Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Toulouse 3ème chambre Jugement du 20 novembre 2003
Mohamed K. / Ministère public, Sacem et autres
cybercriminalité - droit d'auteur - importation - mise à disposition - reproduction - site internet - telechargement
La procédure
Le jugement
Le tribunal, par jugement en date du 30 juillet 2002, a déclaré Mohamed K. coupable du chef de :
– importation ou exportation de phonogramme ou vidéogramme sans autorisation, du 01/12/2001 au 06/03/2002, à Lavelanet, infraction prévue par l’article L 335-4 AL.2 du code de la propriété intellectuelle et réprimée par les articles L 335-4 AL.1, AL.2, L 335-5 AL.1, L 335-6 du code de la propriété intellectuelle,
– communication au public de phonogramme ou vidéogramme sans autorisation, du 01/12/2001 au 06/03/2002, à Lavelanet, infraction prévue et réprimée par l’article L 335-4 du code de la propriété intellectuelle,
– mise à disposition du public de phonogramme ou vidéogramme sans autorisation, du 01/12/2001 au 06/03/2002, à Lavelanet, infraction prévue et réprimée par l’article L 335-4 du code de la propriété intellectuelle,
– reproduction ou diffusion non autorisée de programme, vidéogramme ou phonogramme, du 01/12/2001 au 06/03/2002, à Lavelanet, infraction prévue et réprimée par les articles L 335-4 AL.1, L 212-3 AL.1, L 213-1 AL.2, L 215-1 AL.2., L 216-1 du code de la propriété intellectuelle et réprimée par les articles L 335-4 AL.1, L 335-5 AL.1, L 335-6 du code de la propriété intellectuelle.
Et, en application de ces articles, l’a condamné à :
– 3 mois d’emprisonnement avec sursis,
– publication aux frais du condamné dans la Dépêche du midi, édition régionale et Libération (coût maximum 2500 € chacune).
Sur l’action civile :
a alloué à :
– Sacem 5000 € à titre de dommages-intérêts
– Scpp 12 200 € à titre de dommages-intérêts
– Sdrm 5000 € à titre de dommages-intérêts
– Sppf 3044 € à titre de dommages-intérêts
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Mohamed K., le 07 août 2002,
M. Le procureur de la République, le 7 août 2002 contre Mohamed K.
Les faits
Le 14 janvier 2002, un enquêteur du bureau anti-piratage de la société civile des producteurs phonographiques (Scpp) découvrait l’existence du site internet www.mp3-wma.com proposant depuis décembre 2001 le téléchargement public de plusieurs centaines de fichiers audio au format MP3 concernant des titres d’artistes de variétés connus sans l’autorisation des producteurs.
Ses vérifications lui permettaient de découvrir que ce site était administré par un webmaster (Mohamed K.) qui avait déjà était mis en demeure quelques mois auparavant de fermer un site similaire intitulé « France wma ».
Toutefois, la nouveauté du site www.mp3-wma.com consistait dans l’utilisation d’un logiciel utilitaire intitulé Bobdown (s’agissant d’un « regroupeur de liens ») permettant de télécharger des albums complets à partir d’adresses de FTP contenant des fichiers MP3 (les chansons composant ces albums ne sont pas forcément stockées toutes aux mêmes endroits ; bobdown, après programmation, mémorise et regroupe les chemins d’accès vers les sites où elles sont téléchargeables en France et à l’étranger).
Cet enquêteur précisait également qu’au 30 janvier 2002, le compteur du site affichait le chiffre de 435 371 visiteurs, s’agissant potentiellement du nombre de téléchargements illégaux, tandis que le compteur des téléchargements du logiciel bobdown toutes versions confondues était de 85 066.
Entendu à la gendarmerie de Lavelanet, le 6 mars, Mohamed K. a déclaré qu’il mettait à disposition des internautes environ 25 albums d’artistes de variétés et que le téléchargement ne s’effectuait pas à partir de son ordinateur mais à l’aide de l’utilitaire bobdown selon les critères expliqués précédemment. Il a lui même téléchargé ce logiciel sur internet. Il a alimenté en fonction des « chemins internet » correspondant aux adresses des sites proposant les titres constituant les albums. Les liens ont été effectués vers des sites français et anglo-saxons.
Mohamed K. a précisé qu’en date du 5 mars 2002 son compteur affichait 800 000 visiteurs mais qu’il lui était impossible de définir le nombre d’internautes ayant téléchargé sa programmation de bobdown contenant les liens et donc la possibilité de télécharger les albums proposés.
Son seul avantage financier était la présence d’une bannière publicitaire « rue du commerce » lui rapportant 50 centimes de francs par clic. Il était en attente d’un premier paiement de 1000 € environ pour les cinq premier mois d’exploitation.
Mohamed K. a reconnu qu’il avait obtempéré à l’injonction de la Scpp lui demandant de fermer son premier site. Mais, comme il avait pensé à une plaisanterie, il avait ensuite ouvert le second site considérant que le mail de la Scpp n’était pas « suffisamment officiel ».
Au terme de l’enquête de la police, Mohamed K. a fermé son site et les infractions ont cessé.
Par jugement du 30 juillet 2002, le tribunal correctionnel de Foix a :
– sur l’action publique :
Déclaré le prévenu coupable des infractions reprochées, le condamnant à la peine de 3 mois d’emprisonnement avec sursis et ordonnant aux frais du condamné la publication par extrait de la décision dans les journaux « La Dépêche du midi » et « Libération », le coût de chaque publication ne devant pas dépasser 2500 € »;
– sur l’action civile :
Condamné Mohamed K. à payer à titre de dommages-intérêts les sommes de :
*12 200 € à la Scpp,
*3044 € à la Sppf,
*5000 € à la Sacem,
Rejetant les demandes formées au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration du 7 août 2002, le prévenu a relevé appel des dispositions pénales et civiles de ce jugement. Le procureur de la république de Foix a relevé appel des dispositions pénales de ce jugement le 7 août 2002.
A l’audience de la cour, les parties civiles ont sollicité la confirmation du jugement quant aux dommages-intérêts et l’octroi de diverses sommes au titre des frais irrépétibles.
M. l’avocat général a requis la confirmation du jugement attaqué.
Le prévenu a d’abord indiqué ne critiquer par son appel que les dispositions civiles du jugement et il a sollicité une modération des sommes mises à sa charge en faisant tour à tour valoir que la piraterie qui affectait le monde de l’industrie phonographique qui avait mis sur le marché le matériel nécessaire, et qu’il n’était nullement démontré que tous les internautes qui étaient passé sur son site avaient téléchargé de la musique qui ne présentait d’ailleurs aucune originalité.
La discussion
Attendu que les appels du prévenu et du procureur de la république de Foix, interjetés dans la forme et le délai prescrits par la loi, sont recevables ;
Attendu sur l’action publique que les premiers juges par des motifs pertinents que la cour adopte ont déclaré à bon droit le prévenu coupable des délits reprochés ; le prévenu ne contestant d’ailleurs ni sa culpabilité ni la sanction infligée, ce qui conduit à confirmer de ces chefs le jugement entrepris ;
qu’il n’y a pas lieu de confisquer en outre le matériel informatique du prévenu dès lors que les infractions ont cessé après l’enquête de police et avant la phase judiciaire ;
Attendu sur l’action civile que la recevabilité des demandes des parties civiles habilitées par la loi et leurs statuts à défendre les intérêts matériels et moraux des auteurs, compositeurs, éditeurs, producteurs de phonogrammes, n’est pas discutée ;
que le prévenu ne saurait soutenir que l’industrie phonographique était à l’origine de la piraterie par le développement du matériel nécessaire dès lors que ce développement n’autorise évidemment pas les utilisateurs à employer ces matériels à des fins interdites par la loi ;
que Mohamed K. peut d’autant moins invoquer cet argument qu’il avait reçu, avant l’intervention de la police, une mise en demeure de la Scpp d’avoir à cesser ses agissements ;
qu’il ne peut non plus se fonder sur la généralisation et donc la banalisation du phénomène de piraterie, l’amplification de ce phénomène devant au contraire conduire à une plus grande rigueur dans son traitement ;
qu’enfin il ne peut mettre en avant ses faibles ressources financières, l’évaluation d’un préjudice ne dépendant pas de la situation financière de l’auteur du dommage mais de la réalité et de l’ampleur pour la victime des conséquences dommageables du fait répréhensible ;
Attendu que par son action Mohamed K. a permis à des utilisateurs du réseau internet de télécharger illicitement 74 albums d’artistes célèbres contenant des œuvres musicales protégées, sans versement des droits dus aux sociétés parties civiles ;
que sur le plan du préjudice strictement matériel, s’il est impossible de chiffrer exactement le nombre de téléchargements, le nombre de visites du site de Mohamed K. était de 435 371 au 30 janvier 2002, le nombre de téléchargements du logiciel bobdown, certes toutes versions confondues étant à cette date de 85 066, et est passé à 800 000 au 5 mars 2002, tandis que le logiciel bobdown avait été téléchargé 300 000 fois le 3 mai 2002 toutes versions confondues ;
qu’il se déduit de ces chiffres qu’au moins plusieurs milliers de téléchargements ont été opérés, en fraude des droits des parties civiles, un taux de téléchargement de seulement 5% par rapport au nombre de visites donnant 40 000 téléchargements, étant observé que le logiciel bobdown n’avait pas à être téléchargé à chaque visite du site de Mohamed K. ;
que le préjudice matériel est donc réel, les sociétés parties civiles justifiant de leurs droits sur les albums piratés, et très important ;
que les sociétés parties civiles ont également subi un préjudice moral découlant de la violation de leurs droits du trouble à leur fonctionnement normal et de l’astreinte à leur réputation ;
qu’au vu de ces éléments l’évaluation du préjudice subi faite par les premiers juges apparaît modérée et doit être confirmée ;
Attendu que si les premiers juges ont pu écarter pour des raisons d’équité, tenant à la situation respective des parties et non à l’importance des sommes allouées seulement destinées à réparer un préjudice réel, les demandes alors formées sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, il convient d’allouer à chaque partie civile la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles d’appel qu’elles ont du exposer devant la cour en raison de l’appel, jugé infondé, de Mohamed K..
La décision
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
En la forme,
. Déclare recevable les appels du prévenu et du ministère public ;
Au fond, sur l’action publique,
. Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
. Le président n’a pu donner au condamné l’avertissement prévu par l’article 132-29 du code pénal en raison de son absence à l’audience de lecture de l’arrêt.
La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de 120 € dont chaque condamné est redevable ;
. Fixe la contrainte par corps, s’il y a lieu, conformément aux dispositions de l’article 750 du code de procédure pénale ;
Le tout en vertu des textes sus-visés ;
Sur l’action civile,
. Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
. Condamne Mohamed K. à verser à chacune des quatre parties civiles (Scpp, Sppf, Sacem, Sdrm) la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
La cour : M. Selmes (président), MM Lamant et Couste (conseillers)
Avocats : Me Vasserot Jacques, Me Benazaref Josée Anne, Me Ravinetti, Me Tahar Simon
En complément
Maître Erick Ravinetti est également intervenu(e) dans les 8 affaires suivante :
En complément
Maître Jacques Vasserot est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Josée-Anne Benazeraf est également intervenu(e) dans les 22 affaires suivante :
En complément
Maître Simon Tahar est également intervenu(e) dans les 8 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Couste est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Lamant est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Selmes est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.