Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Paris 11ème chambre, section civile A Arrêt du 26 septembre 2007
Montorgueil / Shé D., Michel M.
vie privée
PROCEDURE
Vu l’assignation délivrée le 10 janvier 2005 à la société Montorgueil, dont le nom commercial est Carpe Diem, par Shé D. aux fins de la voir condamner à réparer le préjudice résultant de son atteinte à son droit à l’image subie à la suite de la diffusion sur un site internet à caractère pornographique, accessible l’adresse karima.com de clichés la représentant nue ou dévêtue, pris par le photographe Michel M. ;
Vu l’assignation en intervention forcée délivrée le 3 novembre 2005 à Michel M. par laquelle la société Montorgueil demande la jonction des procédures, la condamnation de celui-ci à payer directement à Shé D. le montant de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, à lui payer la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, sous le bénéfice de l’exécution provisoire ;
Vu le jugement du 23 janvier 2006 du tribunal de grande instance de Paris qui a :
– ordonné la jonction entre les deux instances,
– condamné la société Montorgueil à payer à Shé D. les sommes de 7500 € à titre de dommages-intérêts et de 2500 € au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu’aux dépens recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du même code,
– ordonné en tant que de besoin à la société Montorgueil de cesser la diffusion sur le site internet karima.com des 26 clichés de Shé D.,
– dit que la société Montorgueil sera intégralement garantie par Michel M. des condamnations prononcées contre elle au profit de Shé D.,
– rejeté toutes les autres demandes,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la condamnation à garantie ;
Vu l’appel interjeté par la société Montorgueil ;
Vu le défaut de comparution de Michel M., assigné conformément aux dispositions de l’article 659 du nouveau Code de procédure civile ;
PRETENTIONS
Vu les conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens des parties, aux termes desquelles ;
La société Montorgueil demande :
à titre principal, l’infirmation des dispositions du jugement à l’exception de celle qui a débouté Shé D. de sa demande de condamnation à faire mesurer la diffusion des photographies litigieuses et à adresser un courrier à tous leurs acquéreurs et en conséquence,
– le débouté de l’intimée de toutes ses autres demandes,
– l’autorisation d’utiliser et de commercialiser les photographies ou la condamnation de Shé D. au remboursement des sommes versées par elle au photographe, la restitution des sommes versées en raison de l’exécution provisoire du jugement déféré ainsi qu’au paiement des intérêts au taux légal sur lesdites sommes à compter de la notification de la décision à intervenir,
dans tous les cas,
– la continuation du jugement sur l’appel en garantie de Michel M. et la condamnation de celui-ci à payer en ses lieu et place,
à titre subsidiaire,
– l’infirmation du jugement en ce qu’il a estimé à la somme de 7500 € le préjudice subi par Shé D.,
à titre reconventionnel,
– la condamnation de l’intimée au paiement de la somme de 1500 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la condamnation in solidum des deux intimés à lui payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du même code ;
Shé D. demande :
– la confirmation du jugement sur le principe de l’atteinte à son droit à l’image,
– la condamnation de la société Montorgueil à lui payer les sommes de 52 000 € à titre de dommages-intérêts et de 6000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu’aux dépens avec application de l’article 699 du même code,
– ordonner à l’appelante, sous peine d’une astreinte de 500 € par jour, d’adresser une correspondance électronique ainsi qu’une correspondance à l’ensemble des clients ayant acquis les clichés litigieux depuis les sites internet comportant le dispositif de la décision à intervenir et les invitant à ne plus faire usage des clichés litigieux,
– interdire à l’appelante, sous peine d’une astreinte de 2000 €, de poursuivre toute diffusion, utilisation, offre de vente et distribution des photographies où elle apparaît ;
DISCUSSION
Considérant que le tribunal a complètement et exactement rapporté la procédure et les faits de la cause dans un exposé auquel la cour se réfère expressément ;
Qu’il suffit de rappeler que le 12 février 1996, Michel M., photographe, a, au cours d’une séance de photographies, pris des clichés de Shé D., modèle, nue ou dévêtue et dans des poses suggestives ;
Que le photographe a cédé ces clichés et de nombreux autres, par contrat du 25 juin 2001, uniquement pour l’exploitation sur le support internet, à la société Montorgueil, qui a inséré 13 clichés, soit 26 photographies de Shé D. sur le site internet karima.com, dont elle est propriétaire, ce site étant accessible à partir d’une page internet à l’adresse www.beurettes-xxx.com, elle-même accessible par le site www.gratuit.org ;
Considérant que l’appelante fait valoir qu’elle n’a pas commis de faute, ayant conclu le 25 juin 2001 un contrat de cession de droits d’exploitation sur les photographies litigieuses avec Michel M. qui avait obtenu de Shé D. une autorisation de publication, en anglais, intitulée «model release agreement» signée le 12 février 1996 ; que l’intimée ne justifie pas de l’existence d’un préjudice, et n’apporte pas la preuve de la réalité des faits, le domaine www.beurettes-xxx.com n’étant pas édité par elle mais par Stéphane P.
Considérant que par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a estimé que la société Montorgueil avait, en diffusant 26 clichés en violation du droit que détient Shé D. sur son image, commis une faute à son égard laquelle lui avait porté préjudice ;
Qu’en effet, toute personne, dispose en application de l’article 9 du Code civil, d’un droit exclusif sur son image et sur l’utilisation qui en est faite, lui permettant de s’opposer à la publication de celle-ci sans son autorisation d’exploitation expresse et spéciale, laquelle doit être suffisamment précise et limitée dans le temps, éventuellement dans l’espace et prévoir les modalités de diffusion ;
Qu’en l’espèce, le document “model release agreement” signé le 12 février 1996 par Shé D., rédigé en anglais alors qu’il n’est pas contesté que la séance de photographies s’est déroulée en France, et dont il est fourni en appel une traduction jurée, ne mentionne pas le montant de la rémunération du modèle, mais accorde notamment à Michel M. «le droit et la permission absolus de revendiquer le copyright, d’utiliser, réutiliser, publier, exposer, afficher, imprimer et réimprimer dans le cadre de matériel, magazines et livres publicitaires ou promotionnels ou tout autre support ou à toute autre fin, les photographies qui ont été, sont ou seront prises par le photographe … Les photographies peuvent être utilisées dans des magazines contenant des informations à caractère sexuel…» ;
Qu’en outre, en l’absence de toute limitation dans l’exploitation des clichés, que ce soit dans sa durée ou sur les supports de diffusion ne constitue pas une autorisation expresse et spéciale ;
Que, par ailleurs, ainsi que le tribunal l’a relevé, le contrat signé le 25 juin 2001 entre Michel M. et la société Montorgueil (Carpe Diem) qui ne fait nullement mention des droits des modèles sur leur image mais prévoit une cession des droits pendant dix ans alors même qu’aucune durée n’était précisée dans le « model release agreement” ne permet pas à ladite société d’établir qu’elle aurait été autorisée par Shé D. à diffuser son image sur le site internet qu’elle édite ;
Que s’agissant de son site internet, il résulte du rapport du centre d’expertise des logiciels (Celog), établi à la demande de l’intimée, que figure sur le site www.beurettes-xxx.com un encadré avec le texte suivant ; «cette galerie de photos de beurettes vous est offerte par le site karima spécialiste français dans le domaine cliquez ici pour le visiter… » ; que si le domaine www.beurettes-xxx.com est édité par Stéphane P., l’adresse IP associée est allouée à la société Montorgueil et le site karima.com est accessible à partir des sites www.gratuit.org puis www.beurettes-xxx.com
Considérant que les premiers juges ont, au vu des pièces produites, exactement apprécié le préjudice subi par Shé D. ;
Considérant dès lors que la décision de première instance sera confirmée en toutes ses dispositions de ces chefs ;
Sur l’appel en garantie
Considérant que le contrat conclu le 25 juin 2001 prévoit, ainsi que le tribunal l’a relevé, que Michel M. garantit à la société Montorgueil «la paisible jouissance des droits d’exploitation, de publication et de distribution cédés contre tous troubles revendication, ou éviction quelconques» ;
Que Michel M., qui ne s’est constitué ni en première instance ni en cause d’appel, ne présente aucun moyen de défense ;
Que le tribunal a, à bon droit et par des motifs pertinents que la Cour adopte, fait droit à l’appel en garantie formé par la société Montorgueil et rejeté la demande de condamnation de Michel M. à payer en ses lieu et place ;
Que la décision de première instance sera, dès lors, également confirmée de ces chefs ;
Considérant que l’équité commande, en cause d’appel, l’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile au droit de l’intimée ;
Que la société Montorgueil, qui succombe, sera condamnée aux dépens avec application des dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile et ne peut donc bénéficier des dispositions de l’article 700 précité.
DECISION
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
. Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
. Condamne la société Montorgueil à payer à Shé D. la somme de 1500 € pour ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
. La condamne en outil aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile,
. Rejette toutes les autres demandes.
La cour : Mme Laurence Trébucq, Mme Irène Carbonnier et M. Gilles Croissant (conseillers)
Avocats : Me Eric Barbry, Me Astrid Pernet
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.