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Jurisprudence : Responsabilité

mercredi 10 juillet 2013
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Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 2 Arrêt du 21 juin 2013

SPPF / Youtube, Google

contenu illicite - hébergeur - notification - obligation de surveillance - réseaux sociaux - site internet - video - web 2. 0

FAITS ET PROCÉDURE

La Société des Producteurs de Phonogramme en France (ci-après SPPF), constituée en 1986 en application des dispositions de l’article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle, se présente comme regroupant plus de 1365 producteurs indépendants en indiquant que son objet porte sur l’exercice collectif des droits patrimoniaux des producteurs de phonogrammes et/ou vidéogrammes, sur la défense des droits dont elle a statutairement la charge et la protection et la défense des intérêts de ses membres.

Elle expose qu’elle a constaté, en mai 2008, que plusieurs vidéomusiques déclarées à son répertoire social étaient disponibles sur le site de la société Youtube et diffusées sans autorisation préalable des ayants-droit.

Le 7 mai 2008, elle a adressé trois lettres de mise en demeure aux fins de voir supprimer ces contenus, par application des articles 6.1.2 et 6.1.3 de la loi du 21 juin 2004 (dite loi de confiance dans l’économie numérique ou LCEN), ceci selon une liste de 233 vidéomusiques :
– à la Société de droit américain Youtube qui a créé en février 2005 aux Etats-Unis un service dénommé YouTube consistant en une plateforme communautaire d’hébergement de vidéos en ligne offrant à tous tiers un espace de stockage leur permettant de faire héberger et diffuser les vidéos de leur choix, les internautes ne pouvant les télécharger mais uniquement les visionner en lecture en ligne (dite streaming) puis a lancé, en juin 2007, une version européenne de son service,
– à la société de droit français Google France (qui a répondu à sa lettre, le 16 mai 2008), laquelle appartient au même groupe que You Tube LLC, rachetée en 2006 par la société de droit américain Google Inc.,
– à Youtube Copyright Infringment Notification, division établie à Dublin et à laquelle doivent être adressées, en Europe, les notifications d’infraction.

Sans faire grief à la société Youtube, dont elle ne conteste pas le statut d’hébergeur, d’avoir retiré avec la promptitude requise l’intégralité des contenus alors portés à sa connaissance mais expliquant que, quelques mois plus tard, elle avait constaté la réapparition de bon nombre d’entre elles sur le site accessible à l’adresse http://www.youtube.com, la SPPF a fait procéder à des mesures de constat entre le 19 février et le 11 mars 2009 puis, par acte du 15 mai 2009, a assigné en contrefaçon les sociétés Youtube et Google France devant la juridiction de fond afin d’obtenir, notamment, la réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte portée aux droits individuels des producteurs par la diffusion des vidéomusiques appartenant à son répertoire ainsi que du préjudice collectif de la profession de producteurs de musique.

La société Google Ireland qui a conclu des accords de partenariat ou de gestion de contenus avec certains des producteurs de vidéogrammes est intervenue volontairement à l’instance.

Par jugement contradictoire rendu le 28 avril 2011, le tribunal de grande instance de Paris a :
– déclaré recevables les demandes de la SPPF fondées sur la défense des intérêts individuels de ses membres, à l’exception de la demande de dommages-intérêts, d’une part, et sur les intérêts collectifs de la profession de producteur de phonogrammes et vidéogrammes de musique, d’autre part,
– prononcé la mise hors de cause de la société Google France et déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Google Ireland,
– rejeté les demandes de la SPPF en la condamnant à payer à la société Youtube la somme de 30 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 23 avril 2013, la société civile Société des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF), appelante, demande en substance à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a exonéré de toute responsabilité les intimés (notamment la société Youtube) sauf en ce qu’il a déclaré ses demandes fondées sur l’intérêt collectif de la profession recevables et, au visa des articles L 215-1, L 321-1, L 331-1, L 331-1-3 et L 335-4 du code de la propriété intellectuelle, de la directive e-commerce 2000/31/EC du 08 juin 2000 du Parlement européen, de l’article 6 de la loi LCEN ainsi que des articles 1382 et 1383 du code civil :
– de la déclarer recevable en l’ensemble de ses demandes sur le terrain des droits collectifs et individuels,
– de dire que les intimées ont violé le droit de ses membres, qu’elles se sont rendues coupables d’actes de contrefaçon de vidéogrammes et de vidéomusiques dépendant de son répertoire social et appartenant à ses membres, producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, et qu’elles sont responsables de contrefaçons des vidéomusiques concernées,
– de leur ordonner, sous astreinte, d’avoir à cesser toute nouvelle mise en ligne des vidéogrammes “visés dans l’assignation” pendant une durée de 10 ans à compter de l’arrêt à intervenir, ceci sous réserve de dispositions contractuelles spécifiques permettant la mise en ligne licite des vidéogrammes concernés, à l’exclusion de tout autre, et de les condamner “conjointement et solidairement” à lui verser :
– la somme de 10 000 000 € en réparation du préjudice individuel subi par ses membres dans les proportions suivantes :
* pour la société 361 Records : la somme de 286 755,52 €,
* pour la société Akka Création : la somme de 16 311,96 €,
* pour la société Athome : la somme de 59 841,71 €,
* pour la société Because Music : la somme de 1 125 792,29 €,
* pour la société Beggars : la somme de 343 366,51 €,
* pour la société Chandelle Prod : la somme de 835,73 €,
* pour la société DEA : la somme de 8839,78 €,
* pour la société Dj Center : la somme de 181 246,77 €,
* pour la société Francis Dreyfus : la somme de 6927,48 €,
* pour la société Happy Music : la somme de 1 461 328,97 €,
* pour la Société Ministrong : la somme de 14 522,29 €,
* pour la société Naïve : la somme de 1 868 961,30 €,
* pour la société No comment music : la somme de 46 405,02 €,
* pour la société Production, Davis Boyer: la somme de 670,15 €,
* pour la société Raps : la somme de 1 291 653,15 €,
* pour la société Scorpio Music : la somme de 286 755,52 €,
* pour la société Tintamar : la somme de 3356,96 €,
* pour la société Wagram : la somme de 1 850 517,67 €,
* pour la société Yellow Prod : la somme de 286 755,52 €,
– la somme de 100 000 € en réparation de son préjudice collectif,
– la somme de 80 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter tous les dépens,
– d’ordonner une mesure de publication par voie de presse et sur internet.

Par dernières conclusions signifiées le 26 mars 2013, la société de droit américain Youtube LLC, la société à responsabilité limitée Google France et la société de droit irlandais Google Ireland Ltd demandent, pour l’essentiel, à la cour, au visa de l’article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle et 6 de la LCEN, de confirmer le jugement sauf :
– en ce qu’il a jugé la SPPF recevable à agir tant pour la défense de l’intérêt individuel de ses membres que pour l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente,
– et en ce qu’il a considéré que la société Youtube avait l’obligation d’empêcher toute mise en ligne d’un nouveau fichier ou tout nouvel accès à un nouveau fichier contenant une œuvre ayant déjà fait l’objet d’une précédente notification,
et, statuant à nouveau :
– sur la recevabilité à agir de la SFPF
* de prendre acte de ce que la SPPF déclare elle-même que l’objet du litige soumis à la cour est circonscrit aux 123 vidéogrammes ayant fait l’objet d’une nouvelle diffusion sur la plateforme Youtube entre le 09 février et le 11 mars 2009, de dire qu’elle est irrecevable à agir s’agissant de 34 vidéogrammes qui sont soit exclus des mandats spéciaux des producteurs, soit n’ont pas été déclarés à son répertoire, de constater que les producteurs Naïve, Wagram et Believe (agissant pour le compte des labels 361 Records, At(h)ome, DJ Center Records, Tintamar, Chandelle, Yellow Productions, DEA Management) sont des labels partenaires de YouTube ayant expressément autorisé la diffusion et/ou le maintien des contenus relevant de leur répertoire sur la plateforme YouTube avant le 09 février 2009 ; de dire, en conséquence, que la SPPF est irrecevable à agir, s’agissant des vidéogrammes listés dans sa pièce 23 appartenant auxdits producteurs,
* de constater que la SPPF n’a reçu aucune habilitation spécifique à agir au nom de l’ensemble des professions exercées par les membres qu’elle représente et de la déclarer en conséquence irrecevable en son action à ce titre,
* de débouter, en conséquence, la SPPF de l’ensemble de ses prétentions,
– sur la responsabilité de la société Youtube :
* de dire qu’elle n’était pas tenue d’empêcher toute nouvelle mise en ligne des vidéogrammes précédemment notifiés par la SPPF et retirés alors qu’elle n’en avait pas été avisée par une autre notification régulière pourtant requise pour qu’elle ait effectivement connaissance de leur caractère illicite et de leur localisation et soit alors tenue d’agir promptement pour les retirer ou en rendre l’accès impossible,
* de débouter, en conséquence, la SPPF de l’ensemble de ses prétentions,
– à titre subsidiaire sur le préjudice – si la responsabilité de la société Youtube devait être retenue en dépit de la jurisprudence communautaire et de celle de la Cour de cassation,
– de dire que le préjudice allégué est circonscrit aux 123 vidéogrammes objets de la liste communiquée en pièce 23 à l’exclusion de 34 vidéogrammes non couverts par les mandats produits ou par lesquels la SPPF n’a pas justifié d’acte de déclaration et à l’exclusion des vidéos reproduisant les vidéogrammes dont les droits appartiennent aux 09 producteurs précités, de dire en tout état de cause que la SPPF ne démontre pas le préjudice qu’elle invoque et de la débouter de toutes ses demandes indemnitaires ; de considérer, en outre, que les mesures de publication sollicitées sont disproportionnées et non justifiées en déboutant la SPPF de ce chef,
– sur la mesure d‘interdiction
* de dire qu’en vertu de l’article 6-1-7 de la loi LCEN, le juge peut seulement ordonner à un prestataire d’hébergement une “activité de surveillance temporaire et ciblée” sur des contenus identifiés, qu’en conséquence, la mesure d’interdiction générale et imprécise sollicitée est irrecevable et dépasse les pouvoirs conférés au juge par la loi et de débouter la SPPF de sa demande d’interdiction,
* subsidiairement, de dire que l’activité de surveillance que la cour pourrait ordonner de mettre en place à la société Youtube, en application de l’article 6-1-7 de la loi LCEN, doit nécessairement être limitée dans le temps, quant à son objet, quant aux fichiers concernés et quant aux auteurs de mises en ligne litigieuses ; qu’en tout état de cause cette activité ne pourrait concerner les vidéos mises en ligne par les utilisateurs de YouTube reproduisant les phonogrammes non couverts par les mandats produits ou pour lesquels la SPPF n’a pas justifié de déclaration à son répertoire, ni les vidéos reproduisant des phonogrammes appartenant aux 09 labels précités ayant expressément autorisé leur diffusion sur la plateforme YouTube,
– en tout état de cause
– de débouter la SPPF de toutes ses prétentions et de la condamner à leur verser la somme de 100 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

DISCUSSION

Sur le moyen tiré de l’irrecevabilité à agir de la SPPF pour la défense des intérêts individuels des 19 producteurs concernés par le litige

Considérant que le jugement n’est pas contesté en ce qu’il énonce qu’en vertu de l’article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle, la SPPF est recevable à agir pour la défense de l’intérêt individuel de ses membres ;

Que si la SPPF appelante sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu, au constat de la production de déclarations d’adhésion à ses statuts et de déclarations de leurs vidéogrammes à son répertoire, qu’elle était recevable à agir pour la défense des intérêts de 19 de ses membres et que les contrats de licence conclus entre Google Ireland et certains de ces producteurs n’entraient en application que le jour où le fournisseur adressait ses contenus à Google et ouvrait un compte d’utilisateur Youtube, elle en poursuit néanmoins l’infirmation puisque le tribunal a rejeté sa demande indemnitaire du fait qu’elle s’est abstenue d’individualiser les demandes en fonction des atteintes subies par chacun de ses membres ;

Que, de leur côté, les intimées qui sollicitent la confirmation de cette disposition du jugement font toutefois valoir que la SPPF est irrecevable à agir pour l’intégralité des 123 vidéos en ligne désormais clairement précisées par l’appelante et au nom de l’intégralité des 19 producteurs ; que son action est, en effet, irrecevable pour 34 vidéogrammes exclus des mandats spéciaux ou non déclarés au répertoire de la SPPF de la même façon qu’elle l’est pour 9 des producteurs en cause qui avaient contractuellement autorisé la diffusion de leurs contenus sur Youtube avant la date des faits .

Considérant, ceci rappelé et s’agissant des 34 vidéogrammes invoqués par les intimés, que ces dernières ne sont pas contestées en leur lecture de l’article 3 des statuts de la SPPF – laquelle, comme toutes les sociétés de perception, ont qualité pour agir, selon l’article 321 CPI, « pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge” – lorsqu’elles affirment que l’action est subordonnées à deux préalables, à savoir :
– un mandat exprès pour chacun des producteurs représentés et qui n’exclut aucun de leurs phonogrammes et vidéogrammes,
– une déclaration au répertoire de la SPPF, pour chacun des producteurs concernés, de tous les phonogrammes ou vidéogrammes revendiqués ;

Qu’alors que les intimées se livrent à une analyse précise des 17 attestations que la SPPF a obtenues des labels qu’elle représente, aux termes desquels ils confirment lui avoir donné mandat d’agir du fait des mises en ligne passées de vidéomusiques listées en annexe de leurs attestations pour affirmer que 30 d’entre eux ne sont pas couverts par ces mandats spéciaux, à savoir (pièces 77-2, 68, 77-1, 77-5 de l’appelante) :
– pour le label Yellow Productions : “World Hold On” de Edwards et 5 des 7 vidéogrammes revendiqués,
– pour le label Tintamar : “Aime-moi” de Sorel,
– pour le label Francis Dreyfus : 5 des 6 vidéogrammes de l’artiste Christophe et 18 des 19 vidéogrammes de Jarre, la SPPF s’abstient d’en débattre, se bornant à dire que la cour dispose de tous les éléments versés aux débats lui permettant d’identifier les vidéogrammes manifestement illicites ;

Qu’eu égard à ces éléments, il convient de considérer que les intimées sont fondées en leur contestation de la recevabilité à agir de la SPPF en ce que son action concerne ces 34 vidéogrammes ;

Que, s’agissant de la recevabilité à agir de la SPPF pour le compte de 9 des 19 producteurs concernés par le litige, les intimées se prévalent de l’existence de contrats de gestion ou de partenariat, ajoutant qu’en leur qualité de partenaires, ces labels ont signé un contrat de licence d’utilisation portant sur l’intégralité des contenus musicaux et audiovisuels leur appartenant avec la société Google Ireland et ses sociétés affiliées (dont Youtube LLC exploitante de la plateforme Youtube) et se trouvent, comme tels, responsables de la gestion de la diffusion de leur contenu via la plateforme de Youtube ; qu’il en est ainsi :
– du label Wagram depuis le 03 novembre 2008,
– du mandataire Believe qui gère les droits numériques en leur nom et pour leur compte des sept labels 361 Record, A(t)home, DJ Center Records, Tintamar, Chandelle, Yellow Productions, DEA Management, ce depuis le 12 décembre 2008,
– du label Naïve depuis le 15 décembre 2008,
en précisant que trois autres (les labels Happy Music, Beggars et Because Music) sont devenus partenaires après les nouvelles diffusions constatées entre le 09 février et le 11 mars 2009 ;

Que si la SPPF appelante s‘approprie les motifs du jugement qui a considéré que l’entrée en vigueur des contrats était conditionnée à la remise de leurs contenus à Google et à l’ouverture d’un compte d’utilisateur Youtube, ce qui a conduit le tribunal à dire que la SPPF était recevable à agir pour le compte de l’ensemble des 19 producteurs, c’est avec pertinence que les intimées font valoir que la date d’entrée en vigueur des conventions formées, ayant force obligatoire, était expressément mentionnée – soit, respectivement, le 12 décembre 2008, le 15 décembre 2008 et le 30 octobre 2008, les ayants-droit pouvant gérer la diffusion de leur contenu en amont (en en fournissant la copie pour prendre les empreintes) ou en aval (en faisant procéder à la prise d’empreintes illicites par le système Youtube) ;

Qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les moyens d’irrecevabilité partielle tels que soulevés par les sociétés intimées doivent être accueillis, de la même façon qu’elles doivent être suivies lorsqu’elles demandent que la SPPF soit déclarée irrecevable à solliciter une interdiction pour l’avenir pour le compte des douze producteurs précités, désormais responsables de la gestion de la diffusion de leurs contenus sur la plateforme Youtube ;

Sur le moyen tiré de l’irrecevabilité à agir de la SPPF pour la défense des intérêts collectifs de la profession de producteur qu’elle représente

Considérant que les intimées reprochent au tribunal d’avoir déclaré la SPPF recevable à agir à ce titre en se fondant sur les statuts de cette dernière et sur le fait qu’en sa qualité de société de gestion collective, elle se voit reconnaître une mission de représentation de l’intérêt général des professions exercées par les membres qu’elle représente alors qu’elles soutenaient devant les premiers juges, réitérant leur moyen en cause d’appel, que la SPPF n’est par habilitée à agir dans l’intérêt collectif de la profession du fait de sa forme ;

Qu’une société civile étant, en effet, constituée, selon l’article 1833 du code civil, “dans l’intérêt commun des associés“, elle ne peut gérer que l’intérêt de ses seuls membres, d’autant, au cas particulier, que la SPPF ne représente que ceux des labels indépendants ; qu’à leur sens, l’article 3.12 de ses statuts lui donnant mission d’assurer la défense de l’intérêt collectif viole ce principe d’ordre public ;

Considérant, ceci rappelé, que les intimées invoquent des dispositions du code civil de portée générale et qu’il peut être dérogé à des dispositions générales par des dispositions particulières ;

Qu’en l’espèce, la SPPF tient des dispositions de l’article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle et de ses statuts, auxquels le texte renvoie, le droit d’agir tant pour la défense des intérêts individuels de ses membres que pour l’intérêt collectif de la profession ;

Que le jugement mérite, par conséquent, confirmation ;

Sur la demande de mise hors de cause de la société Google France

Considérant que pour reprocher au tribunal d’avoir mis hors de cause la société Google France, la SPPF fait valoir que seule cette société s’est manifestée durant la phase précontentieuse, se posant alors comme directement concernée par les contrefaçons alléguées et prenant l’engagement d’y mettre un terme ; que l’engagement de sa responsabilité doit, selon elle, être retenu puisqu’elle n’a pas tenu ses engagements de faire supprimer durablement les vidéogrammes litigieux, par impuissance ou délibérément ;
Considérant, ceci rappelé, que le rôle actif de la société Google France tel que présenté n ‘est pas démontré, l’intervention de celle-ci durant “la phase précontentieuse” invoquée se limitant à l’envoi d’un courriel en réponse datant du 16 mai 2009, et le préposé de la société Google France se bornant à dire : “dès réception des URLS par email hier, j’avais en effet transmis à Youtube LLC, exploitante du site fr.youtube.com, votre demande de retrait” et d’une information relative à un outil de protection mis en place par la société Youtube ; que la SPPF ne caractérise, en outre, nullement les engagements dont elle fait état;

Que l’appelante n’établit pas davantage, malgré la motivation du tribunal, le rôle de la société Google France, entité juridique distincte, dans l’exploitation du site internet de la société Youtube, alors que les intimées peuvent se prévaloir des conditions d’utilisation de ce site qui indiquent que l’exploitation en revient à la société Youtube ainsi que de la rubrique “Contactez-nous” qui ne mentionne comme seul point de contact que la société Youtube LLC ou encore de la division destinataire des notifications d’infractions, Youtube Copyright Infringment Notification ;

Que le jugement doit, dans ces conditions, être confirmé de ce chef ;

Sur la responsabilité de la société Youtube LLC du fait des remises en ligne de contenus précédemment notifiés et retirés

Considérant que le tribunal a jugé que la société Youtube n’avait pas engagé sa responsabilité d’hébergeur selon les règles posées par l’article 6-l de la loi LCEN ;

Que, pour ce faire, il a considéré que, certes, depuis la notification du 07 mai 2008, la société Youtube était présumée avoir connaissance du caractère illicite des vidéomusiques et devait non seulement les retirer des liens énoncés dans la notification mais également mettre en œuvre les moyens techniques dont elle disposait en vue de rendre leur accès impossible ;

Qu’il a toutefois pris en considération l’abstention de la SPPF à répondre à la proposition que lui faisait la société Youtube de recourir, par adhésion, à la technologie de reconnaissance vidéo par empreintes numériques, totalement gratuite, par elle mise en place (dénommé “Content ID”) afin d’éviter que les vidéogrammes de son répertoire ne soient contrefaits ou diffusés sur sa plateforme, concluant que la responsabilité de Youtube ne pouvait, dès lors, être engagée, sauf à ce que le titulaire des droits lui indique précisément la localisation de nouveaux fichiers litigieux, conformément à l’article 6-1-5 de la loi LCEN ;

Considérant que la SPPF poursuit l’infirmation du jugement en faisant valoir que l’article 6-1-2 de la loi LCEN prévoit un régime de responsabilité “limitée” de l’hébergeur “si (les personnes morales ou physiques stockant des contenus) n‘avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible” et que, de même que la cessation de la mise en ligne d’un contenu manifestement illicite s’impose à l‘hébergeur qui en a été informé, par analogie, il lui incombe d’agir pour prévenir la réitération d’un contenu illicite, le considérant 45 de la directive e-commerce donnant à cet égard un éclairage pertinent ;

Qu’en effet, ajoute-t-elle, une fois mis en situation de disposer de la connaissance précise des contenus litigieux, il sera aisé pour l’hébergeur (et en particulier pour Youtube qui possède tous les outils de filtrage) de les identifier sur son serveur et par là-même d’éliminer tous risques de porter atteinte à la liberté d’expression qui doit se concilier aux droits et libertés des tiers ;

Qu’en dépit de la solution jurisprudentielle qui lui est opposée, elle soutient que l’obligation de surveillance s’impose à l‘hébergeur, tenu de délimiter de manière raisonnable dans le temps le blocage des contenus suivant le dispositif qu’il a conçu et mis en place, d’autant que faute de distinguer le caractère illicite ou manifestement illicite des contenus, cette jurisprudence lui apparaît d’une portée réduite ;

Que la défaillance de la société Youtube est, selon elle, patente puisqu’entre la date de notification et celle de la suppression (soit du 7 au 16 mai 2009), il lui appartenait de procéder à la prise d’empreintes (tatouage) des vidéogrammes litigieux grâce au système “Content ID” à partir des fichiers de référence stockés sur ses serveurs et qu’elle s’est contentée de les supprimer purement et simplement depuis certains liens URL ; qu’à cet égard le tribunal a commis une double erreur d’appréciation en ne sanctionnant pas la société Youtube pour cette négligence et en mettant à la charge des producteurs une nouvelle obligation, inacceptable sur le plan des principes et contraignante, ce au moyen d’un procédé qu’elle juge inefficace et irrégulier ;

Considérant que, si, de leur côté, les intimées sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il dispose que sont rejetées les demandes de la SPPF, elles demandent néanmoins à la cour de procéder à la substitution des motifs de ce jugement selon lesquels il appartient à l’hébergeur de mettre en œuvre, dès la première notification de contenus illicites, tous les moyens dont il dispose pour rendre impossible l’accès à ces contenus ;

Qu’elles font valoir que tant la directive 2000/31 CE transposée par la loi LCEN du 21 juin 2004 que les articles 6-1-7, alinéa 1er et 2, et 6-1-5 de cette loi excluent une obligation générale de surveillance des informations transmises ou stockées ou de recherche active de faits illicites, et qu’il s’en déduit – ainsi, d’ailleurs, que jugé par la juridiction communautaire et nombre d’autres juridictions – que tout fait nouveau nécessite une nouvelle notification ;

Qu’elles ajoutent que contrairement à ce que soutient l’appelante à la faveur d’une interprétation, selon elle, erronée du considérant 45 de la directive, l’article 14.3 de cette directive et l’article 6-1-7 précité réservent à la seule autorité judiciaire le pouvoir d’imposer aux hébergeurs une obligation temporaire et ciblée et qu’il ne peut lui être reproché d’avoir mis spontanément en place une mesure de filtrage ;

Qu’elles font enfin observer la société Youtube a mis en place, au delà de ses obligations légales comme l’a reconnu le tribunal, une technologie facilitant l’identification et le retrait de leur contenu par les ayants-droit, non exclusive d’autres moyens de notification, et que le refus de la SPPF d’adhérer à son système “content lD”, comme il le lui a été proposé dès le 25 septembre 2008, est injustifié, ajoutant que ce système relève des mesures techniques de protection visé à l’article L 331-5 du code de la propriété intellectuelle qui ne peuvent être mis en place que sous le contrôle des ayants-droit ;

Considérant, ceci exposé, que les règles européennes et nationales visées par les intimées réservent à la seule autorité judiciaire le pouvoir d’imposer aux hébergeurs une obligation de surveillance temporaire et ciblée et qu’en l’absence de texte le prévoyant expressément la responsabilité d’un retrait lors de la réitération d’un contenu illicite ne saurait échoir à l’hébergeur ;

Qu’en effet, l’argumentation contraire de l’appelante repose, pour une bonne part, sur une consultation juridique introduisant le chapitre consacré à l’obligation à la charge de l‘hébergeur en des termes quelque peu dubitatifs puisqu’il est écrit : “Il convient, selon nous, de transposer, mutatis mutandis, les principes et procédure de connaissance du contenu illicite permettant à l‘hébergeur de remplir cette obligation sans en limiter le déclenchement à la seule hypothèse d’une intervention judiciaire” ; que l’extrapolation qui y est faite de l’adverbe “notamment” employé dans le 45ème considérant de la directive [à savoir : “(…) Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il soit mis un terme à toute violation, y compris en retirant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossibles”] n’emporte pas la conviction de la cour dans la mesure où l’article 14.3 de la directive lui-même prévoit seulement que “le présent article n‘affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative conformément aux systèmes juridiques des Etats membres, d’exiger du prestataire qu‘il mette un terme à une violation ou qu‘il prévienne une violation et n‘affecte pas non plus la possibilité, pour les Etats membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible” ;

Que, pour les mêmes motifs, les mécanismes de connaissance de l’illicite invoqués par l’appelante qui conduiraient à dire, comme elle le soutient, qu’un hébergeur qui aurait reçu une notification et qui retirerait le contenu pourrait être tenu à une obligation de prévention ne sauraient être retenus, étant en particulier relevé que l’auteur de cette consultation procède, pour conclure en ce sens, par analogie et reste prudent dans sa formulation [“il nous semble donc possible de transposer ce raisonnement (…)”] ;

Qu’il résulte, en revanche, des dispositions combinées des articles 6-1-2, 6-1-5 et 6-1-5 de la loi LCEN que l’hébergeur n’est pas soumis à une obligation générale de surveillance et que le retrait d’un contenu par un hébergeur, eût-il déjà fait l’objet d’une notification, ne peut intervenir sans notification préalable ;

Que s’agissant, par ailleurs, de la contestation du jugement en ce qu’il fait grief à la SPPF de n’avoir pas souscrit à la proposition que lui faisait la société Youtube et qui portait sur un outil permettant la reconnaissance de contenus à partir d’empreintes, c’est par motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont considéré que cette abstention pouvait lui être imputée à faute ;

Qu’il sera ajouté qu’il n’appartenait pas à la société Youtube de générer, de sa propre initiative et sans contrôle des ayants-droit, des empreintes sur les contenus objets de la première notification et que l’obligation de surveillance mise à la charge de ces derniers n’apparaît ni disproportionnée ni d’un exercice complexe, eu égard au descriptif qu’en fait la société Youtube ;

Qu’il suit que par motifs substitués concernant l’obligation de surveillance de l’hébergeur après une première notification de contenus illicite, le jugement entrepris qui énonce que la société Youtube n’a pas engagé sa responsabilité doit être confirmé ;

Sur la mesure d’interdiction sollicitée par la SPPF

Considérant qu’aux termes du dispositif de ses dernières conclusions, la SPPF demande à la cour d’ordonner aux sociétés Youtube et Google France d’avoir à cesser toute nouvelle mise en ligne des vidéogrammes visés dans l’assignation pendant une durée de 10 ans à compter de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée à compter de la décision à intervenir” ;

Qu’elle ajoute : “dire que cette mesure s’appliquera sous toutes réserves bien entendu de dispositions contractuelles spécifiques permettant la mise en ligne licite des vidéogrammes, c’est à dire faite à l’initiative des producteurs de vidéogrammes concernés, à l’exclusion de tout autre” ;

Mais considérant qu’une demande ainsi formulée qui se caractérise, comme le font justement valoir les intimées, par son imprécision quant à son objet contrevient aux exigences de l’article 6-1-7, alinéas 1 et 2 de la loi LCEN selon lequel l’autorité judiciaire ne peut ordonner qu’une activité de surveillance “ciblée et temporaire” ;

Qu’elle sera par conséquent rejetée et le jugement confirmé ;

Sur les demandes complémentaires

Considérant que l’équité conduit à condamner la SPPF à verser aux sociétés Google France et Youtube LLC une somme complémentaire de 30 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Que, déboutée de ce dernier chef de prétentions, la SPPF qui succombe supportera les dépens d’appel ;

DÉCISION

Par ces motifs,

. Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, y ajoutant ;

. Condamne la société civile Société des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF) à verser à la société à responsabilité limitée Google France et à la société de droit américain Youtube LLC une somme complémentaire de 30 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La cour : Mme Marie-Christine Aimar (présidente), Mmes Sylvie Nerot et Véronique Renard (conseillères)

Avocats : Me Simon Tahar, Me Edmond Tahar, Me Alexandra Neri

Notre présentation de la décision

 
 

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