Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre Jugement du 9 octobre 2009
Claire C. / Carl Z.
diffamation
PROCÉDURE
Par ordonnance rendue le 9 janvier 2009 par l’un des juges d’instruction de ce siège, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 25 janvier 2008 par Claire C., Carl Z. a été renvoyé devant ce tribunal sous la prévention :
(1) d’avoir à Paris le 28 octobre 2007, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, étant directeur de publication du site “mixbeat.com” commis le délit, prévu et réprimé par les articles 29, alinéa premier, et 32, alinéa premier, de la loi du 29 juillet 1881, de diffamation publique envers un particulier, en l’espèce Claire C., en mettant en ligne et en diffusant les messages suivants :
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “Gazette” contenant les propos :
“Claire C. voulait à tout prix répondre à Philippe T. qui avait fait la une de Voici en jolie compagnie il y a deux semaines. Elle était même prête à acheter la une de Voici tellement l’envie de revanche était forte. Mais voilà, c’est plus simple de jouer le jeu de Voici. Le premier zouave venu, un certain Guillaume, et une petite promenade dans Paris photographiée par un photographe complice. On est à se demander si elle n’a pas partager son cachet avec le photographe. Il ne manquerait plus qu’elle porte plainte. Sacrée Claire. Et surtout, sacré Voici”.
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “admin”, contenant les propos :
“Mixbeat (DSS) – Un technicien avec qui il a travaillé sur des opéras en plein air affirme sur l’honneur que le nouveau mec de Claire C., Guillaume, est un homosexuel déclaré. Il n‘est même pas bi affirme la source. Sa présence auprès de Claire C. est une pure mise en scène de la presse peuple (Voici), demandée par Claire C. pour répondre à une parution de Voici la semaine d’avant montrant son ex T. avec une jolie brune”.
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “langue de pute”, contenant les propos :
“Claire C. est une procédurière qui fait n’importe quoi pour se faire remarquer et classer dans la catégorie des stars, pour mieux jouer ensuite l’innocente victime harcelée, et ce, afin d’empocher le maximum de blé”.
(2) d’avoir, à Paris, en tous cas sur l’ensemble du territoire national, et depuis temps non prescrit, étant directeur de publication du site “mixbeat.com” commis le délit, prévu et réprimé par les articles 29, deuxième alinéa, et 33, deuxième alinéa, de la loi du 29 juillet 1881, d’injures publiques envers particulier, en l’espèce Claire C., en mettant en ligne et en diffusant les messages suivants :
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “corbeau », contenant les propos :
“Claire C. est une grosse c… ratée et mal b… »
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “z-girl”, contenant les propos :
“G. montre nous comment tu lèches la p… de C. “
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “langue de p “, contenant les propos
“Qu’on l’ignore, cette p…! »
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “geriatrique”, contenant les propos
“C’est une p… Claire C. est une p… »
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “Cicciolina”, contenant les propos :
“si ces deux a… -là sont journalistes.”
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “x-men”, contenant les propos :
“Claire C., même les c… la reconnaissent comme une des leurs”
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “admin”, contenant les propos :
“Par poli, le Mercredi 8 août 2007 à 12:43 g… montre nous comment tu l… la p… de C… »
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “z-girl”, contenant les propos :
“Voici ce qu’on dit d’elles sur d’autres sites…
par poli, le Mercredi 8 août 2007 à 12/43
G… montre nous comment tu… la pute de C.“
– le 28 octobre2007, un message émanant du pseudonyme “La Fouine”, contenant les propos :
“cette vieille peau.”
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “admin”, contenant les propos
“Et cette c… attaque Mixbeat pour qu’ion ne dise pas qu’elle est mal b… ?“
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “admin”, contenant les propos :
“On ne doit pas dire que Claire C. est une … ? »
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “admin”, contenant les propos
“Je répète : c’est mon opinion que Claire C. est une … et mal b…”
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “admin”, contenant les propos :
“Nos pères se sont battus pour ce droit de dire que Claire C. est une … Ce droit est protégé par notre Constitution. Claire C. peut aller se faire voir. Je maintiens que Claire C est une … et
C’est mon opinion.”
– le 28 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “z-girl”, contenant les propos
“Alors, le fou d’en face ?
Fluctuat.net est-il un site diffamatoire?…
Pa r poli, le Mercredi 8 août 2007 à 12:43
G… montre nous comment tu … de C. “.
– le 29 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “zomb”, contenant les propos :
“J’hallucine de voir ce type de propos sur un site comme Fluctuat.net. On ne verrait jamais de telps propos sur mixbeat.
Par poli, le Mercredi 8 août 2007 à 12:43
G… montre nous comment tu … de C.“.
– le 29 octobre 2007, un message émanant du pseudonyme “gidoune”, contenant les propos :
“Fluctuat.net, c’est le rendez-vous de poètes…
Par poli, le Mercredi 8 août 2007 à 12:43
G… montre nous comment tu de C.' ».
Appelée à l’audience du 10 avril 2009, l’affaire a été renvoyée pour être plaidée au 14 mai 2009. A cette date, à la demande du prévenu et sans opposition des parties, l’affaire a été renvoyée aux audiences des 26 juin 2009, pour relais, et 4 septembre 2009, pour plaider.
A cette date, Carl Z. était comparant, assurant seul sa défense tandis que la partie civile était représentée par ses conseils.
Après avoir donné lecture de la prévention, le président a procédé à l’interrogatoire du prévenu qui a pu être interrogé par l’ensemble des parties, lesquelles ont été invitées à s’expliquer sur les effets éventuels de l’article 27 de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ayant complété l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
Puis le tribunal a entendu les conseils de la partie civile qui développant leurs conclusions écrites ont sollicité:
(1) une mesure de publication judiciaire sur le sire www.mixbeat.com sans autre commentaire ajouté et sous une astreinte de 20 000 € par jour de retard,
(2) une mesure de publication judiciaire dans un quotidien national de son choix aux frais du condamné sous la limite de la somme de 3000 € HT par insertion,
(3) sa condamnation à lui payer une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts.
(4) outre une somme de 5000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Le ministère public a requis en soutenant que le prévenu devait voir sa responsabilité retenue en qualité de producteur au sens de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
Carl Z. qui a eu la parole en dernier a pour l’essentiel soutenu qu’il n’était l’auteur d’aucun des messages visés à la prévention, et qu’il s’agissait d’un site participatif sans modération a priori, de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l’article 462 alinéa 2, du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé ce jour.
DISCUSSION
Aux termes de sa plainte avec constitution de partie civile, Claire C. poursuit dix-neuf messages postés les 28 et 29 octobre 2007 sur deux fils de discussion du site internet accessible à l’adresse www.mixbeat.com, la mettant en cause.
La partie civile exposait notamment que plusieurs messages l’avaient précédemment mise en cause sur le même site internet, s’être alors adressée à l’hébergeur américain dudit site (la société Calpop) aux fins d’identifier son responsable, la société requise lui ayant fait connaître le 5 octobre 2007, en lui transmettant le pseudonyme manifeste (“Paul Ragots”) sous lequel le responsable du site mixbeat s’était enregistré, qu’il lui avait été enjoint de supprimer immédiatement les propos visés.
C’est ainsi qu’à compter du 8 octobre 2007, le fil de discussion “Claire C. » n’était plus accessible.
Souhaitant s’assurer qu’il ne l’était pas davantage sur abonnement payant, les conseils de la partie civile se sont inscrits, moyennant le paiement d’une redevance, en qualité de “membres” du site mixbeat, un message leur revenant aussitôt indiquant que le fil de discussion avait été supprimé par ”mesure de faveur” et que leur “action était inutile. Il suffisait d’envoyer un mail à Mixbeat et vous auriez obtenu le même résultat » ajoutant « Sachez que les Ragots concernant madame C. peuvent reprendre à tout moment » signé “Yves G. alias Paul Ragots”.
Comme un constat d’huissier dressé à la demande de la partie civile l’établit, ce message, accompagné de la requête aux fins d’identification du responsable du site mixbeat dont les conseils de Claire C. avaient saisi le juge compétent, était mis en ligne sur le site mixbeat le 28 octobre 2007, le tout assorti de nouveaux commentaires d’internautes parmi lesquels ceux qui sont visés à la prévention.
Trois des dix neuf messages poursuivis dont la mise en ligne a été constatée les 28 et 29 octobre 2007 faisaient partie des propos précédemment publiés puis supprimés lors de la mise hors ligne du fil de discussion “claire C.“ ;
– le message poursuivi du chef de diffamation, émanant de “gazette”, publié une première fois le 13 mars 2007 à 00h28, et à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007,
– le message poursuivi du chef de diffamation, émanant de “admin”, publié une première fois le 23 mars 2007 à 11h07, et à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007,
– le message poursuivi du chef d’injure, émanant de “corbeau”, publié une première fois le 21 avril 2007 à 20h12, et à nouveau mis en ligne le 22 octobre 2007.
Il sera relevé au préalable qu’une deuxième mise en ligne d’un même message précédemment publié mais qui avait été supprimé ou mis hors ligne durant plusieurs semaines constitue un nouvel acte de publication, faisant courir un nouveau délai de prescription de trois mois durant lequel les auteurs et complices peuvent voir leur responsabilité à nouveau recherchée.
Carl Z., qui se présente comme “consultant en événementiel”, est renvoyé des chefs de diffamation et injures publiques envers un particulier en qualité de directeur de publication du site “mixbeat.com”.
Sur la qualité de directeur publication de Carl Z.
L’information judiciaire ainsi que les investigations par ailleurs menées dans le cadre d’autres procédures à propos du même site – et dont les procès verbaux ont été versés en copie dans le cadre de la présente affaire – ont permis d’établir :
– que Carl Z. est le créateur du site “mixbeat.com”, excroissance d’un blog personnel auquel a été adjoint un forum de discussion, initialement dénommé “Paris ragots potins”,
– qu’à la suite de la fermeture de ce premier site en novembre 2005, Carl Z. a créé “mixbeat2″ qui se présentait comme un site exclusivement participatif avec plusieurs fils de discussion recueillant sans modération préalable les messages d’internautes sur la vie (les “faits et gestes”) des célébrités, le fonctionnement de ce site ayant été suspendu en décembre 2007, date à laquelle le prévenusa préparé une version 3,
– que ce site utilisait un service de paiement en ligne qui avait été souscrit par Carl de Canada, alias Carl Z., demeurant …
– que le même Carl de Canada avait souscrit, avec mention de la même adresse personnelle que celle du prévenu, un abonnement aux services de la régie publicitaire en ligne Google Ad Sense pour le site mixbeat.com,
– que le matériel informatique saisi au domicile du prévenu (six ordinateurs et disques durs externes) lui permettait – ce qu’il a d’ailleurs reconnu – de mettre le site hors ligne et de supprimer des messages,
– qu’il disposait de même d’une copie intégrale de sauvegarde du site mixbeat.com,
– qu’il avait personnellement utilisé à plusieurs reprises le pseudonyme “admin”, comme l’analyse du matériel saisi à son domicile en fait foi,
– que lors de la fermeture de le version 2 du site, la page d’accueil qui annonçait une prochaine version 3 renvoyait à une adresse mel attribuée à Carl Z. les internautes étant par ailleurs invités à adresser un SMS sur les faits et gestes des “célébrités” à un numéro de téléphone correspondant à celui de Carl Z.
La partie civile fait valoir en outre sans être contredite :
– que plusieurs messages postés sur mixbeat.com au mois de juillet 2007 font référence à Carl de Canada, alias Carl Z. -dont l’adresse personnelle a également été mentionnée- comme étant, de notoriété publique, l’animateur du site.
– que Carl Z. s’est publiquement présenté lui-même à l’occasion d’interviews, notamment sur la chaîne télévisée TF1, comme l’animateur de ce site,
– qu’il n’a pas davantage contesté cette qualité lorsqu’elle lui a été prêtée deux jours après les faits par le site internet de Radio France (“le responsable du site Mixbeat où se tient le carnet mondain des années 2000 livré aux commentaires des internautes et parfois des scoops qui vont jusqu’au procès“-30 octobre 2007).
Un tel faisceau d’éléments établit à suffisance que Carl Z. est le concepteur, le créateur et l’animateur unique du site mixbeat.com qui a fait sa notoriété, et ce dans toutes les versions du site.
Il sera rappelé que l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle modifiée, notamment, par la loi du 21 juin 2004, impose à tout service de communication au public par voie électronique d’avoir un directeur de publication, précision étant apportée par le dentier alinéa de cet article que “lorsque le service est fourni par une personne physique, le directeur de publication est cette personne physique “.
Il n’est pas douteux au regard des éléments précédemment relevés que Carl Z. est, au sens de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982, directeur de publication du site “mixbeat”.
Sur la responsabilité en cascade à raison de messages d‘internautes dans les espaces publics de discussion, issue de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet
L’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 dispose que le directeur de la publication est responsable des délits de presse prévus par la loi du 29 juillet 1881 comme auteur principal lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable et qu’à défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal.
L’article 27 de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet a cependant complété cet article en y ajoutant un alinéa ainsi rédigé :
“Lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu‘il n‘avait par effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message “.
C’est vainement que la partie civile soutient -dans une ilote en délibéré datée du 10 septembre 2009- que cette disposition nouvelle serait réservée aux seuls services de presse en ligne tels que définis par l’article 27-I de la loi du 12 juin 2009 qui a complété l’article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse alors que cet alinéa nouveau a été introduit dans la loi du 29 juillet 1982, modifiée notamment par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, laquelle ne distingue pas entre les services de communication au public par voie électronique. Aussi, faute d’avoir été réservée aux seuls services de presse en ligne, cette disposition a vocation à s’appliquer indistinctement à l’ensemble des services de communication au public par voie électronique.
Directement inspirée du régime juridique jusqu’alors applicable aux seuls fournisseurs d’hébergement visés à l’article 6-I. 2 et 3 de la loi du 21 juin 2004 qui ne peuvent voir leur responsabilité engagée s’ils “n‘avaient pas effectivement connaissance [du] caractère illicite [d’un contenu] ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si dès le moment où [ils] en ont eu connaissance, [ils] ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible” -et dont la rédaction constitue un décalque-, la disposition nouvelle a manifestement entendu atténuer le régime de responsabilité des directeurs de publication s’agissant – comme l’a précisé le ministre de la Culture lors des débats parlementaires (Assemblée nationale / deuxième séance du jeudi 2 avril 2009)- des “espaces dédiés à la libre expression des internautes- tels que les format et les blogs ».
Dans ce domaine, la disposition nouvelle déroge nécessairement au régime juridique de responsabilité du directeur de publication tel qu’il est défini par l’alinéa premier de l’article 93-3. Ainsi s’agissant des espaces de contributions personnelles, la condition d’engagement de responsabilité du directeur de publication tirée de la fixation préalable du message n’est-elle plus d’application, la disposition issue de la loi du 12 juin 2009 ne distinguant plus selon que les espaces publics de contributions personnelles font ou non l’objet d’une modération a priori.
Que ces espaces publics de contributions personnelles soient modérés a priori, modérés a posteriori ou non modérés, le régime juridique d’engagement de responsabilité du directeur de publication est désormais unifié, celle-ci ne pouvant être recherchée que dans les deux hypothèses que le dernier alinéa de l’article 93-3 prévoit une connaissance effective du message avant sa mise en ligne, ou, dès Ie moment où il a eu connaissance du message, le fait de ne pas avoir agi promptement pour le retirer.
Il en résulte qu’étant plus favorable aux directeurs de publication, celle disposition leur est d’application immédiate, excluant en cela même que puisse être retenue à leur encontre une complicité de délit de presse par aide ou fourniture de moyens quand ces derniers peuvent se prévaloir de l’exonération résultant de la disposition nouvelle.
Enfin, bien que la modification introduite par la loi du 12 juin 2009 laisse prospérer la notion de “producteur”, visée à l’alinéa 2 de l’article 93-3 – directement inspirée de la communication audiovisuelle au sens strict et ne pouvant se concevoir en matière de communication en ligne que dans le respect des circonstances et conditions qui en assuraient la justification pour la communication audiovisuelle dans son sens traditionnel- la responsabilité qui s’attache au « producteur” ne saurait, à défaut de circonstances particulières dont il reviendrait à la partie poursuivante de rapporter la preuve, peser systématiquement sur un directeur de publication qui se trouverait exonéré de responsabilité ès qualités par application de la disposition nouvelle, sauf à vider de sa substance l’article 27-II de la loi du 12 juin 2009.
Sur la responsabilité de Carl Z.
1. Bien que six des 19 messages poursuivis soient signé du pseudonyme “admin”, dont l’expertise technique effectuée sur le matériel informatique saisi au domicile du prévenu a révélé qu’il pouvait être utilisé par Carl Z., le prévenu ne saurait sur la foi de ce seul élément voir sa responsabilité pénale retenue en tant qu’auteur de ces messages, en l’absence d’identification possible de l’adresse IP de leur expéditeur, Carl Z. niant en être l’auteur et faisant valoir que ce pseudonyme peut être utilisé par des tiers. Il ne résulte par ailleurs de l’instruction aucun élément établissant que Carl Z. pourrait être l’auteur intellectuel des autres messages poursuivis.
2. Il résulte des circonstances de l’espèce et tout particulièrement des diligences accomplies par la partie civile auprès de l‘hébergeur américain du site mixbeat, de la réponse que lui a adressée ce dernier – indiquant qu’il allait enjoindre le responsable du site de supprimer le fil de discussion “Claire C.“- de la suppression effectivement intervenue aussitôt après ces diligences, du contenu du message en retour reçu par les conseils de la partie civile faisant état d’une “mesure de ferveur” et d’une éventuelle reprise des “ragots“ « à tout moment » comme d’ailleurs de la mise en ligne sur mixbeat de la requête aux fins d’identification du responsable du site dont la partie civile avait saisi la justice, que son directeur de publication ne pouvait ignorer la nature des messages alors visés qui figuraient sur ce fil de discussion.
Carl Z. ayant délibérément choisi de les mettre à nouveau en ligne, le 28 octobre 2007 après quelques semaines durant lesquelles ces messages avaient été supprimés, il a incontestablement engagé sa responsabilité telle que définie par le dernier alinéa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, dans sa rédaction issue de la loi du 12 juin 2009, dès lorsqu’il ne saurait sérieusement nier, dans de telles circonstances, en avoir eu préalablement et effectivement connaissance avant leur nouvelle mise en ligne. Il doit dès lors répondre des trois messages en cause, soit :
– le message poursuivi du chef de diffamation, émanant de « gazette”, publié une première fois le 13 mars 2007 à 00h28, et à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007 sous le fil de discussion “Claire C.“,
– le message poursuivi du chef de diffamation, émanant de “admin », publié une première fois le 23 mars 2007, et à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007 sous le fil de discussion “Claire C.“,
– le message poursuivi du chef d’injure, émanant de “corbeau”, publié une première fois le 21 avril 2007 à 20h12, et à nouveau mit en ligne le 28 octobre 2007.
3. S’agissant en revanche des autres messages visés à la prévention, il n’est pas soutenu par la partie civile qu’elle aurait par quelque moyen que ce soit appelé l’attention du responsable du site sur les messages en cause, de sorte que la preuve n’est pas rapportée avec le degré de certitude requis en matière pénale que Carl Z. aurait, en sa qualité de directeur de publication, eu effectivement connaissance desdits messages avant leur mies en ligne ou que, préalablement saisi d’une requête en suppression, il n’aurait pas agi promptement, seules circonstances dans lesquelles un directeur de publication peut désormais voir sa responsabilité recherchée à raison d’un message adressé par un internaute et mis à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel ce qui est précisément le cas des fils de discussion en cause.
La partie civile soutient certes que le degré d’implication du prévenu dans le fonctionnement de son site ne saurait l’exonérer de toute responsabilité en ajoutant que sa volonté délibérée de ne pas conserver les éléments d’identification des internautes s’y étant connectés révèle sa parfaite mauvaise foi.
Mais le tribunal ne peut que constater que la loi ne sanctionne pas le manquement d’un directeur de publication à l’obligation qui lui est faite par l’article 6-11 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique de conserver les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création d’un contenu illicite ou attentatoire aux droits des tiers par l’engagement de plein droit de la responsabilité civile ou pénale de ce dernier pour le compte d’autrui, notamment à raison des messages adressés par des internautes sur un espace de contributions personnelles.
En cet état, et par application du dernier alinéa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 modifiée, dans sa rédaction issue de la loi du 12 juin 2009, la responsabilité de Carl Z. dans le contenu des messages poursuivis ne sera examinée au fond que pour les trois messages ayant fait l’objet d’un nouvel acte de publication et de la teneur desquels il avait manifestement connaissance.
Sur le caractère diffamatoire et injurieux des trois messages ayant fait l’objet d’une nouvelle publication le 28 octobre 2007
Il sera rappelé que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l‘honneur ou à la considération de la personne”, le fait imputé étant entendu comme devant être suffisamment précis, détachable du débat d’opinion et distinct du jugement de valeur pour pouvoir, le cas échéant, faire aisément l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire.
Ce délit qui est caractérisé même si l’imputation est formulée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d’insinuation se distingue ainsi de l’injure, définie par le même texte comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne referme l’imputation d’aucun fait”, comme de l’expression subjective d’une opinion, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées, mais dont la vérité ne saurait être prouvée.
(1) message publié le 13 mars 2007, émanant du pseudonyme “Gazette”, à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007 :
“Claire C. voulait à tout prix répondre à Philippe T. qui avait fait la une de Voici en jolie compagnie il y a deux semaines. Elle était même prête à acheter la une de Voici tellement l’envie de revanche était forte. Mais voilà, c’est plus simple de jouer le jeu de Voici. Le premier zouave venu, un certain Guillaume, et une petite promenade dans Paris photographiée par un photographe complice. On est à se demander si elle n’a pas partager son cachet avec le photographe. Il ne manquerait plus qu’elle porte plainte. Sacrée Claire, Et surtout, sacré Voici”.
(2) message publié le 23 mars 2007, émanant du pseudonyme “admin”, à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007
“Mixbeat (DSS) – Un technicien avec qui il a travaillé sur des opéras en plein air affirme sur l’honneur que le nouveau mec de Claire C., Guillaume, est un homosexuel déclaré. Il n’est même pas bi affirme la source. Sa présence auprès de Claire C. est une pure mise en scène de la presse people (Voici) demandée par Claire C. pour répondre à une parution de Voici la semaine d’avant, montrant son ex T. avec une jolie brune”.
Ces deux propos, restitués dans leur contexte, imputent à Claire C. «avoir sciemment mis en scène une fausse relation sentimentale à destination des lecteurs du magazine Voici, en insinuant qu’elle aurait pu être rémunérée pour ce faire par un paparazzi. L’accusation de duplicité, sinon de mensonge, et de vénalité, ainsi circonstanciée, est susceptible de preuve. Portant atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile, elle est diffamatoire.
Les imputations diffamatoires étant, de droit, réputées faites avec intention de nuire, et ne pouvant être justifiées que si leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux des éléments susceptibles d’accréditer ses dires et de prudence dans l’expression, Carl Z., qui se borne à l’audience à assurer que telle serait la vérité sans rapporter le moindre adminicule au soutien du propos dont il doit répondre, sera retenu dans les liens de la prévention.
(3) Le message publié le 21 avril 2007, émanant du pseudonyme “corbeau”, à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007 (« Claire C. est une …“) est pour sa part tout aussi gravement outrageant qu’ordurier.
Il caractérise une injure publique.
Carl Z. sera condamné à une peine de 1000 € d’amende.
Sur les intérêts civils
Claire C., recevable en sa constitution de partie civile, se verra allouer un euro à titre de dommages et intérêts.
Il sera fait droit en outre à sa demande de mise en ligne sur le site considéré d’un communiqué judiciaire dans les termes arrêtés au dispositif de la présente décision sans qu’il soit cependant opportun de faire droit à la demande de publication d’un communiqué judiciaire dans un quotidien de la presse nationale, laquelle serait de nature à conférer un surcroît de notoriété au site internet en cause.
L’exécution provisoire, nonobstant appel, des dispositions civiles des jugements prononcés en matière pénale se limitant, aux termes de l’article 464, deuxième alinéa, du code de procédure pénale au seul versement provisoire des dommages et intérêts alloués, à l’exclusion de toutes autres mesures de réparation, il n‘y a pas lieu, en I‘espèce, de l’ordonner.
Carl Z. sera enfin condamné à payer à Claire C. une somme de 3500 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
DECISION
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Carl Z. prévenu, à l’égard de Claire C. (art. 424 du code de procédure pénale) partie civile ;
. Déclare Carl Z. coupable en sa qualité de directeur de publication du site mixbeat.com, au visa du dernier alinéa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, dans sa rédaction issue de la loi du 12 juin 2009 :
– du délit de diffamation publique envers un particulier en raison de la mise en ligne sur ce site de deux messages d’internautes dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, en l’espèce le message émanant de “gazette”, publié une première fois le 13 mars 2007 à 00h28, et à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007 et le message émanant de “admin”, publié une première fois le 23 mars 2007, et à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007, tous deux sous le fil de discussion « Claire C. »
– du délit d’injures publiques envers particulier en raison de la mise en ligne sur ce site d’un message d’internaute dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, en l’espèce le message émanant de “corbeau”, publié une première fois le 21 avril 2007 à 20h12, et à nouveau mis en ligne le 28 octobre 2007,
. Le renvoie des fins de la poursuite pour le surplus,
. Le condamne à la peine d’amende de 1000 €.
L’avertissement relatif aux dispositions de l’article 707-2 du code de procédure pénale n’a pu être donné à l’intéressé absent au prononcé,
. Reçoit Claire C. en sa constitution de partie civile,
. Condamne Carl Z. à lui payer un euro à titre de dommages et intérêts,
. Dit n’y avoir lieu à versement provisoire de cette somme à la partie civile,
. Ordonne à titre de réparation complémentaire la mise en ligne sur la première page écran de la page d’accueil du site www.mixbeat.com et dans les quinze jours qui suivront la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif, sous une astreinte de 1500 € par jour de retard ou de manquement, du communiqué suivant
« Par jugement du 9 octobre 2009, le tribunal correctionnel de Paris (17ème chambre -chambre de la presse) a condamné Carl Z. en sa qualité de directeur de publication du site mixbeat.com à une peine d’amende en raison de la mise en ligne dans le courant du mois d’octobre 2007 de messages injurieux ou diffamatoires à I‘égard de claire C., a alloué à cette dernière un euro à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité au titre de ses frais de procédure et a ordonné la présente mesure de publication pendant une durée de 20 jours pour la rétablir dans ses droits ».
. Dit que ce communiqué judiciaire devra être mis en ligne pendant une durée continue de 20 jours, dans un encadré occupant toute la largeur de la page en caractères équivalents à la taille 14 en police Times New Roman, sous un intitulé en caractères majuscules et en gras de taille 16 “Publication judiciaire” sans autre mention ajoutée ni appel à commentaires,
. Déboute Claire C. de ses autres demandes,
. Condamne Carl Z. à payer à Claire C. une somme de 3500 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale,
La personne condamnée n’étant pas présente au prononcé, l’avertissement prévu par l’article 474-1 du code de procédure pénale n’a pu être fait,
La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de 90 € dont est redevable Carl Z.
Le tribunal : M. Joël Boyer (vice-président), Mme. Anne-Marie Sauteraud (vice-président), M. Alain Bourla (premier juge)
Avocats : Me Florence Watrin, Me Nicolas Brault
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