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Jurisprudence : Responsabilité

jeudi 23 juin 2011
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Cour d’appel de Paris Chambre 2-7 Arrêt du 15 décembre 2010

Philippe B., DSI / Jean Paul V.

responsabilité

PROCÉDURE

La saisine du tribunal et la prévention

Par acte d’huissier en date du 26 novembre 2009, remis à domicile, accusé de réception signé le 02 décembre 2009, le syndicat “Dentistes solidaires et indépendants”, représenté par son Président, Philippe B., et Philippe B. ont fait citer devant la 17ème chambre correctionnelle, chambre de la presse, du tribunal de grande instance de Paris, à l’audience du 22 janvier 2010, Jean-Paul V., pour y répondre du délit de notification abusive d’un contenu prétendument illicite à un hébergeur, délit prévu et réprimé par l’article 6-I-4 de la loi du 21 juin 2004, en raison de la mise en demeure adressée par le mandataire de Jean-Paul V. à la société Gandi le 8 juillet 2009 et reçue le 13 juillet 2009 afin d’obtenir le retrait ou de faire cesser la diffusion d’un contenu figurant sur le blog www.veritesdentaires.fr en le présentant comme illicite.

Le jugement

Le tribunal, le 14 mai 2010, statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Jean-Paul V. (article 411 du code de procédure pénale), prévenu, à l’égard du syndicat dentistes solidaires et indépendants et Philippe B., parties civiles, a
– renvoyé Jean-Paul V. des fins de la poursuite ;
– reçu le syndicat dentistes solidaires et indépendants et Philippe B. en leur constitution de partie civile mais les déboute de leurs demandes en conséquence de la relaxe intervenue ;
– débouté Jean-Paul V. de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive.

[…]

FAITS

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels des parties civiles contre le jugement déféré auquel il est fait référence pour l’exposé de la prévention.

Monsieur l’avocat général a requis la confirmation du jugement.

Représentées, les parties civiles Philippe B. et le Syndicat “Dentistes solidaires et indépendants” ont fait plaider et conclure en l’infirmation de la décision déférée.

Selon le dispositif des conclusions déposées, il est demandé à la cour :
– “de dire et juger que le délit de notification abusive d’un contenu prétendument illicite à un hébergeur sont réunis
– de condamner Jean-Paul V. à payer la somme de 30 000 € à chacune des parties civiles à titre de dommages et intérêts
– d’ordonner à titre de réparation complémentaire la publication de l’arrêt à intervenir dans trois organes de presse dans la limite d’un coût de 5000 € hors taxes pour chacune des publications
– de condamner Jean-Paul V. à payer la somme de 6000 € à chacune des parties civiles en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.”

Le prévenu, intimé, présent et assisté, a fait plaider et conclure en la confirmation du jugement.

Une demande reconventionnelle a été formée au titre de l’article 472 du code de procédure pénale contre les deux parties civiles appelantes.

Philippe B. a créé en févier 2009 le syndicat “ Dentistes Solidaires et Indépendants” (DSI), dont il est le président, qui dispose d’un site internet accessible à l’adresse www.syndicatdentaire.fr. Philippe B. a aussi créé un site, sous forme de blog, accessible à l’adresse www.veritesdentaires.fr.

Philippe B. a mis en ligne sur ce deuxième site le 14 avril 2009 un article intitulé “Le cas de Maître V., avocat à la cour de Paris, est choquant” qui comportait, notamment les passages suivants :

“Lorsqu’il plaide un dossier devant la chambre disciplinaire, Me V. se trouve f ace à des juges qui sont, pour la plupart d’entre eux, directement ou indirectement ses clients, ce qui n‘est pas admissible. Un avocat ne peut à la fois être l’avocat des juges et l’avocat du plaignant. Nous pensions qu’avec l’arrivée d’un magistrat à la présidence de la chambre disciplinaire d’Ile de France, M. Jean-Claude T., ces manigances nauséabondes qui ont duré 10, 15, 20 ans ou plus, cesseraient. Nous constatons qu’il n‘en est rien. Ces agissements qui déshonorent notre profession et la magistrature française doivent cesser.”

“Par ailleurs, lorsqu’ un praticien demande conseil à une des conseils départementaux d’Ile de France, la secrétaire le renvoie vers Maître V. afin que celui-ci bénéficie d’un client supplémentaire !!! Copinage ou rabattage ? Parfois, la secrétaire donne 2 noms dont le sien mais cela nous choque quand même.”

“Enfin, Me V. est parfois le conseil des praticiens qui demandes des contrats. Me V. établit donc les contrats et les adresse au conseil départemental dont il est le conseil. En conséquence, il a pour mission d’analyser et de valider les contrats établis par lui-même : le bonus est excellent, il perçoit des honoraires en qualité de prestataire de service par le praticien et il est rémunéré une seconde fois en qualité de prestataire de service par le praticien et il est rémunéré une seconde fois en qualité de contrôleur-conseil des conseils départementaux d’Ile de France (sauf le 91, 78 et 77 qui ont compris le problème posé par cette situation inadmissible).”

“Notre syndicat, DSI est présent lorsqu’il s’agit de dénoncer des abus ou des situations douteuses même s’il doit s ‘en prendre à nos organismes professionnels. DSI a donc interpellé le Président des Conseils Départementaux des 75, 92, 93, 94 et 95, et la Président de la Chambre disciplinaire de première instance du Conseil Régional d’Ile de France, M. Jean-Claude T. afin qu’ils mettent fin à cette situation. Certaines sont produites dans notre blog.”

“Dire la vérité c’est toujours prendre le risque de ne pas être entendu, compris ou suivi et parfois même faire l’objet de représailles. Mais taire la vérité c’est se déshonorer. Sous un régime totalitaire, se taire est un impératif qui vous permet de rester en vie. Sous notre République, se taire est un délit qui vous rend complice des coupables.”

Le 19 juin 2009, une assignation en référé à heure indiquée était délivrée à Philippe B. et au syndicat DSI en vue d’obtenir, outre réparation du préjudice allégué par l’allocation de dommages et intérêts à titre provisionnel, la cessation de la diffusion de ce texte. L’assignation n’a pas été placée. Jean-Paul V., par l’intermédiaire d’un nouveau conseil a, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 8 juillet 2009, notifié à la société Gandi, hébergeur du site en cause, au visa de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique , adressé une mise en demeure de prendre “toutes mesures utiles pour faire cesser, soit directement soiT en prenant attache avec Monsieur Philippe B., cette diffusion”. Un courrier en la même forme et tendant aux mêmes fins, était envoyé le même jour à Philippe B.

L’hébergeur obtempérait à cette demande, suite à la réception du courrier le 13 juillet. Le 17, le blog n’était réactivé qu’après suppression du contenu en cause.

Indépendamment des poursuites engagées par Jean-Paul V. du chef de diffamation publique envers un particulier, Philippe B. et le syndicat “Dentistes solidaires et indépendants” citaient le 26 novembre 2009 Jean-Paul V. du chef de notification abusive d’un contenu prétendument illicite à un hébergeur devant le tribunal correctionnel de Paris qui prononçait le 14 mai 2010 le jugement attaqué en ses seules dispositions civiles.


DISCUSSION

Considérant que le ministère public n’ayant pas fait appel de la décision de relaxe rendue à l’égard de Jean-Paul V., celle-ci est définitive.

Considérant qu’en raison de l’indépendance de l’action civile et de l’action publique, l’appel des parties civiles saisit valablement la cour des seuls intérêts civils.

Considérant, sur les faits, que la cour adopte expressément leur narration, telle qu’exposée par les premiers juges ; qu’il sera seulement rappelé qu’est en débats le point de juger si, en faisant notifier par son conseil, à l’hébergeur du blog de Philippe B., le 8 juillet 2009, une notification de contenu illicite, Jean-Paul V. a exposé, ou n’a pas exposé, sa responsabilité personnelle selon l’article 6.1.4° de la loi du 21 juin 2004.

Considérant que cet article édicte :
“Le fait, pour toute personne, de présenter aux personnes mentionnées au 2 un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion, alors qu‘elle sait cette information inexacte, est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.” ; qu’il s’en déduit que doit être caractérisé un fait matériel, la présentation au cas d’espèce, à la société hébergeant le blog, d’un contenu ou d’une activité comme étant illicite, et un fait intentionnel, la connaissance de l’inexactitude de l’information présentée.

Considérant que par l’emploi de la conjonction de subordination “alors que”, le législateur entend que l’élément intentionnel soit apprécié au moment de la présentation du contenu ou de l’activité comme étant illicite.

Considérant qu’au cas d’espèce, il sera relevé par la cour que le prévenu intimé n’est pas l’auteur de la notification, personnelle à son conseil ; qu’en l’absence de stipulation législative contraire, la responsabilité, éventuelle, du prévenu intimé ne peut être recherchée sur le plan de son action personnelle mais sur celui des instructions qu’il aurait pu donner, de procéder à cette notification.

Considérant que les parties civiles appelantes ont principalement fait plaider et conclure que “Jean-Paul V. savait nécessairement que le contenu qu’il présentait comme diffamatoire contenait l’imputation de faits exacts” à savoir qu’il ne pouvait sérieusement ignorer que :
“- lorsqu’il plaide un dossier devant la chambre disciplinaire de première instance d’Ile-de-France, Maître V. plaide en réalité devant une juridiction disciplinaire composée de juges qui fréquemment, sont ou ont été ses propres clients au travers des cinq sur sept conseils départementaux de cette même région, qui sont ses clients ;
– un nombre important de conseils départementaux d’Ile-de-France qu’il conseille en sa qualité d’avocat sont amenés à diriger les praticiens ayant un besoin de conseils vers son cabinet ;
– il est tout à la fois sollicité par des praticiens pour établir différents contrats dans le cadre de leur exercice professionnel de pratique dentaire, et en même temps missionné par plusieurs conseils départementaux afin de les assister dans leur mission d’analyse et de validation des mêmes contrats.”

Considérant que cette argumentation équivaut à présenter le texte diffusé sur le média internet sous une forme édulcorée dont sont exclues les prises à partie désobligeantes envers Jean-Paul V., qui sont susceptibles de conférer au texte sa portée diffamatoire, telles que “un avocat ne peut être à la fois avocat des juges et l’avocat des plaignants”, “ces agissements déshonorent notre profession”, ou “copinage et rabattage”.

Considérant par ailleurs que dans leur argumentation, les parties civiles prennent le soin d’omettre les commentaires et formulations tels que “situation inadmissible” (à propos de la double perception d’honoraires), la nécessité de “dénoncer des abus ou des situations douteuses”, ou de ne pas “taire la vérité”, sous peine d’être “déshonoré”.

Considérant que cette présentation du texte par les parties civiles, en ce qu’elle occulte, d’une part, les termes exactement employés et l’évidente mise en cause qui équivaut à une attaque des pratiques professionnelles de l’avocat Jean-Paul V. d’autre part, ne peut être retenue par la cour comme la démonstration de l’élément intentionnel du délit.

Considérant de plus que par ses prises de décision tendant, à l’époque, à poursuivre en justice M. B. et le Syndicat “Dentistes Solidaires et Indépendants” l’attitude de Jean-Paul V. ne peut être analysée comme celle de quelqu’un ayant su qu’il faisait notifier un contenu illicite.

Considérant, en effet, que les premiers juges ont justement relevé :
– “que Jean-Paul V. avait antérieurement à la notification du 8 juillet tenté d’agir en référé contre les éditeurs du site, sans que l’absence de placement de l’assignation décidée pour des motifs de procédure fut caractéristique d’une manœuvre,
– que sans attendre la suite donnée par l’hébergeur à sa demande, Jean-Paul V. a fait délivrer une citation directe à Philippe B. et au syndicat DSI du chef de diffamation publique envers un particulier,
– que la volonté de s’en remettre à justice à cet égard manifestait la sincérité de sa démarche.”

Considérant que les événements ultérieurs et, notamment, l’appréciation juridique par le tribunal correctionnel de Paris du caractère partiellement diffamatoire le 27 janvier 2010 sont au vu des événements précités, sans effet ni incidence sur l’appréciation le 8 juillet 2009 de l’élément intentionnel ; que la cour confirmera la mise hors de cause de Jean-Paul V., prononcée par les premiers juges, et déboutera les parties civiles de leur demandes.

Considérant sur la demande reconventionnelle de condamnation des parties civiles en application de l’article 472 du code de procédure pénale, que l’abus d’action ou sa témérité n’est pas, ainsi que les premiers juges l’ont relevé, avéré au cas d’espèce qu’adoptant sur ce point les motifs du jugement, la cour confirmera le rejet de cette demande.

DECISION

Statuant publiquement et contradictoirement,

. Reçoit l’appel des parties civiles,

. Confirme le jugement en toutes ses dispositions civiles,

. Rejette toute conclusion plus ample ou contraire.

La cour : M. Alain Verleene (président), MM. Gilles Croissant et François Reygrobellet (conseillers)

Avocats : Me Basile Ader, Me Christophe Bigot

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.