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Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 24 décembre 2004
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre, chambre de la presse 07 décembre 2004

Ministère public / Fabrice H.

collecte déloyale - contenus illicites - données personnelles - informatique et libertés - spam

PROCEDURE

Fabrice H. est cité à la requête de M. le Procureur de la République sous la prévention :

En ce qui concerne l’utilisation du logiciel Robot Mail :
pour avoir à Paris, Créteil et sur le territoire national, entre le mois d’avril 2002 et le 20 octobre 2002 :

• collecté des données nominatives, en l’espèce des adresses électroniques reconnaissables par le symbole @, permettant directement ou non, l’identification de personnes physiques auxquelles elles s’appliquent, et notamment benoit.tabaka, jerome.de-vie, sjacquemin, christine.bachoc, eric.bourguedieu,

• aux fins de constituer des fichiers ou des traitements informatiques, en l’espèce, constituer des fichiers de prospects puis procéder à un traitement informatique permettant l’envoi de propositions commerciales aux dits prospects,

• par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, en l’espèce, par l’utilisation du logiciel « Robot mail », en « aspirant » ces données sur internet (sites, annuaire, forum…) sans que la personne concernée ait indubitablement donné son consentement ni même en ait été informée.

En ce qui concerne l’utilisation du logiciel Freeprospect :
pour avoir à Paris, Créteil, et sur le territoire national, entre le mois de novembre 2002 et le 1er septembre 2003 :

• collecté des données nominatives, en l’espèce des adresses électroniques reconnaissables par le symbole @, permettant directement ou non, l’identification de personnes physiques auxquelles elles s’appliquent, aucun critère sérieux ne permettant de distinguer les adresses des personnes physiques de celles des personnes morales,

• aux fins de constituer des fichiers ou des traitements informatiques, en l’espèce, procéder à un traitement informatique permettant l’envoi de propositions commerciales aux personnes ainsi identifiées,

• par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, en l’espèce, par l’utilisation du logiciel « Freeprospect », en « aspirant » ces données sur internet (sites, annuaire, forum…) sans que la personne concernée ait indubitablement donné son consentement ni même en ait été informée.

Fais prévus et punis par les articles 226-18 la et 226-31 du code pénal et 25 et 41 de la loi du 06/01/1978.

FAITS

La commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a adopté le 24 octobre 2002 une délibération n°02-075, dans laquelle elle rappelle que, suite à un précédent rapport sur « le publipostage électronique et la protection des données personnelles » adopté en octobre 1999, elle a mis en place, au moins de juillet 2002, une boite à lettre électronique (accessible à l’adresse spam@cnil.fr) spécialement destinée à recueillir les courriers électroniques non sollicités (souvent désignée par le terme anglais de spam, de même que l’envoi de tels courriers est dénommé spamming) reçus par les utilisateurs du réseau internet et transférés par eux.

La délibération rappelle la définition donnée par la Cnil elle-même de cette pratique dite de spamming : « l’envoi massif -et parfois répété- de courriers électroniques non sollicités, le plus souvent à caractère commercial, à des personnes avec lesquelles l’expéditeur n’a jamais eu de contact et dont il a capté l’adresse dans les espaces publics de l’internet : forums de discussion, listes de diffusion, annuaires, sites web, etc ».

Elle fait ensuite état des nombreux courriels reçus à l’adresse précitée et transférant des courriers électroniques émanant de la société Alliance Bureautique Service (ABS) proposant à la vente un outil informatique dénommé robotmail et permettant à ses utilisateurs de collecter des adresses électroniques dans les espaces publics de l’internet et de se constituer ainsi des fichiers de prospects. Estimant cette pratique contraire à la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 (dite informatique et libertés), la commission décidait de dénoncer au parquet des faits susceptibles de caractériser les infractions pénales des articles 226-16 et 226-18 du code pénal.

S’il ne résulte pas du dossier que cette délibération ait, à cette date, été transmise au parquet, le procureur de la République près ce tribunal a, en revanche, été ultérieurement destinataire de deux courriers qui lui ont été adressés par le président de la Cnil, les 22 janvier (dénonciation de l’utilisation et de la commercialisation, par la même société, d’un nouveau logiciel dénommé freeprospect) et 11 février 2003 (transmission d’une saisine émanant d’un client mécontent de la société ABS, qui avait acheté le logiciel robotmail, l’institut de Reiki, association de formation professionnelle pour adultes qui avait déjà directement saisi le parquet le 21 novembre précédent des mêmes faits et a, depuis, retiré sa plainte le 29 juin 2003).

Le ministère public a ordonné, à la suite de ces différentes transmissions, deux enquêtes, qui ont été jointes et au vu desquelles il a décidé des poursuites dont ce tribunal est présentement saisi.

Les deux logiciels litigieux n’ont pas fait l’objet, dans le cadre de ces investigations, d’une analyse et d’une description rigoureuses. Il résulte de la procédure et des débats qu’ils permettent, tous les deux, la collecte d’adresses électroniques (comportant le symbole @) disponibles sur des sites dont la sélection est effectuée sur la base des objectifs commerciaux prédéterminés par leur utilisateur, de sorte à permettre l’envoi aux dites adresses de messages à caractère publicitaire. Il n’est pas contesté que le logiciel robotmail, le premier mis au point par la société ABS -société dont le prévenu Fabrice H. est le principal animateur-, après avoir collecté ces adresses, les stocke, afin qu’elles puissent être utilisées pour l’expédition des messages commerciaux propres à chacun de ses utilisateurs. Le logiciel freeprospect, mis au point ultérieurement, pour éviter les critiques adressées à l’outil précédent, et disponible à partir de l’automne 2002, collecte, selon un principe proche, des adresses sans cependant les stocker mais en les utilisant au fur et à mesure de leur collecte pour l’expédition des mêmes propositions commerciales.

Les personnes recevant une prospection adressée par le biais de ces logiciels devaient se voir offrir la possibilité de refuser tout nouvel envoi. Un lien de désinscription était normalement prévu à cet effet et, s’agissant du logiciel freeprospect, un premier envoi préalable devait permettre à celui qui le recevait d’accepter ou non de se voir adresser des propositions commerciales. Il résultait de nombre des signalements adressés à la Cnil que ces systèmes n’avaient fonctionné que très rarement, le prévenu ne contestant pas l’existence, pour des raisons techniques, de dysfonctionnements les ayant souvent privés de la moindre efficacité.

Seul le logiciel robotmail a fait l’objet, en date du 15 juillet 2002, de la déclaration à la Cnil imposée par la loi de 1978 pour tout traitement automatisé d’informations nominatives. Le récépissé de cette déclaration a été adressé au mois de septembre 2002.

Le prévenu a expliqué au tribunal que l’utilisation de ces outils supposait une surveillance de la pertinence des sites internet automatiquement sélectionnés, en fonction des critères requis par l’utilisateur, par un outil dénommé Copernic, afin de vérifier qu’il s’agissait de sites professionnels, et non de forums de discussions ou de pages personnelles, de telle sorte que les adresses électroniques collectées sur ce sites soient exclusivement de nature professionnelle. Il a indiqué que les consignes d’usage des deux logiciels litigieux précisaient ce point clairement.

Il a encore déclaré qu’il avait, à de nombreuses reprises, interrogé la Cnil sur le caractère licite de ces deux logiciels. Il justifie, à cet égard, des pièces produites par la commission, d’une part, que celle-ci avait interrogé la société ABS à la suite de réclamation d’internautes pour la première fois le 9 janvier 2002 et réclamé à plusieurs reprises une réponse à ses demandes d’explications et, d’autre part, que k le 15 octobre 2002, elle avait informé la société ABS de ce qu’elle considérait que la captation d’adresses électroniques dans les espaces publics de l’internet n’était pas licite et de ce qu’elle estimait qu’une opération de publipostage ne pouvait être régulière que si les personnes concernées avaient été informées de « l’usage commercial qui pourrait être fait à partir de leurs données personnelles et quelles aient été mises en mesure de s’opposer préalablement à toute transmission de leurs données à des tiers ».

DISCUSSION

L’article 226-18 du code pénal, sur la base duquel sont engagées les présentes poursuites et qui sanctionne la violation de deux obligations différentes résultant de la loi du 6 janvier 1978 en ses articles 25 et 26, prévoit et punit deux infractions distinctes : d’une part, « le fait de collecter des données par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite » et, d’autre part, le fait « de procéder à un traitement d’informations nominatives concernant une personne physique malgré l’opposition de cette personne, lorsque cette opposition est fondée sur des motifs légitimes ».

La prévention combine ces deux infractions distinctes, de telle sorte que le tribunal doit l’examiner afin de déterminer si l’une ou l’autre de ces infractions ensemble poursuivies est constituée, en ne retenant, pour chacune d’elles, que les éléments constitutifs pertinents et visés dans l’acte saisissant le tribunal.

Les notions de données et de traitement d’informations nominatives doivent s’entendre au sens de la loi de 1978, en application des dispositions de l’article 41 de ce texte, qui précise que la section V du chapitre VI du titre II du livre II du code pénal, où est inséré l’article 226-18, a pour but de réprimer les infractions à cette loi.

Le premier délit réprimé par l’article 226-18 se réfère à l’interdiction, résultant de l’article 25 de la loi de 1978, de la collecte de données opérée par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite et suppose donc, pour être constitué, la réunion de trois éléments distincts, une collecte de données nominatives par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite.

Il résulte de l’article 4 de la loi que les données nominatives sont celles qui permettent, « sous quelque forme que ce soit, directement ou non l’identification des personnes physiques auxquelles elles s’appliquent ». Les adresses électroniques constituent, au sens de ce texte, des données nominatives, dès lors qu’elles permettent en règle générale d’identifier la personne physique auxquelles elles s’appliquent, soit directement, quand le nom et le prénom de cette personne figurent en toutes lettres dans l’adresse (cas des adresses expressément énumérées dans la prévention relative au logiciel robotmail), soit indirectement, lorsque des démarches auprès d’un intermédiaire technique sont nécessaires pour découvrir la personne physique titulaire de l’adresse concernée, et ceci, sauf les rares exceptions d’adresses génériques de personnes morales, ne conduisant pas à une personne physique identifiable.

Le tribunal retient donc que les adresses collectées par les deux logiciels litigieux, telles qu’elles résultent de l’enquête effectuée, étaient, pour l’essentiel, des données nominatives.

Collecter des données signifie les recueillir et les rassembler, ce qui implique leur enregistrement ou leur conservation dans un fichier. Il n’est pas contesté que le logiciel robotmail avait pour principe que les adresses électroniques collectées étaient regroupées dans un fichier, de façon à permettre l’expédition ultérieure de diverses propositions commerciales aux titulaires de ces adresses. Il n’en est pas de même s’agissant du logiciel freeprospect. Il ne résulte d’aucun des éléments produits que les adresses collectées faisaient l’objet d’un stockage ou d’un enregistrement et ce fait, fermement contesté par le prévenu qui indique que chaque adresse détectée par le logiciel était immédiatement utilisée pour l’expédition d’un courriel, sans être enregistrée ni conservée, n’est d’ailleurs pas même allégué par l’accusation.

Cet élément constitutif de l’infraction manque donc, s’agissant du logiciel freeprospect.

Aucun des éléments de la cause ne permet, quoiqu’il en soit, au tribunal de retenir que la collecte à laquelle se livrait le logiciel robotmail avait un caractère déloyal, frauduleux ou illicite.

Le seul fait démontré et susceptible d’être pertinent à cet égard est que les titulaires des adresses ainsi rassemblées ignoraient jusqu’à ce qu’ils reçoivent un courrier électronique envoyé grâce à ce système, que leurs adresses avaient été sélectionnées. Il convient à cet égard de relever que le consentement express des intéressés, qu’il intervienne a priori ou a posteriori, n’est pas exigé en tant que tel par la loi pour caractériser la loyauté de la collecte.

Compte-tenu de l’accessibilité universelle de l’internet, qui constitue une des principales caractéristiques et un des principaux atouts de ce réseau de communication mondial et décentralisé, un tel recueil -considéré en lui-même et indépendamment de l’usage qui est ensuite fait des adresses collectées qui n’est pas davantage un des éléments constitutifs de cette première infraction- de données disponibles sur des espaces publics, opération qui n’est interdite par aucune disposition expresse et n’implique l’usage d’aucun procédé frauduleux, ne peut être du fait qu’il serait effectué sans que les intéressés en soient informés, considéré comme déloyal.

Il y a donc lieu d’entrer en voie de relaxe, du chef du délit de violation de l’interdiction établie par l’article 25 de la loi.

Le second délit institué par l’article 226-18 résulte de la violation des prescriptions de l’article 26 de la loi qui dispose que « toute personne physique est en droit de s’opposer, pour des raisons légitimes, à ce que des informations nominatives la concernant fassent l’objet d’un traitement ». Il suppose donc, pour être constitué, le non-respect du droit d’opposition reconnu à tout personne physique à l’égard des données nominatives la concernant, dès lors que celles-ci font l’objet d’un fichier ou d’un traitement automatisé quelconque.

Il résulte de la procédure que, comme il a été relevé plus haut, à de très nombreuses reprises, les destinataires de messages adressés à la suite de l’utilisation, par leur expéditeurs, des logiciels robotmail ou freeprospect n’ont pas été en mesure de faire valoir effectivement ce droit d’opposition, faute que le lien de désinscription offert à cet effet, fonctionne effectivement.

Le tribunal n’est cependant pas saisi de ces faits, qui ne sont pas visés dans la citation, laquelle ne mentionne, ni pour l’un, ni pour l’autre des logiciels qu’elle incrimine, le non-respect de la faculté d’opposition -faculté qui ne peut concerner qu’un traitement déjà en cours-, mais vise une absence de consentement indubitable de la personne concernée qui n’est pas sanctionnée pénalement en l’état par les dispositions invoquées.

S’il n’est pas contesté, en effet que dans le cadre des débats en cours sur une éventuelle réforme du droit applicable à la matière, notamment pour tenir compte des exigences d’une directive européenne du 12 juillet 2002 relative à la protection des données personnelles dans le secteur des communications électroniques, les termes de l’alternative entre système de consentement préalable (dit « opt-in ») ou mécanisme fondé sur le droit d’opposition (« opt-out ») sont maintenant clairement définis, les règles pénales applicables à la présente espèce s’apparentent strictement à un simple droit d’opposition et excluent une quelconque exigence de consentement formel et préalable à tout traitement de donnée nominative, à laquelle se réfère à tort la prévention.

Dans ces conditions, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres éléments constitutifs de cette seconde infraction, il y la lieu de renvoyer également le prévenu des fins de la poursuite de ce chef.

DECISION

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Fabrice H., prévenu, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

. Renvoie Fabrice H. des fins de la poursuite.

Le tribunal : M. Nicolas Bonnal (président), MM. Bourla et Bailly (juges), M. Zuchowicz (substitut)

Avocat : Me Cyril Gosset

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