Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal de commerce de Paris, 16ème ch., jugement du 23 novembre 2018
LINAGORA et autres / Messieurs Y. et Z.
acte de concurrence déloyale - actionnaire - clause de non-concurrence - création de société - démission - dirigeant - faute - garantie d’éviction - licéité - logiciel open source
M. Y. et M. Z. ont créé en 1997 la société Aliasource devenue une des principales sociétés françaises spécialisées dans l’édition et l’intégration de solutions « Open Source » ; elle disposait de deux centres de formation, à Toulouse et à Paris. En juin 2007, Aliasource est rachetée par Linagora, créée en 2000 sur le même marché.
De juin 2007 au premier semestre 2010, M. Y. et M. Z. ont conservé des responsabilités de salariés dans le nouveau groupe, au sein de Linagora GSO, agence toulousaine du groupe et ancienne société Aliasource. Les divergences de vue étant de plus en plus marquées avec la direction du groupe, M. Z. démissionnait le 22 avril 2010, quittait la société le 29 juillet 2010 et vendait à Linagora ses actions Linagora le 17 mai 2011 ; M.Y. démissionnait le 10 mal2010 et vendait à Linagora ses actions le 17 mai 2011.
Les deux dirigeants étaient soumis à une clause de non-concurrence d’un an après leur départ de Linagora. M.Y. a créé une société unipersonnelle Blue Mind à Toulouse le 12 octobre 2010, société que rejoignait M. Z. en octobre 2011.
Estimant que M. Y. et M. Z. n’avaient pas respecté leurs engagements pris dans le protocole d’acquisition d’actions conclu le 14 mal 2007, Linagora Introduit la présente instance.
LA PROCÉDURE
Par acte du 24 décembre 2013, Linagora assigne M. Y. et M. Z.
Par cet acte, ils demandent au tribunal de :
– Interdire aux défendeurs de poursuivre leurs agissements causant un trouble à la jouissance paisible par la société Linagora des droits sociaux qu’elle a acquis dans la société Aliasource devenue Linagora GSO et ce sous astreinte provisoire de 10 000 euros par Infraction constatée,
– Condamner M. Y. à verser à Linagora la somme de 710 470 euros au titre de la restitution du prix/valeur des droits sociaux cédés et apportés,
– Condamner M. Z. à verser à Linagora la somme de 355 719 euros au titre de fa restitution du prix/valeur des droits sociaux cédés et apportés,
– Condamner in solidum M. Y. et M. Z. à verser à Linagora la somme de 2 500 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de leurs agissements,
– Dire que le tribunal se réserve le pouvoir de liquider les astreintes prononcées,
– Ordonner, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication de l’intégralité du dispositif du jugement à intervenir, ainsi que d’extraits de la motivation de ce jugement qui seront choisis par la société Linagora dans cinq journaux ou publications au choix de la société Linagora et aux frais avancés supportés par M. Y. et M. Z. sur simple présentation des devis justificatifs,sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder 8 000 euros HT, soit la somme de 40 000 euros HT,
– En tout état de cause,condamner in solidum M. Y. et M. Z. à verser à la société Linagora la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 CPC,
– Condamner in solidum M. Y. et M. Z. aux entiers dépens,
– Ordonner l’exécution provisoire du présent jugement,
Par jugement du 17 octobre 2014, le tribunal de céans a rejeté l’exception d’incompétence territoriale formée par M. Y. et M. Z. aux audiences des 3 avril et 4 septembre 2014. Les défendeurs ont formé contredit à l’encontre de ce jugement et formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour qui avait confirmé le jugement de première instance.
Par jugement du 30 octobre 2015, le tribunal de céans a débouté M. Y. et M. Z. de leur demande de sursis à statuer formée le 16 avril 2015 dans l’attente de l’arrêt de la cour de Cassation. Celui-ci a été rendu le 6 décembre 2016 et a confirmé la compétence du tribunal de céans.
Aux audiences des 12 novembre 2015, 29 septembre 2016 et 24 mai 2018, M. Y. et M. Z. demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs prétentions de :
– A titre principal, DIRE ET JUGER irrecevable l’intervention volontaire de la société Linagora Grand Sud Ouest,
– En tout état de cause DEBOUTER la société Linagora, la société Linagora Grand Sud Ouest, la société Linagora Investissements et Monsieur X. de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de Monsieur Z. et Monsieur Y.,
– A titre subsidiaire, sur le préjudice, CONSTATER l’absence de préjudice de la société Linagora, de la société Linagora Grand Sud Ouest, de la société Linagora Investissements et de Monsieur X.,
– RAMENER à titre infiniment subsidiaire le préjudice aux conséquences économiques négatives effectivement subies par la société Linagora, la société Linagora Grand Sud Ouest, la société Linagora Investissements et Monsieur X.,
– A titre reconventionnel : DIRE ET JUGER que la société Linagora, la société Linagora Grand Sud Ouest, la société Linagora Investissements et Monsieur X. ont abusé de leur droit d’agir en justice,
– En conséquence, CONDAMNER la société Linagora, la société Linagora Grand Sud Ouest, la société Linagora Investissements et Monsieur X. à verser à Monsieur Z. et Monsieur Y. la somme de 20.000 euros chacun en réparation du préjudice résultant de la présente procédure abusive,
– En toute hypothèse : CONDAMNER la société Linagora, la société Linagora Grand Sud Ouest, la société Linagora Investissements et Monsieur X. payer à Monsieur Z. et Monsieur Y. la somme de 40.000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
Aux audiences des 17 mars 2016 et 15 février 2018, Linagora, Linagora GSO, Linagora Investissements et M. X. (ci-dessous les Demandeurs) demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs prétentions, de :
– A TITRE PRINCIPAL, DECLARER les sociétés Linagora Grand Sud Ouest, Linagora Investissements et Monsieur X. recevables et bien fondés en leurs interventions volontaires et en leurs demandes,
– DIRE ET JUGER que Messieurs Y. et Z. ont gravement violé leur obligation légale de garantie d’éviction en raison de leur fait personnel,
– DIRE ET JUGER que Messieurs Y. et Z. ont gravement manqué à leurs obligations contractuelles de non-concurrence, non rétablissement, non débauchage et non sollicitation stipulées par le pacte d’actionnaires de la société Linagora,
– DIRE ET JUGER que les sociétés Linagora et Linagora Grand Sud Ouest, Linagora Investissements et Monsieur X. sont bien fondés en leurs demandes de réparation des préjudices subis du fait des agissements de Messieurs Y. et Z.,
– En conséquence, INTERDIRE à Messieurs Y. et Z. de poursuivre leurs agissements causant un trouble à la jouissance paisible par la société Linagora des droits sociaux qu’elle a acquis dans la société Aliasource devenue Linagora GSO, et ce sous une astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement à intervenir,
– CONDAMNER Monsieur Y. à verser à la société Linagora la somme de 270 304 euros, au titre de la restitution partielle du prix de cession des actions d’Aliasource et des compléments de prix,
– CONDAMNER Monsieur Z. à verser à la société Linagora la somme de 135 437 euros, au titre de la restitution partielle du prix de cession des actions d’Aliasource et des compléments de prix,
– CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z. à verser à la société Linagora fa somme de 1 725 000 euros,à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre du gain manqué présent et futur issu de la perte de bénéfices distribués par Aliasource devenue Linagora GSO,
– CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z. à verser aux sociétés Linagora, Linagora Investissements et à Monsieur X. la somme de 458 640 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait des manquements graves à leurs obligations contractuelles de non-concurrence en qualité d' »hommes clés » et à leur devoir général de loyauté, de fidélité et d’information en leur qualité d’actionnaires dirigeants « hommes clés »,
– CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z.,au titre de leur responsabilité extracontractuelle (délictuelle),à verser à la société Linagora Grand Sud Ouest la somme de 405 740 euros, à titre de dommages et Intérêts en réparation du préjudice subi résultant du gain manqué et la perte de chance du fait du détournement de la clientèle de cette société,
– CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z.,au titre de leur responsabilité extracontractuelle (délictuelle) à verser à la société Linagora Grand Sud Ouest la somme de 250 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et du préjudice d’image résultant du dénigrement du logiciel OBM propriété exclusive de cette société,
– CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z.,au titre de leur responsabilité extracontractuelle (délictuelle) verser à la société Linagora Grand Sud Ouest la somme de 672 639 euros, à titre de réparation du préjudice subi résultant des dépenses d’investissement perdu par la captation parasitaire du savoir-faire de cette société,
– CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z., au titre de leur responsabilité extracontractuelle (délictuelle) à verser à la société Linagora Grand Sud Ouest la somme de 76 000 euros, à titre de dommages et Intérêts en réparation du préjudice subi résultant du coût des recrutements dus au débauchage des salariés de cette société,
– DIRE que le tribunal se réserve le pouvoir le liquider les astreintes prononcées,
– ORDONNER, à titre de complément de dommages et intérêts la publication de l’intégralité du dispositif du jugement à intervenir, ainsi que d’extraits de la motivation de ce jugement qui seront choisis par les demandeurs, dans cinq journaux ou publications de leur choix et aux frais avancés supportés par Messieurs Y. et Z. sur simple présentation des devis justificatifs, sans que le coût de chaque Insertion ne puisse excéder la somme de 8 000,00 euros H.T., soit la somme totale de 40 000,00 euros HT,
EN TOUT ETAT DE CAUSE, CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z. à verser aux sociétés Linagora et Linagora Grand Sud la somme de 150 000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– CONDAMNER in solidum Messieurs Y. et Z. aux entiers dépens,
– ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à Intervenir,
L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt d’écritures ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure.
A l’audience du 20 septembre 2018, à laquelle les parties sont convoquées, les demandeurs sollicitent, à titre subsidiaire, une mesure d’expertise en matière financière afin d’évaluer les préjudices subis du fait des fautes de M. Y. et M. Z. Cette demande a été débattue contradictoirement à l’audience et confirmée, sur requête du tribunal, par une note en délibéré produite le 25 septembre 2018 par les Demandeurs. M. Y. et M. Z. ont répondu par note en délibéré du 1er octobre 2018, confirmant leur opposition à cette demande. Après avoir entendu les parties en leurs explications et observations, le juge chargé d’instruire l’affaire clôt les débats, met l’affaire en délibéré et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 9 novembre 2016, date reportée au 23 novembre 2018, ce dont les parties ont été avisées en application de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile. Conformément à l’article 871 du code de procédure civile,le juge chargé d’instruire rend compte au tribunal dans son délibéré.
MOYENS DES PARTIES
Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties dans leurs écritures,le tribunal les résumera succinctement de la manière suivante :
Linagora, Linagora GSO, Linagora Investissements et M. X., demandeurs, soutiennent que :
– M. Y. et M. Z. ont commis des fautes en violant la garantie d’éviction due au titre du Protocole d’acquisition et leurs obligations d’actionnaires « hommes-clés » aux termes du même protocole,
– En premier lieu, M. Y. et M. Z. ont agi de sorte à priver les Demandeurs du bénéfice économique de leur acquisition en portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle afférents au logiciel OBM, actif essentiel de la société Aliasource, et surtout en commettant des actes déloyaux et illicites de captation de la clientèle de la société, de dénigrement du logiciel OBM, et de débauchage des salariés de Linagora GSO,soit directement soit par l’intermédiaire de la société qu’ils ont créée, Blue Mind,
– A ce titre, les Demandeurs sollicitent la restitution à Linagora d’une partie du prix de cession de leurs actions, selon les termes de l’article 1630 du code civil, et se basent sur une évaluation du chiffre d’affaires perdu du fait du détournement de clientèle opéré par M. Y. et M. Z., de la perte de bénéfices et du gain manqué de bénéfices distribuables par Linagora GSO à Linagora,
– Estimant que linagora GSO a également subi du fait des fautes délictuelles de M. Y. et M. Z. des préjudices, ils demandent des dommages intérêts à son profit au titre du gain manqué et de la perte de chance du fait du détournement de la clientèle, du préjudice moral et d’image subi, des dépenses d’investissement perdues par la captation du savoir-faire et du coût des recrutements dus aux débauchages de salariés,
– En deuxième lieu, les Demandeurs considèrent que M. Y. et M. Z., hommes-clés, ont violé leurs obligations d’actionnaires de non-concurrence et de loyauté et de fidélité, prévues au Pacte d’actionnaires du 21 décembre 2005 et à son avenant,
– A ce titre, Linagora, Linagora Investissements et M. X. réclament le montant de la valorisation de la clause de non-concurrence,calculée par rapport au prix de cession des titres consenti à M. Y. et M. Z., et Linagora GSO, des dommages-intérêts au titre des préjudices extracontractuels que lui a causé la violation par M. Y. et M. Z. de leur obligation de non-concurrence,
M. Y. et M. Z., défendeurs, répliquent que :
– L’intervention volontaire de Linagora GSO est irrecevable, celle-ci n’étant partie ni à l’acte de cession,ni au Pacte d’actionnaires,ne justifie nullement de son droit à agir ; elle ne démontre pas avoir subi,du fait de l’éviction de Linagora,des préjudices propres indépendants de ceux allégués par Linagora,
– La garantie d’éviction en ce qui concerne la société cédée, Linagora GSO, ne trouve pas à s’appliquer en la matière, car elle n’entraîne pas pour le vendeur l’interdiction de se rétablir sauf si ce rétablissement a pour effet d’empêcher le cessionnaire de poursuivre l’activité économique de la société et d’en réaliser l’objet social, et la création par M. Y. de la société Blue Mind n’a pas empêché le développement de Linagora GSO, Linagora ne démontre ainsi pas l’éviction dont elle serait victime,
– Aucun trouble de jouissance ne peut être invoqué à l’encontre des défendeurs pour le logiciel OBM, les chiffres publiés par Linagora et Linagora GSO, en l’absence de communication de leurs bilans, faisant état de la progression du nombre d’utilisateurs du logiciel OBM et du fait que la société Aliasource était, au moment où elle a été
cédée, essentiellement une société de prestations Informatiques et non une société éditrice de logiciels,
– Les Demandeurs ne démontrent pas qu’il y ait eu démarchage et détournement de clientèle de Linagora GSO par le fait personnel de M. Y. et M. Z. et se refusent à produire le Grand livre clients de Linagora GSO à l’appui de
leurs affirmations,
– Les Demandeurs ne sauraient invoquer la captation parasitaire du savoir-faire Intellectuel et Industriel et des investissements de Linagora dans Linagora GSO, la garantie d’éviction ne couvrant que la société cédée, Linagora GSO. Par ailleurs, il n’est pas démontré que Linagora et Linagora GSO ait fait usage de savoir-faire confidentiels acquis auprès de Linagora GSO durant fa période durant laquelle ils ont été salariés pour développer Blue Mind,
– Les débauchages de salariés Invoqués par les Demandeurs ne sont pas prouvés : sur les 43 départs enregistrés par linagora GSO entre 2009 et 2013, seuls 7 salariés ont rejoint la société Blue Mind et ceci seulement entre 14 et 28 mois après leurs démissions,
– Les préjudices dont se prévalent Linagora et Linagora GSO sont totalement infondés et se basent sur un rapport non contradictoire produit par M. X. relatif au litige en contrefaçon qui oppose Linagora à Blue Mind devant un autre tribunal, et ne saurait évaluer les éventuels préjudices causés par M. Y. et M. Z., les défendeurs contestent la méthode de calcul de la valorisation du prix de cession au titre du prix Initial et des compléments de prix pratiquée par Linagora et Linagora GSO et soutiennent que l’accord transactionnel conclu entre les parties en 2009 a mis fin définitivement à toute remise en cause du prix de cession,
– Ils réfutent l’argumentation des Demandeurs sur la perte éprouvée et le gain manqué de bénéfices distribuables, soutenant que la diminution d’activité de Linagora GSO dépend de multiples facteurs, crise économique, départ de collaborateurs et éventuellement concurrence déployée par la société Blue Mind, mais ne peut être attribuée à M. Y. et à M. Z., personnes physiques,
– M. Y. et M. Z. soutiennent ne pas avoir violé le pacte d’actionnaires, signé au moment de la cession,la clause de non-concurrence figurant à l’article 13 du Pacte d’actionnaires ne s’appliquant pas à M. Z., qui n’a jamais eu la qualité d’homme-clé et étant nulle car mal délimitée géographiquement et ne bénéficiant d’aucune contrepartie financière,
– Ils n’ont pas non plus violé leur obligation de loyauté et de fidélité, n’ayant commis aucun acte de concurrence déloyale et la société Blue Mind, créée par.M. Y. n’ayant pas exercé d’activités concurrentes à celles de Linagora et Linagora GSO tant que les défendeurs étaient actionnaires de Linagora,
– Ils contestent également qu’il y ait eu, au titre de ces prétendues violations, le moindre préjudice pour Linagora et Linagora GSO, les défendeurs n’ayant pas reçu pour la cession de leurs titres un prix supérieur à celui reçu par les actionnaires financiers,
– Ils soutiennent qu’il y a procédure abusive de la part des Demandeurs,
DISCUSSION
Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de Linagora GSO
Attendu que par conclusions du 17 mars 2016, Linagora GSO est intervenue volontairement à la procédure engagée le 24 décembre 2013 par Linagora, s’associant aux demandes de celle-ci,
Attendu que M. Y. et M. Z. soutiennent que cette Intervention tardive est irrecevable car Linagora GSO ne justifie d’aucun Intérêt à agir,n’étant pas partie au contrat de cession des titres, ni au pacte d’actionnaires et les prétentions des Demandeurs reposant essentiellement sur la violation des obligations contractuelles de M. Y. et de M. Z.,
Mais attendu que dans leurs dernières conclusions les Demandeurs font également reproche aux défendeurs d’avoir engagé leur responsabilité délictuelle envers Linagora et Linagora GSO et d’avoir ainsi causé à Linagora GSO des préjudices, distincts de ceux subis par Linagora, et qu’ainsi le tribunal estime nécessaire, avant de les écarter,d’examiner ces griefs et leurs fondements,
Le tribunal dira recevable l’intervention volontaire de Linagora GSO,
Sur la violation par M. Y. et M. Z. de la garantie d’éviction
Attendu que l’article 1626 du code civil dispose que « Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente »,
Attendu qu’il est établi que le protocole d’acquisition des actions de la société Aliasource signé le 14 mai 2007 ne contient aucune garantie d’éviction, mais que les Demandeurs soutiennent que M. Y. et M. Z. ont violé la garantie d’éviction prévue à l’article 1626 du code civil en interdisant à Linagora de jouir de la possession paisible de la chose
vendue. Ils soutiennent à cet égard que M. Y. et M. Z. ont démarché et détourné la clientèle de Linagora GSO, dénigré le logiciel OBM, capté parasitairement le savoir-faire intellectuel et industriel ainsi que les investissements de Linagora dans Linagora GSO, se sont approprié illicitement la technologie cédée à Linagora, ont débauché des salariés de Linagora GSO, désorganisé Linagora GSO et créé une société concurrente, Blue Mind, toutes activités qui ont créé préjudices aux Demandeurs,
Attendu qu’il est constant que la garantie d’éviction n’entraîne pas pour le vendeur l’interdiction de se rétablir sauf si ce rétablissement a pour effet d’empêcher le cessionnaire de poursuivre l’activité économique de la société et d’en réaliser l’objet social et que la charge de la preuve en incombe au cessionnaire,
Attendu que Linagora a continué à bénéficier de l’activité économique de Linagora GSO jusqu’à aujourd’hui, société dont l’activité principale est la prestation de services informatiques, et que son objet social demeure le même,
Attendu que Linagora, en ne fournissant au tribunal aucun élément comptable ou financier de Linagora et Linagora GSO (bilan, compte de résultat, rapport de gestion, rapport des commissaires aux comptes) sur la période sensible de 2007 à 2014, et ce malgré les sommations dont elle a fait l’objet, ne permet pas au tribunal d’apprécier la réalité du trouble économique qu’elle allègue,
Attendu que Linagora n’a pas fourni le grand livre client de Linagora GSO, attendu que Linagora ne démontre pas, preuves à l’appui, que les clients qui auraient été clients de Linagora GSO soient devenus clients de Blue Mind pour des activités semblables du fait des agissements personnels de M. Y. et M. Z., entretenant au contraire la confusion entre les clients de Linagora et ceux de Linagora GSO,
Attendu que la garantie d’éviction ne joue que relativement aux parts sociales de Linagora GSO et qu’ainsi la responsabilité personnelle de M. Y. et de M. Z. ne peut être engagée en ce qui concerne le dénigrement du logiciel OBM et de la société Linagora,
Attendu que le savoir-faire intellectuel, technique et commercial de Linagora et les investissements faits par Linagora dans Linagora GSO ne font pas partie de la garantie d’éviction quine concerne que les éléments cédés par M. Y. et M. Z. et donc seulement Linagora GSO,
Attendu que Linagora soutient que M. Y. et M. Z. auraient procédé au débauchage de l’équipe-clé de Linagora GSO, portant ainsi atteinte au savoir-faire de Linagora GSO,
Attendu qu’entre 2009 et 2013, 53 salariés ont démissionné de Linagora GSO, que la totalité de ces départs ne saurait être imputée à l’action personnelle de M. Y. et de M. Z., d’autant plus que seulement 7 de ces anciens salariés de Linagora GSO ont rejoint Blue Mind et ce plus de 14 mois après avoir quitté Linagora GSO,
Attendu ainsi que la désorganisation des équipes de Linagora GSO alléguée par Linagora est peut-être liée à l’ampleur de ces départs, sans qu’il soit possible à la lecture des attestations produites d’établir si elle est consécutive au climat de management interne ou liée à l’attrait de propositions extérieures dans des métiers où la mobilité professionnelle est répandue,
Attendu que la garantie d’éviction n’interdit pas aux vendeurs de se rétablir en créant une société dans la même activité, si celle-ci n’empêche pas de poursuivre l’activité économique cédée,
Attendu que M. Y. a créé la société Blue Mind en octobre 2010,après avoir démissionné de Linagora GSO en avril 2010 et quitté la société en juillet 2010, que cette société n’a exercé durant un an que des activités de consell en stratégie et développement de société,non concurrentes de celles de Linagora et Linagora GSO,
Attendu qu’ainsi Linagora et Linagora GSO ne démontrent pas que M. Y. et M. Z. aient violé la garantie d’éviction qu’ils leur devaient,
Le tribunal déboutera les Demandeurs de leurs demandes à ce titre et des demandes de réparation qui y sont liées,
Sur la violation du pacte d’actionnaires
Attendu que les actionnaires de Linagora ont signé le 21 décembre 2015 un pacte d’actionnaires, dit Convention entre les actionnaires de la société Linagora,
Attendu que M. Y. et M. Z. ont adhéré à ce pacte par actes du 12 juin 2007,
Attendu, en premier lieu, que ce pacte impose, dans son article 13, une clause de non concurrence aux hommes-clés de la société,
Attendu que dans l’acte du 12 juin 2007, Linagora et Linagora GSO reconnaissent qu’ils « adhèrent à toutes les dispositions de ce pacte « en qualité d’Homme-Clé »,
Attendu que ladite clause stipule que les Hommes-Clés s’engagent, dans un délai de deux ans à compter de leur départ de la société, à « ne pas occuper un poste d’administrateur, directeur, employé, consultant ou prestataire de service, ou détenir des participations directes ou indirectes dans une autre société qui exerce une activité similaire dans un pays d’Europe…»,
Attendu que les Demandeurs soutiennent que M. Y. et M. Z. auraient violé cette clause en fondant et travaillant pour Blue Mind,
Attendu qu’une telle clause n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace et qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives,
Attendu qu’en l’espèce, si la clause est bien limitée dans le temps, l’étendue de son champ aboutirait à interdire à M. Y. et M. Z. l’exercice de toute activité professionnelle correspondant à leur qualification et à leurs connaissances dans un des 28 pays de l’Union Européenne,
Attendu en outre, qu’elle ne comporte pas de contrepartie financière, qu’aucune mention n’est faite dans le contrat de cession suivant laquelle la détermination du prix des actions aurait tenu compte de cette clause de non-concurrence,que le prix que M. Y. et M. Z. ont reçu pour la vente de leurs actions est exactement le même que celui des actionnaires financiers qui ont cédé leurs titres,et que les compléments de prix qu’ils ont reçus par la suite ne sauraient être assimilés à une contrepartie financière de cette clause de non· concurrence puisqu’ils étaient contractuellement prévus comme un earn-out en cas d’atteinte de niveau de chiffres d’affaires postérieurement à la vente, que seule la clause de non concurrence qui figure dans le contrat de travail de M. Y. et M. Z., limitée, elle, aux régions Midi-Pyrénées et Ile de France est rémunérée, qu’ainsi le tribunal, constatant l’absence de limitation géographique et de contrepartie financière dira la clause du pacte d’actionnaires illicite et déboutera les Demandeurs de leurs demandes de condamnation au titre de son éventuelle violation,
Attendu, en second lieu, que les Demandeurs soutiennent que M. Y. et M. Z. auraient violé leurs obligations de loyauté et de fidélité en tant qu’actionnaires de Linagora,en exerçant des actes de concurrence fautive et déloyale,
Attendu que Blue Mind a été créée en octobre 2010 par M. Y., alors qu’il avait quitté la société Linagora,mais alors qu’il en était encore actionnaire,
Attendu que M. Z. a rejoint la société Blue Mind en qualité de salarié seulement en octobre 2011,
Attendu que les comptes de la société Blue Mind démontrent qu’elle n’a pas exercé d’activité concurrente de Linagora avant 2012,
Attendu qu’il n’est pas interdit à un associé d’exercer une activité concurrente à la société dont il est actionnaire, seuls les actes de concurrence déloyale étant proscrits,
Attendu que les Demandeurs ne démontrent ni ne soutiennent la commission de tels actes, le tribunal dira qu’il n’y a pas eu violation par les défendeurs de leur obligation de loyauté et de fidélité et déboutera les Demandeurs de leurs demandes de condamnation à ce titre,
Sur les demandes reconventionnelles de M. Y. et de M. Z.
Attendu que M. Y. et M. Z. sollicitent des dommages-intérêts pour procédure abusive, estimant que les Demandeurs, en multipliant les instances à leur encontre, en rendant publics les débats qui les opposent, font preuve d’acharnement et leur causent préjudice,
Attendu cependant qu’il n’est pas établi que Linagora et Linagora GSO aient fait dégénérer en abus leur droit d’agir en justice ;
Le tribunal dira qu’il convient donc de rejeter la demande de dommages et Intérêts présentée par les défendeurs à ce titre,
Sur l’application de l’article 700 CPC
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des défendeurs les frais irrépétibles qu’ils ont dû engager pour défendre leurs droits, le tribunal condamnera Linagora, Linagora GSO, Linagora Investissements et M. X. à payer in solidum la somme de 20 000 euros à M. Y. et 20 000 euros à M. Z., déboutant du surplus,
Sur les dépens
le tribunal condamnera Linagora, Linagora GSO, Linagora Investissements et M. X. qui succombent in solidum aux dépens,
DÉCISION
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire en premier ressort :
– Dit recevable l’intervention volontaire de Linagora GSO,
– Déboute Linagora, Linagora GSO, Linagora Investissements et M. X. de toutes leurs demandes,
– Déboute M. Y. et M. Z. de leur demande de dommages-intérêts,
– Condamne in solidum Linagora, Linagora GSO, Linagora Investissements et M. X. à payer à M. Y. la somme de 20 000 euros et à M. Z. la somme de 20 000 euros,
– Condamne in solidum Linagora, Linagora GSO, Linagora Investissements et M. X. aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 176,04 € dont 29,12 € de TVA.
Le Tribunal : Véronique Guillot-Pelpel, Laurent Lévesque, Marc Verdet (juges), Patrick Tramhel (greffier)
Avocats : Me Bruno Grégoire Sainte Marie, Me Nicole Delay-Peuch, Me Philippe Wallaert
Source : Legalis.net
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Le magistrat Véronique Guillot-Pelpel est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.