’elle soit contrainte de procéder à certains aménagements dans la commercialisation de son logiciel en France n’est pas de nature à fausser le jeu de la concurrence entre Etats membres, la cour d’appel s’est livrée à la recherche prétendument omise pour en déduire souverainement l’existence de concessions réciproques, dont elle n’était pas tenue d’apprécier l’équivalence ;

Et attendu, en second lieu, que, n’étant pas saisie d’une demande d’annulation de la marque « Translations », mais de l’appréciation d’un manquement à une transaction dont l’objet était de régler les obligations des parties quant à l’utilisation d’un terme verbal, serait-il usuel, la cour d’appel, qui a constaté que les concessions consenties par la société IBM France l’obligeaient seulement à procéder à certains aménagements de son logiciel pour sa commercialisation en France, a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, n’est pas fondé en sa seconde branche ;

DÉCISION

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société IBM France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X. et à la société Translations la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société IBM France.

Il est fait grief à l’arrêt attaque d’AVOIR jugé la transaction du 25 janvier 1999 opposable aux parties dans le cadre du présent litige ; dit que la transaction du 25 janvier 1999 a l’autorité de la chose jugée ; d’AVOIR dit que la SAS Compagnie IBM France a violé les dispositions de la transaction intervenue entre les parties le 25 janvier 1999 et ordonné à cette compagnie et à ses sociétés apparentées de ne plus faire usage sur le territoire de la France d’une dénomination comportant les mots Translation ou Translations en relation avec un logiciel de traduction d’éducation ou en rapport avec l’information périodique, sous astreinte à partager pour moitié entre Monsieur Antoine X. et la Sarl Translation de 500 euros par jour de retard à compter du 30ème jour à compter de la signification de l’arrêt ; d’AVOIR condamné la SAS Compagnie IBM France à payer à la société Translations et à Monsieur X. la somme de 15.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS QUE : « la société IBM fait valoir que l’accord conclu en 1999 ne contient aucune clause de durée, alors que les engagements perpétuels sont prohibés, que l’objet du contrat n’est ni déterminé ni déterminable, que l’objet du contrat et les engagements qu’il comporte sont illicites, ce que conteste les intimés ; que par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, le tribunal a précisé que le document intitulé « transaction » du 25 janvier 1999 fait référence à l’article 2052 du code civil et rappelle l’autorité de la chose jugée que revêt la transaction aux termes de laquelle la société IBM « s’engage à ne plus faire usage, dans les six mois suivant la signature de la présente Transaction par toutes les parties et sur le territoire de la France, en relation avec un logiciel de traduction, d’éducation ou en rapport avec l’information périodique d’une dénomination comportant les mots Translation ou Translations et a renoncé aux deux marques communautaires Translation et Translation Manager qu’elle a déposées » ; en contrepartie, les intimés se sont désistés de l’instance en cours devant le tribunal de grande instance de Paris et ont renoncé à toute action fondée sur l’atteinte à leurs droits tels que définis dans le cadre de la transaction, en conséquence, des concessions réciproques ont été consenties par les parties ; que l’objet de la transaction est déterminé et limité géographiquement en ce que l’engagement de ne plus faire usage du terme Translation ou Translations s’applique à un logiciel de traduction, d’éducation ou en lien avec une information périodique sur le territoire français. L’engagement ne peut être considéré comme perpétuel puisque nécessitant le renouvellement des droits sur les signes, objet du litige et peut cesser de s’appliquer en cas de non usage ou d’abandon de la marque ; que cette interdiction non limitée dans le temps n’est pas prohibée dans la mesure où elle ne porte pas atteinte à la concurrence ; l’interdiction ne porte pas sur la commercialisation de logiciels par la société IBM mais sur leur dénomination par les termes Translation ou Translations ; les parties étaient fondées à limiter le droit d’utilisation d’un terme par l’une d’elle afin de protéger les droits de propriété intellectuelle de l’autre partie. La transaction ne fait obstacle à la commercialisation par la société IBM de son logiciel WebSphere mais sous la dénomination comportant le mot translation. La transaction qui a pour objet d’interdire la désignation d’un produit par un signe, alors que les accords servant à délimiter, dans l’intérêt réciproque des parties, les sphères d’utilisation respectives de leurs marques en vue d’éviter des confusions ou des conflits sont admis n’a pas pour conséquence de restreindre l’accès au marché de la traduction au Groupe IBM sur le territoire français puisqu’elle tend seulement à ce qu’il soit commercialisé sous une autre appellation ; qu’il ne peut être déduit de la transaction qu’elle était limitée à la renonciation par la société IBM aux deux marques communautaires Translation et Translation Manager qu’elle a déposées ; en effet, outre que la société IBM s’engage à l’article 3 de la transaction à ne plus faire usage du terme Translation ou Translations en rapport avec un logiciel de traduction, d’éducation ou une information périodique, cette disposition doit être complétée par l’article 11 de la transaction qui énonce « Ainsi, IRA/I s’engage à ne plus commercialiser en France, à compter du 1er avril 1999, sous une dénomination comportant les mots Translation ou Translations, de logiciels de traduction, d’éducation ou en rapport avec l’information périodique ». La société IBM s’engage non seulement dans le cadre de la procédure ayant conduit à la signature de la transaction mais également pour l’avenir ; que le mot translation est un mot anglais qui signifie en français traduction mais qui a une autre signification lorsqu’on l’utilise en français ; il n’est donc pas descriptif en France de l’activité de traduction et n’est pas un terme utilisé dans le langage usuel ; qu’il sera fait observer qu’en signant cette transaction, la société IBM est irrecevable à contester l’utilisation de la marque Translation par Monsieur X. et la société Translations sur le fondement du code de la propriété intellectuelle et ses arguments à ce titre sont donc inopérants ; que la société IBM allègue que l’accord a pour conséquence au sens de l’article 101§1 du TFUE de restreindre le jeu de la concurrence entre Etats -membres et doit être annulé ; que la transaction trouve à s’appliquer sur le seul territoire français et ne présente aucune disposition relative à la commercialisation des logiciels mais à leur seule dénomination ; il ne peut être retenu comme le soutient la société IBM que s’agissant de logiciels de traduction, l’interdiction d’utiliser le nom translation ne lui permet pas d’expliquer les fonctions du logiciel ; en l’espèce, la société IBM a dénommé son logiciel « WebSphere Translation Server Ar Multiplaffierns » ce qui n’est pas autorisé au vu de la transaction ; il ne lui est pas interdit de décrire les fonctions du logiciel, étant précisé qu’en France, la langue utilisée est le français ; le fait que la société IBM soit contrainte à certains aménagements dans la commercialisation de son logiciel en France n’est pas de nature à fausser le jeu de la concurrence entre états membres. Comme le relèvent la société Translations et M. X., la transaction n’a pas pour objet de limiter la production ou les ventes, ni de se répartir des marchés ou des clients mais de protéger un intérêt inhérent à une marque ; que les intimés justifient qu’ils ont pris connaissance le 12 février 2010 lors de la présentation de ses logiciels par la société IBM de l’appellation de l’un de l’un d’eux « WebSphere Translation Server for Multiplatforms » ; par courriers des 7 et 25 février 2011, la société IBM a précisé qu’elle cessait toute utilisation du signe Translation et qu’elle en justifierait auprès d’elle. Néanmoins, par courrier du 30 mars 2011, la société IBM indiquait à la société Translations qu’elle utilisait le terme dans son sens courant et descriptif du produit et que cela ne constituait pas un acte de contrefaçon ; que la société Translations et M. X. établissent par procès-verbal de constat en date du 11 février 2011et du 29 juillet 2013 que la société IBM continue à dénommer son logiciel sous l’appellation « WebSphere Translation Serverfor Multiplatforms ». Sur Google, lorsque l’huissier de justice tape « IBM translation » apparaissent le nom du logiciel et son objet décrit en français ; que la société IBM produit deux constats d’huissier en date du 11 octobre 2011 et 21 août 2013 démontrant que sur le site d’IBM, en recherchant le mot produit puis logiciels la présentation en français du logiciel WebSphere et des produits WebSphere ne comporte aucune utilisation des termes Translation ou Translations. Ces constats d’huissier contredits pas ceux versés par les intimés sont insuffisants pour établir une absence d’utilisation continue du terme translation (s) de 2011 à 2013 ; que l’usage de ce signe en France malgré les termes de la transaction a perduré pendant plus de trois ans pour désigner une solution logicielle de traduction au vu des constats d’huissier produits par les intimés. L’atteinte ainsi portée aux droits de la société Translations et à M. X. qui a créé la société Translations pour exercer les activités de traduction, analyse et synthèse leur cause un préjudice qui sera indemnisée par l’allocation de la somme de 15.000E chacun ; que le préjudice des intimés est ainsi justement indemnisé sans qu’il y ait lieu de faire droit aux demandes de publication de la décision. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné à la SAS COMPAGNIE IBM FRANCE et ses Sociétés Apparentées de ne plus faire usage, sur le territoire de la France, d’une dénomination comportant les mots Translation ou Translations, en relation avec un logiciel de traduction, d’éducation ou en rapport avec l’information périodique, sous astreinte à partager pour moitié entre Monsieur Antoine X. et la Sarl Translations de 500E par jour de retard à compter du 30ème jour suivant le jour de la signification de la présente décision et pour une période ne pouvant excéder 30 jours sauf à préciser que l’astreinte courra à compter de la signification de l’arrêt ; qu’il y a lieu de condamner la société IBM à verser aux intimés la somme de 5.000E chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile ; l’appelante sera déboutée de sa demande ce chef. » ;

1°) ALORS QUE le caractère générique ou usuel d’un terme utilisé à titre de marque s’apprécie en prenant en compte son sens dans le langage courant ou professionnel, selon le public visé par la marque ; que lorsqu’un mot anglais est devenu d’usage courant dans la langue française, il y est nécessairement devenu générique dans la signification qu’il revêt en langue anglaise ; qu’en l’espèce, la société IBM faisait valoir que le terme translation était usuellement compris et usité par les professionnels de la traduction et les consommateurs français comme signifiant traduction ; que le mot translation, dans son sens en langue anglaise, constitue un terme descriptif qu’est contraint d’utiliser quiconque commercialise en Europe et dans le monde entier, comme la société IBM, des logiciels de traduction ; que la cour d’appel, pour écarter le moyen tiré de la nullité de la marque et de la transaction, comme faisant interdiction à IBM d’utiliser un terme purement générique, énonce que « le mot translation est un mot anglais qui signifie en français traduction mais qui a une autre signification lorsqu’on l’utilise en français ; il n’est donc pas descriptif en France de l’activité de traduction et n’est pas un terme utilisé dans le langage usuel » ; qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel, qui a apprécié le caractère descriptif ou non du terme litigieux, en prenant en considération la signification française du mot translation, lequel signifie « action de transférer », quand il lui appartenait de prendre en considération le sens qui est attribué à ce terme dans le langage courant ou professionnel par le public visé par la marque, pour lequel le vocable « translation », lorsqu’il est appliqué à un logiciel de traduction, a pour sens « traduction », a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, 1129 et 1134 du Code civil, ensemble les articles 711-2 et 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

2°) ALORS QU’à peine de nullité de la transaction les parties à celle-ci doivent se consentir des concessions qui soient interdépendantes entre elles, ce qui implique que les concessions consenties par l’une des parties soient proportionnées à celles consenties par l’autre ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui s’abstient de rechercher si remplissaient ces conditions les concessions consenties par la société IBM, lesquelles conduisaient celle-ci à renoncer à toute utilisation, pour la commercialisation de ses logiciels de traduction, du vocable « translation », quelle que soit la dénomination susceptible de comporter ces mots, quand bien même ceux-ci auraient été utilisés dans un ensemble complexe, dans des conditions de nature à exclure tout risque de confusion avec la marque déposée par la société Translation, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2044 du Code Civil.


La Cour :
Mme Mouillard (président)

Avocats : SCP Célice Soltner Texidor et Périer, SCP de Chaisemartin et Courjon

Source : legifrance.gouv.fr

 
 

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