Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de grande instance de Paris, 17ème ch. civ., jugement du 11 mai 2016
E. S. dite E. L. / Cerise Media, G. M.
atteinte au droit à l'image - diffamation - e-réputation - évaluation du préjudice - indemnisation
DEBATS
A l’audience du 22 février 2016 tenue publiquement devant Marie Mongin qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience et en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.
JUGEMENT
Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Vu l’assignation qu’E. S. dite E. L., a fait délivrer par actes en date du 1er juin 2015 à G. M., D. M., B. T. et la société Cerise Media, et ses dernières conclusions signifiées le 16 février 2016, par lesquelles, en raison de propos figurant dans un article mis en ligne le 2 mars 2015 sur le site internet www.ohmymag.com sous le titre :
« Une candidate de téléréalité teint son chat en rose, il meurt d’une intoxication », qu’elle estime diffamatoires à son encontre, au visa des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 9 et 1382 du Code Civil, elle demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :
– DIRE et JUGER que G. M., D. M. et/ou B. T. ont commis le délit de diffamation publique envers particulier à son encontre,
– CONDAMNER solidairement G. M., D. M. et/ou B. T., es qualité de directeur de la publication du site internet http://www.ohmymag.com, et la société Cerise Media, civilement responsable, à lui payer la somme de 30 000 € en réparation du préjudice qu’elle a subi à la suite de la diffamation ainsi commise à son encontre ;
– ORDONNER la publication aux frais des défendeurs, en page d’accueil du site internet http://www.ohmymag.com sous huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 10 000 € par semaine de retard, d’un communiqué judiciaire,
– ORDONNER la suppression de l’article litigieux du site internet http://www.ohmymag.com, dans le délai de huit jours à compter de la signification de jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard due in solidum par les défendeurs ;
– DIRE que le cliché photographique la représentant porte atteinte à son droit à l’image,
– CONDAMNER la société Cerise Media à lui payer la somme de 15 000 € en réparation de l’atteinte commise à son droit à l’image,
En tout état de cause :
– CONDAMNER solidairement les défendeurs à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l’at1icle 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 février 2016 pour les défendeurs indiquant que seul G. M. a la qualité de directeur de la publication du site internet ohmymag.com et sollicitant en conséquence la mise hors de cause de D. M. et de B. T., celle de G. M. étant sollicitée également dans les écritures par une erreur de plume – rectifiée à l’audience -, contestant le caractère diffamatoire des propos comme l’atteinte au droit à l’image et sollicitant le bénéfice de la bonne foi comme, en toute hypothèse, une modération du montant des dommages-intérêts et l’allocation d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 17 février 2016;
DISCUSSION
Attendu qu’il convient en premier lieu de mettre hors de cause D. M. et B. T., G. M. se reconnaissant comme le directeur de la publication du site internet www.ohmymag.com sur lequel ont été mis en ligne les propos incriminés ;
Sur les faits et les propos incriminés (ci-après reproduits en caractères gras)
Attendu que la demanderesse indique être une artiste russe devenue célèbre en France en participant à une émission dite de « télé-réalité », Nice People, diffusée sur la chaîne de télévision TF1, qu’invitée à une Pink Party, elle s’y est rendue avec un chaton teint, d’une teinture éphémère, en rose vif après avoir recueilli l’avis favorable d’un vétérinaire ; que des associations de défense des animaux ont dénoncé l’utilisation de ce petit chat et, le 28 février 2015, le Daily Mail annonçait sa mort du fait de cette teinture ; que le 3 mars suivant le site internet www.ohmymag.com mettait en ligne un article intitulé : « Une candidate de téléréalité teint son chat en rose, il meurt d’une intoxication. » précédé du chapeau suivant : « Le mannequin russe E. L. est accusée d’avoir causé la mort de son chat. La coloration rose qu’elle lui avait fait appliquer il y a plusieurs mois l’’aurait intoxiqué.» et ainsi libellé :
« L’affaire suscite l’émoi parmi les défenseurs des animaux. Selon une information diffusée par le Daily Mirror, le chat d’E. L., principalement connue pour sa participation à la téléréalité Nice People en 2003, serait mort à cause d’une teinture rose appliquée sur son pelage blanc.
Une excentricité réalisée en septembre dernier pour une soirée jet-set baptisée « pretty in pink party, et qui avait déjà provoqué la colère des associations de défenses des animaux. (…) Seulement l’animal est tombé gravement malade avant de décéder il y a quelques jours. Selon son vétérinaire, le matou serait mort d’une intoxication due à cette coloration, à force de se lécher les poils »
Que cet article est illustré d’un cliché photographique posé, représentant la demanderesse ;
Sur le caractère diffamatoire des propos incriminés
Attendu qu’il convient de rappeler que l’article 29, alinéa 1er, de la loi sur la liberté de la presse définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » ledit fait devant être suffisamment précis pour pouvoir faire, sans difficulté, l’objet du débat sur la preuve de sa vérité organisé par les articles 35, 55 et 56 de la loi ; que ce délit, qui est caractérisé même si l’imputation est formulée sous une forme déguisée, dubitative ou par voie d’insinuations, doit être apprécié en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir, en l’espèce, tant du contenu même des propos que de leur contexte, se distingue ainsi de l’injure, que l’alinéa 2 du même article 29 définit comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », comme de l’expression de considérations purement subjectives ;
Que doit par ailleurs être précisé que ni l’inexactitude des propos ni leur caractère désobligeant ne suffisent à caractériser la diffamation et que l’appréciation de l’atteinte portée à l’honneur ou à la considération de la personne visée doit se faire indépendamment du mobile de son auteur comme de la sensibilité de la personne visée ou sa conception subjective de l’honneur et de la considération, mais au regard de considérations objectives d’où s’évincerait une réprobation générale, que le fait soit prohibé par la loi ou considéré comme d’évidence contraire à la morale commune ;
Attendu que la demanderesse estime que les propos poursuivis lui imputent « d’avoir empoisonné par teinture un chat et d’avoir ainsi causé la mort de l’animal » et donc « d’avoir commis des sévices et actes de cruauté envers un animal » actes délictueux au sens de l’article 521-1 du Code pénal ou constitutifs de la contravention prévue par l’article R651-3 du même code ;
Attendu, que c’est à juste titre que la demanderesse estime que les propos incriminés lui imputent d’avoir, par la teinture du pelage du chat qu’elle a exhibé à une pink party, entraîné la mort de cet animal ; qu’en effet cette mort est affirmée à plusieurs reprises, tant dans le titre que dans le dernier paragraphe dans lequel des détails sont donnés sur la maladie qui a précédé sa mort, la date de celle-ci : « il y a quelques jours », et les explications du vétérinaire qui l’aurait soigné, ce qui donne un incontestable crédit à l’annonce de cette mort ; qu’ainsi, il est bien imputé à la demanderesse d’avoir, par ce qui est qualifié d’excentricité, qui peut être assimilé à une maladresse ou une imprudence, causé la mort de cet animal ce qui est constitutif de l’infraction prévue et réprimée par l’article R 651-3 du Code pénal, et donc contraire à l’honneur et à la considération ;
Que le caractère diffamatoire des propos querellés sera donc retenu ;
Attendu que les défendeurs invoquent, à titre subsidiaire, leur bonne foi ; qu’il doit être rappelé que les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsqu’il est démontré que leur auteur a agi de bonne foi, et notamment qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête ainsi que de prudence dans l’expression ;
Attendu qu’en l’espèce aucun élément n’est produit à l’appui de l’existence d’une quelconque enquête relative à la réalité de la mort du petit chat que la demanderesse avait fait teindre en rose, la seule référence à un article du Daily Mirror annonçant cette mort, étant insuffisante compte tenu du caractère affirmatif des propos tenus dans cet article ; que le manque de prudence dans l’expression au regard de l’absence de tout élément de nature à établir une quelconque enquête sur la réalité de l’information diffusée sur le Daily Mirror, ne permet pas d’accorder au directeur de la publication le bénéfice de la bonne foi ;
Sur l’atteinte alléguée au droit à l’image
Attendu que c’est à juste titre que la demanderesse se plaint de la reproduction d’un cliché photographique la représentant qui, bien que posé et pris dans le cadre de sa vie publique et professionnelle, est détourné de son contexte en ce qu’il illustre un article illicite, de sorte que l’atteinte alléguée sera retenue ;
Sur la réparation des préjudices
Attendu, s’agissant de la diffamation commise, que le préjudice causé par la publication litigieuse ne peut être indemnisé à hauteur de la somme réclamée par la demanderesse ; que, comme le soutiennent à juste titre les défendeurs, la teinture de ce petit chat dans une couleur assortie à sa robe et au thème de la soirée à laquelle elle participait était de nature à être remarquée et à provoquer l’émoi des associations de défense des animaux ; que ce préjudice ne peut cependant être considéré comme de principe, la diffusion de l’information selon laquelle le petit chat était mort causant un préjudice distinct qui sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts ;
Qu’en revanche le préjudice causé par l’atteinte au droit à l’image du fait de la publication d’un cliché posé représentant la demanderesse, n’est que de principe et sera justement réparé par l’allocation à ce titre de 1 euro de dommages-intérêts, à la charge de la seule société Cerise Media ;
Que la demande de publication d’un communiqué judiciaire est, compte tenu des circonstances, démesurée mais qu’il sera fait droit, en tant que besoin, à celle tendant à la suppression de l’article en cause qui a, selon les défendeurs, déjà été réalisée, l’astreinte ne se justifiant pas dans ces conditions ;
Que l’exécution provisoire n’apparaît pas nécessaire ;
Qu’enfin, les défendeurs qui seront condamnés aux dépens, devront également verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
DECISION
LE TRIBUNAL,
statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe,
contradictoirement et en premier ressort,
– Met hors de cause D. M. et B. T.,
– Juge constitutifs d’une diffamation publique envers particulier, en l’espèce E. S. dite E. L., les propos incriminés figurant dans un article mis en ligne sur le site internet www.ohmymag.com le 3 mars 2015,
– Condamne in solidum, G. M., ès qualité de directeur de la publication, et la société Cerise Media, civilement responsable, à verser à E. S.dite E. L., MILLE CINQ CENTS EUROS (1 500 euros) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par cette diffamation,
– Juge constitutive d’une atteinte au droit dont E. S. dite E. L. dispose sur son image, la reproduction d’un cliché photographique la représentant en illustration de cet article, et condamne la société Cerise Media à lui verser UN EURO (1 euro) à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de ce fait,
– Ordonne, en tant que de besoin, à G. M. et à la société Cerise Media de retirer du site internet www.ohmymag.com la publication incriminée,
– Condamne in solidum G. M. et la société Cerise Media à verser à E. S. dite E. L. la somme de DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS (2 500 euros) sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,
– Condamne in solidum G. M. et la société Cerise Media aux dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître Marie Mercier, avocat au barreau de Paris, dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Le Tribunal : Marie Mongin (vice-président), Thomas Rondeau et Marie-Hélène Masseron (vices-présidents, assesseurs), Martine Vail et Viviane Rabeyrin (greffiers)
Avocats : Me Marie Mercier, Me Marie-Laure Bouze, Me Nicolas Courtier
Notre présentation de la décision
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.