Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 06 août 2008
M6 Web et autres / Wizzgo
copie privée - droit d'auteur - internet - parasitisme - publicité - rémunération - reproduction
FAITS ET PROCEDURE
Les demanderesses exposent qu’elles exploitent, les sociétés métropole Télévision et EDI TV (W9) les chaînes de télévisions M6 et W9, accessibles en particulier par la télévision numérique terrestre (TNT), la société M6 Web un service gratuit dit de télévision de rattrapage “M6 replay” accessible une heure après la diffusion d’un programme sur internet pendant un délai de 1 à 15 jours ; qu’elles produisent, les sociétés Studio 89 Productions et C Productions, des émissions diffusées par les premières ;
Qu’elles ont pris connaissance du lancement du service Wizzgo mis à disposition du public, depuis le 19 mai 2008, depuis l’URL www.wizzgo.com, se présentant comme “le magnétoscope numérique online” ;
Que le service offert consiste pour l’internaute à télécharger et installer le logiciel iWZZ, à s’inscrire sur le site www.wizzgo, demander des copies des programmes à venir ; que la société Wizzgo procède, sur cette commande, à l’enregistrement et le met à disposition, une heure après la fin de la diffusion ; le fichier transmis, dont elle précise qu’il est crypté et traçable, l’utilisateur commande le décryptage, la copie peut alors être conservée et lu par ce dernier sur tous supports numériques ; que ce mode opératoire a été constaté par huissier de justice le 11 juin 2008 ;
Soutenant que le service offert par la société Wizzgo porte une atteinte aux droits dont elles disposent sur les oeuvres et programmes qu’elles produisent et/ou diffusent et constitue des actes de concurrence déloyale et parasitaires, elles demandent qu’il lui soit fait interdiction de copier, reproduire, mettre à la disposition du public les oeuvres et programmes diffusés par les chaînes M6 et W9 ; une mesure de communication de pièces pour établir leur préjudice ; chacune une indemnité provisionnelle de 15 000 €, chacune la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
La défenderesse explique qu’elle met en place et exploite une plate-forme technologique mise à disposition des utilisateur d’un service gratuit de magnétoscope numérique permettant l’enregistrement des programmes des chaînes gratuites de la TNT ; que la plate-forme supporte un site internet assurant la mise à disposition du service ;
Que la fonctionnalité offerte à l’utilisateur consiste dans la programmation à distance de ses enregistrements, à partir d’un guide des programmes des chaînes de la TNT, dont Wizzgo acquiert les droit de propriété intellectuelle ; que l’enregistrement est intégral : génériques, coupures publicitaires ; que celui-ci, crypté, constitue une copie provisoire et transitoire de la diffusion, décryptée par le seul utilisateur qui dispose alors à son initiative d’une copie exploitable ;
Qu’ainsi l’intervention de Wizzgo se limite à la mise à disposition d’une plate-forme technologique générant une copie transitoire conforme aux prévisions de l’article L. 122-5 6°, que seul l’utilisateur transforme en copie privée autorisée par l’article L. 122-5 2° du Code de la propriété intellectuelle ;
Elle oppose l’absence de qualité à agir à défaut pour les demanderesses d’établir les droits dont elles revendiquent la protection ; elle renvoie à un débat au fond, conteste l’existence d’un trouble manifestement illicite, alors que l’appréciation de l’exception de copie privée dans un contexte technique où l’utilisateur commande sa réalisation, à partir de la reproduction d’une copie provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire échappe au juge des référés ;
Que les demanderesses ne sauraient non plus se plaindre d’une atteinte à l’exploitation normale des programmes ; que le service offert est similaire à celui rendu par un magnétoscope, qu’il ne concerne pas le service M6 replay qui rediffuse en flux continu les programmes, exclusion faite des coupures publicitaires ;
Que le service est licite ;
Elle s’oppose aux mesures probatoires réclamées et à une demande indemnitaire provisionnelle dont le principe et le quanta sont infondés ;
Elle demande subsidiairement que soit posée à la Cour européenne de justice une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article L. 122-5 6° du Code de la propriété intellectuelle ;
Elle réclame la somme de 8000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
DISCUSSION
Sur la recevabilité des demandes
Attendu que les demanderesses qui bénéficient des dispositions de l’article L.336-1 du Code de la propriété intellectuelle, de la présomption de titularité des droits des auteurs et artistes sur les oeuvres qu’elles exploitent sous leur nom, des présomptions spéciales aux producteurs d’oeuvres audiovisuelles, des droits voisin qui leur sont propres sont recevables à agir ;
Sur la demande de mesure
Attendu que le service offert par la société Wizzgo se caractérise par :
– une activité qui élude toute rétribution des droits de propriété intellectuelles qui structurent la création et la production audiovisuelle ; la gratuité pour la société Wizzgo de l’usage des oeuvres diffusées sur la TNT, à l’exception de l’acquisition des droits d’exploitation des programmes de ces chaînes ;
– une activité qui se rémunère sur la captation de la publicité, permettant une gratuité apparente pour l’utilisateur, traduisant en réalité une socialisation, à travers le prix de la publicité répercuté sur les consommateurs, de son chiffre d’affaires et de ses profits éventuels ; qu’à cet égard elle a vocation à recueillir une partie des financements affectés par les annonceurs au secteur audiovisuel, dont la création d’oeuvres ; qu’en outre elle est susceptible de détourner des téléspectateurs de regarder la télévision, d’affecter l’évaluation de leur nombre, les recettes publicitaires qui s’en déduisent ;
Attendu que l’autorisation de la loi est tirée de l’exception de copie privée, laquelle dérogatoire est d’interprétation stricte, et d’une technique qui permettrait d’invoquer le bénéfice de l’article L. 122-5 6° du Code de la propriété intellectuelle par la création d’une copie transitoire destinée à un usage licite ;
Que l’ajustement de la technique logiciel aux prescriptions légales évoque une pratique « limite” habituelle des publicitaires en matière de boissons alcooliques et de tabac ; que le rapprochement est justifié par les caractéristiques d’un service qui repose d’abord sur une inscription dans le sillage d’une “addiction” des consommateurs, en l’espèce l’attrait pour les nouvelles technologies de l’image et audiovisuelle et la gratuité apparente, la position du problème des pouvoirs du juge des référés face à des pratiques qui tentent de limiter l’effet des prohibitions légales ;
Attendu qu’il ne peut y avoir lieu à question préjudicielle devant le juge des référés que les délais qu’elle engendre sont incompatibles avec une procédure rapide ; que le juge des référés, juge de l’évidence, applique des principes et dispositions juridiques claires, ou dont l’interprétation est acquise, sauf à être privé de ses pouvoirs ;
Attend que les demanderesses font valoir les règles acquises pour la protection des droits de propriété intellectuelle dans le domaine de la photocopie, de la reproduction des supports numériques ; que le défendeur soutient que, comme pour un magnétoscope, la copie utilisable est faite chez le particulier et sur son action pour son usage privé ; qu’à tout le moins ce service suppose l’utilisation coordonnée des moyens techniques de la société et de l’utilisateur ;
Que les principes juridiques et économiques en cause sont clairs ; que la copie privée, qui fait exception au droit de la reproduction de l’oeuvre, est par définition sans valeur économique, ne pouvant supporter pratiquement un acquittement de droits de reproduction et n’étant pas placée sur un marché ; que la production et l’acquisition des matériels nécessaires sont licites ;
Que le service querellé, économique, qui n’est pas de l’ordre du don, qui permet la réalisation par son utilisateur d’une copie est illicite quelque soit le montage technologique ; qu’il est interdit de créer et s’approprier une richesse économique à partir d’un service de copie d’oeuvres ou de programmes audiovisuels qui se soustrait à la rémunération des titulaires des droits de propriété intellectuelle ; que le service offert par la société Wizzgo est manifestement illicite ;
Attendu que faisant la preuve d’une atteinte à leurs droits les demanderesses sont fondées à établir leur préjudice par une mesure d’instruction sollicitée au visa de l’article 145 du Code de procédure civile, définie au dispositif ; qu’ils ne justifient pas du montant de l’indemnité provisionnelle qu’ils réclament ;
Qu’il y a lieu à frais irrépétibles ;
DECISION
Statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
. Faisons interdiction à la société Wizzgo de copier, reproduire ou mettre à la disposition du public, par l’intermédiaire du logiciel iWIZZ, les oeuvres et programmes diffusés sur les chaînes M6 et W9, sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée au terme d’un délai de 48 heures suivant la signification de l’ordonnance ;
. Lui enjoignons de communiquer aux demanderesses, dans les 15 jours qui suivront la signification de l’ordonnance le nombre d’heures de programmes copiés de M6 et W9, le nombre d’internautes inscrits au service copie, le montant des recettes publicitaires générées par le service de copie, sous astreinte de 1000 € par jour de retard ;
. Nous réservons la liquidation des astreintes ;
. La condamnons à payer aux demanderesses, ensemble, la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Le tribunal : M. Louis-Marie Raingeard de la Bletière (président)
Avocats : Me Nicolas Brault, Selas Cabinet Taylor Wessing
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