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Jurisprudence : Contenus illicites

jeudi 21 février 2019
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TGI de Paris, 17e ch. corr., jugement du 13 février 2019

Ministère public / M. Z.

clé USB - force probante - Injures publiques - policiers - preuves - video

Par lettre du 10 avril 2018, reçue le 13 avril 2018, le ministre de l’intérieur déposait plainte pour injure publique envers la police nationale, indiquant que, lors d’un rassemblement du collectif « La révolution en marche », le 15 février 2018, devant le siège du syndical Alliance – Police Nationale, M. Z. avait tenu, publiquement, les propos suivants « les policiers ils nous tuent, ils nous violent, ils nous frappent, qu’ils nous protègent ».
Ces propos avaient en outre été préalablement signalés au ministère public, en application de l’article 40 du
code de procédure pénale, par le préfet de police, par courrier du 20 février 2018, le préfet joignant à son envoi une clé USB portant le sigle Alliance – Police Nationale.

Par soit-transmis du 16 avril 2018, le ministère public décidait l’ouverture d’une enquête préliminaire, du chef d’injure publique envers la police nationale.

Il résultait des investigations menées par la brigade de répression de la délinquance :

– que l’exploitation de la clé USB, remise dans le cadre de cette procédure, montrait M. Z. en train de dire, devant le siège du syndicat de police, avec un mégaphone blanc et gris dans la main, « les policiers ils nous tuent, ils nous violent, ils nous frappent, qu’ils nous protègent » ;

– qu’entendu le 02 mai 2018 par le service d’enquête, M. Z. déclarait que cela faisait plusieurs fois qu’il se rendait devant le siège du syndicat – ce qu’attestait d’ailleurs une autre procédure jointe pour information à la présente ;

– que le prévenu ajoutait également que la manifestation s’inscrivait dans la cadre d’une mobilisation menée depuis le 02 février 2018, par son collectif, dans le contexte d’une affaire de violences policières alléguées à Aulnay-sous-Bois, connue sous le nom d’ « affaire Théo », datant du 02 février 2017 ;

– qu’il déclarait avoir dit en réalité « Les policiers ils nous tuent, ils nous violent, ils nous frappent, qui nous protège ? » ;

– que ses propos avaient pour objet, selon lui, de dénoncer les méthodes de communication du syndicat de police en cause, qu’il respectait la police nationale mais pas certains policiers qu’il qualifiait de « racaille en col bleu» et qu’il n’avait donc pas eu l’intention d’injurier publiquement la police nationale ;

– que, selon un procès-verbal des enquêteurs du 04 mai 2018, la dernière partie des propos pouvait être comprise comme « qu’ils nous protègent » ou « qui nous protège ? ».

C’est dans ces conditions que, par citation délivrée le 29 juin 2018, M. Z. était poursuivi devant ce tribunal pour injure publique envers la police nationale, pour avoir tenu les propos suivants : « Les policiers ils nous tuent, ils nous violent, ils nous frappent, qui nous protège ? ».

A l’audience, le ministère public faisait valoir que l’infraction était établie et demandait la condamnation du prévenu à la peine de 1.000 euros d’amende avec sursis.

Les conseils du prévenu demandaient sa relaxe, outre la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article
800-2 du code de procédure pénale. Il était également sollicité une dispense d’inscription de condamnation
sur le bulletin n°2 du casier judiciaire.

Sur l’injure publique envers la police nationale :

L’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. Une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse. Un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé. Une invective prend une forme violente ou grossière.

L’appréciation du caractère injurieux du propos doit être effectuée en fonction du contexte, en tenant compte des éléments intrinsèques comme extrinsèques au message, et de manière objective.

L’article 33 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que l’injure publique envers les corps ou les personnes désignées par les articles 30 et 31, soit notamment les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d’une amende de 12.000 euros.

En l’espèce, certes, les propos visés en prévention ont bien été tenus par M. Z. dans une vidéo, ainsi qu’il résulte de l’enquête de police.

Il convient cependant de relever :

– qu’aucune transcription de la vidéo n’est versée aux débats, dans des conditions permettant au tribunal de déterminer le contexte des propos visés en prévention ;

– que, par ailleurs, ainsi qu’il a été soulevé à l’audience en défense, le visionnage de la vidéo permet de constater que celle-ci a fait l’objet d’un montage, de sorte que les circonstances précises de temps et de lieu du tournage ne sont pas connues, étant rappelé que la vidéo est issue d’une clé USB, transmise au préfet de police, dans des conditions de fixation indéterminées ;

– que les propos en question s’inscrivent, au demeurant, dans le contexte d’une affaire de violences policières particulièrement médiatiques ;

– que, dès lors, la phrase litigieuse ne peut, avec certitude, être comprise comme visant l’ensemble de la police nationale, l’expression « Les policiers » étant à l’évidence susceptible, dans ces circonstances, de se rattacher aux fonctionnaires mis en cause dans l’affaire en question, ou, à tout le moins, aux fonctionnaires de police suspectés d’avoir commis des violences dans l’exercice de leurs fonctions ;

– que, d’ailleurs, le prévenu a toujours contesté avoir voulu viser l’ensemble de la police nationale, même si les termes employés dans les propos objet de la poursuite sont particulièrement polémiques.

Au regard de ces éléments, faute d’éléments suffisants sur le sens et la portée des propos reprochés, le tribunal entrera en voie de relaxe, l’injure publique envers la police nationale n’étant pas caractérisée en tous ses éléments.

Sur l’application des dispositions de l’article 800-2 du code de procédure pénale :

L’article 800-2 du code de procédure pénale dispose qu’à la demande de l’intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe, un acquittement ou toute décision autre qu’une condamnation ou une déclaration d’irresponsabilité pénale peut accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité qu’elle détermine au titre des frais non payés par l’État et exposés par celle-ci. Cette indemnité est à la charge de l’État. La juridiction peut toutefois ordonner qu’elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l’action publique a été mise en mouvement par cette dernière. Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article, codifié aux articles R.249-2 et suivants du code de procédure pénale.

En l’espèce, la présente procédure n’apparaît ni téméraire, ni abusive, les propos litigieux, dont le ton vif et polémique ne saurait être contesté, ayant donné lieu à plusieurs signalements d’autorités publiques auprès du parquet.

Dans ces conditions, la demande de M. Z., fondée sur les dispositions de l’article 800-2 du code de procédure pénale, sera rejetée.


DÉCISION

contradictoirement

Renvoie M. Z. des fins de la poursuite ;

Rejette la demande fondée sur les dispositions de l’article 800-2 du code de procédure pénale.


Le Tribunal :
Thomas Rondeau (président)

Avocats : Ilana Soskin, Yaël Scemama

Source : Legalis.net

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