Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Diffamation

mardi 30 septembre 2014
Facebook Viadeo Linkedin

Cour d’appel de Paris, Pôle 2 – Chambre 7, arrêt du 28 mai 2014

Monsieur X et la société Z / Wikimedia France

assignation - atteinte à la vie privée - données personnelles - exception de nullité - formalisme - infraction de presse - lcen - nullité

Vu l’assignation délivrée le 10 mai 2012 à la requête de Monsieur X et de la société Z à l’association WIKIMEDIA FRANCE, sollicitant du tribunal, au visa de
l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000, de l’article 9 du Code civil, des articles 6 et 38 de la loi de 1978 (loi informatique et libertés), de l’article 6 de la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) et de l’article 1382 du Code civil, d’ordonner la suppression totale et définitive de la page sur Wikipedia les concernant, des serveurs de Wikipédia et de l’historique des contributions, d’ordonner la mise en place d’un message généré automatiquement sur le mot clé «………………»
indiquant qu’aucune contribution Creative Commons n’est acceptée sur Wikipédia, d’ordonner le renvoi systématique au site officiel de : xxxxxx.com,
d’interdire toute nouvelle publication sur Wikipédia sous astreinte de 1 000 €, de
condamner WIKIMEDIA FRANCE à payer à titre de dommages-intérêts la somme de 150 000 € en réparation de l’atteinte à la vie privée, 150 000 € en réparation de l’atteinte à la réputation de Monsieur X et 150 000 € en réparation du préjudice moral, outre la condamnation aux dépens et à la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu l’ordonnance rendue le 4 janvier 2013 par le juge de la mise en état qui, saisi par la défenderesse de conclusions soulevant la nullité de l’assignation sur le fondement des articles 56-2 du code de procédure civile, 53 de la loi du 29 juillet 1881 et 648 du code de procédure civile a fait droit à l’exception de nullité sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, déclaré nulle en conséquence l’assignation délivrée le 10 mai 2012, constaté que le juge de la mise en état n’était pas compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, rejeté la demande de dommages-intérêts
pour procédure abusive, et condamné in solidum Monsieur X et la société Z à verser à l’association WIKIMEDIA FRANCE la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;

Vu l’appel interjeté de cette ordonnance le 22 janvier 2013 par Monsieur X et la société Z, qui, aux termes de leurs dernières conclusions du 12 novembre 2013 en poursuit l’infirmation et demandent à la cour :
– à titre préliminaire, de constater que l’identification des contributeurs au sens du droit d’auteur français est impossible et qu’est organisé un système général d’anonymat sur Wikipédia,
– de reconnaître que l’article 53 de la loi de 1881 n’est pas applicable en l’espèce et que l’action des appelants est fondée sur l’application de l’article 9 du Code civil et des dispositions de l’article 6-1-2,6-5 de la loi LCEN,
– de rejeter l’application de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et la requalification en diffamation,

Sur le fond

-de reconnaître l’existence du lien hypertexte entre Wikipédia et WIKIMEDIA FRANCE,
-de reconnaître la réalité du groupe WIKIMEDIA et l’existence de liens culturels, humains et capitalistiques entre WIKIMEDIA FRANCE, Wikipédia et WIKIMEDIA FOUNDATION USA,
– de reconnaître les atteintes à la vie privée qui ont été effectuées à l’encontre des appelants sur la page http//fr. wikipédia.org:wiki/xxxxxxxxxxxxx,

par conséquent,
-de reconnaitre la responsabilité de Wikimedia France sur le régime autonome développée à l’article 6-1-2 et 6-5 de la loi LCEN,
– à défaut de reconnaître la responsabilité de fait de gestionnaire du site de Wikipédia.fr par l’ association Wikimedia France,

en conséquence,
– d’ordonner à l’association intimée Wikimedia France la suppression totale et
définitive de la page concernant …………..sur le site fr. Wikipedia, la suppression
de l’historique des contributeurs des sites Wikipedia concernant……………… et la
suppression des discussions sur l’adresse http ://fr. média org,
– d’ordonner la mise en place d’un message généré automatiquement sur l’entrée…………..qu’aucune contribution n’est désormais acceptée et possible,
-d’ordonner la mise en place d’un message d’accueil sur la page du serveur Wikipedia le concernant disant qu’il faut que se référer sur le site officiel de Monsieur X : www.xxxxxxx.com,
– de condamner Wikimedia France à verser la somme de 450 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, celle de 12 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre la condamnation aux entiers dépens,

Vu les dernières conclusions de Wikimedia France signifiées le 30 janvier 2014 par lesquelles il est demandé à la cour :
– à titre liminaire, de dire que l’appel est limité à la question de la validité de l’acte introductif d’instance,
– de déclarer irrecevable les arguments de fond des appelants,
-de rejeter des débats la pièce adverse 29 qui ne respecte pas les dispositions du règlement intérieur national,

à titre principal,
-de constater que les appelants ne sollicitent pas l’infirmation de l’ordonnance du 4 janvier 2013,
– de confirmer l’ordonnance du 4 janvier 2013 en ce cas-là fait droit à l’exception de nullité sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881,

à titre subsidiaire,
– de constater que l’objet de la demande contenue dans l’acte introductif d’instance du 10 mai 2012 ne correspond pas aux exigences de l’article 56 2° du code de procédure civile,
– de constater que Wikimedia France n’est pas en mesure de préparer sa défense utilement et que l’irrégularité de l’acte lui cause un grief,
en conséquence,
– de constater la nullité de l’acte introductif d’instance,

à titre très subsidiaire, en cas d’infirmation de l’ordonnance,
– de constater que l’acte introductif d’instance ne contient pas les mentions exigées par l’article 548 du code de procédure civile,
– de constater que ce défaut de mention cause un grief à Wikimedia France qui n’est pas en mesure d’identifier avec exactitude les requérants,
en conséquence,
-de constater la nullité de l’acte introductif d’instance,
en tout état de cause,
– d’infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande de dommages-intérêts de Wikimedia France,
– de condamner in solidum Monsieur X et la société Z à régler la somme de 10 000 € à Wikimedia France à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de
15 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens par distraction au profit de Maître Olivier Hugot conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 26 février 2014 ;

DISCUSSION

Sur la saisine de la cour d’appel,

Considérant que la cour est saisie de l’appel d’une ordonnance du juge de la mise en état qui, statuant, en application de l’article 771 -1 du code de procédure civile, a fait droit à l’exception de nullité soulevée par la défenderesse ; que la saisine de la cour est donc limitée à l’examen de la validité de l’acte introductif d’instance sans qu’il y ait lieu, à ce stade de la procédure, de statuer ni sur les moyens et demandes au fond des appelants, ni
sur la demande de l’intimée de rejet des débats d’un courrier en date du 13 février 2013, lesquels seront déclarés irrecevables ;

Sur la validité de l’assignation,

Considérant que les appelants font valoir au soutien de l’infirmation de l’ordonnance du juge de la mise en état qui, faisant droit à l’exception de nullité de l’assignation, a estimé que celle-ci visant en réalité des imputations diffamatoires, les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, prescrites à peine de nullité auraient dû être respectées :

– que les prétentions des parties sont fixées dans le dispositif de l’assignation, lequel vise l’article 9 du Code civil, la loi informatique et liberté de 1978, la LCEN et l’article 1382 du Code civil,

– que l’article 53 de la loi sur la presse n’avait pas à être respecté puisque les propos reprochés sont publiés sur Internet uniquement et que seule la LCEN a vocation à s’appliquer,

– que la diffamation n’est pas applicable, les faits illicites visés par les appelants, à savoir une personne physique et une personne morale, qui n’ont trait ni à la race, ni à la religion, ni à l’ethnie, ni au sexe et à l’orientation sexuelle, ni à l’identité de Monsieur X et de sa société, étant des propos faux et mensongers sur son parcours universitaire, ses travaux, ses contacts politiques et son parcours professionnel, étant précisé qu’il a déjà fait condamner des propos similaires illicites proférés dans un livre, par une décision rendue
le 18 décembre 1985 par le tribunal de grande instance de Paris,

– que les circonstances de l’audience en date du 7 décembre 2012 les ont privées « de l’opportunité d’un procès équitable » en ce que l’examen unique de l’applicabilité de l’article 53 de la loi de 1881, dont il n’est fait aucune mention dans l’assignation et le délai de sept minutes accordé aux conseil des deux parties révèle un parti pris qui s’apparente à un déni de justice soit à une violation de l’article 4 du Code civil et 4 et 5 du code de procédure civile ;

* * *

Considérant qu’il résulte de la lecture de l’assignation que la demande tendant
notamment à voir supprimer « la page sur Wikipedia de Monsieur X et de sa société résulte de ce que les « les informations qui y figurent sont non
seulement fausses mais calomnieuses », que la page est « totalement fausse et
diffamatoire », que ces propos constituent : « une atteinte grave à la vie privée de Monsieur X selon l’article 9 du Code civil » « une atteinte grave à la réputation de Monsieur X », « une diffamation au sens de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 », « une atteinte à l’article 10 de la CEDHLF » et enfin « une atteinte à la protection des données à caractère personnel selon les articles 6 et 7, et 38 de la loi de 1978 » en raison de l’inexactitude des données et « une atteinte aux droits selon l’article 6-2 et 6-8 de la loi sur la confiance en l’économie numérique » pour avoir divulgué « de fausses informations
et des propos diffamatoires » ; qu’il est en outre précisé qu’un constat sur Internet a été effectué le 20 mars 2012 pour « prouver les propos mensongers et diffamatoires sur la page qui est consacrée à Monsieur X sur Wikipédia France » ;

Considérant qu’il en ressort que, même si les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 qui incriminent la diffamation publique envers un particulier ne sont pas visés au dispositif de l’assignation, les propos reprochés, sans qu’ils soient précisément identifiés, sont qualifiés de diffamatoires, étant observé au surplus que figure au dispositif le visa de l’article 10 de la CEDHLF ; que contrairement à ce que soutiennent les appelants les propos diffamatoires peuvent viser les personnes physiques ou morales, et ne concernent pas nécessairement la race, la religion, l’ethnie, le sexe ou l’orientation sexuelle ; qu’enfin la loi sur la presse, selon son article 23, est applicable aux propos
diffusés sur Internet ;

Considérant que selon une jurisprudence constante depuis les arrêts du 12 juillet 2000 de l’assemblée plénière de la Cour de Cassation, les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réparés que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et non sur celui de l’article 1382 du Code civil, lequel permettrait au demandeur d’échapper aux règles de courte prescription de la loi sur la presse tout en privant l’auteur des propos de la possibilité de faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires ou de démontrer sa bonne foi ; que l’article 12 alinéa 2 du code de procédure civile impose également au juge de« restituer
leur exacte qualification aux faits et aux actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée» ;

Considérant qu’il ne saurait être fait grief au juge de la mise en état d’avoir prétendument privé les demandeurs d’un procès équitable, voire même d’avoir fait preuve de parti pris, alors qu’il s’est limité à se conformer à la jurisprudence et à la loi en énonçant, en premier lieu, s’agissant des imputations diffamatoires précisément relevées, que l’assignation ne
respectait pas les dispositions de l’article 53 aliéna 1 de la loi sur la presse, prescrites à peine de nullité, selon lesquelles la citation doit préciser et qualifier le fait incriminé et indiquer le texte de loi applicable, et, s’agissant des atteintes poursuivies sur le fondement de l’article 9 de la loi sur la presse qu’à défaut de pouvoir distinguer les information visées comme attentatoires à la vie privée de celles qualifiée de diffamatoires ou calomnieuses, les poursuites ne pouvaient être également exercées que sur le fondement de la loi sur la
presse ;

Considérant que l’ordonnance sera en conséquence confirmée en ce qu’elle a fait droit à l’exception de nullité sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Sur les autres demandes,

Considérant que le caractère abusif de l’action exercée par Monsieur X et par la
société Z et de l’exercice de leur droit d’appel n’est pas établi ; que
l’association Wikimedia France sera en conséquence déboutée de sa demandes de dommages intérêts ;

Considérant qu’il lui sera en revanche alloué la somme supplémentaire de
2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les appelants étant condamnés aux entiers dépens ;

DECISION

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement,

Déclare irrecevable les moyens de fond développés par les appelants, et la demande de
l’intimée de rejet des débats de la pièce adverse 29,

Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Monsieur X et la société Z à verser à l’association Wikimedia France la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

La Cour : Sophie Portier (Présidente), François Reygrobellet, Sophie-Hélène Chateau (Conseillers), Elodie Ruffier, Fatia Henni (Greffiers)

Avocats : Me Isabelle Landreau, Me Olivier Hugot, Noémie Bergez substituant Me Olivier Hugot

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Isabelle Landreau est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître Olivier Hugot est également intervenu(e) dans les 10 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Sophie Portier est également intervenu(e) dans les 10 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.